Audition de M. Daniel VITTECOQ,
président de la commission
d'autorisation
de mise sur le marché de l'AFSSAPS
(mercredi 16
juin 2010)
M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. le professeur Daniel Vittecoq, président de la commission d'autorisation de mise sur le marché de l'AFSSAPS.
Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Daniel Vittecoq prête serment.
M. François Autain, président - Je vous remercie.
Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique et en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
M. Daniel Vittecoq - J'ai une déclaration de conflit d'intérêts par rapport aux essais thérapeutiques en route dans mon service, au nom soit de l'assistance publique, soit de l'association Robert Debré. Ces déclarations sont publiques et à mon sens ne comportent aucun lien spécifique avec les vaccins dont on parle.
M. François Autain, président - Vous n'avez aucun lien avec les laboratoires fabriquant des antiviraux ou des vaccins, Roche et GSK ?
M. Daniel Vittecoq - Pas avec Roche mais avec GSK. Je suis spécialiste des maladies infectieuses et chef de service à l'hôpital Paul Brousse - Assistance publique. En tant que chef de service, j'ai des essais thérapeutiques avec des antiviraux, essentiellement dans la gamme du VIH. Roche a été impliqué dans la lutte contre le VIH mais il y a fort longtemps. Il s'en est complètement désinvesti. GSK, en revanche, est investi contre le VIH.
J'ai actuellement un essai en cours avec un anti-intégrase dans la problématique du VIH ; il s'agit d'une nouvelle molécule. Je suis acteur dans le maillage international mais ceci est considéré par l'AFSSAPS comme un conflit d'intérêts mineur qui ne me pose aucun problème.
M. François Autain, président - Depuis combien de temps êtes-vous membre de la commission d'AMM ?
M. Daniel Vittecoq - C'était du temps de la DPHM (direction de la pharmacie et du médicament), avant que l'AFSSAPS et l'Agence du médicament soient créées.
M. François Autain, président - Votre nomination en tant que président est-elle plus récente ?
M. Daniel Vittecoq - J'ai fait deux mandats et j'en ai commencé un troisième.
M. François Autain, président - Combien de temps le mandat dure-t-il ?
M. Daniel Vittecoq - Trois ans.
M. François Autain, président - Vous entamez donc votre septième ou huitième année ?
M. Daniel Vittecoq - Oui.
M. François Autain, président - Merci.
Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Alain Milon, et des membres de la commission. Vous avez la parole.
M. Daniel Vittecoq - De façon générale, je me réjouis en tant que médecin et citoyen que cette épidémie n'ait pas été aussi dramatique que prévu car, en tant que spécialiste des maladies infectieuses, on s'est fait du souci. Aujourd'hui, on est plutôt rassuré que les choses se soient passées plus facilement.
La confusion dans l'opinion publique sur l'ensemble de la problématique grippale me paraît compréhensible car le phénomène est complexe ; même la communauté médicale et scientifique est interpellée sur ce qui s'est passé. Cela légitimise en ce sens votre démarche en tant que représentant du peuple.
J'espère qu'au terme de toute cette problématique, l'OMS ne sortira pas trop meurtrie de cette crise. L'OMS joue un rôle considérable dans le domaine de la prévention et de l'hygiène. Beaucoup de pays n'ont pas les moyens de la France et pour beaucoup d'entre eux, l'OMS est un maillon essentiel.
Je veux rappeler ici le rôle capital qu'elle a joué dans la grippe aviaire ou dans le SRAS.
Il faut ne pas examiner cet événement seulement à l'échelle nationale mais aussi au niveau européen.
Par ailleurs, on ne peut comparer toutes les épidémies de grippe et certainement pas celle de 1917 à celle de 2009 pour au moins trois raisons. D'une part, une épidémie de grippe comporte aujourd'hui un nouveau paramètre, celui de la biologie moléculaire, qui donne à la fois un vernis très rassurant et complique aussi les choses.
D'autre part, les relais d'information sont devenus très invasifs pour ne pas dire trop ; en période de crise, le tri des informations est souvent délicat.
Enfin, les recommandations sont faites dans un double souci, collectif et individuel mais, en période de crise, les gens lisent le collectif à l'aune de l'individuel. Une réflexion sociétale me paraît nécessaire sur ce point.
Mon constat, en tant que médecin, au sortir de cette crise, est assez mitigé. La grippe est un défi très ancien et à mon sens très particulier. Sur le terrain, mon vécu est passé du phantasme à la réalité.
Durant la première période de l'épidémie, j'ai dit en tant que référent de l'Assistance publique que les choses que nous voyions étaient banales car il a fallu en effet rassurer les gens au moment des premières hospitalisations.
Dans un deuxième temps, les choses m'ont paru moins banales. Etant référent grippe pour le Val-de-Marne - mon hôpital est à Villejuif - j'ai été témoin de ce qui se passait dans la seconde école contaminée, l'école du Jeu de Paume. J'ai constaté le taux d'attaque, en juin, lorsque la directrice a détecté trois cas qui ont été testés dans mon service.
Dans la dernière phase, j'ai vu des patients parfaitement bien portants en consultation, des patients avec des formes sévères de grippe passer en réanimation et j'ai vu deux patients mourir de la grippe, deux jeunes gens, ce que ni moi ni l'ensemble de mes collègues - sauf les plus vieux - n'avaient jamais vu. Il y a donc bien eu un phénomène comportant à la fois des cas graves et d'autres qui ne l'étaient pas.
Pour en revenir à l'AMM et à l'évaluation du bénéfice-risque, il faut garder en mémoire le fait que celle-ci est radicalement différente en période de crise car on ne peut se targuer de certitudes. Il faut essayer de les anticiper et c'est là tout le débat des marqueurs biologiques qui permettent d'anticiper l'activité d'un traitement. On l'a vécu au moment du charbon aux Etats-Unis en 2001. L'efficacité de la ciprofloxacine n'était alors pas connue. On avait les arguments biologiques qui laissaient penser que ce serait efficace. On lui a octroyé une AMM en urgence ; cela a permis de sauver 30 000 vies.
L'AMM est aujourd'hui essentiellement européenne. Elle a donc été centralisée pour la plus grande partie des vaccins contre la grippe, à l'exception du Panenza, qui faisait l'objet d'une procédure décentralisée semi-européenne, dans laquelle la France était rapporteur. Cette procédure a impliqué cinq pays - dont l'Allemagne, l'Italie, et la Belgique.
J'ai assisté à la création de l'Agence européenne du médicament. Je pense en avoir été un acteur. Il est rassurant d'avoir un consensus à vingt-sept surtout si ce consensus peut se faire vers le haut. Je pense qu'on arrive à le faire dans les médicaments. En période de crise, c'est néanmoins un exercice difficile.
C'est en ce sens que l'EMA avait créé la task force, en 2003, instance parallèle du Comité des médicaments à usage humain (CHMP) qui avait pour but de piloter les dossiers. Cela a bien fonctionné selon moi.
Pour ce qui est de l'industrie, elle a montré qu'elle savait malgré tout respecter les procédures ; elle a su mener des essais thérapeutiques dans des conditions de crise. Pour le Panenza, 3 500 patients ont participé aux essais, incluant enfants et adultes. C'est un challenge extraordinaire. La France a été impliquée puisqu'elle a compté le tiers de la population de patients dans les essais. Je rappelle que la pandémie est née en avril et que les AMM ont été accordées en octobre et en novembre pour le Panenza.
Pour ce qui est de l'AFSSAPS, j'ai trouvé que la prise en charge de l'épidémie a été cohérente à tous les niveaux, qu'il s'agisse de l'AMM, de la pharmacovigilance ou de la cellule des plans de gestion des risques.
Je n'ai pas été impliqué dans les interfaces avec la DGS mais, sur le fond, j'ai l'impression qu'elles ont été opérationnelles.
En ce qui concerne les dossiers d'enregistrement, la commission d'AMM, avec son groupe de travail, le GTA - le Groupe de travail anti-infectieux, dont je suis membre - a piloté les dossiers du Panenza, de l'oseltamivir et a participé à tous les débats pour l'Europe.
M. François Autain, président - Est-ce le GTA qui a émis un avis sur l'extension d'AMM de l'oseltamivir concernant les traitements préemptifs ?
M. Daniel Vittecoq - Absolument.
M. François Autain, président - Pourquoi a-t-on saisi le GTA et non la commission d'AMM ?
M. Daniel Vittecoq - Le GTA a vu le dossier ; la commission d'AMM l'a vu a posteriori.
M. François Autain, président - Vous aviez un avis sur cette extension ?
M. Daniel Vittecoq - Je sais qu'on a eu un débat ; la commission d'AMM était entièrement d'accord...
M. François Autain, président - Il ne suffit pas d'être d'accord ! Il faut qu'il y ait des traces ! Quand il y a extension d'AMM, il y a délibération de la commission et il existe une publication.
M. Daniel Vittecoq - Ce n'est pas une extension d'AMM mais une recommandation d'usage.
M. François Autain, président - Cela peut être considéré comme tel.
M. Daniel Vittecoq - En effet, mais cette recommandation d'usage est venue du fait qu'en période de crise, il faut bien s'adapter à l'acquisition des connaissances ; or, il est apparu clairement, tant dans l'expérience étrangère que française, que les émergences de résistance que l'on craint dans toute maladie virale se rencontraient essentiellement dans le cas d'une utilisation préventive. Ce risque était plus faible si l'on administrait une dose plus élevée du médicament sur une période plus courte - ce qui ne change pas grand chose à la quantité prescrite. Beaucoup de pays ont cautionné cette attitude.
M. François Autain, président - En temps normal, une telle recommandation serait-elle passée par le GTA ?
M. Daniel Vittecoq - Sauf urgence, tout passe devant la commission d'AMM si l'on est dans le registre national.
M. François Autain, président - Vous semblez dire que, cette fois-ci, cela n'a pas été formellement examiné par la commission d'AMM...
M. Daniel Vittecoq - Vous me prenez de cours. Il y a eu une discussion en Commission d'AMM...
M. François Autain, président - Je croyais avoir une réponse de votre part. Le directeur n'a pas su me répondre. Il devait d'ailleurs me répondre par courrier. Il ne l'a pas fait. Je ne l'ai pas relancé, sachant que j'allais vous recevoir ; je me suis dit que vous deviez connaître la réponse.
M. Daniel Vittecoq - Le problème du traitement préemptif a été vu par deux groupes de travail. Les membres du GTA ont considéré sans ambigüité qu'il fallait recommander de passer à des doses plus fortes...
M. François Autain, président - Je m'attendais à un avis négatif. Le contenu du texte me semble contradictoire avec la conclusion. C'est un peu comme le niveau 6 de pandémie.
M. Daniel Vittecoq - Deux groupes de l'AFSSAPS ont réfléchi à ce traitement préemptif, le GTA et un autre groupe, constitué à la demande de la DGS, le groupe de travail sur les grippes graves, que j'ai d'ailleurs coordonné. Il était composé de réanimateurs. L'objectif était d'apporter des réponses à des cliniciens qui rencontraient des situations gravissimes - heureusement limitées.
M. François Autain, président - Si on n'avait pas été en période de pandémie, cela passait donc par la commission d'AMM ?
M. Daniel Vittecoq - C'est évident !
M. François Autain, président - La pandémie étant terminée, allez-vous revoir ce dossier en commission d'AMM ?
M. Daniel Vittecoq - Non, car hors période de grippe pandémique comportant des cas graves, il n'est pas légitime de modifier l'AMM en ce sens.
M. François Autain, président - Cette recommandation n'a pas eu un succès énorme ! Sur 500 000 prescriptions, seulement 5 % ont été réalisées à titre préemptif.
Peut-être, si cette recommandation était passée en commission d'AMM, aurait-elle eu plus de chance...
M. Daniel Vittecoq - Je ne sais si cela aurait changé quelque chose. C'est un problème de communication.
L'objectif de ces traitements préemptifs est double : il part de l'hypothèse - dont on va voir ultérieurement si elle est confirmée - que le risque de résistance est diminué si l'on donne une dose plus élevée et qu'en cas de grippe grave, l'administration d'une double dose améliorait le pronostic.
Dans l'ensemble - cela a été vérifié avec les réanimateurs - les personnes atteintes de formes graves avaient déjà eu une double dose. Pour le reste de la population, je ne puis trop rien dire.
M. François Autain, président - En période normale, la commission d'AMM est saisie ; or, maintenant que nous sommes revenus dans une période normale, il n'y aura pas de rectification !
M. Daniel Vittecoq - C'est une recommandation liée à la pandémie.
M. Alain Milon, rapporteur - On revient à l'ancienne AMM...
M. Daniel Vittecoq - Bien sûr ! L'AMM n'ayant pas été modifiée, il n'y a pas lieu de la réexaminer. Je veux bien voir avec l'Agence sur le plan réglementaire mais il n'y a pas lieu de le prévoir.
M. Alain Milon, rapporteur - Il s'agissait d'une exception ; à présent, on revient à l'ancien système.
M. François Autain, président - On n'administre donc plus de traitement préemptif ?
M. Daniel Vittecoq - Absolument. On répond à une crise avec les moyens du bord. Cela paraissait logique à ce moment.
S'agissant de l'Europe, nous avons suivi tout ce qui a été fait en amont et en aval.
Enfin, sur le plan médical et scientifique, toute une partie du travail débute maintenant. Il s'agit de comprendre ce qui s'est passé afin de valider, en termes d'évaluation des vaccins, les aspects immunologiques, la présence des anticorps. Nos critères de mise sur le marché sont actuellement biologiques ; ils ne reposent pas sur une démonstration clinique mais sur le fait que le taux d'anticorps arrive à un certain seuil. La lecture rétrospective de l'épidémie va permettre d'apprécier ce que sont ces anticorps et quelle est leur valeur protectrice. On n'aura donc cette lecture finale qu'après un certain temps.
M. François Autain, président - La parole est au rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez dit avoir constaté des cas extrêmement graves que vous n'aviez jamais rencontrés mais que les plus anciens avaient connus. A quelle époque ?
M. Daniel Vittecoq - Lors de la dernière pandémie, en 1967-1968. Dans les groupes de travail avec les réanimateurs, ceux qui connaissaient ce type de cas étaient les plus âgés. Je ne me réjouis pas d'en avoir été le témoin, car voir des gens jeunes mourir aujourd'hui de la grippe est une véritable interpellation !
Ces formes de pneumonies interstitielles qui provoquent l'asphyxie d'une personne en quarante-huit à soixante-douze heures nécessitent des techniques d'oxygénation extracorporelle très couteuses et très problématiques qui ne se rencontrent que chez les sujets jeunes. La létalité de la grippe, bien connue chez les personnes âgées qui ont été en partie épargnées dans la crise récente, est plutôt due à des complications liées à des surinfections.
M. Alain Milon, rapporteur - Les procédures d'AMM européennes et françaises paraissent avoir été plus lentes que les procédures américaines. Le laboratoire Sanofi a estimé que la livraison du vaccin Panenza, qui a reçu une AMM nationale, a été retardée d'un mois par rapport à son équivalent américain pour cette raison. A quoi tiennent ces différences de procédure ? Faut-il envisager une évolution des règles européennes et françaises pour permettre des décisions plus rapides ?
M. Daniel Vittecoq - Dans cette crise, je pense qu'on a répondu aux besoins. L'épidémie n'a d'ailleurs pas posé tant de problèmes que cela. Est-ce lié aux décisions ou au virus lui-même ? Je ne puis répondre...
Pour ce qui est des procédures, elles sont fondamentalement différentes entre les Etats-Unis et l'Europe. Aux Etats-Unis, les vaccins sont mis sur le marché uniquement avec un dossier biologique de « safety » sans chercher à savoir s'ils vont être efficaces ou non.
En France et en Europe, on demande depuis longtemps des critères d'immunogénicité. On veut tester le produit pour savoir s'il est capable de donner des anticorps et connaître la valeur de ceux-ci.
Les Américains ont peut-être en partie raison ; quand on fait des tests chez les volontaires sains, on arrive à induire des anticorps. La question serait plus intéressante de savoir s'ils ont vraiment une valeur protectrice. On ne peut le voir que lors de pandémies. Ces circuits sont donc beaucoup plus faciles.
L'Europe a pris sa décision il y a cinq ans, au détour de la pandémie aviaire, qui nous a beaucoup préoccupés. Sa létalité est de 50 % et elle n'est d'ailleurs pas finie.
M. François Autain, président - C'est une zoonose !
M. Daniel Vittecoq - En effet, mais il y a eu passage à l'homme.
M. François Autain, président - Il y a eu assez de panique comme cela pour ne pas aggraver les choses ! Il faudrait se mettre d'accord sur ce que l'on met derrière les mots !
M. Daniel Vittecoq - Je réponds par rapport aux critères de définition de l'immunogénicité. Globalement, pour un vaccin standard contre la grippe, la procédure nationale demande, dans le cadre d'un vaccin trivalent, un impact sur le taux des anticorps. Soit on mesure le pourcentage de patients ayant un taux d'anticoprs supérieur au 40 e , soit on regarde la moyenne géométrique du taux des anticorps ou le pourcentage de séroconversion.
M. François Autain, président - Vous arrive-t-il de refuser certains vaccins contre la grippe ?
M. Daniel Vittecoq - Très peu, d'où l'étonnement des Américains sur nos procédures, mais si l'on mettait sur le marché un vaccin et qu'il ne fonctionne pas, on aurait des griefs pour nous reprocher de ne pas avoir suffisamment étudié les choses. Il faut donc bien placer le curseur quelque part !
M. François Autain, président - Comment pourrait-on s'apercevoir qu'il ne fonctionne pas ?
M. Daniel Vittecoq - Il y a des études a posteriori !
M. François Autain, président - Il existe des études qui prouvent l'efficacité du vaccin ?
M. Daniel Vittecoq - Les méta-analyses Cochrane montrent le bénéfice du vaccin...
M. François Autain, président - C'est un bénéfice peu spectaculaire : sur deux groupes, deux des 100 personnes non vaccinées développent la grippe, contre une seule pour 100 personnes vaccinées !
M. Daniel Vittecoq - Les méta-analyses Cochrane se fondent sur trois paramètres pour déterminer si un vaccin est efficace : l'« efficacy », l'« effectiveness » ou l'impact clinique. Ce dernier, concernant la morbi-mortalité, ne se rencontre que chez les sujets âgés. En pratique, il s'agit d'hospitalisation ; or, en dehors d'une pandémie, on n'hospitalise pas pour une grippe. On a donc démontré, chez les patients âgés, un impact bénéfique de la vaccination contre la grippe saisonnière.
Pour ce qui est de l'« efficacy », on demande au patient vacciné de prendre l'engagement de venir faire un prélèvement pour isoler le virus en cas d'épisode grippal ; dans ce cas, on se rend compte qu'il existe une certaine efficacité.
Quant à l'« effectiveness », on leur demande seulement de téléphoner pour signaler un état de fièvre au cours des épisodes hivernaux. Il existe d'ailleurs beaucoup de virus saisonniers qui ne sont pas des virus grippaux. Il est donc très difficile de mesurer l'impact.
Objectivement, l'« efficacy » révèle un impact favorable de la vaccination, surtout sur la population adulte. Pour ce qui concerne l'« effectiveness » on le cherche et pour la morbi-mortalité, particulièrement chez les gens âgés, il est objectif quelle que soit la grippe saisonnière.
M. François Autain, président - M. Thomas Jefferson est beaucoup moins optimiste que vous en ce qui concerne l'efficacité de la vaccination saisonnière.
M. Daniel Vittecoq - L'opinion s'est fait une idée. Faut-il se faire vacciner contre la grippe ? Je l'ai fait en tant que soignant ; je pense que c'est essentiel car si les soignants ne le font pas, cela peut poser des problèmes de transmissions nosocomiales et d'amplification. Globalement, le vaccin n'est pas très utilisé, sauf chez les sujets âgés et selon moi à juste titre, essentiellement du fait des surinfections.
Dans les institutions, on souhaite que les pensionnaires soient vaccinés. La transmission de la grippe y est un véritable problème de santé publique.
En tout état de cause, la grippe n'est pas la maladie que redoute l'opinion publique - sauf dans les périodes de pandémie.
M. François Autain, président - Aucun test randomisé n'a jamais été fait à propos du vaccin contre la grippe saisonnière...
M. Daniel Vittecoq - Des études ont été faites !
M. François Autain, président - Y a-t-il eu des essais comme pour d'autres médicaments ?
M. Daniel Vittecoq - Les essais d'« efficacy » ont démontré l'efficacité des vaccins antigrippaux.
M. François Autain, président - Il y a donc eu des essais randomisés en double aveugle versus placebo ?
M. Daniel Vittecoq - Non, ce sont des essais post-AMM, qui sont faits dans la vie quotidienne et qui comparent des populations vaccinées à des populations témoins. Ce ne sont pas des essais randomisés. Comment l'accepter quand un produit a l'AMM ?
M. François Autain, président - Pourquoi ? En pré AMM...
M. Daniel Vittecoq - Il faut voir en fonction du calendrier. Ce n'est guère réalisable entre le moment où le vaccin va être préparé, le moment où il est réalisé et le moment où commence la campagne de vaccination.
Ne me prenez pas pour un suppôt de l'industrie pharmaceutique mais le travail réalisé pour inclure 3 500 patients dans l'essai sur le Panenza, en l'espace de quelques semaines, a été fait dans les règles et de façon randomisée. C'est une expérience exceptionnelle qui s'explique par la pandémie. Dans les dossiers d'enregistrement, nous n'avons pas 3 500 patients mais quelques centaines. C'est pourquoi les Américains s'en affranchissent - je ne sais si c'est à juste titre - en disant que sur le fond, le résultat sera le même et que si le produit est de bonne qualité, c'est certainement suffisant.
M. François Autain, président - A l'expérience, cela a l'air de fonctionner.
M. Daniel Vittecoq - Selon moi, ils n'ont pas complètement tort - mais cela n'engage que moi.
M. Alain Milon, rapporteur - La procédure des vaccins dits « maquette » qui a été utilisée pour deux des vaccins contre le virus H1N1 permet-elle une adaptation suffisante du vaccin aux caractéristiques du virus ? Est-ce en raison de l'élaboration des vaccins maquette contre le virus H5N1 qu'une double injection a été retenue contre le H1N1 ?
M. Daniel Vittecoq - Le H5N1 a été une vraie préoccupation compte tenu de la létalité - 50 % des gens touchés avec un risque d'adaptation de l'animal à l'homme.
M. Alain Milon, rapporteur - A-t-elle été prouvée ?
M. Daniel Vittecoq - Non, pas à ce jour. Il existe encore quelques cas d'élevages qui sont touchés mais de façon anecdotique. Dans beaucoup de pays émergents qui vivent dans des conditions défavorisées, les conditions de sécurité sont améliorées. Le risque de transmission à l'homme est vraiment plus faible.
On avait souhaité développer un vaccin contre le H5N1. Ce virus pose des problèmes d'immunogénicité. L'immunité antigrippale - c'est peut-être aussi pour cela que les Américains s'affranchissent de cette thèse de l'immunogénicité - est un phénomène obscur. J'espère que cette pandémie amènera quelques éclairages. Ce n'est pas comme pour l'hépatite B où l'on sait que si le taux d'anticorps est supérieur au 10 e , on n'en développera jamais. Pour la grippe, on ne sait pas exactement ce que sont les anticorps que l'on étudie. Il faut savoir en outre s'ils sont adaptés au virus en question.
Pour le H5N1, on sait de façon certaine que, pour induire un taux d'anticorps correct, il faut donner beaucoup plus d'antigène ; ne pouvant en donner des quantités énormes, on a donc ajouté un adjuvant. Tous les essais sur le H5N1 ont montré que si l'on adoptait les procédures normales, on n'aurait pas la couverture nécessaire. Il a fallu monter la charge des deux côtés de l'Atlantique. On a mis beaucoup plus d'antigène avec un adjuvant. Une seule injection n'étant pas suffisante, on en avait prévu deux. On était alors heureux d'avoir un vaccin avec des données « safety » correctes.
L'EMA, après un long débat auquel la France a participé, a donc prévu d'appliquer cette démarche quel que soit le virus.
M. François Autain, président - Il est très rare que l'on préconise une double injection dans le cadre d'un vaccin antigrippal.
M. Daniel Vittecoq - Le vaccin maquette H5N1 préconisait deux injections.
Un enregistrement « au fil de l'eau » avait été décidé en fonction du résultat des études. Les résultats de la première injection ont permis d'atteindre un taux d'anticorps globalement satisfaisant. Rétrospectivement, la deuxième injection n'a pas apporté davantage.
Au niveau français du GTA et de la commission d'AMM - la décision étant cependant prise par la task force - une injection paraissait suffisante.
M. François Autain, président - A quelle époque l'avez-vous su ?
M. Daniel Vittecoq - En septembre-octobre.
M. Alain Milon, rapporteur - Non, on a lancé les vaccinations le 15 octobre.
M. François Autain, président - C'était en septembre pour l'EMA.
M. Daniel Vittecoq - En septembre, on s'est engagé vers une procédure d'AMM. Les industriels pouvaient donc commencer à produire. En pratique, on a eu les résultats vingt et un jours avant les résultats de la deuxième dose. Cela nous paraissait suffisant.
Si nous avions été dans le cadre d'une procédure nationale, je pense que nous aurions dit qu'une seule injection paraissait suffisante dans un premier temps.
Nous sommes dans un circuit européen ; nous sommes obligés de tenir compte de l'avis de l'ensemble des pays. Pourquoi l'Europe a-t-elle fait le choix des deux doses proposées par la task force et cautionnées par le CHMP ?
Pour deux raisons : il fallait attendre plus de résultats et avoir une meilleure réponse.
Autre élément : la pathogénicité de ce virus paraissant bien mystérieuse, on se demandait si la double injection ne permettrait pas d'éviter les cas graves.
Un autre élément très complexe a parasité le débat : le pourcentage de jeunes patients ayant des anticorps H1N1 non vaccinés était très largement supérieur à ce que l'on avait estimé.
M. François Autain, président - Même chez les jeunes ?
M. Daniel Vittecoq - Les très jeunes enfants n'avaient aucun anticorps mais les 3-17 ans en avaient. Cela a beaucoup parasité le débat.
M. Alain Milon, rapporteur - Pourriez-vous nous faire parvenir les pourcentages de jeunes ?
M. Daniel Vittecoq - Je vous le ferai parvenir mais vous les avez sur le site de l'EMA.
M. Alain Milon, rapporteur - On peut les rechercher...
Les études post-AMM demandées sur les vaccins contre le virus H1N1 ont-elles été différentes de celles demandées pour d'autres vaccins et quelle était leur nature ?
M. Daniel Vittecoq - Elles ont été beaucoup plus importantes, particulièrement dans les plans de gestion du risque, avec le suivi des cohortes, etc.
Nous pensions que la population se ferait largement vacciner. Il y avait à la fois une part de bénéfice et une part de risque. On voulait évaluer celui-ci. L'Agence européenne l'a fait et la France l'aurait fait de toute façon. Elle a même fait plus que ce qui était demandé par l'Europe. Par ailleurs, on incitait fortement à se faire vacciner. Il s'agissait donc d'avoir le sens des responsabilités, sur des items très particuliers, dont le syndrome de Guillain-Barré ou sur tous les aspects gynécologiques et obstétriques. Le suivi a donc été très attentif.
M. Alain Milon, rapporteur - Y a-t-il eu beaucoup de complications graves ?
M. Daniel Vittecoq - Il y en a eu à hauteur de ce qui est généralement attendu. Pour ce qui est du syndrome de Guillain-Barré, dont la fréquence est de l'ordre de 3 pour 100 000 dans la population générale, c'est ce qui a été observé au regard de la population vaccinée. Il n'y a donc pas eu d'augmentation du nombre de syndrome de Guillain-Barré durant cette période. Je crois que c'est fini aujourd'hui sinon on l'aurait su.
M. Alain Milon, rapporteur - Y a-t-il eu des convulsions hyperthermiques ?
M. Daniel Vittecoq - Certaines nous ont été rapportées mais pas de façon excessive. Le rapport de pharmacovigilance qui est sur le site de l'AFSSAPS est selon moi très complet.
Si on pouvait au moins sortir de cette pandémie avec l'idée que ces vaccins ne sont pas si dangereux, ce serait une bonne chose.
M. Alain Milon, rapporteur - Enfin, comment sont gérés les liens d'intérêts entraînant des conflits au sein de la commission d'AMM ? Une évolution des procédures vous paraît-elle souhaitable ?
M. Daniel Vittecoq - C'est un débat récurrent et je savais donc que vous me poseriez la question. J'ai déjà comparu devant une commission de votre Assemblée au moment Vioxx.
Depuis cinq ou six ans, et notamment sous l'impulsion du directeur général, M. Jean Marimbert, la politique de gestion des conflits d'intérêts à l'AFSSAPS est devenue plus claire. Il en va de même des experts. C'est le souhait de la direction générale, de l'AFSSAPS, du ministère, le vôtre, celui du peuple de clarifier les choses.
Les procédures sont claires. Les experts déclarent leurs conflits d'intérêts. Il existe un niveau de gradation qui est globalement respecté.
Pour ce qui est de la commission d'AMM, j'ai décidé, depuis ma prise de fonction, que les membres n'assisteraient plus à une séance s'ils n'avaient pas une déclaration actualisée. Toutes les déclarations sont donc normalement à jour. En tant que président, je ne peux pas étudier toutes les déclarations mais on part du principe que les acteurs sont honnêtes. Ils font une déposition sous serment. Toutes les déclarations d'intérêts sont donc selon moi respectées.
M. François Autain, président - Cela s'est beaucoup amélioré, c'est vrai !
M. Daniel Vittecoq - C'est un exercice difficile et je rends hommage au travail fait par M. Jean Marimbert. Les experts membres des groupes de travail en ont pris ombrage un moment. Aujourd'hui, le discours est complètement inversé ; selon moi, le débat sur le Vioxx y a beaucoup aidé, ainsi que le débat sur la grippe. Les experts de l'AFSSAPS en ont assez de ces débats sur les conflits d'intérêts. Ils existent ou non. On a assaini, on fait nos déclarations et c'est à l'institution de trancher.
Aujourd'hui, à la commission d'AMM, une personne est responsable de cette question. Quand les membres s'expriment et qu'il existe un conflit d'intérêts, je suis informé. Les gens respectent cette procédure. Il existe même un problème avec les membres qui sortent de séance : on a parfois du mal à savoir s'ils sortent pour un besoin naturel ou parce qu'il y a un conflit d'intérêts. Heureusement, le tableau qui est en ma possession me permet de le dire.
Dans ma sphère de responsabilités, je pense que les choses sont claires aujourd'hui
M. Marc Laménie - Certes, la preuve de la réactivité a été faite mais quelles sont, selon vous, les insuffisances ? Quel système serait plus adapté ?
M. Daniel Vittecoq - Je crois que le système a été opérationnel dans sa globalité et au niveau européen, ce qui n'est pas rien du point de vue de la construction européenne.
Je suis plus réservé sur le fonctionnement de la task force qui était un groupe de travail satellite du CHMP recevant toutes les informations et se réunissant quotidiennement, contrairement à nous. Le CHMP s'est probablement beaucoup appuyé sur cette task force sans forcément nuancer ses avis. Cela a pu « squeezer » les échelons nationaux.
C'est un élément à prendre en compte dans la façon dont cela fonctionne. On nous avait demandé si nous étions satisfaits du système à deux doses. Nous avions donné une réponse. Nous aurions pu être entendus de façon différente. Cela n'a pas eu de conséquences sur la pandémie...
M. François Autain, président - Si, pour l'achat des vaccins. On en a acheté deux fois plus !
M. Daniel Vittecoq - C'est une donnée très tardive. J'imagine que les achats se sont faits largement en amont.
Cela aurait pu clarifier cette période compliquée pour la DGS. Les choses auraient peut-être été différentes pour l'intendance.
M. François Autain, président - Avec une seule dose, on aurait eu besoin non de 94 millions mais de la moitié ! Plus tôt on l'aurait su, mieux cela aurait été.
Le GPA ne double-t-il pas l'AMM ? Quelle est son utilité ?
M. Daniel Vittecoq - La commission d'AMM est un ensemble de personnes dont vous devez avoir la liste. Elle s'appuie, pour rendre ses conclusions, sur des avis déjà digérés. Le GTA fait un travail de déblayage mais il ne peut modifier une AMM d'un antibiotique suivant la procédure nationale.
C'est l'articulation entre le GTA, l'AMM et l'Europe qui mériterait peut-être d'être affinée.
M. François Autain, président - Pourquoi ne pas intégrer purement et simplement le GTA à la commission d'AMM ?
M. Daniel Vittecoq - Il en fait partie mais de façon informelle. Il nous arrive aussi de parler de questions d'actualité. On approuve les relevés des groupes de travail ; si l'un d'eux se sent en difficulté, il en réfère à la commission d'AMM. Ces groupes ont une certaine autonomie pour piloter un dossier.
M. François Autain, président - Combien avez-vous d'experts sans lien dans votre commission ?
M. Daniel Vittecoq - Je ne crois pas qu'il y en ait.
M. François Autain, président - Pensez-vous que ce soit un handicap de ne pas avoir de lien d'intérêts ?
M. Daniel Vittecoq - On a besoin, pour rendre des avis autorisés, de personnes qui ont l'expérience d'une pathologie, d'un traitement, etc. Je sais que la tendance de la HAS est de choisir des experts sans conflit d'intérêts mais, pour des thématiques très complexes, comme le VIH ou l'antibiothérapie nosocomiale, il est très difficile de faire appel à des personnes qui n'ont pas d'impact dans la spécialité.
M. François Autain, président - Vous pensez que des cliniciens, des hommes de terrain, ne pourraient pas avoir leur mot à dire sur certains médicaments par rapport à d'autres qui leur ressemblent étrangement et qui ont une certaine expérience ?
Je sais que l'essentiel de votre travail est de mettre sur le marché des « me too », des médicaments qui ont déjà leur équivalent. Selon les chiffres qui sont en ma possession, il existe un grand nombre d'AMR 5. Je sais que vous ne vous en apercevez pas à votre niveau mais faut-il vraiment une très grande technicité pour évaluer des « me too » ?
Je suis d'accord quand il s'agit de maladies très pointues, comme le VIH, mais est-ce le cas pour un nouveau traitement anti-épileptique, comme le Lyrika, qui n'est pas plus efficace que les anti-épileptiques qui existent déjà et que l'on met sur le marché pour le vendre deux fois plus cher ? La nécessité d'un expert ayant de multiples liens d'intérêts ne me paraît pas indispensable. Une personne de bon sens, qui n'a pas de liens d'intérêts mais qui a fait ses études de médecine, qui a fait du terrain et qui connaît son travail, serait peut-être d'un secours précieux pour ceux qui sont trop hospitaliers, trop expérimentateurs. Cela permettrait de réaliser un équilibre qui, à l'heure actuelle, n'existe pas ! C'est peut-être une idée un peu farfelue...
M. Daniel Vittecoq - Non, elle a du sens. Je pourrai même la compléter mais comment allez-vous évaluer que le médicament qui arrive est un « me too » ou non ?
M. François Autain, président - C'est la commission de la transparence qui fait ce travail mais on n'a pas besoin d'avoir des connaissances très poussées pour voir dans le dossier qu'il s'agit d'un « me too ». Dès l'AMM, vous devez le savoir !
M. Daniel Vittecoq - Aujourd'hui, les progrès de l'évaluation interne de l'AFSSAPS sont tels que l'on pourrait se passer de l'évaluation des « me too » par la commission d'AMM. Réglementairement, il le faut et cela se passe donc ainsi.
Sur le fond, ce qui motive l'ensemble des acteurs de l'AMM, dont moi-même, ce sont les progrès thérapeutiques.
M. François Autain, président - Pensez-vous qu'on ne pourrait pas vivre sans « me too » ?
M. Daniel Vittecoq - Bien sûr que si, par définition mais ce n'est pas moi qui les fais !
M. François Autain, président - On fera une commission d'enquête sur les « me too » ! C'est un sujet trop vaste et qui est étranger à l'objet de cette commission.
Plus personne ne demandant la parole, il me reste à vous remercier pour votre contribution qui nous sera certainement très utile.