M. Philippe Richert,
ministre chargé des collectivités territoriales

____

M. François Patriat , président . - Vous êtes le premier ministre que nous auditionnons. L'objet de notre mission est d'évaluer l'impact de la RGPP sur les collectivités territoriales, dans les services de l'État et les services publics en général. S'il est trop tôt pour tirer un bilan, nous pouvons attirer l'attention sur d'éventuelles dérives et être force de proposition.

M. Philippe Richert, ministre chargé des collectivités territoriales . - C'est un bonheur pour moi d'être ici aujourd'hui. Je répondrai le plus librement possible à vos questions, quitte à être abrupt.

La RGPP concerne autant les collectivités que l'État. Il s'agit d'améliorer la qualité du service rendu aux citoyens, car les besoins évoluent au fur et à mesure que la société change. En 2010, les ressources de l'État ont baissé de 20 % en valeur absolue, tandis que les transferts aux collectivités augmentaient d'1 milliard d'euros. Avec la crise, il est encore plus urgent d'utiliser au mieux les ressources et d'adapter au mieux les services aux besoins. Dans mon village, il y dix ans, le grand combat était d'obtenir une cabine téléphonique ; aujourd'hui, c'est d'avoir le très haut débit ! L'objectif de la RGPP est d'organiser les services publics de demain, d'adapter les politiques publiques à un monde qui change. Adapter l'État aux défis du XXIème siècle, c'est améliorer la qualité du service rendu, simplifier l'organisation de l'État, réduire le volume des dépenses publiques, notamment par le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, responsabiliser les agents par la culture du résultat, moderniser la fonction publique et valoriser le travail des agents.

Il est facile d'invoquer le principe de libre administration des collectivités locales pour arguer que la réforme de l'État ne concerne que lui. Pour le gouvernement, la RGPP ne doit pas être menée en dehors des réformes menées par les collectivités territoriales, mais en harmonie avec elles. C'est la démarche du Premier Ministre depuis 2007.

Le groupe de travail présidé par Alain Lambert proposait de revenir sur la clause de compétence générale pour préciser les compétences des départements et régions - ce qu'a repris la réforme du 16 décembre 2010. Il propose d'associer les collectivités à l'allégement des contraintes normatives qui pèsent sur elles au sein de la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN), et d'imposer aux ministères producteurs de normes d'en justifier la pertinence. Le stock est de 400 000 normes : cela fait frémir ! En mai 2010, lors de la conférence sur le déficit, le Président de la République a donné une nouvelle impulsion à la lutte contre les normes excessives en édictant un gel des normes : si la CCEN émet un avis défavorable à une nouvelle norme, c'est le Premier Ministre lui-même qui tranche. M. Doligé rendra un rapport sur le sujet fin mars ; l'AMF et l'ADF ont été consultées.

Le rapport Lambert prône également la mutualisation des services communaux et intercommunaux, proposition reprise dans la loi du 16 décembre 2010. À partir de 2014, les régions et les départements mettront en place un schéma de mutualisation des compétences et des services. La RGPP est bien en harmonie avec la réforme des collectivités territoriales. La définition de la région comme échelon stratégique de l'action de l'État ne doit pas empêcher les préfets de département et les sous-préfets de répondre de manière adaptée aux besoins exprimés localement.

La RGPP vise la meilleure allocation des ressources des collectivités publiques, d'où un effort de péréquation sans précédent : plus de 350 millions d'euros au titre des droits de mutation à titre onéreux sont répartis à ce titre, et un fonds de 150 millions d'euros a été constitué pour les départements en difficulté.

La RGPP n'est pas qu'une réforme interne de structure et de pilotage interne à l'État. C'est une manière plus vigilante et mieux partagée de concevoir nos politiques publiques, de veiller au bon usage des deniers publics, avec comme objectif une meilleure efficacité.

M. François Patriat , président . - Comment la réforme des services d'équipement ou de transports se traduit-elle pour les collectivités territoriales ? Alors que la loi vient conforter les départements, la RGPP tend vers une régionalisation des services... Les préfets de département sont devenus des sous-préfets du préfet de région ! L'économie est-elle réelle ? Comment les réformes de la gendarmerie, de la carte judiciaire ou de la carte militaire ont-elles impacté les collectivités et les citoyens ?

M. Dominique de Legge , rapporteur . - La RGPP a-t-elle associé les collectivités territoriales ? Ce n'est pas le sentiment qui se dégage du terrain. Quel est l'instance de concertation avec les collectivités ?

Le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux et son corollaire, la réduction des effectifs, ne risque-t-il pas de se traduire par des embauches dans les collectivités territoriales ?

La RGPP semble parfois conduite dans une logique de « silo » : chaque ministère mène sa propre réforme, ce qui peut aboutir à des fermetures de services publics concentrées sur un même territoire. Ne faudrait-il pas un lieu où faire la synthèse des actions, pour apprécier les conséquences de la RGPP sur un territoire donné ?

Quels sont les indicateurs permettant de mesurer si les objectifs sont remplis, comme le délai d'obtention d'un permis de conduire ou d'une carte d'identité ?

L'organisation territoriale ne devrait-elle pas mieux tenir compte des particularismes locaux, de la densité de population ?

La RGPP semble s'inspirer largement du rapport Balladur qui fait primer le pôle régional sur le département. Or les départements n'ont pas disparu ! La réforme est-elle adaptée à cette réalité ? Dans le processus de décentralisation de l'autorité de l'État, quel est le rôle du préfet de département par rapport au préfet de région ?

M. Philippe Richert. - La RGPP a d'abord été pensée comme une réorganisation de l'État, mais pas exclusivement. Au plan national, les associations représentant les collectivités territoriales ont été associées, dès 2007, dans le cadre du groupe de travail présidé par Alain Lambert, dont les conclusions ont été intégrées dans les décisions du comité de modernisation des politiques publiques. Elles s'articulent autour de trois thèmes : la clarification des compétences, l'allègement des contraintes normatives, les relations financières entre l'État et les collectivités. Au niveau territorial, il y a eu concertation avec les services de l'État, ainsi qu'avec les organisations représentatives et les élus. À titre personnel, j'ai constaté que l'évolution était surtout portée par l'État, et les échanges focalisés sur ses services. En tant que président du conseil général, j'ai sillonné le département pour expliquer aux maires comment seraient dorénavant organisés les services de la DDE, transférés au conseil général. J'ai travaillé en étroite coopération avec le préfet de département, et la répartition des services publics s'est faite sans difficulté : l'ensemble de la présence territoriale a été conservée.

Le principe du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux n'est pas appliqué uniformément : la justice, par exemple, fait exception. Il n'est aucunement lié au transfert de compétences aux collectivités. Je ne pense pas que l'embauche de fonctionnaires territoriaux supplémentaires soit due à la baisse du nombre de fonctionnaires de l'État, mais plutôt à l'évolution des compétences des collectivités. Ainsi de la dépendance : 1 300 Bas-Rhinois touchaient la prestation spécifique dépendance (PSD) ; ils sont 18 000 à toucher l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ! La demande explosant, il a fallu des moyens humains pour traiter les dossiers. Idem pour la loi sur le handicap de 2005. Les embauches sont la conséquence des lois que nous avons votées !

C'est la DATAR qui est chargée de faire la synthèse des mesures concernant un même territoire, pour éviter les effets « silo ». Le préfet de région coordonne l'ensemble.

Les indicateurs de résultat sont nombreux et publics. La compensation du coût du passeport biométrique accordée par l'État aux communes est passée de 3200 à 5 000 euros : cela me paraît suffisant pour faire face à cette charge nouvelle. Les efforts doivent s'apprécier en termes de service rendu : le délai pour obtenir un passeport est passé de trois semaines à moins de quinze jours dans 90 % des cas, moins d'une semaine dans 50 % des cas. En matière de naturalisations, le stock qui était de deux ans avant la réforme est aujourd'hui résorbé. Les progrès sont réels. Je vous communiquerai des réponses plus précises si vous le souhaitez.

La réponse sur le territoire national ne peut être uniforme. La problématique des territoires ruraux n'est pas celle des zones urbaines. La modularité est au coeur de la réforme. La réorganisation des services varie selon la taille du département, avec une direction départementale du territoire, une direction départementale de la protection de la population et une direction départementale de la cohésion sociale, ces deux dernières pouvant être fusionnées. Je n'ai pas entendu parler de difficultés, d'élus frustrés de ne plus trouver d'interlocuteur...

La directive nationale d'orientation insiste sur la prise en compte des circonstances locales et fixe les orientations pour les six prochaines années, avec des préfectures tournées vers le développement des territoires. À titre personnel, je trouve que nous avons gagné en efficacité, avec un patron, le préfet de région, qui coordonne les services. Les réponses sont coordonnées ; la transversalité améliore l'efficacité. Les sous-préfets sont dans leur rôle comme animateurs du territoire et conseillers des élus et des porteurs de projets, et le niveau de compétences des responsables de l'État me semble en hausse.

M. Gérard Bailly . - Je me félicite de la réflexion, au plus haut niveau de l'État, sur le nécessaire allègement des normes. Loin de moi l'idée de remettre en cause la RGPP, mais tout bouge encore, et les choses ne sont pas aussi claires en Franche-Comté qu'elles semblent l'être en Alsace... Il faut charger les préfets de clarifier les services aux élus, et identifier nos interlocuteurs, car on se cherche encore.

Pourquoi si peu de transparence sur les effectifs ? Lors de la décentralisation des routes aux départements, l'État a conservé 307 emplois sur 610... Les lamentations des administrations ne sont-elles pas excessives ?

L'État n'a-t-il pas perdu ses meilleurs agents au profit des collectivités territoriales ? Ne risque-t-il pas d'en subir le préjudice demain ?

À la tête de directions régionales, le préfet de région prime aujourd'hui sur le préfet de département. À qui nous adresser, par exemple en matière d'environnement ? Le préfet de région de Franche-Comté est à Besançon : les autres départements de la région n'ont plus d'interlocuteur départemental...

M. Roland du Luart . - La RGPP a recentré les missions d'ingénierie publique dans le secteur concurrentiel autour d'un rôle d'expertise. Cela ne risque-t-il pas de conduire à terme à la suppression de l'assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT), et à la fin des projets d'aménagement du territoire pour les petites collectivités territoriales ? Cette question revient souvent lors de nos réunions cantonales de maires.

Le décret de 2007, complété par l'arrêté de 2008, permet à un conseiller d'administration de l'Intérieur d'exercer les fonctions de sous-préfet dans 115 arrondissements de deuxième catégorie, sans bénéficier d'un logement ou d'un véhicule de fonction. Ne risque-t-on pas de voir apparaître des représentants de l'État de deuxième catégorie, alimentant le sentiment qu'ont les élus ruraux d'être déconsidérés par l'État ?

Enfin, la réorganisation des services déconcentrés de l'État ne risque-t-elle pas de conduire à des transferts rampants, au détriment des finances locales ? Le rapport que j'ai cosigné avec M. Krattinger fait état de constats inquiétants. Quel est le sentiment du ministre ?

Mme Michèle André . - Lors de ma mission de contrôle, j'ai constaté l'esprit constructif des fonctionnaires des préfectures, du secrétaire général aux syndicats, leur capacité d'adaptation et leur dévouement.

Les agents des départements ne maîtrisent plus les finances, a fortiori vu le fonctionnement approximatif du progiciel de gestion CHORUS. Vous avez de la chance en Alsace, monsieur le ministre : la situation des sous-préfets est loin d'être aussi idyllique que vous le dites ! Les élus les court-circuitent. Les préfectures manquent de cadres A. Faute de postes, le travail n'est pas fait ! Et ce sont les usagers qui en pâtissent.

Concernant les passeports, les préfets ont parfois forcé la main aux communes « volontaires ». Le Sénat a amélioré la compensation financière, mais celle-ci reste forfaitaire, et non fonction du nombre de passeports distribués.

M. Philippe Richert . - La situation n'est pas la même sur tout le territoire. L'État est aujourd'hui régionalisé mais, en tant que président de région, je rencontre souvent le préfet du Haut-Rhin, qui a une autorité fonctionnelle sur les directions régionales et est compétent en matière de sécurité, de contrôle de légalité, d'étrangers.

La RGPP n'entraîne pas de transferts rampants vers les collectivités. C'est le changement du périmètre des compétences, inscrit dans la loi, qui emporte des conséquences pour elles. Il faut renforcer le dialogue entre le gouvernement et le législateur d'une part, les associations de collectivités territoriales d'autre part, mieux prendre en compte à la fois les exigences de la société et les besoins des collectivités. Nous relançons la Conférence nationale des exécutifs (CNE) pour avoir ce lieu de débat.

La réforme des collectivités territoriales était nécessaire. L'État s'est réformé. La réforme de la carte judiciaire ou de la carte militaire n'a pas été facile, pas plus que la réorganisation des services au niveau régional. L'objectif de la RGPP est de faire des économies et d'être plus efficace sur le terrain. Il n'est pas imaginable que les collectivités territoriales ne s'interrogent pas elles aussi sur comment améliorer leur efficacité.

Les trois cents agents de la DDE qui demeurent dans le giron de l'État ne s'occupent pas des routes mais de la politique du logement et de la construction, compétences qui n'ont pas été transférées ! Même lors du transfert de l'aide à la pierre au département, l'ensemble du personnel n'a pas suivi. L'État conserve également quelques agents en charge des questions de contrôle, de procédures ; faut-il les transférer également ? Nous ne sommes pas au bout de la décentralisation.

C'est la direction interdépartementale des routes (DIR) de Nancy, en Lorraine, qui traite de l'ensemble de nos routes nationales : l'efficacité peut encore être améliorée...

M. François Patriat , président . - L'Alsace est manifestement une région exemplaire. Mais quand la ville de Joigny voit partir son régiment, son tribunal, sa clinique, son hôpital, les choses ne sont pas aussi idylliques !

M. Philippe Richert . - On coordonne aujourd'hui les conséquences ; il aurait sans doute fallu mieux coordonner en amont.

Quant au rôle de l'ATESAT, il a été confirmé par le Président de la République le 7 février 2009. L'appui technique aux collectivités territoriales est renforcé par la création de services interdépartementaux, dans les domaines non concurrentiels. De nombreux conseils généraux, dont le mien, ont mis en place des systèmes alternatifs.

M. Roland du Luart . - Il y a donc bien un transfert rampant !

M. Philippe Richert . - Non, car il s'agit de services différents de ceux qu'offre l'État. Nous faisons payer le service le cas échéant, dans le respect des clauses de concurrence.

Les conseillers d'administration exerçant les fonctions de sous-préfet sont au nombre de trois, pour tout le pays...

M. Roland du Luart . - Ce chiffre peut atteindre quinze.

M. Philippe Richert . - À titre personnel, je ne verrais aucune objection à ce qu'une sous-préfecture du Bas-Rhin soit tenue par un conseiller d'administration !

Le président Patriat a raison de souligner le risque d'une accumulation de réformes sur un même territoire : c'est à la DATAR de coordonner les choses pour éviter ces situations. Toute direction régionale a une antenne dans le département. Un schéma régional immobilier s'applique dans tous les départements.

La délivrance des titres et le contrôle de légalité se fait de plus en plus en préfecture ; les sous-préfets se concentreront sur la sécurité et le développement local du territoire. Dans ma région, ils sont les interlocuteurs des élus ; de contrôleurs tatillons, ils sont devenus de vrais conseillers avisés.

M. Adrien Gouteyron . - On oublie trop ce que signifie RGPP : révision générale des politiques publiques. Dans l'esprit du public, la RGPP se réduit à la baisse des effectifs et des moyens et à l'éloignement des services. Il y a un vrai problème de présentation et d'information. Tout n'est pas défendable ni utile, mais l'esprit de la RGPP était bon. Encore faut-il le rappeler, et le resituer dans son contexte.

M. Philippe Richert . - Nous traversons une période de turbulences. Les réformes de la taxe professionnelle, des collectivités territoriales, des services de l'État ont un impact sur l'organisation territoriale. Il faut prendre du recul, et voir au-delà des inévitables doléances. Chez moi, une commune de 1700 habitants s'est battue pour conserver une boîte aux lettres : in fine , j'ai du intervenir auprès du président de la Poste lui-même ! L'opinion se cristallise autour de tels symboles, et en oublie les progrès obtenus, par exemple en matière de délai d'obtention d'un passeport. L'objectif reste d'arriver, avec moins de moyens financiers, à une meilleure efficacité.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page