Mercredi 27 avril 2011
MM.
Jean-Pierre Auger, président,
et de François Guillot,
vice-président,
de l'association des ingénieurs territoriaux
de France (AITF)
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M. François Patriat, président . - Pourriez-vous nous donner votre sentiment sur la RGPP ? Quelle est votre évaluation de cette réorganisation ? A-t-elle donné lieu à une concertation ? Comment se traduit-elle sur le terrain ?
M. Jean-Pierre Auger, président de l'association des ingénieurs territoriaux de France (AITF) . - Etant des fonctionnaires territoriaux, nous ne pouvons juger que les conséquences de la réforme sur le terrain. Nous ne pouvons pas juger de la concertation qui l'a entourée.
De manière précise, nous pouvons mesurer l'évolution de l'ingéniérie publique, les transferts de l'ingéniérie d'Etat à l'ingéniérie territoriale, les conséquences sur la fonction publique territoriale.
Il y a trois niveaux d'ingéniérie : la maîtrise d'ouvrage, la maîtrise d'oeuvre et le réseau scientifique et technique (RST) de l'Etat.
Il est important que les élus soient entourés par des techniciens suffisamment compétents pour assumer le rôle du maître d'ouvrage.
La réorganisation des DDE laisse un vide dans le paysage, ne serait-ce que pour l'assistance à la maîtrise d'ouvrage. Les élus des petites collectivités sont démunis pour l'assistance à maîtrise d'ouvrage en direct ou en consultation.
Côté bâtiments, on a des réponses. Mais en matière d'espace public, de voirie, je ne suis pas persuadé de la pertinence de l'ingéniérie privée dans un domaine où l'ingéniérie publique a été très présente jusque-là.
C'est quasiment le même phénomène, à un niveau différent, pour la maîtrise d'oeuvre.
Les grandes collectivités ont les moyens de leur autonomie. En revanche, les petites communes et intercommunalités se retrouvent seules.
Les initiatives des collectivités territoriales se traduisent par la mise en place d'agences départementales, de structures comme les sociétés publiques locales. Mais qu'en est-il du rôle de l'élu en tant que décideur ? A-t-il une parfaite autonomie ? Ces solutions sont-elles conformes à la loi et aux règles de mise en concurrence ? Je ne suis pas sûr que cela soit parfaitement légal.
Il y a une interrogation sur la capacité de ces structures à bien répondre aux missions et à l'assistance auprès des élus. Comment 3 ou 4 ingénieurs réunis au sein d'une agence peuvent bien assurer le rôle d'aide à la décision auprès des élus ?
Cette question peut évoluer avec le nouveau schéma départemental de la coopération intercommunale et le regroupement d'intercommunalités : il sera possible de parvenir à des structures plus importantes, d'une certaine technicité. Mais un regroupement de 5.000 habitants n'est pas suffisant.
M. François Patriat, président . - Mon expérience des commissions départementales de la coopération intercommunale m'incline à penser que les regroupements d'intercommunalités ne sont pas si faciles à mettre en oeuvre.
Au niveau des intercommunalités de 5.000 habitants, l'ingéniérie n'est pas gérable.
M. Jean-Pierre Auger, président . - La taille critique de l'intercommunalité est à cet égard de 15.000 à 20.000 habitants.
Je ne suis pas sûr que le département apporte toutes les réponses.
Aujourd'hui, on travaille de plus en plus de régie car quand il y a appel à des bureaux extérieurs, surtout sur sujets qui concernent l'espace public, il n'y a pas toute la rigueur souhaitée.
C'est encore trop sous l'influence des DDE. On traite encore la rue comme la route alors que dans l'urbain, on est sur des espaces partagés.
Le réseau scientifique et technique (RST) a l'avantage d'exister.
L'intérêt du privé comme du public est, de manière générale, de disposer d'une bonne ingéniérie.
Si les entreprises françaises étaient à la pointe, c'était en raison de la qualité de l'ingéniérie d'Etat.
L'exigence des collectivités territoriales est plus pointue que celle de l'Etat, plus directe en raison du contact avec l'usager.
Dans une collectivité, si on rate les besoins des usagers, on rate sa mission.
Le RST d'Etat a besoin d'évoluer. Les services aux collectivités territoriales ne correspondent pas aux mêmes métiers mais les activités sont comparables techniquement. Certains organismes sont à la pointe comme le Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques (CERTU).
Quelle gouvernance sur le RST ? La DREAL reprend le relais. A mon niveau, je vois peu la différence entre l'ancien et le nouveau système, sauf une meilleure lisibilité -un seul service-. Mais, selon les départements, l'efficacité n'est pas toujours au rendez-vous. Avec le temps, un équilibre pourra néanmoins être trouvé.
M. François Patriat, président . - Certains départements comme le Lot prennent les choses à bras-le-corps en créant les services pour mettre en oeuvre leurs compétences.
Existe-t-il des situations très différenciées selon les départements ?
M. Jean-Pierre Auger . - Les départements ont plutôt pris les opérations en main. Premier schéma : inviter les anciens ingénieurs des DDE à rejoindre leurs services ou utiliser l'ingéniérie territoriale pour créer des services.
M. Dominique de Legge, rapporteur . - L'Etat est-il encore présent ? Le modèle étatique est-il encore en place ?
Les initiatives locales, que ce soit l'agence départementale ou l'intercommunalité, sont-elles compatibles avec la directive services ?
Comment intégrer l'ATESAT, qui met en oeuvre une solidarité vis-à-vis des petites collectivités, dans le cadre de cette directive ?
Un réseau scientifique et technique des collectivités territoriales ne pourrait-il pas prendre le relais du RST d'Etat ?
A partir du moment où l'Etat est moins en situation de construire et que ses compétences ont été transférées aux collectivités territoriales, n'est-il pas logique que son savoir-faire leur soit transmis ?
Vos collègues de l'Etat ont dit des choses étonnantes, qu'ils étaient les seuls à détenir le savoir-faire. Les écoles sont pourtant les mêmes !
M. Jean-Pierre Auger . - En effet, je ne vois pas les lacunes qu'il pourrait y avoir dans la formation. Au contraire, par les différences de formation, les ingénieurs de l'Etat et les territoriaux sont complémentaires.
Les services de l'Etat étaient très présents auprès d'un certain nombre de structures des petites collectivités territoriales et le retrait des DDE a créé un vide.
Durant cette période, les ingénieurs privés ne venaient pas dans l'assistance à maîtrise d'ouvrage ou pour imaginer un projet, seulement dans le conseil.
Cette très grande présence de l'Etat se retrouvait dans d'autres domaines -comme l'eau et d'assainissement- avec les DDA.
Il a fallu qu'on sorte des schémas pré-acquis, soit des services de l'Etat, soit des grands groupes qui préconisent leur savoir faire. L'élu doit se voir proposer un vrai choix.
Théoriquement, il y a mise en concurrence pour assurer la maîtrise d'oeuvre.
Je ne suis pas sûr que l'agence soit la solution au besoin de proximité. Et quel est l'avenir des départements vis-à-vis des régions ? Qu'en sera-t-il des conseillers territoriaux et de la gestion de ces structures ? On constate une différence de gouvernance au niveau de la ville et à celui de l'agglomération. Même chose pour département et région. Ce sont des gouvernances différentes selon l'échelle à laquelle on se positionne.
Mme Catherine Deroche . - Le donneur d'ordre est la collectivité. Les projets ne sont pas les mêmes selon les collectivités.
M. Jean-Pierre Auger . - La difficulté de l'agence : elle va être mise à disposition d'un maître d'ouvrage pour satisfaire ses besoins. C'est une chose compliquée : qui commande l'agent à disposition ? Si toutes les collectivités sont concernées, comment cela s'organise t-il ? Comment les élus qui ont la maîtrise d'ouvrage travaillent-ils ?
Mme Catherine Deroche . - C'est la question à laquelle sont confrontés tous les bureaux d'étude.
M. François Guillot, vice-président de l'association des ingénieurs territoriaux de France (AITF) . - Le schéma ancien a bien fonctionné avec des résultats satisfaisants.
Aujourd'hui, avec la directive services, on entre directement dans le domaine de la concurrence : c'est une prestation. Ces règles ne s'accommodent pas forcément des schémas traditionnels et anciens.
On a démontré que l'ingéniérie publique à partir du moment où elle est intégrée par les grandes collectivités locales qui ont pu la mettre en oeuvre, a fait ses preuves.
Mais se pose une question : quelle est la taille critique requise pour se donner des moyens propres d'ingéniérie au service du territoire, qui essaimera sur les petites communes ?
Les initiatives des départements ont au moins le mérite de pallier le retrait de l'Etat au bénéfice des cantons, des petites communes ; mais il faut examiner leur pertinence par rapport à la directive services.
M. François Patriat, président . - La réorganisation des services de l'Etat s'est-elle traduite par un surcoût pour les collectivités territoriales ?
M. François Guillot . - Si celles-ci doivent financer les prestations, bien sûr c'est un surcoût.
Historiquement, les prestations rendues par l'Etat l'étaient à des conditions économiques très performantes. L'Etat en subventionnait une partie.
M. François Patriat, président . - Ce qui compte, c'est le coût global, pour le citoyen.
Aujourd'hui, la réforme a-t-elle généré une économie pour le citoyen ?
M. Jean-Pierre Auger . - Globalement, il devrait y avoir la même charge, pas forcément au même endroit.
On ne peut pas répondre. L'équation n'est pas simple car le taux de rémunération de l'Etat ne se rencontre pas au niveau du privé.
M. François Patriat, président . - Donc la RGPP n'est pas forcément une économie pour l'Etat. Est-elle plus performante ? Vous n'en êtes pas convaincus. Vous dites : aujourd'hui, les services propres des collectivités sont beaucoup plus portés sur l'urbanisme que sur les routes. Donc, on a gagné en qualité. Vous ai-je bien compris ?
M. Jean-Pierre Auger . - Oui, globalement. Mais pour moi, la difficulté, c'est l'équilibre général.
Cette réforme a plutôt été menée du côté de l'Etat sur un résultat comptable lié à la réduction d'effectifs que sur un objectif qualitatif.
Tant qu'une image n'a pas été établie avant le début de la réforme, il est difficile de procéder à des comparaisons. On peut même s'attendre à des surcoûts car avant, le système était bâti sur une hypercentralisation et les effets de la mutualisation ne sont plus là aujourd'hui. Il y a forcément de la perte en ligne qui sera portée deux fois par les collectivités locales.
M. François Patriat, président . - Avant, le conseil de l'Etat aux collectivités territoriales était universel. Il n'est pas sûr que le nouveau schéma soit source de simplification.
M. Jean-Pierre Auger . - Avant, les élus recevaient une réponse administrative et technique à leur problématique.
Aujourd'hui, l'élu prend ses décisions face à la présentation complète d'un projet (coût de fonctionnement compris). Il prend donc sa décision en connaissance de cause.
J'ai présent à l'esprit l'exemple de la construction d'une station d'épuration : l'Etat avait imposé un choix innovant à une collectivité et la station s'est révélée inopérante.
M. François Guillot . - Les structures territoriales, par la proximité, la relation quotidienne avec les élus et les liens employeurs-employés, font que les décisions et les alternatives dans l'intérêt strict de la collectivité et du projet politique sont mieux pris en compte avec des moyens propres qu'avec des moyens externes -d'Etat ou privés- en termes de maîtrise d'ouvrage.
M. Dominique de Legge, rapporteur . - Avant, les collectivités bénéficiaient de prestations gratuites. Elles sont aujourd'hui payantes. Il en résulte donc un surcoût. Est-ce un coût au titre de la RGPP ?
Les prestations de l'Etat étaient facturées à un taux inférieur au taux facturé par le privé.
Le fait que l'Etat était à la fois prestataire de service, assistant à maîtrise d'ouvrage et gardien de la légalité, le conduisait à en rajouter sur les exigences légales. Je vous renvoie à votre exemple de la station d'épuration.
Paye-t-on donc plus pour une ingéniérie de moindre qualité ? La réponse mérite d'être nuancée mais la question mérite d'être posée.
M. François Patriat, président . - Les collectivités locales ont recruté car elles avaient des besoins. On ne peut pas être manichéen en la matière.
M. Dominique de Legge, rapporteur . - Derrière la RGPP, se trouve certainement un certain nombre de transferts de compétence non identifiés en tant que tels.
M. François Patriat, président . - Exactement. C'est pour cela qu'un discours trop simpliste n'est pas bon.
L'offre privée est-elle prête ?
M. Jean-Pierre Auger . - Un exemple : on vient d'inaugurer le tramway à Reims. Il est exploité en délégation de service public. Mais l'ingéniérie a dû être très précise pour la rédaction du cahier des charges et la surveillance des travaux.
Donc, si on ne trouve pas d'ingénieurs capables de défendre les intérêts des collectivités territoriales, on est dépassé.
M. François Guillot . - L'ingéniérie privée est prête pour les projets qui appellent des savoir-faire connus depuis longtemps. Elle n'est pas encore tout à fait prête pour l'ingéniérie de proximité. L'espace public urbain exige une connaissance du terrain avec des choix qualitatifs architecturaux.
L'ingéniérie privée n'a pas encore la connaissance des exigences et des besoins territoriaux.
M. Jean-Pierre Auger . - Le privé est plus pertinent « côté » bâtiments.
Mme Catherine Deroche . - Les collectivités sont aujourd'hui face à des projets sur lesquels elles ne bénéficient plus de l'assistance de l'Etat. Il est indéniable que c'est un transfert de charges non compensé.
Mais en parallèle, l'exigence de qualité n'est pas la même que celle d'autrefois.
Le privé présente plus d'adaptabilité que le public.
Les collectivités locales ne peuvent pas se dispenser d'avoir un service d'urbanisme sauf à perdre toute maîtrise de ce qui se passe sur leur territoire.
On fait différemment mais pas forcément la même chose. On veut faire mieux. C'est donc forcément plus cher.
M. Jean-Pierre Auger . - Les projets ont évolué en termes techniques et de coût, notamment à la suite du « Grenelle de l'environnement ». Les comparaisons doivent donc être faites sur des bases qui sont différentes.
L'association des ingénieurs territoriaux de France (AITF) peut avoir la prétention d'être un réseau mais sans véritable autonomie. Elle revendique 4.500 cotisants sur les 15.000 à 17.000 ingénieurs des collectivités territoriales. L'association constitue des groupes de travail. Mais elle ne dispose pas de moyens de publication. Elle travaille avec les ministères mais n'est qu'une association. Les services de l'Etat disposent eux de véritables structures.
M. François Guillot . - Dans un contexte où la lisibilité et la perméabilité entre fonction publique d'Etat et fonction publique territoriale, est loin d'être acquise, les agents d'Etat viennent toujours plus nombreux exercer dans les collectivités territoriales. Mais il est dommage que l'Etat n'ouvre pas davantage la mobilité aux agents territoriaux. Cela répondrait à bien des questions.
M. François Patriat , président . - Constatez-vous un appauvrissement de l'Etat en compétences ?
M. Jean-Pierre Auger . - En nombre mais pas forcément en qualité.
M. François Patriat , président . - Une question provocatrice : les collectivités locales peuvent-elles s'appliquer aujourd'hui une RGPP ?
M. Jean-Pierre Auger . - Ma maire s'est engagée à un niveau de « fiscalité zéro ». En clair, cela implique des suppressions de postes.
M. François Guillot . - A Caen, le maire a un objectif : la réduction des dépenses de fonctionnement de 4 % par an qu'il étend à l'agglomération. Cela entraîne aussi des suppressions de postes.
Les collectivités ont adopté des schémas budgétaires. C'est nouveau et c'est bien. Cela aura nécessairement un impact sur le personnel.
M. François Patriat , président . - Certaines dépenses de fonctionnement croissent nécessairement comme le chauffage par l'augmentation du coût du fioul. C'est l'investissement qui baissera.
Mme Michèle André . - Le gel des dotations aux collectivités locales, plus les conséquences financières de la disparition de la taxe professionnelle, signifient une diminution des recettes subie par les collectivités et, forcément, des dépenses en moins. Les collectivités sont condamnées à un régime maigreur. Ce n'est pas dans ces périodes que les élus sont les plus créatifs car ils sont le dos au mur. Cela signifie moins d'investissement donc moins de dynamique économique.
M. François Patriat , président . - Je vous remercie.