4. La sur-et sous médicalisation du poids
a) Préoccupation esthétique et préoccupation sanitaire
La société contemporaine exacerbe l'idéal de minceur tout en contribuant, par une offre alimentaire toujours plus abondante et une sédentarisation accrue, à une augmentation généralisée du poids de la population.
Les femmes sont particulièrement victimes de ce paradoxe dans la mesure où elles font l'objet d'une tolérance bien plus limitée que chez les hommes en ce qui concerne leur corpulence. Par conséquent, elles subissent une pression sociale plus forte pour rester (ou devenir) minces et leur corpulence joue un rôle important dans leur intégration sociale et professionnelle.
Il n'est donc pas étonnant que ce soient les femmes qui soient le plus attentives à leur poids, à travers des préoccupations à la fois esthétiques et relationnelles. Elles sont donc promptes à consulter médecins, diététiciens et nutritionnistes pour trouver une solution à « leur problème de poids ».
Or, même si cet excès de poids par rapport à un idéal peut générer des frustrations, il est rarement pathologique, dans le sens où cette accumulation anormale ou excessive de graisse corporelle pourrait nuire à la santé.
b) Une prévention de plus en plus médicalisée
La prévention primaire vise à améliorer l'état de santé de la population en favorisant certaines habitudes alimentaires et certains modes de vie considérés comme sains.
Néanmoins, le développement de l'obésité en France depuis le début des années 90 a conduit à mélanger les objectifs de préservation de la santé et de gestion du poids et, ce faisant, à médicaliser la prévention à travers la multiplication des recommandations diététiques.
Cette tendance a plusieurs inconvénients soulevés par le groupe de réflexion sur l'obésité et le surpoids.
D'abord, ce discours tend à faire croire qu'il suffirait de manger équilibré pour pouvoir perdre du poids, ce qui est faux puisque la perte de poids est associée à une réduction de nombre des calories ingérées, et non de leur provenance.
En outre, un discours essentiellement axé sur la diététique tend à réduire l'alimentation à la nutrition, alors que le plaisir de manger reste le moteur principal de l'acte alimentaire. Or, si ce dernier dépend de la palatibilité des aliments, il est également déterminé par des valeurs culturelles (tels que la convivialité et le partage).
Enfin, la médicalisation de la prévention tend à développer une relation anxiogène vis-à-vis des aliments. En effet, les individus sont partagés entre deux aspirations apparemment contradictoires, à savoir d'un côté obéir à leur goût qui privilégie les aliments sucrés et gras et, d'un autre côté, suivre le discours officiel tendant à les diaboliser. Cette dichotomie tend à créer une anxiété et une culpabilité alimentaires et risque d'entraver les processus physiologiques de contrôle de la prise alimentaire (faim, satiété, contentement, appétits spécifiques). Elle peut conduire à des troubles du comportement alimentaire liés à la restriction cognitive (cf supra ), mais également à l'orthorexie et même à l'anorexie.
Orthorexie et anorexie L'orthorexie est une attitude obsessionnelle vis-à-vis de la nourriture et de l'alimentation. La personne orthorexique va petit à petit s'installer dans l'obsession du "manger juste", traquant tous les additifs ou éléments négatifs dans une quête de l'aliment parfait qui ne lui apporterait que des effets positifs pour la santé. Une partie du problème que rencontre la personne orthorexique est que son obnubilation pour la nourriture saine finit par affecter gravement sa vie sociale : elle ne peut plus prendre aucun repas en société dans les cas extrêmes, et à la manière de certaines anorexiques, la quête de l'aliment parfait finit par occuper une bonne partie de ses pensées et de son temps. L'anorexie apparaît tout d'abord comme une obsession de la minceur. Pour servir cette obsession, les axes principaux vont être un désir inaltérable de perdre du poids, un refus de s'alimenter et des stratégies de contrôle, diverses et sophistiquées. La personne anorexique passe progressivement de l'état de minceur à celui de maigreur puis de dénutrition. Dans 5 % des cas, l'issue de cette maladie est fatale. |
c) La sous-médicalisation des personnes fortement à risque ou déjà malades
Paradoxalement, l'obésité fait également l'objet d'une sous-médicalisation.
Ainsi, l'obésité viscérale ne fait l'objet d'aucune prévention généralisée, alors qu'elle est un facteur de risque plus important que l'indice de masse corporelle.
Malgré les innombrables études démontrant le lien entre l'adiposité viscérale et les maladies cardiovasculaires ainsi que les multiples recommandations des sociétés savantes, les autorités publiques n'ont pas encore pris les mesures nécessaires pour prévenir les complications chez les personnes à risque.
Quant aux individus touchés par l'obésité viscérale, ils sont largement ignorants des risques qui y sont associés et refusent généralement d'être considérés comme obèses.
Par ailleurs, cette dernière a longtemps concerné en grande majorité des hommes, même si la répartition adipeuse des femmes a tendance à évoluer vers un profil plus androïde, surtout après la ménopause. Ainsi, selon la dernière étude ObEpi de 2009, 26 % des hommes ont un tour de taille supérieur à 102 cm, et 40% des femmes ont un tour de taille supérieur à 88 cm, seuil à partir duquel on constate une obésité viscérale.
Ces chiffres semblent donc indiquer que désormais, l'obésité viscérale touche majoritairement les femmes, plutôt dans la deuxième partie de leur vie.
L'évolution à la hausse du tour de taille avec le temps peut traduire chez le patient une augmentation de l'adiposité abdominale viscérale, et ce parfois même en l'absence de changement dans l'IMC, ce phénomène soulignant bien l'importance en santé publique et en clinique d'effectuer la mesure du tour de taille en tant que nouveau « signe vital ».
Or, les représentations sociales associées à l'adiposité viscérale chez les hommes ne sont pas forcément négatives dans la mesure où son aspect inesthétique est largement compensé par son association à une certaine position sociale. Concrètement, le « bedon » est plutôt symbole de réussite sociale et de respectabilité.
L'obésité massive fait également l'objet d'une sous-médicalisation pour plusieurs raisons.
D'abord, certains individus apprécient mal leur corpulence et ne l'associent pas à un risque de morbidité et de mortalité accru.
Ensuite, certains patients renoncent à être soignés. Confrontés à de multiples échecs en matière de poids, intimidés par le regard réprobateur de la société et, parfois, du personnel soignant, ils finissent par intégrer les reproches de faiblesse et de manque de volonté qui leur sont faits plus ou moins ouvertement et n'osent plus se faire soigner.
Enfin, la prise en charge des personnes obèses est rendue difficile par l'absence de médicaments permettant d'agir durablement sur le poids. Quant à la prise en charge des personnes faisant l'objet d'une obésité morbide, elle se heurte à de nombreuses difficultés matérielles faute d'infrastructures et d'équipements adaptés à leur corpulence.