Audition de M. Thomas JEFFERSON, épidémiologiste,
membre du
réseau Cochrane Acute Respiratory Infections Group
(mercredi 19 mai
2010)
M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Thomas Jefferson, épidémiologiste, membre du réseau Cochrane Acute Respiratory Infections Group.
Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.
Comme pour le professeur Keil, je devrais vous demander, avant votre intervention, de prêter serment. Mais, compte tenu de votre statut de ressortissant étranger et du fait que vous n'avez ni de près, ni de loin, participé à la gestion de cette pandémie, je pense que nous pourrions faire l'économie de cette formalité. Je note également que vous nous avez remis un document décrivant vos activités et vos liens d'intérêts.
Par conséquent, si vous le voulez bien, je vous propose de commencer sans plus tarder l'audition par un exposé liminaire, puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Alain Milon, et des membres de la commission. Vous avez la parole.
M. Thomas Jefferson - Merci beaucoup de m'avoir invité ici aujourd'hui ; je suis honoré de pouvoir m'exprimer devant le Sénat français.
Je vais essayer de vous présenter brièvement, pour laisser du temps aux questions, un certain nombre de « points-clés » qui me semblent essentiels pour éclairer le débat sur la grippe A (H1N1)v.
Le premier de ces points est la définition de la grippe.
La grippe au sens strict du terme (en anglais « influenza ») et les maladies de type grippal (en anglais « influenza like illnesses » ou ILI) ne sont pas la même chose, bien que l'une et les autres soient souvent confondues dans les documents publics, par les médias ou de soi-disant experts.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a donné une définition des maladies de type grippal correspondant à des symptômes que nous avons tous connus, car nous avons tous eu ce qu'on appelle communément « la grippe » (en anglais « flu »).
Ces symptômes, ce sont la fièvre, des maux de tête, des douleurs, des problèmes respiratoires...
Mais le problème, c'est que seule une petite minorité (7 à 15 %) des pathologies se manifestant par ces symptômes sont véritablement des grippes, provoquées par un virus grippal A ou B, qui sont les principaux virus grippaux pathogènes pour l'homme.
Les autres peuvent être dues à bien d'autres virus, à des bactéries, voire au stress ou à la pollution à l'intérieur des bâtiments.
Sur la base d'observations cliniques et d'études spécifiques, les travaux du groupe Cochrane ont établi que sur une population de cent personnes, on constatera par an, en moyenne, sept cas de maladies de type grippal, dont un seul sera causé par un virus grippal.
Cette proportion d'un septième est à rapprocher des résultats d'une étude d'octobre 2009 publiée dans la revue The Lancet , qui indique que l'on n'a détecté la présence du virus A (H1N1)v que chez 11 % des personnes qui avaient présenté une maladie de type grippal.
Toutes les personnes qui consultent leur médecin pour une grippe déclinent la même liste de symptômes. Comment savoir quelles sont les causes de la grippe ? Il faut procéder à des tests en laboratoire et séparer les différents cas mais personne ne le fait car il faudrait le faire systématiquement.
Sur cent personnes, je l'ai dit, un certain nombre de personnes seront atteintes d'une grippe. En une année, on aura sept pathologies de type grippal mais cela ne peut concerner que cinq individus, dont deux ou trois auront la grippe deux ou trois fois. Si on cherche vraiment à identifier les virus A ou B de la grippe, on trouve la réponse.
Face à cette situation, la vaccination n'est pas une option car la grippe est une pathologie rare par rapport à toutes les autres causes qui sont à l'origine d'une maladie de type grippal. Le « Flu tracker » de Google, logiciel dont on nous dit qu'il fonctionne en temps réel - il existe toutes sortes de techniques pour suivre les vagues de grippe aux Etats-Unis - concerne les maladies de type grippal et non la grippe proprement dite.
La définition de la grippe n'est donc pas du tout spécifique.
Cette confusion entre les termes est une source d'erreur et constitue une exagération de la menace saisonnière.
Cette incertitude sur l'ampleur de la grippe saisonnière explique peut-être celle qui affecte la définition de la grippe pandémique, qu'a modifiée l'OMS.
C'est le deuxième point que je voudrais aborder : la grippe pandémique est ce que l'OMS décide qu'elle est.
L'OMS a dit n'avoir pas modifié la définition de la grippe pandémique, mais c'est faux. Un logiciel Internet, Wayback Machine, permet de retrouver les anciennes définitions. De 2003 à 2009, il y a pandémie lorsqu'apparaissent « plusieurs épidémies simultanées à travers le monde avec un grand nombre de décès et de maladies ».
Ce critère lié à la gravité à disparu en mai 2009 de la définition de l'OMS, comme l'a montré un étudiant doctorant à Harvard, Peter Doshi.
Les premiers clichés, pris Peter Doshi, remontent au 1 er mai à minuit. De 2003 à 2009, les documents de l'OMS utilisent l'ancienne définition ; on trouve également des déclarations qui sont une source de confusion, ainsi que je l'ai montré au Conseil de l'Europe. On a ainsi différentes versions de ces définitions. Il existe également des preuves du fait que le CDC d'Atlanta disait exactement la même chose.
La définition a été modifiée et la gravité a disparu ; plus récemment, nous avons eu des preuves que l'OMS modifie le contenu de ses pages web sans changer la date affichée sur ces pages. Ce sont des faux en écritures !
Vous trouverez cela sur le British Medical Journal (BMJ) ; Peter Doshi a téléchargé ces documents trouvés par le biais de Google ; ces traces ne sont pas près de disparaître, à la différence des documents de l'OMS ! Nous vivons une ère intéressante, comme le dit la malédiction chinoise !
Le troisième point que je souhaite aborder concerne les experts.
On a beaucoup parlé du rôle des experts. Ne me qualifiez surtout pas d'expert : je ne suis pas expert ! Ni les experts, ni les médias ne se sont fondés sur des preuves.
Il existe une « mentalité de groupe » (group think), selon le terme utilisé par Harvey Fineberg à propos de « l'épidémie qui n'a jamais existé », celle de grippe porcine aux Etats-Unis en 1976.
Les experts « leaders d'opinion clés » (« key opinions leaders » ou KOL), comme les appellent les agences de communication, n'apparaissent pas spontanément.
Ils sont recrutés assez jeunes, ils peuvent être « fabriqués » pendant des années. Ces leaders d'opinion sont chargés de faire passer des messages clés.
Certains d'entre eux ont fait carrière au sein des comités responsables de la grippe à l'OMS, y compris du comité d'urgence dont nous ne connaissons que le président, l'Australien M. Mackenzie. Il existe beaucoup « d'experts », réticents à révéler leurs liens d'intérêt, il y en a aussi qui n'ont aucun lien d'intérêt mais ont des motivations de carrière.
Certains membres de ces comités ne sont peut-être pas des « leaders d'opinion clés » du monde pharmaceutique mais il existe toujours des conflits d'intérêts. Ainsi, les professeurs Roy Anderson et Neil Fergusson vendent des modèles de pandémie. Bien sûr, ils vous diront que ce virus tueur nous menace toujours. « Dread », un livre de M. Philippe Alcabès dit que : « Nous sommes censés être préparés à faire face à une pandémie de grippe d'une sorte ou d'une autre, car ceux qui guettent les grippes, ceux qui consacrent leur carrière à l'étude des virus et qui ont besoin d'un flux continu de subventions pour poursuivre cette étude doivent convaincre les bailleurs de fonds de l'urgence de combattre un fléau à venir » !
Mme Laura Garrett est journaliste, lauréate du prix Pulitzer, et sillonne les Etats-Unis pour annoncer le décès imminent de tous les citoyens lors de la prochaine pandémie. Le Sida et la prochaine pandémie sont les menaces qui nous guettent. La menace la plus grave, c'est surtout celle qui guette le contribuable !
Il s'agit parfois de terrorisme intellectuel pur et simple. Même le « National Geographic », publication de grande renommée, parle de « grippe tueuse » ! Cela ne vous rassure-t-il pas qu'il existe de bons journalistes prêts à pister « la prochaine grippe tueuse » ?
Comme l'a dit l'intervenant précédent, il est peu probable que l'on voie se reproduire ce même scénario. Il y a des raisons à cela : ce sont des raisons sociales qui n'ont rien à voir avec la science.
« Le moment d'une pandémie grippale est-il venu » , comme le titre le New York Times ? Peu importe le journal, la question est toujours la même !
Que dire de la grippe porcine ? Regardez la couverture de ce magazine : on voit ici un cochon dans le noir, derrière des barreaux. Qui est l'auteur de l'article ? C'est encore Mme Laura Garrett !
La dernière question que je voudrais soulever est celle de l'efficacité de la vaccination et des traitements antiviraux contre la grippe.
Pour ce qui est de la vaccination, d'après les données tirées par Cochrane de quarante-deux essais cliniques réalisées sur une longue durée, on peut conclure qu'en moyenne, sur cent personnes adultes vaccinées, une présentera des symptômes de grippes ; sur cent personnes non vaccinées, il y en aura en moyenne deux. Cela revient à dire que vacciner cent personnes ne permet d'éviter qu'un seul cas clinique de grippe. De plus, on n'a pas de preuve que la vaccination permet d'éviter les complications ou un décès, peut être parce que ces cas graves sont trop rares pour apparaître au sein de l'échantillon considéré.
En ce qui concerne les antiviraux, très peu de données concernant des essais menés par le laboratoire Roche ont été publiées. On estime que soixante-dix-sept essais ont été réalisés depuis 1997, dont huit seulement ont donné lieu à des publications.
Or, les politiques d'utilisation du Tamiflu ont été fondées sur les seuls résultats publiés et non sur l'ensemble des données collectées.
En particulier, les essais publiés ne donnent aucune indication sur les effets du Tamiflu sur les complications de la grippe.
On peut donc se demander si le Tamiflu est plus efficace que l'aspirine, qui coûte beaucoup moins cher et dont les effets toxiques sont mieux connus que ceux du Tamiflu.
Compte tenu de tous ces éléments, que propose l'OMS pour lutter contre la grippe ?
Dans un document de soixante-trois pages intitulé « Sommes-nous prêts à réagir à la pandémie ? » , publié en 2009 sur le site web de l'OMS, on trouve seize fois le terme « antiviraux », vingt-quatre fois le terme « vaccins » et seulement deux fois l'expression « se laver les mains ».
Il suffit que quatre personnes se lavent les mains plus de dix fois par jour pour éviter un cas de SRAS. C'est ce que montre une méta-analyse qui regroupe six études cas témoins, menées en 2003 en Extrême-Orient, au plus fort de l'épidémie. Ces chiffres sont empruntés à une étude Cochrane regroupant cinquante-neuf études cliniques.
Se laver les mains est socialement acceptable, coûte certainement beaucoup moins cher que stocker des médicaments, fonctionne à n'importe quel moment et de plus évite la gastro-entérite. On peut l'exporter vers les pays pauvres, où cela sauve des vies, ainsi que l'ont montré plusieurs études.
Un bébé, dans un bidonville de Karachi, risque fort d'être atteint de pneumonie et ne peut donc vivre très longtemps. Or, laver les mains de la mère et de l'enfant évite les cas de pneumonie ! Pourquoi l'OMS n'en parle-t-elle pas ? Je ne sais pas !
M. François Autain, président - Merci.
La parole est au rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur - Comme le démontre l'expérience de la grippe H1N1, une définition des pandémies excluant toute référence à leur gravité pose de sérieux problèmes en termes d'organisation des réponses aux crises pandémiques et de perception sociale des risques sanitaires mais on nous a opposé qu'il était difficile de donner une définition objective et incontestable du critère de gravité qui pourrait permettre de caractériser une pandémie.
Que pensez-vous de cette objection ? Comment pourrait-on selon vous formuler ce critère ?
M. Thomas Jefferson - L'abaissement du seuil d'une pandémie et l'élimination du critère de gravité sont de très bonnes choses pour les laboratoires qui fabriquent les vaccins, car cela permet de considérer des grippes saisonnières comme des pandémies.
Si la propagation et la nouveauté sont les seuls critères, comme le prétend l'OMS, nous nous trouvons au coeur d'une pandémie.
Nous sommes encore, à ma connaissance, dans une pandémie : l'OMS est toujours en phase 6. Si 11 % des personnes « grippées » sont positives au virus H1N1, qu'est-ce qui peut être à l'origine de cette grippe pour les autres cas ? Il s'agit forcément d'autres virus, d'une paragrippe ou d'un coronavirus.
Pourquoi personne ne s'y intéresse-t-il ? Est-ce parce qu'il n'existe pas de vaccins ou d'antiviraux contre ces agents pathogènes ? Cela n'a aucun sens ! Je n'y vois aucune logique épidémiologique ! Le moment où est intervenu le changement de définition est déterminant : entre le 1 er et le 9 mai. On ne sait qui est à l'origine de celui-ci et on n'en connaît pas la raison.
M. François Autain, président - Vous n'avez pas, me semble-t-il, répondu complètement à la question.
Beaucoup d'intervenants nous ont dit qu'il serait intéressant d'intégrer le critère de gravité dans la définition de la pandémie mais que cela semble difficile parce qu'on ne peut se mettre d'accord sur les critères permettant de caractériser cette gravité. Est-ce un argument véritable ou fallacieux ?
Pouvez-vous nous fournir un critère sur lequel tout le monde serait susceptible de trouver un accord, qui définirait la gravité d'une pandémie au moment où elle apparaît, de manière à éviter des mesures disproportionnées comme celles que nous avons connues ?
M. Thomas Jefferson - L'essentiel, dans une pandémie de type grippal, est la gravité. Cela ne fait aucun doute ! Vous avez dépensé certaines sommes. Il faut justifier les dépenses. Qui s'inquiète d'une pandémie de rhume banal ? On n'a pas besoin de l'OMS pour cela !
Une épidémie ou une pandémie de rhume banal est une chose. C'est le nombre de cas graves et de décès qui constituent la différence principale.
La question de savoir pourquoi on dénombre beaucoup de cas graves et de morts est autre chose. Peut-être n'y a-t-il pas d'immunité ? Peut-être est-ce dû à l'intervention divine ? Il faut qu'il existe une façon pragmatique d'envisager le problème.
Ce que vous dites à propos de la virulence d'un agent qui se consume lui-même est basé sur des preuves et est une question de bon sens. Il existe une multitude d'histoires de ce type, comme celle du choléra qui s'était déclaré à bord de bateaux au large de l'Algérie ; au moment où ils ont accosté, les passagers étaient soit morts, soit immunisés, l'épidémie était terminée.
M. François Autain, président - Si je vous résume, le taux de létalité pourrait être un critère de gravité sur lequel tout le monde pourrait se mettre d'accord...
M. Thomas Jefferson - Il faut en effet prendre en compte le nombre de cas graves et de décès. Les chercheurs, dans les laboratoires, se sont beaucoup intéressés à des virus qu'ils voyaient au microscope. Cela ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse, c'est ce qui se passe au sein d'une population en termes de santé publique. Peu importe qu'il s'agisse d'un virus qui ressemble à ceci ou à cela. Ce que je veux savoir, c'est ce qui s'est passé et comment je peux agir sur la base de preuves fiables et non de théories !
M. Alain Milon, rapporteur - L'expérience de la grippe H1N1 nous enseigne aussi, comme l'ont d'ailleurs relevé certains de nos interlocuteurs, que nous ne sommes pas préparés à faire face à une pandémie qui, sauf dans un nombre de cas limité, n'est pas grave, alors que nous avons des chances qu'il s'en produise d'autres du même genre dans l'avenir.
Comment faudrait-il, selon vous, organiser la réponse à une nouvelle crise sanitaire du même ordre ?
M. Thomas Jefferson - Pour une maladie respiratoire aiguë de type grippe A, la première chose que je ferai serait de fonder ma réflexion sur des preuves scientifiques et non sur des théories qui montrent qu'il s'agit de cas très rares. Personne ne sait combien de malades meurent de la grippe saisonnière.
Je veux vraiment aller voir les choses de près, avoir des renseignements fiables. En tant que médecin, je préconiserai une intraveineuse d'honnêteté, avec une bonne dose de transparence et de responsabilité car ces gens ne sont pas responsables. Ils n'ont fait aucun cas de ce qui se passait, n'ont pas appris les leçons et ne se montrent pas responsables parce qu'ils essaient de trouver des excuses au changement de définition de la pandémie et à la façon peu recommandable dont cette situation a été gérée.
Je mettrai en place un régime de transparence, d'honnêteté qui se fonderait sur des preuves et non sur des théories. Il n'y aurait plus de virus tueur.
M. Alain Milon, rapporteur - On nous a fait observer que le climat de compétition féroce qui règne dans le monde de la recherche, la course pour l'identification de chaque agent pathogène, l'élaboration de tests, la valorisation de brevets, peuvent conduire les chercheurs à espérer, même inconsciemment, qu'une maladie arrive et faire qu'objectivement leurs intérêts aillent dans le même sens que ceux de l'industrie.
Que pensez-vous de cette observation et peut-on lutter contre ces « convergences d'intérêts » ?
M. Thomas Jefferson - C'est un problème très délicat : concernant les publications de données scientifiques, les Etats et les personnes telles que moi sont tous impliqués.
Avez-vous entendu parler d'une maladie appelée la ménopause ? Lorsque j'étais à la faculté de médecine, on m'a dit que la ménopause était un vieillissement naturel de l'organisme. Non ! C'est devenu une pathologie ! Il faut intervenir, donner des hormones et toutes sortes de choses qui ne servent à rien, des « saletés » ! Savez-vous que la grossesse est devenue une maladie grave ? C'est une grave pathologie ! Nous avons également découvert l'andropause. C'est mon fils qui me l'a dit !
Il existe aussi le syndrome des jambes sans repos. On a bien sûr un médicament pour cela. D'ailleurs, on trouve d'abord le médicament et la cible dans un second temps. Ce n'est plus possible ! Cela ne peut plus durer ! Ce n'est pas viable sur le plan économique !
Autre aspect dont on ne parle jamais : le fait que les publications médicales et scientifiques de haut prestige font des publicités, réimpriment des articles, publient des études sur le vaccin de la grippe, financées par l'industrie pharmaceutique dans des journaux de grand renom et exercent une pression sur les hommes politiques par l'intermédiaire des médias, afin de les amener à agir. C'est un mécanisme dont il faut prendre conscience, qui est fortement enraciné.
En Allemagne, il existe un comité appelé Stiko, qui réalise des programmes de vaccination. 85 % des personnes qui travaillent pour Stiko ont des liens avec l'industrie pharmaceutique. Il existe des groupes de pression, comme le Groupe européen sur la grippe, intégralement financés par l'industrie pharmaceutique et qui clament leur indépendance au motif qu'ils sont financés par tout le monde ! C'est un bel exemple de démocratie !
Beaucoup de ces gens siègent au comité de l'OMS ; il faut mettre fin à ces pratiques - mais je ne suis pas sûr que ce soit possible.
Etes-vous satisfait de cette réponse ?
M. Alain Milon, rapporteur - Oui. Je ne considérais pas non plus, en tant que médecin, que la ménopause ou la grossesse soient des maladies, mais cela a peut-être évolué depuis !
Quels seraient selon vous, très concrètement, les études à conduire et les moyens à mettre en oeuvre pour améliorer la connaissance de la grippe saisonnière ou pandémique et de ses impacts et pour apprécier l'efficacité de la vaccination antigrippale ?
M. Thomas Jefferson - On pourrait lancer beaucoup d'études mais commençons par faire un essai randomisé sur les masques, le Tamiflu et le lavage des mains, de façon à interrompre la transmission.
On pourrait également faire des essais randomisés sur le Tamiflu, d'une part, et l'aspirine, d'autre part, pour prévenir ou soulager les symptômes. Cela nous réserverait peut-être des surprises. Cela fait plus de vingt ans qu'aucun essai randomisé n'a été pratiqué avec des vaccins activés de grippe saisonnière et des placebos. On ne sait d'ailleurs pas si cela fonctionne.
Ce n'est pas compliqué mais l'industrie de la grippe, et j'y inclus les autorités sanitaires, les laboratoires, les médias, s'est comportée de telle façon que ce n'est plus possible parce que ce serait impensable.
On veut des études : mettons en place un système de surveillance digne de ce nom. Si les grippes ou les maladies de type grippal vous intéressent, on pourrait les généraliser ou les induire de façon raisonnable et raisonnée.
Aux Etats-Unis, mon ami Peter Doshi a interrogé quarante des cinquante et un épidémiologistes qui gèrent le système de surveillance dans chaque Etat. Ils ne tiennent compte que des cas qui répondent positivement à la grippe. S'il y avait un virus, ils ne le sauraient même pas ! Puis ils se débarrassent ensuite de tout ce qui est négatif en prétendant qu'il n'existe pas de spécimen positif d'influenza au CDC ! Ne sachant pas combien de personnes ont été malades, on ne connaît pas la fraction de celles qui ont eu la grippe. Qu'est-on en train d'observer ? Personne n'en sait rien !
Si cela vous intéresse vraiment, on peut mettre en place un système permettant de faire des prévisions réalistes, des autopsies, des tests avant décès. C'est difficile à réaliser, sur le plan social, mais on pourrait ainsi se faire une idée et savoir combien de personnes, au sein d'un échantillon, sont décédées de la grippe.
Tout cela n'est pas forcément nécessaire car la grippe est relativement rare et le vaccin, tel qu'il existe aujourd'hui, n'est pas très efficace.
M. François Autain, président - Nous avons à ce sujet rencontré l'Agence européenne des médicaments. On nous a indiqué que l'efficacité du vaccin contre la grippe H1N1, je ne me souviens plus s'il s'agit d'une efficacité biologique ou clinique, avait été chiffrée à 70 %, je parle sous le contrôle de ceux qui m'accompagnaient. J'ai même été étonné qu'un vaccin soit aussi efficace !
Cela confirme-t-il ce que vous savez par ailleurs ?
M. Thomas Jefferson - Savez-vous comment ils s'y sont pris pour établir un tel calcul ? Ont-ils fait des tests sur des êtres humains, sur le terrain, au sein d'une collectivité ou ont-ils simplement calculé la concentration d'anticorps ? C'est ainsi qu'ils s'y prennent en général !
M. François Autain, président - Je pense qu'il s'agissait de la norme de l'immunité biologique.
M. Thomas Jefferson - La question est la suivante : quelle relation existe-t-il entre la réponse entre le taux d'anticorps et la protection ? Je ne sais pas !
Si l'on étudie la façon dont le vaccin fonctionne depuis ces vingt dernières années, ce n'est pas très bon ! Il existe un autre aspect à la question, c'est celui de l'innocuité.
Il n'y a pas d'examen indépendant. C'est d'ailleurs la même chose avec le Tamiflu. Ils le montrent à leurs responsables mais non à des experts indépendants. Nous avons de bonnes raisons de penser que 10 % à 20 % des personnes vaccinées ont une réaction fébrile. En Australie, une personne sur cinq a eu des convulsions, des états fébriles. Il y a peut-être eu une vingtaine de morts en Norvège. La surveillance des vaccins est un art imparfait, très difficile à vérifier. Ils ne sont pas sans risque. Il n'y a pas d'innocuité.
M. Alain Milon, rapporteur - Comment expliquez-vous les spécificités de la grippe H1N1 qui, dans la très grande majorité des cas, n'a pas été plus grave qu'une grippe saisonnière mais qui a aussi pu revêtir des formes très virulentes chez des individus qui ne présentaient pas de facteurs de risque particuliers ?
M. Thomas Jefferson - Cela a toujours été ainsi. La grippe est une maladie qui se limite d'elle-même. On ne se sent pas très bien pendant trois ou quatre jours mais c'est une maladie modérée chez la majorité des gens qui la contracte. Elle n'est pas très virulente.
Quels sont les déterminants des faibles occurrences de décès ? Je ne sais pas mais c'est probablement contextuel. Mon prédécesseur a parlé du postulat de Henle Coch. Il a tout à fait raison. Coch a proposé l'idée qu'un agent est équivalent à une maladie ou est assimilable à un symptôme. Ces dernières années, on a ajouté la dernière partie de l'équation, c'est-à-dire la solution.
En réalité, la pratique médicale ne fonctionne pas ainsi. Certes, il existe peut-être un, deux, trois ou quatre agents de plus mais il faut également un contexte.
Ce n'est pas par hasard ou par accident si les 240 morts de la grippe H5N1 sont survenues chez des gens qui se trouvaient dans certaines circonstances : c'étaient des personnes qui avaient des contacts extrêmement étroits avec la volaille, qui n'étaient pas très éduquées, plutôt pauvres ou modestes. Il s'agissait de familles qui avaient des liens très étroits et refermées sur elles-mêmes.
Il faut donc envisager les données dans le contexte. En 1918, c'est le contexte qui a été déterminant. La majorité des morts ont d'ailleurs été probablement causées par des infections bactériennes.
M. Alain Milon, rapporteur - J'ai le sentiment que vous avez répondu dans le cadre de la grippe H5N1 et non dans celui de la grippe H1N1. Comment expliquez-vous que nous ayons eu des morts du fait de la grippe H1N1 qui ne sont pas les morts habituels que l'on a dans le cadre d'une grippe saisonnière ?
M. Thomas Jefferson - Je ne me l'explique pas ! Je n'ai aucun rôle dans l'investigation mais je peux proposer une explication plausible : on ne sait pas combien de morts par an surviennent du fait de la grippe parce que c'est une estimation approximative qui se fonde sur la circulation des virus. Ceci est vraiment entaché d'un très fort biais.
Cette année, on est allé voir de plus près ; on aura donc peut-être un reflet plus fidèle de ce qui se passe chaque année. En épidémiologie, c'est ce que l'on appelle le « biais d'évaluation ».
On doit cette idée à un certain major Greenwood qui a étudié la grippe espagnole et qui a publié cette analyse en 1919 dans le BMJ. Ce n'est pas nouveau du tout.
Peut-être y a-t-il eu quatre cents morts par an au Canada dues à la grippe saisonnière mais cette année, on est vraiment allé voir ce qui se passait ; les années précédentes, c'était modélisé.
M. Alain Milon, rapporteur - Dernière question : quel a été l'objet des travaux financés par Roche entre 1987 et 1999 sur le Tamiflu que vous indiquez au titre de vos activités. Roche nous a par ailleurs affirmé que suite à l'article du BMJ, ils ont rendu toutes leurs études accessibles aux chercheurs. Est-ce vraiment le cas ?
M. Thomas Jefferson - En 1997, on m'a demandé de regarder les aspects économiques de l'introduction du Tamiflu pour le compte de Roche.
A l'époque, j'étais fonctionnaire au ministère britannique de la défense. J'ai réalisé l'étude avec la permission de mon supérieur hiérarchique. J'avais travaillé sur l'évaluation économique de la grippe et je devais étudier certains aspects de la grippe contre lesquels - j'en avais la certitude - le Tamiflu serait intéressant.
Quant à votre seconde question, il ne s'agit que d'une partie des documents internes, concernant dix essais de traitement sur soixante-dix au total. En nous envoyant les documents, ils nous ont transmis par erreur un index où nous avons pu voir ce qui nous manquait ! Ce que l'on n'a pas contient peut-être des informations précieuses.
Il faut revenir à la charge. On est en train de demander d'autres documents à Roche et à GSK. On va voir comment ils réagissent. La lettre est partie il y a trois jours. L'examen du Tamiflu n'est pas terminé. Cela va se poursuivre pendant un certain temps.
M. Alain Milon, rapporteur - Lors de leur audition, les laboratoires nous ont dit qu'ils avaient ouvert un site Internet et que vous aviez accès à toutes les informations que vous souhaitiez.
M. Thomas Jefferson - Nous avons accès aux informations concernant les dix essais dont ils prétendent que c'est tout ce dont nous avons besoin. Ce n'est pas nous qui souhaitons en rester là : ce sont eux qui nous disent que nous n'avons besoin que de tel ou tel document ! La distinction est importante !
Certes, ils ont mis leur site à notre disposition fin décembre. C'est un site protégé par un mot de passe. On a seulement eu dix modules des essais, dont deux seulement ont fait l'objet de publications.
M. François Autain, président - Docteur Jefferson, nous vous remercions de votre contribution.