2. PAC et « biens publics »

Le lien « PAC et environnement » n'est en réalité qu'une illustration d'un débat plus large qui consiste à relier PAC et biens publics.

a) Présentation

On entend par « bien public » un bien et un service collectif accessible à tous et dont l'utilisation par un individu n'enlève rien aux utilisations potentielles des autres (la défense, la diplomatie, la justice sont des biens publics type).

La notion peut aussi s'appliquer à l'agriculture. Selon l'Institut européen des politiques environnementales, IEEP, nouvelle référence incontournable sur le sujet, il y a une large gamme de « biens publics » associés à l'agriculture, dont la plupart sont valorisés - mais non rémunérés - par la société. Les plus importants sont les biens publics environnementaux, tels que le paysage, la biodiversité, la qualité de l'eau, la disponibilité de l'eau, la diversité de l'usage des sols, la lutte contre le changement climatique, tant par la réduction des émissions de gaz à effet de serre que par le stockage du carbone, la participation à la lutte contre les inondations et les incendies. Il y a également une suite de « biens publics » à caractère plus général, plus social, incluant la sécurité alimentaire, la vitalité du monde rural, le bien être animal et la santé.

Ce courant est puissant, argumenté, influent. L'idée de protection d'un patrimoine commun fait son chemin. En 2010, cette notion fait une percée incontestable dans les milieux associatifs et les milieux européens. Le ministère français de l'écologie y fait référence. Plusieurs ONG intéressées à la réforme de la PAC en ont fait un fondement de leurs réflexions (45 ( * )) . L'étude de l'IEEP figure même parmi les considérants du rapport de M. George Lyon, député européen, sur l'avenir de la PAC. La notion est désormais incontournable.

b) Appréciation critique

De même que la conditionnalité avait été, en son temps, une avancée conceptuelle, la notion de « biens publics » agricoles présente de nombreux intérêts.

Elle a pour effet de valoriser le travail de l'agriculteur autrement que par la seule production des biens alimentaires. Ce faisant, elle renverse l'approche traditionnelle qui consistait à considérer que l'agriculture était une activité polluante, surtout sous l'égide de la « PAC productiviste ». Enfin, elle quitte le champ vaguement moralisateur de l'écoconditionnalité pour offrir une rémunération à des biens annexes, produits par l'agriculture et identifiés comme utiles par la collectivité. Pour les économistes, les « biens publics » permettront de rémunérer des externalités positives.

« C'est naturellement au titre de la protection de l'environnement et des ressources naturelles (sol, biodiversité, air, climat...) que l'argument de la défaillance de marché sous la forme d'un effet externe de production s'applique le mieux » explique Hervé Guyomard, directeur scientifique à l'INRA.

Cette prise en compte des effets positifs de l'agriculture sur l'environnement et la lutte contre le changement climatique permet aussi de faire évoluer la PAC vers une logique de contrat, plus facile à justifier qu'une simple logique de droit. Une idée défendue par de nombreux universitaires (46 ( * )) comme par quelques organisations professionnelles (47 ( * )) .

La notion présente cependant quelques inconvénients.

Tout d'abord concernant « la rémunération des externalités positives », comment calculer les prix, les avantages qui d'ailleurs, vont évoluer avec le temps ? D'ailleurs faut-il pour justifier une action, toujours la chiffrer ? Cette dérive vers la financiarisation laisse un certain malaise parfaitement résumée par Mme Geneviève Savigny, secrétaire générale de la confédération paysanne qui juge la justification de la PAC par les biens publics « séduisante mais inquiétante ».

D'autre part, n'y a-t-il pas dans cette démarche une certaine confusion entre les objectifs et les conditions pour y parvenir, entre le but et les moyens. « La « fonction nourricière » demeure la responsabilité fondamentale de l'agriculture » (48 ( * )). « La prise en compte des effets de l'agriculture sur les biens communs est un pas positif mais au fond, le fait de produire de l'alimentation n'est-il pas à lui seul une mission d'intérêt général ? » commente justement l'eurodéputé Patrick Le Hyaric. D'ailleurs, on pourra relever que cette évolution éloigne encore davantage la PAC des objectifs du traité.

Enfin et surtout, la notion va se heurter à une grande difficulté de communication. La notion de biens publics n'est pas familière au grand public et sera difficile à expliquer. « La notion de biens publics est une reformulation, sous l'influence des universités anglo-saxonnes, du concept de multifonctionnalité de l'agriculture » reconnait Hervé Guyomard de l'INRA. Pourquoi sacrifier aux effets de mode et ne pas avoir gardé l'ancienne appellation qui s'était imposée partout ? Il faudra beaucoup de pédagogie pour expliquer une notion aussi complexe que celle de bien public - que les économistes distinguent de biens communs -, et ignorée par l'immense majorité de la population. La notion est intéressante et utile mais elle impose un très gros effort pédagogique. Un domaine où la Commission n'a pas toujours excellé.

Ce travers de communication a un retentissement sur le fond. Le groupe de travail considère que la PAC ne pourra retrouver une légitimité que si elle parle avec des mots simples au coeur des gens. Est-ce la bonne voie pour un parvenir ? L'idée de biens publics est juste et bonne mais peut-on fonder une politique aussi cruciale que la PAC sur un concept aussi difficile ? C'est notamment parce que les politiques ont abandonné aux experts le vocabulaire de l'Europe que l'Europe est en panne. Le groupe de travail préfèrerait que l'Europe dise plus simplement que l'activité agricole s'exerce dans un environnement qui est un patrimoine commun à la société et qu'elle doit préserver.


* (45) WWF propose ainsi une « refondation de la PAC sur le principe de la rémunération de biens publics et des services environnementaux et ruraux fournis par les agriculteurs ». Une plateforme d'ONG, rassemblant 15 ONG influentes parmi lesquelles la Fondation Nicolas Hulot, les Amis de la Terre, réseau action climat... propose elle aussi de « relégitimer les paiements directs sur la base des services rendus par l'agriculture à la société dans son ensemble (...). La rémunération des services environnementaux (doit être) la base d'attribution des paiements directs et donc un des principes fondateurs de la prochaine PAC ».

* (46) Voir notamment Jean-Christophe Bureau, professeur à Agro Paris Tech, promouvant l'idée de contrats individuels ou collectifs pour rémunérer des services bien précis, comme l'occupation de territoire, et des services plus diffus.

* (47) Voir notamment la position de la Société des Agriculteurs de France.

* (48) Edgar Pisani, « Un vieil homme et la terre : neuf milliards d'êtres à nourrir, la nature et les sociétés rurales à sauvegarder », 2004.

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