MM. Thierry Latger, Secrétaire général,
et Laurent Janvier, du Syndicat national des ingénieurs
des travaux publics de l'Etat
et des collectivités territoriales (SNITPECT)

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M. Didier Guillaume , vice-président. -  Je vous remercie de votre présence ainsi que de la contribution écrite que vous nous avez transmise. Sur la base de votre expérience, comment percevez-vous cette réforme et les relations entre les agents des collectivités territoriales et leurs collègues de l'Etat ?

Au bout de quelques mois, quel bilan tirez-vous objectivement de cette réforme et quelles en sont les conséquences sur les services ? Les services publics sont-ils aujourd'hui aussi bien rendus qu'hier ?

M. Thierry Latger, secrétaire général du syndicat national des ingénieurs des travaux publics de l'Etat et des collectivités territoriales (SNITPECT) . - La RGPP et la RéATE sont deux processus distincts.

Nous avons lu les comptes-rendus des auditions précédentes : l'ensemble des intervenants, sauf le directeur général à la modernisation de l'Etat, ont constaté qu'il n'y avait pas de processus démocratique derrière la RGPP qui est présentée comme une révision de l'organisation de l'Etat. Mais sur le terrain, elle a changé le contrat social passé avec les agents publics. Elle attaque les missions. Les ministères sont réduits à un rôle passif. Certains ministres sont obligés de se justifier devant leur administration.

La RGPP diminue le coût de fonctionnement de l'Etat sans s'interroger sur le coût final pour l'usager.

La RGPP, c'est la transformation des services publics solidaires payés par l'impôt en services publics payés par les usagers.

Les conséquences de la réforme sont très négatives : c'est relevé par les élus et le Médiateur.

Nous avons constaté le service dégradé sur la voirie l'hiver dernier. La RéATE est un processus légitime mais dévoyé par la RGPP, par les suppressions massives de personnels, par la fin de certaines missions comme l'ingénierie publique.

On demande des suppressions de postes avant d'avoir engrangé les gains des réorganisations nécessaires.

La réduction du nombre de fonctionnaires par le non-remplacement d'un sur deux, s'établit à trois sur quatre dans les DDI. Il est procédé à de très nombreuses mutualisations dans tous les sens : au prétexte de la parole unique de l'Etat sur le territoire, la lisibilité de la LOLF est brouillée (on ne sait plus qui travaille pour qui).

Le ministère de l'intérieur a relancé, le mois dernier, 36 nouveaux projets de mutualisation. Et l'on assiste à la régionalisation du fonctionnement de l'Etat avec la volonté de séparer les services de leurs ministères et, en conséquence, de leur réseau professionnel. Donc, on met en cause l'efficacité des agents.

On a escamoté les débats : auparavant, on avait des ministères qui, historiquement, portaient des positions très différentes comme l'équipement et l'environnement. Le débat était sur la place publique et on pouvait prendre une décision en connaissance de cause. Aujourd'hui, il est escamoté dans la structure de l'Etat

Les phases suivantes peuvent être encore plus brutales : on peut imaginer des directions régionales interministérielles, la disparition des administrations centrales remplacées par des agences qui ne traiteront que du dialogue de gestion avec les préfets de région.

On a le sentiment que la RéATE se traduit petit à petit par la disparition de l'organisation ministérielle de l'Etat.

Deux sondages récents ont manifesté les critiques des fonctionnaires sur leur administration.

Cette voix affaiblie de l'Etat est inquiétante.

Au niveau de notre ministère -le ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement-, la RGPP a pris la forme d'un dossier : RH 2013 (ressources humaines 2013) qui est la traduction pure et dure des suppressions RGPP (dans les 2 ans à venir, un agent sur 2 va être muté vers un autre ministère). On a mis « en mouvement forcé » 10 000 agents sur les 60 000 que compte le ministère. Quelques chiffres : en Bourgogne, moins 24 agents sur 2012-2013 pour l'application du droit du sol. La DDT de la Creuse va perdre 80 agents en 6 ans.

La démotivation des agents est historique, notamment chez les cadres, très critiques, alors que, auparavant, ils portaient les réformes.

Les conséquences seront directes et importantes pour les collectivités locales, ne serait-ce que pour la mission en matière de droit du sol : ce sont moins 700 agents sur la mission pour l'ensemble de la France.

Le conseil aux collectivités passera au dernier plan. L'ATESAT est en train de mourir de sa belle mort.

Il va falloir prioriser les missions obligatoires : on ne fera pas tous les plans de prévention des risques en même temps. Certaines communes vont donc attendre des années ou abandonner.

Tout le monde regrette, en conséquence, le bon temps des DDE. On a lu le rapport de M. Daudigny.

Dans un département, on nous a signalé qu'il n'y avait plus de contrôle sanitaire sur les cantines depuis 2 ans. C'est assez inquiétant.

Des agents vont être déplacés.

Dans le Maine-et-Loire, par exemple, on est passé de 14 subdivisions territoriales à 4. Deuxième phase : on va supprimer les subdivisions territoriales.

Les DDT ne sont pas les seules affectées : on peut citer les services de navigation. Se posent des questions sur les missions portées, notamment sur les réseaux secondaires où les moyens vont manquer. Les services routiers, n'en parlons pas : les centres d'exploitation ferment les uns après les autres, en particulier en montagne.

Notre corps des ingénieurs TPE comportait 2.400 membres en 2006 dans les DDE, et moins de 1 000 à la fin de l'année.

Il faut donc redessiner le rôle de l'Etat, redéfinir l'articulation entre les différents niveaux et redéfinir le management, maintenir l'équilibre entre niveaux régional et départemental.

Aujourd'hui, il n'y a plus de moyen suffisant pour les formations.

Il faut mettre en place un management intelligent pour travailler en réseau. Les fonctionnaires techniques ne peuvent fonctionner qu'en réseaux notamment scientifiques et techniques de notre ministère.

La notion de confiance disparaît.

Les administrations centrales sont trop prises, aujourd'hui, dans des considérations de court terme.

Il y a donc le besoin de reconstruire la confiance entre l'Etat et ses fonctionnaires.

M. Didier Guillaume , vice-président . - Pensez-vous que par rapport au service public, à la fois la RéATE et la RGPP peuvent avoir des conséquences sur la façon dont le service public est rendu par vous et par d'autres ?

M. Thierry Latger . - Le service public s'appuie sur des personnels et sur des compétences.

On peut imaginer différentes organisations mais il est impératif de développer les compétences.

Même si les missions de service public peuvent être développées par les collectivités locales dans le cadre de leurs compétences, ces collectivités ont aussi besoin d'un réseau de compétences pour innover.

Avec la décentralisation, on peut imaginer la mutualisation des moyens, qu'il s'agisse de l'Etat ou des collectivités.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Je souhaite vous poser quatre séries de questions :

Les auditions passées étaient toutes assez marquées par le sens de la nuance. Je n'ai pas entendu beaucoup de personnes remettre en cause le principe même de la nécessité de la réforme. Est-ce à dire que le grand soir des services publics est arrivé, que l'on passe de la lumière aux ténèbres ?

J'ai compris qu'en gros, « on est bien entre nous ». Il y a des opérateurs locaux et ce n'est pas une mauvaise chose. Ne croyez-vous pas que vis-à-vis de l'usager, il y a nécessité d'avoir une logique moins verticale et plus horizontale ?

Vous avez dit : un agent sur six est en mouvement forcé. Est-ce à dire que la mobilité n'est pas positive pour le personnel et les services publics ?

Le non-remplacement d'un agent sur deux est-il traité de la même façon aux niveaux départemental et régional ?

Du processus de décentralisation ont résulté des transferts de compétences aux collectivités territoriales. Il y a donc une certaine logique à ce que l'ingénierie qui va avec ces compétences soit aussi transférée.

Il faut examiner ce qui relève des conséquences de la directive sur les services et ce qui relève de la solidarité.

M. Thierry Latger .- Notre syndicat avait fait, parallèlement à la RéATE, des propositions pour réformer l'organisation des structures de l'Etat. Mais c'est la manière qui ne nous convient pas :

- Le mélange de la RéATE et d'une RGPP très dogmatique avec la réduction du nombre de postes ;

- La manière de faire : il faut travailler avec les agents et non contre eux qui, aujourd'hui, n'ont pas de visibilité sur leur avenir.

Sur les réseaux, l'idée n'est pas de dire : « on est bien entre nous. » On a constitué le ministère de l'équipement, on a contribué à constituer le ministère de l'écologie. On a donc un peu cette vision horizontale et on sait prendre en compte la complexité des projets.

Il n'en reste pas moins -et c'est compatible- que pour travailler sur le terrain, on a besoin des réseaux : inter-administrations et inter-fonction publiques.

La mobilité est dans notre cursus et dans notre façon de travailler. Mais dans les services, sont en poste des personnels de catégorie B ou C qui portent l'historique et qui sont moins mobiles que des cadres A. On ne peut pas les déplacer brutalement aux quatre coins de la France.

La mobilité est un élément positif pour la fonction publique, qui fait partie de nos valeurs. Mais elle ne doit pas s'effectuer n'importe comment.

Le non-remplacement d'un agent sur deux : j'ai tendance à dire que plus vous montez dans la hiérarchie du ministère, plus il se dilue.

Beaucoup d'ingénieurs TPE ont suivi les transferts résultant de la décentralisation, et aidé les collectivités territoriales à prendre en main leurs responsabilités.

Aujourd'hui, il devient difficile à l'Etat de trouver des ingénieurs, des spécialistes des routes qui sont dans les collectivités territoriales, qui interviennent de façon efficace. Mais la source se tarit. L'Etat a du mal, aujourd'hui, à former ces ingénieurs routiers.

Les compétences peuvent être partagées entre l'Etat et les collectivités locales pour les mettre au bénéfice de tous.

M. Laurent Janvier.- Un témoignage de terrain et un constat. Le retrait de l'Etat de l'ingénierie concurrentielle a laissé les collectivités locales un peu orphelines.

Les deux limites :

La maîtrise d'ouvrage est un processus complexe. A l'échelle de l'intercommunalité, le service créé sera pertinent pour répondre aux besoins récurrents de la gestion quotidienne. Sa limite sera les sujets complexes et la compétence technique sur les sujets nouveaux.

Sans revenir dans le système de l'ingénierie concurrentielle, il serait intéressant de conserver la compétence de l'Etat pour apporter un appui particulier aux collectivités locales.

L'ATESAT peut être la réponse aux difficultés de la maîtrise d'ouvrage.

Mais elle comporte un point de faiblesse : aujourd'hui, les intercommunalités sont peu éligibles à l'ATESAT qui devrait être facilitée dans ce champ.

M. Didier Guillaume , vice-président.- L'ATESAT va basculer dans les mois à venir.

M. Laurent Janvier.- Oui, mais c'est encore réversible : les moyens existent. L'idée est de préserver ce qui existe encore.

Il faut éviter le message négatif des ministères car on a du mal à conserver leur attractivité aux postes territoriaux.

M. Dominique de Legge , rapporteur . - Les EPCI exercent une fonction de conseil auprès des petites collectivités. Question : si elle est remplie par les EPCI, pourquoi conserver cette fonction à l'Etat ?

M. Laurent Janvier.- L'ingénierie, au niveau des collectivités locales, a-t-elle vocation à se développer ?

Un technicien intercommunal n'aura pas vocation à devenir un spécialiste de l'agenda 21.

Nous pouvons être en appui de l'intercommunalité pour ces projets un peu complexes.

M. Gérard Bailly .- Concrètement, qui a décidé la réorganisation des services dans chaque département ?

Les agents transférés aux collectivités locales sont-ils plus ou moins satisfaits de leur nouvel état ?

Quels sont les vrais effectifs des agents ? J'aimerais bien qu'on dispose de ces données.

M. Jean-Luc Fichet .- Êtes-vous prêts à accompagner le développement de l'ingénierie des collectivités locales ? A ce moment-là, je ne vois pas l'intérêt des doublons.

Mieux vaut trouver le mode d'accompagnement pour retrouver la qualité de service qu'elles ont perdue.

M. Thierry Latger.- La réorganisation s'est passée de façon brutale : les objectifs de la RGPP ont été imposés par l'administration centrale ; le préfet a redessiné les organigrammes des services avec les directeurs.

Les ingénieurs TPE en collectivités sont très heureux. Ceux de l'Etat sont anxieux et inquiets.

Aujourd'hui, on peut trouver de l'espace pour tout le monde, avec le développement des compétences techniques pour les enjeux énergétiques.

Aujourd'hui, un directeur interdépartemental des routes ne sait plus entretenir ses gros matériels comme un chasse-neige.

M. Laurent Janvier.- Pour l'ATESAT, le rôle que l'Etat peut jouer est l'accompagnement en formation ; on peut imaginer cette complémentarité.

M. Thierry Latger.- La réforme de l'Etat est une nécessité mais on ne peut pas la faire n'importe comment.

M. Didier Guillaume , vice-président.- Je vous remercie.

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