Mercredi 11 mai 2011

M. Christian Piotre,
secrétaire général de l'administration
du ministère de la défense et des anciens combattants

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M. Jean-Luc Fichet , vice-président . - Je vous remercie, monsieur le Secrétaire général, d'avoir répondu à notre invitation. Dans le prolongement des auditions et des déplacements entrepris par la mission depuis février, nous sommes très heureux d'entendre le secrétaire général du ministère de la défense.

M. Christian Piotre, secrétaire général de l'administration du ministère de la défense et des anciens combattants. - Le ministère de la défense est engagé depuis 2008 dans ce que je pourrais presque appeler une révolution. Cette grande réforme résulte d'une double démarche, avec d'un côté le livre blanc sur la défense et la sécurité, approuvé par le chef de l'Etat à l'été 2008, et qui fixe à l'horizon 2010 les contrats opérationnels des armées et l'organisation de notre défense, et, de l'autre, la révision générale des politiques publiques, démarche interministérielle pour optimiser l'emploi des ressources de toutes les administrations de l'Etat. La Défense s'est inscrite résolument dans cette révision, et aucun secteur d'activité, nulle de ses organisations n'y a échappé.

La loi de programmation militaire 2009-2014 définit de nouvelles capacités opérationnelles, mais aussi un nouveau format, se traduisant par une réduction sensible des effectifs comme des implantations. Cependant, la réforme ne s'accompagne pas d'une réduction des ressources : elle passe par une réallocation substantielle. Les économies sur la masse salariale et sur le fonctionnement courant ont vocation à financer la modernisation des équipements et l'amélioration de la condition des personnels.

L'effet territorial de ce processus est non négligeable. Environ quatre-vingts fermetures et une cinquantaine de transferts d'unité ont été programmés entre 2009 et 2014, avec deux années particulièrement lourdes, 2010 et 2011. Quelque 35 projets de modernisation conduits dans le cadre de la RGPP contribuent à la réduction du format. Le ministère doit supprimer 54 000 emplois d'ici 2015, dont les trois quarts dans l'administration générale et le soutien commun, et une répartition entre militaires (75 %) et civils (25 %) conforme à leurs proportion respective.

Le ministère de la défense n'est pas organisé selon la logique de déconcentration régionale et départementale des services de l'Etat. L'exception qu'était l'ancienne direction des anciens combattants sera corrigée à la fin de l'année, l'Office national des anciens combattants devenant l'unique service de proximité pour les ayants droit.

La conduite et l'accompagnement de la réforme ont fait l'objet d'une réflexion. Il fallait en effet des objectifs précis. Le ministre préside le comité exécutif ; le comité de modernisation du ministère, que je préside, se réunit tous les mois et entretient le rythme de la réforme ; une mission de coordination, dirigée par un officier général, est en charge du contact quotidien sur les 35 projets de la RGPP et, suivant l'instruction du ministre, privilégie l'initiative. Chacun des trois grands responsables du ministère, le chef d'état-major des armées, le délégué général pour l'armement, et le secrétaire général pour l'administration, est en charge de la partie de la réforme qui lui est confiée dans son domaine de compétence. Enfin, le ministère s'inscrit dans le dispositif interministériel que vous a décrit M. Migeon.

L'accompagnement de la réforme est d'abord social. Il a alors pour objet de faciliter les réductions d'effectifs et la mobilité des personnels. Les incitations au départ sont le principal levier ; il s'agit des pécules pour les militaires et des indemnités de départ volontaire pour les civils, ainsi que de l'indemnisation de la mobilité géographique (déménagement ou éloignement du lieu de travail) et des dispositifs de reclassement dans les trois fonctions publiques et de formation. Au total, nous y consacrons 238 millions en 2011.

C'est aussi le dialogue, l'écoute et l'accompagnement individuel, avec une antenne mobilité reclassement dans chaque organisme concerné par une restructuration et des médiateurs mobilité au niveau local. Le nombre de personnes en difficulté en 2009 et 2010 se compte sur les doigts de la main. Les organisations syndicales pour les personnels civils, les commissions participatives, le conseil supérieur de la fonction militaire pour les militaires, aident à percevoir les difficultés sur le terrain, mais aussi les réussites.

L'accompagnement immobilier, ensuite. On le sait peu, le ministère gère 40 % du domaine de l'Etat. La loi de programmation militaire a identifié un volume de ressources spécialement destinées aux opérations immobilières et d'infrastructure directement liées aux restructurations et réorganisations -il ne s'agit pas du Rafale à Saint-Dizier mais de dédensification et de sites à aménager. Le Parlement peut suivre la consommation des 1,2 milliards prévus à ce titre. Pour 2011, cela représente 498 millions en autorisations d'engagement. Des cessions à titre gratuit bénéficient aux collectivités les plus touchées. La Défense participe à la réduction du parc immobilier de l'Etat aux stricts besoins. Nous avons réalisé des schémas directeurs de base de défense pour les dix années à venir.

L'accompagnement économique, enfin, a été conçu dès 2008. Il a fait l'objet d'une circulaire du Premier ministre en juillet 2008. Le délégué interministériel à l'aménagement du territoire vous l'a décrit lors de son audition. Les collectivités les plus touchées élaborent des contrats de redynamisation qui peuvent ouvrir droit à l'acquisition, à l'euro symbolique, des immeubles dont la Défense n'a plus l'usage. Là où l'impact des restructurations est plus diffus sans être négligeable, des plans locaux de redynamisation peuvent être définis à l'échelle départementale. Des crédits du Fonds national d'aménagement du territoire et du Fonds pour les restructurations de la Défense (FRED) peuvent y contribuer. Sur 320 millions ainsi mobilisés, 225 millions sont destinés aux contrats de redynamisation, 75 millions aux plans locaux, et 20 millions à l'outre-mer. L'objectif fixé est de 25 contrats et 30 plans.

La délégation aux restructurations, dirigée par Hervé Oudin, qui m'accompagne aujourd'hui, s'appuie sur tous les services compétents du ministère et travaille en coordination étroite avec la Datar.

Quant au bilan, le calendrier des restructurations est respecté, les réductions d'effectifs sont au rendez-vous et les principales échéances honorées. En 2011, nous avons généralisé l'organisation autour des bases de défense. La pente de réduction des effectifs est tenue : sur 54 000 emplois à supprimer avant 2015, 53 400 ont déjà été identifiés. Rien ne laisse présager un affaiblissement de l'effort. Le ministère est tendu vers l'objectif de dégager des ressources, le différentiel de masse salariale finançant des équipements nécessaires.

Les outils d'accompagnement ont fait la preuve de leur efficacité. Même si nous sommes en ligne avec nos objectifs, nous devons rester extrêmement vigilants, ne serait-ce que parce que les marges de reclassement peuvent se rétrécir -cette problématique nous préoccupe.

Nous avons signé 14 contrats de redynamisation pour plus de 90 millions d'euros, 15 millions allant aux plans locaux de redynamisation. Le ministre a souhaité que la quasi-totalité des contrats et plans soient finalisés avant la fin de l'année. L'objectif est de construire un projet pour rebondir après les restructurations. Une trentaine d'emprises ont été cédées à l'euro symbolique. Leur valeur (50 millions) participe à la compensation des pertes subies par les territoires.

Le ministère est préoccupé par la reconversion des personnels dans la fonction publique d'Etat. Nous avons du mal à trouver des postes pour les militaires. Malgré nos efforts, le dispositif interministériel mis en place voilà dix-huit mois ne donne pas les résultats escomptés. L'échange d'informations entre ministères n'est pas parvenu à un degré de maturité suffisant et à la transparence souhaitable -il est vrai que chaque administration a ses préoccupations... A contrario , le bilan des reclassements dans la fonction publique territoriale est encourageant, avec plus de 500 militaires en 2010.

Les procédures immobilières sont longues et la réglementation pour la dépollution très contraignante. Nous nous imposons des obligations, et tout cela affecte le calendrier de mise à disposition. Un travail interministériel serait de nature à améliorer les procédures.

La réforme se met en place alors que l'engagement militaire de la France est très soutenu. On ne peut pas isoler celui-ci de celle-là, car ce sont les mêmes agents, les mêmes personnels. La Défense met à la disposition de la France et du chef des armées un outil adapté aux menaces comme aux engagements et aux choix de notre pays. Nous devons protéger le périmètre opérationnel sans renoncer aux économies recherchées. L'équilibre à trouver est délicat.

Nous entendons préserver la cohésion globale de la communauté de défense. Tous les personnels du ministère sont concernés par ses évolutions. Les accompagner est prioritaire au moment où on leur demande beaucoup. Les personnels dont le service a été regroupé à Toulon sont heureux de voir leur avenir assuré, mais, s'ils travaillent dans de meilleures conditions, le nombre de dossiers par personne est passé de 400 à 1 200 voire plus. Malgré un meilleur outil informatique, la productivité doit satisfaire à des critères plus exigeants. Le personnel doit être motivé, formé, reconnu, d'où la notion de retour. De même, j'ai passé 24 heures non stop à bord du Charles de Gaulle au large de la Libye. Nos hommes y sont depuis 50 jours, concentrés sur des missions opérationnelles. N'ont-ils pas droit, quand ils retournent dans leur base, à des capacités d'entraînement à la hauteur de l'effort opérationnel ? Cette communauté est une richesse, préservons-là. Les civils représentent aujourd'hui la moitié des personnels des armées, et l'on compte 20 000 entrées et 20 000 sorties tous les ans. Gérer ce flux de ressources humaines représente un défi permanent. Il ne faut pas fragiliser cet outil.

M. François Patriat , président . - Vous avez évoqué l'engagement des forces armées après nous avoir donné une vision presque idyllique de leur réorganisation. Certes, vous avez engagé des moyens financiers à la hauteur des enjeux que vous avez constatés, mais, vue d'en bas, la réalité n'est pas celle-là. La commune de Joigny reçoit une aide à l'investissement de 3 millions d'euros et, pour l'euro symbolique, 12 hectares de terrain, mais avec des bâtiments à maintenir hors de l'eau et un projet à monter. J'étais vendredi dans cette collectivité : les élus sont désemparés parce qu'ils ont perdu le 28 e groupe géographique, envoyé à Haguenau. On se mobilise mais il y a aussi le tribunal, l'hôpital et, au total, la ville a perdu 10 % de sa population. Expliquer au buraliste que la baisse de son chiffre d'affaires contribue à l'effort de défense de la France ne suffit pas.

Bien sûr, M. Houpert est content d'avoir sauvé Luxeuil et nous sommes contents pour Dijon. Pourtant, ne pourrait-on prolonger l'accompagnement et éviter le sentiment d'injustice provoqué par les variations de calcul de la compensation d'un lieu à l'autre ?

M. Christian Piotre. - Est-on armé pour traiter de cette problématique ? La Défense et la Datar souhaitent éviter le syndrome du fire and forget , tirer un missile et l'oublier. Les contrats et les plans ne dédouanent pas l'Etat de sa responsabilité, et Gérard Longuet va écrire aux préfets des territoires concernés : attention, l'Etat doit veiller au devenir des projets. L'accompagnement, c'est un plan sur plusieurs années. L'engagement financier n'est pas pour solde tout compte et nous pourrons aller au-delà. Il revient au représentant de l'Etat de poursuivre le dialogue au-delà de la signature de manière continue. Le ministère se mobilise également pour faire venir des entreprises. Je partage votre conviction, il faut prolonger l'action.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Il y a de moins en moins de militaires, ce qui nous renvoie à ce trait général de la RGPP qu'est l'externalisation, l'agencialisation des missions. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? En février, je suis allé trois jours sur les bases aériennes en Bretagne (Landivisiau, Lanvéoc, Lorient). Des missions ont été externalisées, la restauration mais aussi l'entretien des équipements, qu'assurent les constructeurs. Mais sur le Charles de Gaulle, que vous évoquiez, Sodhexo ne prépare pas les repas, et M. Dassault n'est pas présent sur le théâtre des opérations. La RGPP est-elle adaptée à la spécificité des armées ?

Un mot aussi du retour sur investissements : comment les économies réalisées améliorent-elles pouvoir d'achat des serviteurs de la République ?

M. Christian Piotre. - J'ai parlé d'une réduction de 54 000 emplois. Il convient de distinguer ici le livre blanc et la RGPP : si 18 000 emplois à caractère opérationnel ont été touchés, c'est en raison de l'évolution des armées, du fait de la disparition d'unités ou de matériel obsolète, dans le génie, l'artillerie, le train et autres régiments d'appui à la volumétrie ancienne. Le reste, c'est l'administration générale et le soutien, c'est l'administration centrale, ce sont à 75 % des fonctions purement administratives sans lien avec l'opérationnel.

La réduction d'effectifs porte à 75 % sur des militaires et à 25 % sur des civils. Si la part de ces derniers augmente légèrement, le personnel sous statut militaire se concentre dans l'opérationnel.

Vous posez la question de l'externalisation en termes très clairs. Sur le Charles de Gaulle, les Rafale sont à 95 % entretenus par les personnels militaires hautement qualifiés, l'industriel pouvant apporter des précisions techniques à nos mécaniciens et ingénieurs militaires. Voilà exactement ce que nous devons préserver. Aussi bien les enjeux de l'externalisation ne sont-ils pas très bien perçus. Nous engageons des expérimentations. L'externalisation a parfois un sens, par exemple pour la formation, comme à Cognac, où l'on achète des heures de vol et non du matériel pour l'entraînement. Nous sommes plus prudents sur l'alimentation : 8 sites vont faire l'objet d'une expérimentation -le ministère ne se jette pas dans cette affaire à corps perdu pour des raisons idéologiques. Les trois ministres qui se sont succédé depuis le début de la RGPP ont toujours été très prudents : ils ont demandé des travaux convaincants avant d'autoriser une expérimentation. Nous venons même d'avoir pour instruction de comparer non seulement entre le système actuel et son externalisation mais aussi avec son amélioration, ce qui signifie bien qu'on modernise et qu'on rationalise avant d'externaliser... J'allais oublier de répondre sur le retour sur investissement. La programmation 2011-2013 prévoit 75 millions d'euros pour le retour catégoriel vers le personnel.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Sur ?

M. Christian Piotre. - L'équation globale 2008-1011 était de 1,4 milliard sur la masse salariale, et de 900 millions pour les coûts de fonctionnement, soit 2,3 milliards, essentiellement pour l'équipement.

M. François Patriat , président . - Je vous remercie de vos réponses. N'oubliez pas les collectivités locales.

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