Audition de M. Ulrich KEIL, professeur,
directeur de l'Institut
d'épidémiologie à l'Université de
Münster
(mercredi 19 mai 2010)
M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. le professeur Ulrich Keil, directeur de l'Institut d'épidémiologie à l'Université de Münster.
Je tiens particulièrement à vous remercier d'avoir accepté d'être auditionné par la commission.
Je voudrais aussi vous faire part d'un léger embarras. En effet, je devrais, pour respecter le règlement de notre commission d'enquête, vous faire prêter serment mais, du fait de votre statut de ressortissant étranger mais aussi de votre qualité de directeur de l'Institut d'épidémiologie, qui n'a à aucun moment siégé dans une instance nationale ou internationale ayant eu à intervenir dans la gestion de cette pandémie, je ne suis pas certain que vous y soyez tenu.
C'est pourquoi, si vous le souhaitez, je peux vous dispenser de cette obligation.
M. Ulrich Keil - Vous pouvez m'exempter de cette obligation mais, si vous le souhaitez, je suis prêt à prêter serment et déclarer que je n'ai aucun intérêt en jeu.
M. François Autain, président - Vous pouvez le faire.
M. Ulrich Keil - Je n'ai aucun conflit d'intérêts et je suis prêt à le jurer.
M. François Autain, président - Merci.
Vous avez maintenant la parole, monsieur le professeur.
M. Ulrich Keil - Merci de votre invitation. C'est un grand honneur pour moi que d'être invité par le Sénat français. Je suis déjà venu il y a dix-sept ans mais je n'avais aucune idée, lorsque je me promenais dans les jardins du Luxembourg, à quel point votre instance était éminente.
Je voudrais parler de la pandémie de grippe porcine. Son annonce, en juin de l'année dernière par l'OMS, constitue un précédent.
En mai 2009, l'OMS a éliminé le critère de gravité de la définition du stade 4 de la pandémie et a déclaré que le seul critère devait être celui de la propagation rapide et mondiale d'un nouveau virus contre lequel la population mondiale n'était pas immunisée.
Pour la première fois, des mesures onéreuses ont été prises contre une pandémie. La production de vaccins a été initiée dans le monde entier. Le stade 4 de la pandémie reste valable, bien qu'il n'y ait eu aucun signe authentique de menace de ce virus dans les hémisphères Nord ou Sud.
D'ailleurs, ce virus n'est pas nouveau. L'OMS, pas plus que les comités d'experts ou les gouvernements, n'ont informé le grand public qu'on connaît le virus H1N1 depuis des décennies. Il a en effet été ramené aux Etats-Unis par des soldats revenant du Vietnam. Il s'agissait du virus de la grippe porcine.
En 1976, le président Gerald Ford a pris l'initiative d'une campagne de vaccination à la suite de l'apparition de la maladie du légionnaire - maladie bactérienne et non virale - à Philadelphie. Quelque 40 000 ressortissants américains ont été vaccinés car les spécialistes du CDC, le Centre de contrôle des maladies d'Atlanta en Géorgie, étaient convaincus que le H1N1 était similaire au virus qui avait causé la pandémie de fièvre de grippe espagnole dans les années 1920 à 1930, avec des milliers de morts, les gens étant déjà affaiblis par la guerre et la faim.
Mais cette campagne de vaccination H1N1 a été interrompue lorsqu'on a compris que le virus ne produisait qu'une maladie très modérée, sans aucune complication - un mort seulement parmi les cinq cents personnes infectées - alors que le vaccin produit un certain nombre d'effets secondaires neurologiques graves, dont le syndrome de Guillain-Barré. Le Washington Post a publié un article sur ce sujet le 27 avril 2009.
Richard E. Neustadt et Harvey V. Fineberg ont conclu, dans l'ouvrage intitulé L'épidémie qui n'a jamais existé , que l'excès de confiance des spécialistes reposait sur des preuves très minces. Leur conviction était alimentée par certaines préoccupations personnelles, par des prises de décisions prématurées, par la non-prise en compte de certaines incertitudes et par la non-remise en cause de la logique scientifique et des perspectives de mise en oeuvre.
Ce sont là autant de points qui ont porté atteinte au processus de décision de 1976. De toute évidence, ces enseignements n'ont pas été retenus.
L'évolution a été la même pour l'épidémie H1N1 dans le monde entier : en Allemagne, quelque 10 000 morts sont attribuées chaque année à la grippe saisonnière. Des personnes décèdent, en particulier parmi les gens les plus âgés et les plus fragiles, alors qu'un tout petit nombre de décès ne peut être attribué qu'à la pandémie H1N1, environ trois cents cas.
Les personnes les plus âgées sont immunisées contre ce virus car on ne constate quasiment aucune infection chez les personnes ayant plus de 60 ans. C'est une constatation qui montre bien que les personnes les plus âgées ont déjà été en contact avec le virus H1N1, et éventuellement avec d'anciens vaccins qui contenaient un antigène de celui-ci.
Malgré les données contradictoires venant du Mexique et les preuves peu convaincantes compilées par le CDC et le Centre européen pour le contrôle des maladies de Stockholm, le directeur général de l'OMS, Mme Margaret Chan, a déclaré qu'il existait une pandémie de grippe H1N1 en juin 2009. Ceci a déclenché dans les différents pays toute une série de mesures en cascade, qui avaient été préparées au cours des années précédentes pour répondre aux craintes suscitées par la pandémie de SRAS.
En Allemagne, le ministre fédéral de la santé et les ministères des seize Länder ont commandé 50 millions de doses de vaccins et l'on s'attendait à ce que des millions de personnes soient vaccinées. Il est intéressant de constater qu'un certain nombre de contrats avec le fabricant de vaccin GSK avaient déjà été signés en 2007, après qu'un nouveau vaccin contre la pandémie eut reçu une licence.
L'OMS insiste sur le concept de réassortiment dangereux, couramment appliqué en virologie, selon lequel deux virus différents peuvent fusionner en même temps pour infecter un même hôte.
Ces scénarios ont été propagés par les différents gouvernements, les producteurs de vaccins et les experts qui avaient travaillé sur les dossiers du SRAS, de la grippe aviaire et de la grippe porcine. On avait prédit à l'époque des millions de morts, rappelant la hantise des hommes à l'égard des différents fléaux comme la pandémie de grippe espagnole de 1918-1920.
Pourtant, aucun cas d'infection attribuable au SRAS ou à la grippe aviaire n'a été constaté en Allemagne. La grippe porcine, avec quelque trois cents morts seulement, était loin d'atteindre le nombre de victimes causées par la grippe saisonnière.
Néanmoins, les Etats ont passé commande de quantités extrêmement importantes de médicaments antiviraux ; en Allemagne seulement, quelque 34 millions de doses de vaccins contre la grippe porcine ont été achetées. 50 millions de doses avaient été commandées par les autorités fédérales et étatiques. Les laboratoires pharmaceutiques producteurs de ce vaccin ont gagné plus de 500 millions d'euros alors que ce n'était pas nécessaire.
Ces dernières années, nous avons assisté à des campagnes extrêmement virulentes, avec beaucoup de colère et d'incompréhension. Cela a été le cas avec le SRAS ; nous connaissons maintenant le même phénomène avec la pandémie aviaire.
Le nombre de morts attribuables au SRAS est de cinquante-trois seulement ; pour l'instant, la grippe aviaire a affecté quelque 496 personnes dans le monde entier et en a tué 293. La grippe aviaire ne peut être contractée que par un contact étroit entre les oiseaux et l'homme ; il s'agit donc d'une zoonose régionale. En Allemagne, pas un seul cas de SRAS ou de grippe aviaire n'a été rapporté. Néanmoins, la grippe aviaire est devenue le modèle des scénarios de grippes pandémiques, qui ne correspondent évidemment pas aux stratégies de prévention de la grippe saisonnière, la technique de vaccination n'étant pas efficace dans le cas d'une pandémie.
Aucune de ces prédictions de pandémie ne s'est vérifiée. Si l'on se base sur les faits, on voit que cette affaire de la grippe porcine a été une énorme bulle de marketing de l'OMS. Un certain nombre de conseillers internationaux, nationaux ainsi que les autorités nationales responsables doivent divulguer leurs processus décisionnels et doivent tirer les conséquences qui s'imposent de leurs erreurs de jugement. Dans le cas contraire, on continuera à inventer des pandémies, ce qui produira des effets financiers dévastateurs.
Un article paru dans le British medical journal , publication scientifique renommée, le 10 février de cette année, a qualifié toute cette affaire de tour de passe-passe consistant à répandre de fausses alarmes. Il pose la question de savoir ce qui nous attend maintenant. C'est pourquoi il faut prévenir de tels scénarios et poser les conditions d'une analyse et d'un discours équilibrés en cas de pandémie.
Si l'on ne tient plus compte du facteur de sévérité dans la définition de la pandémie, un simple éternuement pourra se transformer en épidémie ou en pandémie.
Lors d'un congrès d'épidémiologie qui s'est déroulé à Münster l'année dernière, j'ai demandé au docteur Krause, de l'institut Robert Koch de Berlin, s'il lancerait une campagne de vaccination si, l'année prochaine, l'OMS déclarait une pandémie d'éternuements. A ma grande surprise, il m'a répondu par l'affirmative. On peut donc légitimement s'inquiéter !
Je vous remercie de votre attention.
M. François Autain, président - La parole est au rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur - Plus nous avançons dans nos auditions et plus j'acquiers la conviction que l'OMS n'a pas retenu la bonne définition de la pandémie. Ceci a entraîné de la part des gouvernements des décisions largement supérieures aux effets réels de la grippe H1N1.
Je pense aussi que le fait de calquer le plan de lutte pandémique contre le H1N1 sur celui du H5N1 a constitué, dès le départ, une erreur manifeste. Le pensez-vous également ?
M. Ulrich Keil - Je pense que les spécialistes étaient impatients de démarrer une campagne de vaccination. Ils possédaient le modèle de la grippe aviaire et le vaccin a d'ailleurs été fabriqué à partir de celui-ci.
J'étais à l'OMS, en 2005, lorsqu'il a fallu mettre en place des stratégies contre la grippe aviaire qui était devenue une menace. C'est un peu de la planification militaire. Un journaliste médical britannique a comparé la situation avec celle de la première guerre mondiale : tout le monde était tellement prêt à aller au combat que l'on n'a rien pu faire ensuite.
Chacun était impatient de prendre des mesures. Des contrats avec le fabricant du vaccin avaient déjà été passés en 2007, sur la base de l'épisode de grippe aviaire. M. Roy Anderson a expliqué que les quelques cas de grippe porcine constituaient l'extrémité visible de la pandémie. On a ensuite retiré le critère de sévérité de la définition puis ce qui s'est passé dans l'hémisphère Sud a démontré que la pandémie n'était pas grave, cinq cents cas identifiés et un nombre de décès assez bas. On a donc comparé cela à une grippe régionale. Cela me surprend que l'on puisse qualifier cette épidémie de pandémie à un stade aussi prématuré. Mais l'OMS continue de dire qu'il s'agit d'une pandémie.
M. Alain Milon, rapporteur - Vous venez d'affirmer que le virus H1N1 n'est pas nouveau et qu'il avait été amené en Occident par les soldats de la guerre du Vietnam. Pourtant, tant le CDC d'Atlanta que d'autres agences nationales ont affirmé qu'il s'agit d'une recombinaison originale de virus antérieurs. Ce sont certains éléments de cette recombinaison qui expliqueraient l'immunité relative des personnes de plus de 60 ans mais il s'agirait d'un virus nouveau. Qu'en pensez-vous et comment expliquer que le virus porte le même nom qu'un virus de la grippe saisonnière ?
M. Ulrich Keil - La meilleure preuve que le virus existait déjà est que l'on n'a vu aucune infection chez les personnes de 60 ans ou plus. De légères modifications du virus sont fréquentes mais le H1N1 n'est pas un virus complètement nouveau, selon moi, et quelques autres !
M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez dressé le parallèle entre la politique de vaccination menée en 1976 aux Etats-Unis et celle menée en 2009. Faut-il en déduire que la vaccination massive n'est pas la réponse la plus adaptée à une pandémie grippale ou est-ce seulement le cas quand le virus est faiblement virulent ?
M. Ulrich Keil - Harvey V. Fineberg, un grand épidémiologiste de Harvard, faisait à l'époque partie de la commission d'enquête et a signalé les cinq points que j'ai cités. Souvent, nous tirons trop peu d'enseignement de l'expérience médicale. Je pourrais citer d'autres exemples à ce propos.
Dans le cas présent, on aurait dû passer ces événements en revue ; peut-être se serait-on comporté autrement. En cas de vaccination, il faut toujours trouver l'équilibre entre le bénéfice et les risques.
En Suède, l'agence responsable de la politique de santé a une certaine réputation en matière de recherche. Elle a détecté de nombreux effets secondaires suite à la vaccination. Cinq décès sont attribués à celle-ci. Face aux risques, la vaccination n'était pas justifiée.
Je réclame une meilleure étude épidémiologique des maladies infectieuses, un meilleur suivi, une meilleure surveillance, comme pour les maladies chroniques, avec des registres bien établis et d'autres outils de ce type. On peut ainsi voir le niveau de mortalité ou de sévérité et ensuite adapter nos décisions en fonction de ces faits. C'est le stade 6 qui a tout déclenché. L'OMS a vraiment dépassé là la limite alors qu'elle aurait fort bien pu réévaluer cette décision et revenir au stade 5.
M. François Autain, président - La vaccination massive est-elle la réponse la plus adaptée face à une pandémie de grippe ?
M. Ulrich Keil - Je ne suis pas contre la vaccination et j'admire beaucoup les réalisations de l'OMS en matière d'éradication de la variole mais, pour ce qui est de la grippe, les preuves ne sont pas très claires, même pour ce qui est de la grippe saisonnière. Il n'existe pas d'essais cliniques. On tire des conclusions sur la base de recherches en laboratoire. Certes, il s'agit de travaux importants mais la théorie du réassortiment demeure une théorie. En réalité, nous n'avons pas la preuve de l'existence de ce virus tueur.
Dans le cas de la grippe espagnole, à propos de laquelle on possède des articles publiés dans The Lancet et autres publications, assortis de recherches bien documentées, on a une variabilité de la mortalité d'un facteur de 31. Ce sont les pauvres, les mal-nourris et les victimes de la guerre qui étaient contaminés. Dans une population telle que la nôtre, on n'aurait jamais eu cet effet.
Selon les projections, si la grippe espagnole revenait aujourd'hui, elle infecterait 96 % des personnes dans les pays en voie de développement et 4 % dans les pays développés. Or, où trouve-t-on les campagnes de vaccination ? En France, en Allemagne et ailleurs ! En Pologne, la ministre de la santé a décidé de ne pas mener de campagne de vaccination. Visiblement, elle n'avait pas signé de contrat en 2007 et a dit qu'elle n'était pas là pour travailler pour les laboratoires pharmaceutiques mais pour les citoyens polonais. Il n'y a pourtant pas eu de scénario différent en Pologne par rapport à ce qui s'est passé en France et en Allemagne. Cette grippe est restée plutôt modeste. La stratégie de vaccination de masse pour lutter contre la grippe, et même la grippe saisonnière, est donc plutôt un problème !
M. Alain Milon, rapporteur - Vous avez souligné l'absence de preuves épidémiologiques permettant de fonder l'ampleur de la réaction des Etats. En France, ce sont cependant les épidémiologues qui ont présenté les scénarios les plus catastrophistes en nombre de morts. A partir de quand pouvait-on savoir que le virus H1N1 ne présentait aucun danger sérieux et comment expliquer la « pensée scientifique unique » qui a caractérisé les analyses des épidémiologues français et étrangers ?
M. Ulrich Keil - Le suivi dans l'hémisphère Sud nous a montré que la pathologie n'était pas d'une grande gravité mais nous avons déjà entendu ces scénarios d'horreur auparavant, comme pour l'encéphalopathie spongiforme bovine, en 1997 ! On sait aujourd'hui que les prions n'existent pas ! Nous avons eu ensuite le SRAS qui a fait cinquante-trois décès à travers le monde entier alors qu'on pensait qu'une pandémie de grande envergure nous menaçait ! La grippe aviaire a ensuite obligé les éleveurs de volailles à abattre ou à protéger leurs animaux. En fin de compte, la grippe aviaire s'est révélée n'être qu'une zoonose, sans transmission d'homme à homme, mais uniquement de l'animal à l'homme !
Pourquoi cette surenchère ? Il existe des ambitions personnelles et une certaine tentation d'attirer des financements vers la recherche. Je ne dis pas que certaines personnes se comportent de manière malhonnête ; elles font leurs calculs mais ces calculs dépassent les limites du raisonnable.
Le professeur Michael Osterholm, qui publie des éditoriaux dans le New England journal of medicine , continue à nous prédire une prochaine pandémie. Or, l'espérance de vie des hommes allemands et français a augmenté de trois ans ; il en va de même pour les femmes. La réalité est donc complètement différente : nous sommes en meilleure santé, nous vivons plus longtemps, nous avons une meilleure qualité de vie. Lorsqu'on annonce la prochaine épidémie et qu'il s'agit de la troisième fausse alerte en une décennie, on perd toute crédibilité !
M. Alain Milon, rapporteur - L'OMS a affirmé que le critère de gravité n'a jamais figuré dans sa définition de la pandémie. Est-ce exact selon vous et pensez-vous que le critère de gravité doive être inclus pour l'avenir ?
M. Ulrich Keil - On nous dit que la gravité n'a jamais fait partie de la définition mais c'est faux ! C'est d'ailleurs logique : vous ne pouvez prétendre qu'un éternuement constitue une pandémie. Sans le critère de gravité, il n'y a pas d'approche logique.
Je suis convaincu que l'on a fait disparaître ce critère avant d'arriver au stade 6, sans quoi on n'aurait pu prendre la décision.
M. Alain Milon, rapporteur - Vous êtes vous-même expert auprès de l'OMS pour les maladies cardio-vasculaires. Pensez-vous que les conflits d'intérêts sont bien gérés par cette organisation ? Y a-t-il au sein de l'OMS une influence des laboratoires qui aurait pesé sur la déclaration de la pandémie ?
M. Ulrich Keil - Je n'ai pas de preuves mais beaucoup de conseils ont des liens très proches avec les laboratoires pharmaceutiques. M. Roy Anderson est salarié de GSK et gagne 136 000 euros par an, un peu plus que mon salaire en tant que professeur !
Il était déjà très enthousiaste à propos de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). On peut soupçonner les laboratoires de tirer beaucoup de bénéfices des réactions aux différentes pandémies. Nous avons appris que, grâce à la campagne de vaccination, la recette s'est élevée à 18 milliards d'euros.
C'est une activité très rentable : on ne vaccine pas que les personnes en mauvaise santé mais celles en bonne santé également. Ce sont des sommes énormes. C'est pourquoi il faut avoir de vrais critères avant de commencer une campagne de vaccination. La campagne de vaccination, en Allemagne, a été catastrophique. Seuls 7 % de la population ont été vaccinés ; tous les vaccins qui ont été stockés dans les sous-sols des ministères sont maintenant des produits perdus !
M. François Autain, président - La question des conflits d'intérêts vous semble-t-elle bien gérée par l'OMS ?
M. Ulrich Keil - La convention-cadre sur la lutte contre le tabac est très stricte. Il faut faire des déclarations selon lesquelles on n'a pas travaillé pour l'industrie du tabac depuis au moins cinq ans. A ma connaissance, il n'existe pas de règlement aussi strict impliquant des membres de commission jouant le rôle de conseil auprès de l'OMS et qui, dans un même temps, seraient conseils auprès de laboratoires pharmaceutiques.
Je pense donc qu'il faudrait un devoir de divulgation des conflits d'intérêts ; lorsqu'il s'avère, comme dans le cas de M. Roy Anderson, qu'il y a conflit, il faudrait que de telles personnes soient bannies de ces commissions.
M. François Autain, président - La parole est aux commissaires.
Mme Marie-Christine Blandin - Vous avez dénoncé l'abus d'utilisation du niveau 6 de pandémie par l'OMS. D'autres personnes nous ont dit que les contrats préalables des pays avec les laboratoires lançaient la fabrication des vaccins uniquement si on était au niveau 6.
Il nous a été dit que le Règlement sanitaire international n'autorisait à lancer des campagnes publiques de vaccination, y compris dans l'hémisphère Sud, que si l'on était au niveau 6.
Ces assertions vous semblent-elles justes ?
M. Ulrich Keil - Comme je vous l'ai dit, je crois qu'il n'était pas justifié de déclarer le stade 6, aucune preuve n'étant convaincante. Il faut bien justifier le fait de débuter la campagne de vaccination de masse mais la population n'y a pas cru et n'est pas allée se faire vacciner.
M. François Autain, président - Vous avez contesté la possibilité que le virus H1N1 mute pour adopter une forme virulente. Pouvez-vous développer ce point ?
M. Ulrich Keil - J'ai parlé du principe de réassortiment. Je sais qu'il existe un travail de laboratoire sur ce sujet, comme pour l'ESB et le SRAS. C'est une théorie. En médecine, il en existe beaucoup ; encore faut-il prouver la réalité des choses. Pour l'instant, ce réassortiment, on ne l'a pas vu se produire.
On entend cette histoire du virus tueur depuis une dizaine d'années. On l'a également utilisée dans le cadre de la grippe aviaire. Cela ne s'est jamais réalisé. Cela ne s'est pas concrétisé avec la grippe porcine non plus.
En tant qu'épidémiologue, je tiens à poser des constatations sur la base d'observations concrètes pour examiner ce qui se passe dans la population et en tirer des conclusions.
Je me répète mais si nous avions mieux analysé les données qui existaient pour l'hémisphère Sud, on aurait su à quoi s'en tenir avant de passer au stade 6 et de commencer à tenter de faire vacciner la population dans son ensemble.
M. François Autain, président - Ne pensez-vous pas qu'un virus tueur a moins de chances de se propager rapidement qu'un virus qui ne l'est pas, le virus tueur faisant disparaître rapidement le réservoir dans lequel il se développe ? N'y a-t-il pas là un commencement d'explication à ce paradoxe ? C'est une théorie qui n'a rien de scientifique mais une telle idée ne m'apparaît pas plus farfelue que certaines interventions que l'on a eu à subir ici depuis le début de notre commission d'enquête !
M. Ulrich Keil - Si le virus tue tous les autres, il n'a plus de terrain sur lequel se propager ; s'il s'agit d'un virus léger, il peut se propager partout sans causer beaucoup de mal. Cette théorie est logique et c'est ce que je pense.
Certains scientifiques expliquent cette thèse en se fondant sur des facteurs sociaux. Il est vrai que la théorie de l'infection bactérienne amène à négliger les facteurs sociaux. La grippe espagnole ne peut se produire dans des populations bien nourries comme les nôtres. C'est pourquoi il convient de ne pas se faire le tenant de ces scénarios d'épouvante, les grands tueurs restant l'hypertension, le tabagisme, l'hypercholestérolémie, la mauvaise alimentation. Le SRAS a tué cinquante-trois personnes et la grippe aviaire un petit nombre alors que le cancer tue des millions de gens !
Il faut donc remettre les choses en perspective en matière de santé publique. C'est ce que je crois personnellement. Il arrive parfois que, dans nos sociétés, on ne sache plus faire la part des choses entre ce qui est important et ce qui l'est moins.
La hantise des fléaux comme la variole, la peste, toutes ces grandes épidémies, nous fait succomber facilement à ces théories dont les médias s'emparent et propagent la peur.
Il faut apprendre à résister et à savoir ce qui est important dans le contexte de la santé publique : une bonne alimentation, de bonnes conditions de travail et la pratique du sport, voilà les principaux facteurs d'une bonne santé publique. Ce sont des scénarios d'horreur qui ne fonctionneraient pas chez des gens en bonne santé. L'espérance de vie augmente tous les dix ans de deux ans et demi depuis 1840 ; un de mes amis de Rostock raconte que, chaque jour, nous vieillissons de vingt-quatre heures mais que, biologiquement, nous ne vieillissons que de dix-huit heures par jour. Il ne faut pas avoir peur de ces scénarios d'épouvante répandus par les virologues.
M. François Autain, président - Si je vous ai bien compris, vous récusez l'idée avancée ici par certaines personnes que nous avons auditionnées, selon laquelle la grippe constituerait l'un des plus grands fléaux auxquels risque d'être confrontée l'humanité.
M. Ulrich Keil - Oui, je conteste cette idée, de toute évidence.
Mme Christiane Kammermann - Quels seraient les effets secondaires réels d'une pandémie de grippe H1N1 ?
Par ailleurs, n'est-il pas préférable de prendre des précautions, au risque de ne pas avoir besoin des vaccins commandés ? Vous avez parlé d'ambition personnelle au sujet de leur fabrication : cela paraît incroyable !
M. Ulrich Keil - Ce que vous dites est logique ; en tant qu'homme politique, je suis d'accord avec vous. Il faut réfléchir à toutes ces précautions. Le ministre de la santé allemand, au moment de l'ESB, avait été critiqué, certaines informations n'ayant pas été relayées. Les gens sont devenus hystériques et les hommes politiques ont peur de mal s'y prendre.
Ce rôle incombe aux scientifiques et à la presse. Le ministre de la santé polonais, à mon sens, a fait preuve de courage en disant qu'elle n'y croyait pas.
On comprend bien les précautions prises par les hommes politiques. Reste à savoir quoi en faire et comment s'y prendre. Le British medical journal , en février dernier, a demandé ce qui arriverait si les scientifiques lançaient trois fausses alarmes dans une même décennie. Ils perdraient toute crédibilité et lorsque quelque chose arrivera vraiment, personne ne les croira !
Il est vrai que les prévisions, dans le domaine des sciences comme dans celui de la médecine, se révèlent très souvent fausses, mais il faut mettre fin à ces phénomènes et permettre à ceux qui critiquent cette tendance d'améliorer la situation. Il faut être plus vigilant, mettre en place un système de surveillance plus adapté et faire preuve d'un meilleur jugement sur la base de données empiriques.
Les preuves concernant le stade 6 n'étaient pas justifiées et c'est pourquoi je crois que cette campagne de vaccination de masse n'était basée sur rien.
M. Michel Guerry - Si j'ai bien compris, la ministre polonaise de la santé s'est appuyée sur ce que lui disaient l'académie des sciences et l'académie de médecine et non sur ce que lui disaient les services de son ministère.
En France, c'est exactement l'inverse qui s'est passé. Nous avons à ce sujet interrogé le professeur Marc Gentilini, qui a été président de l'Académie de médecine.
En Allemagne, la façon de traiter le problème ressemble beaucoup à celle de la France. Le confirmez-vous ?
M. Ulrich Keil - L'institut Robert Koch voulait absolument démarrer une campagne de vaccination alors qu'il n'y avait que quelques décès imputables à cette maladie. On était même prêt à vacciner pour une simple crise d'éternuement !
Or, on sait que beaucoup de personnes qui travaillent dans les instituts ont des liens extrêmement étroits avec l'industrie pharmaceutique et ont tout intérêt à ce que ces vaccins soient fabriqués puis distribués. Il y a donc à mon sens un conflit d'intérêts patent mais il est très difficile, dans le domaine médical, de pouvoir bénéficier d'experts indépendants, l'industrie pharmaceutique étant omniprésente. Certes, on en a besoin ; c'est un secteur clé mais je crois qu'il faut également mettre en place des plans permettant de restreindre leur champ d'action, de sorte que leur influence soit moins grande.
Avez-vous lu le livre de M. Martial Angell, « La vérité sur les entreprises pharmaceutiques : comment elles nous trompent et comment réagir » ? Il faut vraiment être vigilant. Les hommes politiques ont un devoir de vigilance. On sait comment les faits sont manipulés.
L'auteur a été pendant plus de dix ans rédacteur en chef du New England journal of medicine . Quelqu'un qui occupe un tel poste et qui écrit un livre de ce type mérite je crois toute notre attention !
M. Michel Guerry - L'attitude des politiques, des médecins et de l'OMS sera-t-elle la même en cas de nouvelle pandémie ? N'aura-t-on pas selon vous une réflexion différente ?
M. Ulrich Keil - J'espère sincèrement que l'on accordera de l'attention aux critiques.
Je suis conseiller auprès de l'OMS depuis 1973. C'est une formidable organisation. Je ne suis pas là pour critiquer l'institution, mais je critique les comportements que l'on a pu déplorer lors de cette grippe.
J'espère que l'on va constater un changement. Les gens, à l'OMS mais aussi à l'extérieur, vont comprendre qu'avec toutes ces fausses alertes, la population ne va plus les croire. Quel intérêt auraient-ils ? Cela ne peut déboucher que sur des pertes financières sans que la population n'en retire rien de positif. 7 % de personnes seulement ont participé à cette campagne. Même si cela avait été efficace, cela n'aurait eu aucun sens. C'est donc un désastre et un pur gaspillage !
Je crois que l'OMS va y réfléchir et que chaque gouvernement va devoir le faire également. Ce qu'il convient de faire, c'est de mettre en place des systèmes épidémiologiques pour les maladies infectieuses de meilleure qualité.
En Allemagne, les spécialistes des maladies infectieuses ne font aucun travail empirique en dehors de leur laboratoire : ils se fient uniquement à leur théorie. Une théorie, en dehors du laboratoire, ne sert pas à grand chose. Rappelez-vous les 10 000 morts annuels de la grippe saisonnière : on ne les compte pas. Ce sont des estimations. Il y a donc vraiment une grande marge.
On doit améliorer les politiques. C'est un appel que je lance. Je ne veux pas simplement critiquer mais également faire des propositions constructives et amener tout un chacun à un meilleur jugement. Ceci devrait nous permettre d'éviter à l'avenir des erreurs comme celles-ci.
Mme Christiane Kammermann - Y a-t-il eu des effets secondaires après cette vaccination ? Ont-ils été graves ? Un éminent professeur spécialiste de l'asthme m'a d'abord dit qu'il n'était pas utile de vacciner les enfants avant de me conseiller de les vacciner tout de suite. Qu'en pensez-vous ?
M. Ulrich Keil - En Allemagne, contrairement aux Etats-Unis, nous avons un vaccin avec un adjuvant qui produit plus d'effets secondaires que le vaccin sans adjuvant.
Par ailleurs, en Allemagne, on évalue fort mal les effets secondaires des vaccins, que l'on ne prend même pas en compte en cas de décès.
Il est difficile de mesurer les effets secondaires attribuables au vaccin lui-même, la méthode utilisée n'étant pas scientifiquement valable.
M. François Autain, président - Merci.