B. POUR UNE POLITIQUE AGRICOLE DE MONTAGNE EUROPÉENNE À L'HORIZON 2020
La commission européenne a présenté le 18 novembre 2011 une communication présentant les grandes orientations qu'elle souhaite donner à la politique agricole commune à l'horizon 2020. Cette réforme aura un impact très important sur les montagnes, tant l'agriculture y est une activité déterminante. Dans le prolongement du rapport du groupe de travail du Sénat sur la réforme de la PAC, votre rapporteur souhaite présenter quelques pistes pour une agriculture de montagne à l'horizon 2020. Mais, avant cela, il importe de rappeler que si l'Europe veut conserver une politique agricole commune ambitieuse, il lui faut conserver un budget conséquent.
1. Ne pas accepter une diminution supplémentaire du budget de la Politique agricole commune
Les négociations sur les perspectives financières de l'Union européenne et celles sur la réforme de la PAC pour la période 2014-2020 ont été ouvertes au même moment et se déroulent en parallèle. Elles interviennent alors que la crise financière éprouve encore durement nos économies et notre monnaie. Ce contexte oriente les négociations vers une baisse du budget communautaire et, par là même, vers une diminution des crédits de la PAC.
La place de l'agriculture dans les perspectives
financières
Perspectives financières |
Principales rubriques |
Part dans le budget total |
1988-1992 |
1. FEOGA garantie |
60,7 % |
2. Action structurelle |
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1993-1999 |
1. PAC |
50,9 % |
AII* du 29 octobre 1993 |
2. Action structurelle |
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2000-2006 |
1. Agriculture |
46,4 % |
AII du 6 mai 1999 |
1a. Dépenses PAC |
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1b. développement rural |
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2. Action structurelle |
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2007-2013 |
1. Croissance durable |
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AII du 17 mai 2006 |
1a. compétitivité pour la croissance et l'emploi |
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1b. Cohésion |
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2. Conservation et gestion des ressources naturelles dont dépenses de marché et paiements directs |
43 %
33,9 %
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* Accord interinstitutionnel
Comme l'a rappelé le groupe de travail du Sénat sur la réforme de la PAC, la politique agricole commune représente le premier budget en crédits de l'Union européenne. Elle a apporté 56 milliards en 2010, en additionnant FEOGA (premier pilier) et FEADER (2 e pilier). Mais ce budget est en baisse : « sa part dans les dépenses communautaires n'a cessé de décroître pour atteindre 40 % à peine aujourd'hui, soit 0,45 % du PIB de l'Union européenne ». Dans la programmation actuelle, il est prévu que ce pourcentage atteigne 39,3 % en 2013.
Alors qu'on demande à l'agriculture européenne de répondre à de nouveaux défis (assurer une alimentation de qualité), de fournir des biens publics (protection de l'environnement, maintien de la diversité), et de participer à l'aménagement du territoire (elle est souvent la principale activité économique dans les zones défavorisées comme les montagnes), elle ne peut voir son niveau de subvention baisser indéfiniment. Et ce d'autant plus que l'ouverture à la concurrence internationale malmène fortement ce qu'on peut appeler le coeur de métier, la production de biens agricoles. La volatilité des prix sur les marchés mondiaux et la négociation d'un accord avec les pays du Mercosur, dont les coûts de production sont bien plus faibles que les coûts européens, en sont deux exemples symptomatiques.
Or, l'exigence d'un budget conséquent pour la PAC est partagée par beaucoup : le Comité des Régions d'Europe et le Conseil économique et social européen s'y sont montrés favorables. La commission agriculture du Parlement européen vient de le rappeler dans un avis adopté le 28 mars. Il ne peut y avoir de politique agricole qui assure aux Européens une alimentation de qualité sans que celle-ci n'ait un coût. Le budget de la PAC ne peut être comparé aux autres, car il s'agit de la seule politique qui a vraiment consacré une réalité européenne.
Votre rapporteur souhaite le réaffirmer avec force : le budget de la PAC ne peut et ne doit pas diminuer davantage pour la période 2014-2020. Pour la France, ce serait inacceptable ! Le ministre de l'agriculture de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, Bruno Le Maire l'a d'ailleurs rappelé : « Nous ne voulons pas que la politique agricole commune perde un seul centime » . Il importe de l'assurer de tout notre soutien sur ce point dans les discussions qui s'engagent.
2. De nouvelles orientations pour la PAC a priori favorables à l'agriculture de montagne
La commission européenne propose trois objectifs pour la future PAC :
- assurer une production alimentaire viable, en contribuant au revenu agricole et en limitant ses variations, en améliorant la compétitivité du secteur agricole et l'apport de sa valeur ajoutée dans la chaîne alimentaire et enfin, en offrant une compensation aux régions soumises à des contraintes naturelles ;
- assurer une gestion durable des ressources naturelles et des mesures en faveur du climat par la mise en oeuvre de bonnes pratiques de production et la fourniture de biens publics environnementaux, par l'innovation pour une croissance écologique et par des actions d'atténuation des changements climatiques auxquels l'agriculture est particulièrement vulnérable.
- assurer un développement territorial équilibré, par le soutien à l'emploi rural, la diversification des activités en milieu rural et par la promotion de la diversité structurelle dans les systèmes agricoles en développant les marchés locaux, notamment.
Tout d'abord, on ne peut que se réjouir que la Commission rappelle que la politique agricole commune doit continuer à proposer une compensation aux régions souffrant de handicaps naturels tout en les incluant dans une agriculture viable et compétitive. Les agriculteurs montagnards sont avant tout des producteurs qui souhaitent vivre de l'exploitation de leur terre. Ils demandent simplement que soit reconnu qu'en raison des handicaps structurels, ils ne peuvent exercer leur activité de la même façon que les autres.
De par la place singulière qu'elle tient dans l'agriculture européenne et dans la politique agricole commune, l'agriculture de montagne n'a pas à redouter ces nouvelles orientations. Son développement au sein du second pilier de la PAC l'a peut-être plus que d'autres secteurs mieux préparée à ce changement. En premier lieu, la montagne a de tous temps été un lieu d'innovation. Les contraintes de production ont toujours amené les montagnards à chercher des solutions innovantes. La fragilité du secteur agricole en montagne a incité les agriculteurs à diversifier très tôt leurs activités. L'agriculture montagnarde saura trouver sa place dans cette nouvelle perspective.
En second lieu, la multiplication des mesures agro-environnementales territorialisées a eu pour résultante qu'aujourd'hui la production agricole montagnarde est une production respectueuse de l'environnement, soucieuse d'une gestion durable des ressources naturelles. L'inscription dans des contrats pluriannuels a permis aux agriculteurs d'élaborer des projets d'exploitation viables en modifiant leur gestion des ressources avec une certaine sécurité quant à leur rémunération versée en récompense de services rendus. Cette voie peut être un exemple à suivre pour le verdissement des aides voulu par la Commission.
Enfin, la rémunération de la fourniture de biens publics environnementaux est une demande ancienne des agriculteurs de montagne. Il s'agit de rémunérer les services rendus à la société par les agriculteurs de montagne, qui sont un produit induit de leur activité économique, en d'autres termes les « externalités positives » : l'entretien du paysage, l'aménagement du territoire, le maintien de la biodiversité. Les paysages de montagne qui plaisent à tant de nos concitoyens sont entretenus grâce au travail des agriculteurs. Comme le disait Marianne Fischer Boël, commissaire européen à l'agriculture en 2009 : « Les montagnes d'Europe nous donnent beaucoup de choses que nous chérissons(...), les agriculteurs et les autres populations dans les zones de montagne fournissent effectivement un service de valeur. » Ce service doit être rémunéré. Il est important que la Commission européenne trouve des solutions opérationnelles pour ce faire.
3. Légitimer et sanctuariser les soutiens de la PAC pour la montagne : mieux identifier la montagne dans la politique agricole commune
Les futures orientations de la PAC sont actuellement en cours de discussion tant au Conseil qu'au Parlement européen. Près de 1300 amendements ont été déposés sur le projet de rapport de la commission « agriculture » présenté par l'Allemand Albert Dess. Beaucoup de pistes sont lancées et il est difficile aujourd'hui de savoir quelle architecture encadrera la future politique agricole commune. Cependant, quelques idées simples et fortes pour l'agriculture de montagne mériteraient d'être appliquées.
a) Conserver l'aide à la montagne au sein de la politique de développement rural
S'il semble acquis que la PAC continuera de reposer sur deux piliers (qui seront peut-être demain des blocs), ceux-ci devraient être sensiblement modifiés. La volonté de verdissement du premier pilier -les aides directes financées par l'UE- pourrait entraîner le transfert de certaines aides du second pilier vers le premier. Or, le contexte financier et budgétaire laisse présager que les pressions seront fortes pour diminuer les aides directes. Il est logique qu'elles visent l'ensemble des agriculteurs européens, mais quelle enveloppe serait alors accordée à l'agriculture montagnarde ?
En montagne plus qu'en plaine, l'agriculture a des conséquences économiques, sociologiques, environnementales et paysagères. Cela a été montré, la politique de développement rural a eu des effets positifs en montagne, créant une dynamique autour de l'agriculture. Les mesures de soutien à l'installation des agriculteurs, de modernisation des bâtiments d'élevage et d'aide à la mécanisation ne doivent pas être abandonnées ! Elles peuvent s'avérer être un facteur déterminant dans l'évolution vers une agriculture durable. A titre d'exemple, on peut imaginer un financement de l'équipement en panneaux photovoltaïques des bâtiments d'élevage : à condition de respecter le paysage, ceux-ci deviendraient plus économes et plus autonomes en électricité, voire, en raison de leur surface, être producteurs d'électricité.
Aussi, il importe que les principales mesures pour l'agriculture de montagne demeurent dans le bloc dédié au développement rural et soient orientées à destination des massifs, territoires qui représentent plus d'un tiers de la surface agricole de l'Union. Dans une perspective de nécessaire simplification, cela permettrait une meilleure coordination avec la politique de cohésion et dans l'attribution des aides apportées par le FEADER et le FEDER. De surcroît, une concentration d'aides dédiées à l'agriculture de montagne permettrait également de simplifier leur fonctionnement et leurs exigences aujourd'hui trop compliqués. Elles seraient aussi plus lisibles pour le citoyen européen.
b) Les soutiens à la montagne doivent être légitimés et sanctuarisés
Son objectif étant confirmé, on peut espérer que l'indemnité compensatoire de handicap naturel soit renouvelée. Il faudra cependant y veiller : sans elle, l'agriculture de montagne ne survivra pas. De ce point de vue, lors de son audition par votre rapporteur, Bruno Le Maire s'est montré aussi clair que lucide. Il faudra donc veiller à ce que les financements (ceux de l'Union européenne et ceux de l'État) suivent ! L'ICHN doit être sanctuarisée, comme le socle du soutien à l'agriculture de montagne.
Par ailleurs, dans sa volonté de verdissement de la politique agricole commune, la Commission met en avant une composante écologique obligatoire dans les paiements directs du premier pilier. Elle évoque des actions environnementales simples et généralisées et vise en premier lieu, les pairies permanentes. Or, si le soutien aux prairies permanentes est généralisé, la « prime à l'herbe » telle qu'elle existe sera transférée dans le premier pilier. Mais étant donné sa généralisation, son montant baissera substantiellement. En montagne, les prairies permanentes représentent 58 % de la surface agricole utile. L'exemple français d'une augmentation de la part étatique dans la PHAE suite à la baisse des financements européens ces dernières années est symptomatique : une diminution du montant de l'aide à l'hectare de prairies n'est pas viable pour l'agriculture de montagne, ce serait la fin de l'agro-pastoralisme. Le principe d'une généralisation de mesures environnementales ne doit pas se faire au détriment des territoires les plus défavorisés.
Cependant, si une telle généralisation devait se faire, votre rapporteur propose de maintenir une prime à l'herbe de montagne. Elle viendrait en complément de la prime herbagère du premier pilier, mais relèverait du second pilier comme l'actuelle PHAE. En revanche, en vue de simplifier les procédures, elle pourrait être attribuée dans les mêmes conditions que l'ICHN, qui est désormais une aide à l'hectare, pour les prairies permanentes de montagne. Cet ensemble constituerait une aide à l'agriculture de montagne facilement identifiable et justifiable pour le citoyen.
4. Mieux identifier l'agriculture de montagne en Europe : soutenir la création d'un label pour les produits de l'agriculture de montagne.
La commission européenne a présenté, le 10 décembre dernier, un « paquet qualité applicable aux produits agricoles ». Il s'agit d'un ensemble de textes qui a pour buts de pousser à l'amélioration des productions et d'offrir une garantie de qualité qui soit à la fois une sécurité et une reconnaissance. Tous deux passent essentiellement par un processus d'identification et de mentions valorisantes sous forme de labels. Les labels européens garantissent soit une origine géographique (IGP), soit une appellation d'origine protégée (AOP), soit des spécialités traditionnelles (SPG) ou encore un mode de production respectueux de l'environnement pour l'agriculture biologique. Ils sont attribués en échange du respect d'un cahier des charges.
Cette politique de qualité, garantie par une labellisation réglementée, a un impact économique indéniable. Les 870 noms enregistrés en Europe au nom des AOP/IGP génèrent un chiffre d'affaires situé entre 14 et 15 milliards d'euros. 18 % de la valeur des AOP sont exportés hors de l'État de production. La France et l'Italie sont les deux premiers pays qui bénéficient des AOP/IGP. C'est incontestablement un axe de commercialisation privilégié en France puisque le patrimoine culinaire national repose sur une diversité exceptionnelle des produits et un savoir-faire réputé mondialement.
Malheureusement, le « paquet qualité » ne comporte pas de proposition pour labelliser les produits issus de l'agriculture de montagne. Le cabinet du commissaire Dacian Ciolos a informé votre rapporteur que le sujet était à l'étude. Le souhait de la Commission est d'établir une proposition législative avant la fin de l'année et de la rattacher au « paquet qualité » qui devrait suivre une procédure législative assez longue. Une telle proposition, si elle devait voir le jour, serait une avancée importante pour l'agriculture de montagne, à la condition qu'elle soit exigeante.
En effet, un label n'a de valeur ajoutée que s'il apporte des garanties au consommateur. Or, comme le rappelle Jean-Louis Cazaubon de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, un label pour les produits agricoles de montagne n'aurait de sens que s'il garantit non seulement la production, mais également la transformation des produits en montagne. L'enjeu est ici double : assurer le consommateur de la qualité de son produit (origine géographique, bénéfice des conditions d'agriculture en montagne, savoir-faire), mais aussi maintenir ou ramener sur les territoires de montagne un certain nombre de métiers de transformation. Ce label, certes plus exigeant que d'autres, serait un formidable outil de promotion des produits de nos montagnes et une mesure de soutien à l'activité dans les massifs. On pense notamment au lait de montagne, qui pourrait trouver un débouché comme produit de niche dans la grande distribution. Votre rapporteur propose d'encourager la Commission à présenter dans les meilleurs délais sa proposition sur la qualité des produits issus de l'agriculture de montagne.
En complément de cette mesure visant à soutenir la production agricole montagnarde, il serait nécessaire de favoriser les circuits courts pour leur distribution, c'est-à-dire limiter les intermédiaires entre le producteur et le consommateur. Les circuits courts présentent plusieurs avantages : ils assurent une meilleure rémunération des producteurs, ils permettent de renforcer le lien consommateur-producteur en cas de vente directe (vente à la ferme ou sur les marchés), ils sont plus respectueux de l'environnement puisque les marchandises parcourent moins de kilomètres et enfin, ils renforcent l'identité et l'attrait des territoires (notamment auprès des touristes), l'acheteur consommant en priorité des produits locaux. Un tel système pourrait présenter un grand intérêt dans les massifs, à la condition qu'il ne se réduise pas à la vente directe. Réduire les intermédiaires ne doit pas aboutir à la suppression des interprofessions, qui ont prouvé leur efficacité et qui sont une source d'emplois importante dans nos territoires de montagne.
Selon les informations collectées par votre rapporteur, une reconnaissance des circuits courts par la Commission européenne serait à l'étude. Votre rapporteur propose donc d'encourager une expérimentation de ce mode de distribution au niveau des massifs de montagne.