b) Une organisation budgétaire très différente de celle du premier pilier

Depuis 1999, la PAC du premier pilier est une politique intégrée, avec une communautarisation très poussée. Il n'y a pas de sélection, pas d'arbitrage. Tous les agriculteurs bénéficient - normalement - des mêmes droits.

La PAC du deuxième pilier est beaucoup plus proche du fonctionnement des fonds structurels avec plusieurs caractéristiques :

- le cofinancement. Les soutiens du premier pilier sont intégralement financés par le budget communautaire tandis que les actions du deuxième pilier relèvent du cofinancement Union européenne/États membres ;

- la programmation. L'essentiel du premier pilier relève des mesures du marché : les aides directes au revenu sont annuelles et les interventions sont peu prévisibles puisqu'elles dépendent de la situation du marché ; mais quand les conditions sont réunies, les soutiens sont activés. Le deuxième pilier est organisé au contraire sur le principe de la programmation. Il y a une répartition programmée des aides entre États membres et chaque État, ou dans certains cas, chaque région, doit présenter un plan de développement rural applicable pour la durée de la programmation budgétaire (2007-2013) ;

- sur un plan institutionnel, les dépenses du deuxième pilier sont classées parmi les dépenses non obligatoires - DNO - votées et fixées par le Parlement européen, tandis que les dépenses du premier pilier sont classées parmi les dépenses obligatoires - DO - décidées par le Conseil. Ce clivage a disparu depuis le traité de Lisbonne, puisqu'il n'y a plus cette distinction entre DO et DNO. Mais celle-ci est un révélateur des enjeux et pouvoirs sur la PAC, puisque le deuxième pilier permettait au Parlement européen d'être impliqué sur la PAC. A contrario , le Conseil, qui appréhendait des coupes sur le premier pilier, a conservé la maîtrise des dépenses de marché.

Dernière particularité du deuxième pilier, l'origine de la dotation affectée est mixte puisqu'il s'agit à la fois de la dotation programmée dans le cadre financier pluriannuel et de transferts progressifs en provenance du premier pilier.

c) Une organisation confuse et sans cohérence

Si l'objectif général politique du deuxième pilier est simple, l'organisation interne est, hélas, extrêmement confuse. Les différentes réformes du deuxième pilier n'ont pas apporté la simplification attendue.

Il ne faut pas nier de graves défauts d'organisation. A priori , la répartition par grands thèmes ou « axes thématiques » est assez simple : 1) la compétitivité, 2) l'environnement et le paysage rural, 3) la qualité de vie en milieu rural et la diversification de l'économie rurale et 4) divers dont le programme Leader. Mais l'organisation se complique à l'excès dans le détail. Chaque thème est décliné selon une arborescence de plus en plus fine, comme le montre le schéma suivant :

EXEMPLE D'ARBORESCENCE

DES ACTIONS DE « DEVELOPPEMENT RURAL »

Axe
(règlement UE)

Catégories
de mesures

(règlement UE)

Mesures
(règlement UE)

Dispositifs
(réglementation France)

Amélioration
de la compétitivité

Amélioration
de l'environnement et de l'espace rural

Amélioration
de la qualité de vie
en milieu rural

Divers Leader

Mesures axées sur l'utilisation durable de terres agricoles

Mesures axées sur les terres forestières

Paiements zone
de montagne à handicaps naturels

Paiements autres zones à handicap

Paiements
Natura 2000

Paiements agro-environnementaux

Paiements
bien-être animal

Aides à investissements
non productifs

- PHAE : prime herbagère

agro-environnementale

- SFEI : aide fourragère

- CAB : conversion bio

- MAB : maintien bio

- PRM : protection des races  menacées

- PRV : préservation    ressources végétales    menacées

- Aide à l'apiculture

- MAET : MAE    territorialisées (parcs    naturels...)

Règlement UE : règlement (CE) n° 1698/2005 du Conseil

Règlement France : plan de développement rural 2007

Le deuxième pilier est un patchwork de mesures disparates, allant des normes de préretraite à l'encouragement à la plantation de haies, ou les mesures en faveur du bien-être animal, en passant par les campagnes de promotion alimentaire et le conseil sur la sécurité du travail, sans que l'efficacité soit toujours garantie. Même si le rapport est déjà un peu ancien, la Cour des comptes européenne a dressé un bilan très critique des investissements dans le domaine du développement rural (Cour des comptes - rapport spécial n° 7/2006).

L'articulation avec les autres politiques n'est pas convaincante. C'est le cas de l'articulation entre les deux piliers. Le premier pilier est concentré autour des aides directes aux agriculteurs, mais l'ICHN est aussi une aide directe aux agriculteurs. Le deuxième pilier n'est-il pas aussi parfois un pansement sur les plaies ouvertes par le premier ? En France, par exemple, les quotas laitiers ont été et restent essentiels pour maintenir des élevages dans des régions rurales peu favorisées par le relief, le climat, les sols, les infrastructures. L'abandon des quotas laitiers aura vraisemblablement des effets sur ces exploitations, et au-delà, sur le tissu rural qu'elles irriguent. « Sans la proximité d'industries de transformation, la protection d'appellation d'origine protégée, comme c'est le cas en Haute-Loire, analyse Philippe Chalmin, les départs vont s'accélérer, les exploitations vont disparaître » . Face à cette possible hémorragie, ce « déménagement du territoire » au nom de la compétitivité ( 36 ( * ) ), le développement rural chargé d'encourager les efforts par des mesures d'accompagnement n'est qu'un pansement bien dérisoire.

Il y a aussi une certaine incohérence entre le deuxième pilier et la politique de cohésion, dont elle est, en France, héritière, et plutôt concurrente dans plusieurs pays de l'Union, notamment dans les nouveaux États membres. « Pourquoi la PAC s'occuperait-elle des infrastructures rurales alors que les routes sont utiles à tout le monde ? Pourquoi la PAC s'intéresserait-elle à la conversion des agriculteurs alors que c'est, par essence, la compétence du FSE ? Il y a beaucoup d'incohérence dans ce partage » , déplorent de hauts fonctionnaires polonais chargés du développement régional, avant de souhaiter « tout regrouper autour du développement régional » .


* (36) La motion adoptée le 22 octobre 2010 par l'Association nationale des élus de la montagne partage cette crainte.

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