Audition de M. Philippe de CHAZOURNES,
médecin
généraliste
(mercredi 12 mai 2010)
M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Philippe de Chazournes, médecin généraliste à la Réunion.
Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Philippe de Chazournes prête serment.
M. François Autain, président - Je vous remercie.
Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique et en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
M. Philippe de Chazournes - Je n'ai aucun lien, je n'en ai jamais eu et j'espère n'en avoir jamais, ni de près, ni de loin, avec l'industrie pharmaceutique !
M. François Autain, président - Je vous remercie.
Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Alain Milon, et des membres de la commission. Vous avez la parole.
M. Philippe de Chazournes - Tout d'abord, merci d'avoir bien voulu auditionner un médecin de terrain. Je vais essayer d'être le relais de mes confrères, tant réunionnais que métropolitains, en espérant que notre expertise libérale vous sera utile dans votre analyse.
Je suis médecin à la Réunion depuis plus de vingt ans et j'ai pu côtoyer, à de nombreuses reprises, le monde de la recherche, que ce soit :
- en 2006 pour le chikungunya, comme co-investigateur de l'étude Curachik ;
- avec l'Institut de veille sanitaire (InVS), comme coresponsable de l'étude Chikarticulaire 36 sur les douleurs articulaires, trente-six mois après l'infection au chikungunya ;
- avec Méd'Océan, association de recherche clinique en médecine de ville à la Réunion et dans l'Océan indien que je préside, dont l'indépendance vis-à-vis de l'industrie est - fait assez rare - spécifiée dans ses statuts. Ses travaux portent sur le chikungunya, l'insuffisance rénale chronique et le diabète, véritables fléaux de santé publique à la Réunion, ainsi qu'une étude sur l'impact de la visite de pairs dans le changement de pratique des médecins pour laquelle nous avons obtenu le premier prix de recherche en 2005 de médecine générale en France ;
- dans le cadre de la délégation à la recherche clinique et à l'innovation, où seule l'industrie pharmaceutique paraît être en mesure de financer la recherche, avec la bénédiction de l'association des entreprises du médicament (LEEM), alors qu'il suffirait d'un peu de financement public pour y arriver de façon indépendante, objective et fiable !
L'occasion m'a également été donnée de coopérer de nombreuses fois avec les institutionnels dans le cadre des épidémies de chikungunya et plus récemment du H1N1, que ce soit avec l'Agence régionale d'hospitalisation (ARH), la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS), la région Réunion, le Comité des maladies infectieuses et, bientôt, avec la nouvelle Agence régionale de santé de l'Océan indien.
Ces différentes expériences permettent d'avoir des idées assez claires et précises concernant la gestion décentralisée des décisions et des éventuels retours d'expériences. Mme la ministre de la santé en avait fait la raison essentielle de son voyage, le 29 août dernier, sur l'île de la Réunion, qui se trouvait alors être au maximum du pic épidémique.
Probablement, son audition de 140 minutes devant vous, le 23 mars dernier, ne lui a pas laissé le temps de faire allusion à ce voyage, qui était pourtant un voyage d'évaluation...
M. François Autain, président - Nous ne lui avons pas posé la question. Nous allons la revoir ; nous aurons peut-être l'occasion de le faire.
M. Philippe de Chazournes - Cela prouve bien qu'il n'y a eu aucun retour d'expérience de la gestion de cette grippe à la Réunion et que tout était déjà décidé en haut lieu ! Je rappelle que nous avons été atteints par l'épidémie à peu près trois mois avant la métropole. N'y a-t-il pas eu transmission par nos responsables locaux ? S'agit-il d'une non-prise en compte de ces retours d'expériences par les responsables nationaux ? C'est ce que nous pressentions dès le début du mois de juin, tant les autorités sanitaires locales donnaient l'impression qu'elles ne pouvaient que respecter scrupuleusement les circulaires ministérielles, sans aucune marge de manoeuvre dans leurs décisions.
Comment est-il possible d'avoir pu se priver aussi aveuglément de l'expertise à la fois des médecins généralistes et réunionnais, trois mois avant l'arrivée de l'épidémie en métropole, où sa chronologie a été un véritable « copié-collé » de ce qui s'était passé à la Réunion ?
C'est très regrettable car on aurait pu éviter nombre de fermetures de classes en métropole - il n'y en a eu aucune à la Réunion - des mesures de prévention inadéquates comme l'annulation de matchs de foot. On aurait pu éviter de semer un vent de panique indescriptible dans l'esprit des patients, dans les services d'urgence, dans la réception des appels des centres d'urgence du 15, et enfin, dans les cabinets de médecine libérale. Le bon sens aurait été de dire aux patients grippés de rester chez eux pour ne pas contaminer des malades fragiles.
Comment pouvait-on dire à l'époque de l'achat des vaccins que cette grippe pouvait être grave ? Même au Mexique, où elle était apparue, on s'est vite aperçu que sa létalité était peu importante, de même qu'à la Réunion, en Nouvelle-Zélande, en Nouvelle-Calédonie et en Australie.
Comment pouvait-on ne pas extrapoler à la métropole qui entrait en plein hiver ce qui s'était passé à la Réunion, où le virus H1N1 avait très rapidement pris le pas sur la grippe saisonnière, l'épidémie s'étant ensuite très rapidement éteinte ?
Nous savions fin août, en plein pic épidémique à la Réunion, que cette grippe n'était pas grave. J'ai devant moi le bulletin de veille sanitaire officiel n° 3 de 2010, qui est un numéro spécial et retrace toute l'histoire du H1N1 à la Réunion. Le premier cas de grippe à la Réunion a été confirmé le 5 juillet. Le premier cas autochtone d'un résident réunionnais a été identifié le 23 juillet. La durée de l'épidémie a été de neuf semaines. Il y a eu six décès, dont quatre avec des comorbidités, c'est-à-dire des facteurs de risques associés. Deux personnes sont malheureusement décédées, un homme de 33 ans et une femme de 38 ans, sans autre cause apparente. On peut donc estimer que la grippe H1N1, à la Réunion, a entraîné la mort de deux personnes.
Aucune surmortalité n'a été observée, avec 669 décès attendus sur la période contre 611 observés. A la Réunion, il y a donc eu moins de décès que l'année précédente !
Aucune école n'a été fermée mais l'éviction scolaire des enfants symptomatiques a été recommandée. Il n'y a d'ailleurs pas eu d'augmentation de la tendance épidémique après la rentrée scolaire le 21 août 2009.
Je laisse au directeur général de la santé la responsabilité des propos qu'il a tenus lors de l'audition par votre commission de Mme la ministre : « La fermeture des classes en Ile-de-France a certainement joué un rôle de ralentisseur dans la propagation du virus » . Je ne demande qu'à le croire mais, en ce qui concerne la Réunion, c'est faux et les chiffres le prouvent !
Le rapport de l'InVS conclut que « le virus pandémique a ainsi provoqué en 2009 sur l'île de la Réunion une épidémie de grippe modérée, d'intensité légèrement supérieure à celle observée dans le passé pour la grippe saisonnière et de gravité comparable, voire inférieure » .
Etait-il raisonnable de continuer sur une voie manifestement inappropriée ? Peut-être pourrait-on l'expliquer par la théorie de l'engagement, bien connue des psychologues, qui fait qu'il n'est plus possible de reculer quand on a pris une décision malgré des faits qui devraient inciter à y revenir.
Disposait-on d'éléments suffisants pour commander des vaccins dans de telles quantités ? Si oui, lesquels ? Dans le cas contraire, pourquoi les avoir commandés ?
Fallait-il continuer à semer la peur et la panique pour vacciner à tout prix ? La population connaissait alors, depuis longtemps, l'absence de gravité de cette grippe. Etait-il raisonnable de vouloir vacciner tout le monde, de harceler les professionnels de santé, notamment les élèves infirmières en stage dans les hôpitaux, dont on a menacé de ne pas valider le stage si elles refusaient de vacciner la population dans les « vaccinodromes » ? J'en ai rencontré certaines en larmes !
Ne pouvait-on pas faire partager les risques avec l'industrie pharmaceutique, accepter les profits si le besoin était réel mais aussi accepter que les profits soient beaucoup moindres si la situation devenait caduque ?
Pourquoi avoir octroyé aussi vite l'immunité juridique aux producteurs de vaccins, créant un véritable climat de suspicion dans la population ?
N'aurait-il pas été plus crédible de dire que l'on s'était trompé ? N'y avait-il pas un risque politique pour notre ministre ? Et alors ! N'y a-t-il pas un moment où il faut assumer ses responsabilités, avouer ses erreurs et en tirer les conséquences qui s'imposent ? Non ! Il fallait vacciner à tout prix parce qu'on avait déjà acheté les vaccins et qu'il fallait donc les écouler. Pourtant, pour la grippe saisonnière, un congrès international de Rome, en 2006, appelé « projet Cochrane - grippe saisonnière » a démontré que le vaccin saisonnier n'avait jamais prouvé la moindre efficacité, à partir d'études portant sur 260 000 enfants et 60 000 adultes depuis trente-sept ans !
La vaccination réduirait le risque de grippe d'à peine 6 % pour les personnes en bonne santé. Aucune étude n'a permis de constater l'efficacité du vaccin chez les personnes âgées. On n'a constaté aucune diminution des décès dus à la grippe aux Etats-Unis entre 1980 et aujourd'hui, alors que la couverture vaccinale était de 15 %, contre 65 % aujourd'hui. La meilleure protection est sans doute le port de masque ou le lavage des mains.
Peut-il y avoir d'autres causes à ce délire collectif que la présence d'énormes conflits d'intérêts chez les décideurs ou leurs conseillers, chez les experts de l'OMS, les experts français ou nos gouvernants ?
Tout ce délire a fait l'objet d'un coup de gueule que j'ai poussé dans un article de presse paru le jour de la visite de Mme la ministre de la santé sur notre île, et dont je revendique chaque mot !
Cet article s'interrogeait sur :
- l'efficacité de l'oseltamivir et du vaccin en dehors de toute démarche d'Evidence Based Medecine (EBM), sur la surcharge des urgences au détriment des nécessités vitales ;
- la surcharge des cabinets médicaux qui multipliait les risques d'auto-infection et d'erreurs diagnostiques et pesait sur la qualité de la prise en charge des autres patients, notamment les malades chronique, par exemple atteints de diabète ;
- la production de certificats attestant qu'un patient n'était pas grippé et d'arrêts de travail des parents gardant leurs enfants exclus des classes ;
- la demande d'organisation et d'anticipation, aucune initiative n'étant laissée aux directeurs de la DRASS et de l'ARH.
En tant que secrétaire général de l'Union régionale des médecins libéraux (URML) de la Réunion, représentative des 1 200 médecins libéraux à la Réunion et qui existe dans les vingt-six régions de France, je me permets de rappeler la prise de position de cette structure, qui a fait l'objet d'une conférence de presse en date du 29 octobre 2009, tous syndicats confondus, sur le thème : « Non à la vaccination de masse contre la grippe H1N1 » .
Un sondage « omnibus » a par ailleurs permis de recueillir l'opinion des Réunionnais.
A la première question, les deux tiers des personnes interrogées répondaient qu'elles n'étaient pas disposées à se faire vacciner dans les centres de vaccination de masse spécialement ouverts dans les gymnases ou les salles communales.
Quelles sont les raisons du refus ? 11 % des personnes interrogées estimaient la vaccination inutile, pensant avoir déjà eu la grippe. A la fin de l'épidémie, 30 à 40 % de la population ont eu la grippe à la Réunion.
52 % n'avaient pas complètement confiance dans les vaccins. Les ligues antivaccinales, il est vrai, ont évidemment profité de la controverse ; il est toujours difficile de faire la part des choses mais ces idées ont transparu dans la population, créant une certaine crainte.
7 % refusaient le dispositif de vaccination de masse, 21 % préférant attendre et 47 % souhaitant demander conseil à leur médecin traitant, entraînant un afflux d'appels téléphoniques et de rendez-vous.
Pourquoi les gens avaient-ils peur ? Contrairement au rapport Cochrane qui affirme que le vaccin saisonnier n'a jamais fait la preuve de son efficacité, Sanofi prétend exactement le contraire ! Il s'agit là d'une bataille d'experts qui ne rassure pas forcément les patients !
La dernière question du sondage portait sur la vaccination par des équipes mobiles des enfants des écoles : 36 % des personnes interrogées n'étaient « certainement pas d'accord » et 27 % « plutôt pas d'accord ».
Au départ, il était prévu de vacciner les enfants, sauf refus explicite des parents, à tel point que l'URML de la Réunion a rédigé une lettre type à remettre aux directeurs d'école pour les parents qui ne souhaitaient pas que leurs enfants soient vaccinés.
Il est trop facile de médiatiser un événement, de créer la peur. Les patients considèrent ensuite la chose comme normale, venant des autorités sanitaires. Il n'est pas possible de vacciner une population contre son avis.
M. François Autain, président - La vaccination était-elle obligatoire ?
M. Philippe de Chazournes - On y incitait fortement !
M. Jean-François Dehecq, devant le congrès d'un grand parti politique, rappelle : « Pensez à moi lorsque vous serez à l'Assemblée nationale pour défendre l'industrie française ! » . Il a peut-être raison en termes d'emplois mais, en tant que médecins de terrain, nous ne sommes pas sûrs que toutes ces décisions soient purement médicales. Lorsque je fais de l'EBM, je ne tiens pas compte de l'économie !
« Expertise, indépendance, industrie et laboratoire pharmaceutique, stock de vaccins, coût, financement... C'est de justice, d'éthique, de responsabilité que je souhaiterais parler aujourd'hui, en un mot de l'idée que je me fais de mon rôle et que je veux défendre devant vous ».
Vous avez reconnu les premiers mots de Mme la ministre ici même, le 23 mars, lors de son introduction liminaire.
Je ne suis missionné par aucun organisme ni institution. Je me présente à vous dans un rôle de médecin généraliste de terrain, de chercheur pragmatique répondant à une certaine éthique, dont l'unique bénéficiaire est le patient.
Les généralistes ont vu 100 % des malades atteints de chikungunya et auraient dû voir 100 % des malades grippés, à l'inverse des hospitaliers qui n'en ont vu qu'une infime partie. Il est dommage de ne pas associer davantage les experts de terrain que représentent les 50 000 généralistes français, qui étaient en première ligne durant plusieurs semaines et qui devaient répondre à toutes les interrogations de leurs patients.
Je terminerai en vous déclarant encore une fois haut et fort que je n'ai ni lien ni conflit d'intérêts avec l'industrie et que j'espère n'en avoir jamais. Car l'indépendance financière est vraiment la garantie de l'indépendance d'esprit et d'analyse ce qui est, je l'espère, le cas de nos dirigeants, mais peut-être pas de nos experts !
En tant que correspondant de la HAS depuis plus de dix ans, je suis particulièrement sensibilisé à l'EBM et membre de plusieurs groupes de lectures de recommandations - notamment la charte de la visite médicale en 2005 - ainsi que d'un groupe de travail sur une prochaine recommandation de la Haute Autorité de santé (HAS) concernant un autre scandale, le vaccin antipapillomavirus (HPV) contre le cancer du col de l'utérus...
M. François Autain, président - Cela fera l'objet d'une autre commission d'enquête !
M. Philippe de Chazournes - Le combat est le même et la problématique également !
Une recommandation émanant d'une autorité sanitaire est importante car elle se décline ensuite à tous les niveaux, dans les formations initiales pour les internes, les formations médicales continues par le biais d'experts avec ou sans conflits d'intérêts. Elle est reprise par les médecins eux-mêmes, en toute bonne foi, faisant une confiance parfois aveugle aux autorités sanitaires, relayées ensuite par des associations de patients et par la presse grand public.
Une recommandation nécessite parfois plus d'un an pour être élaborée ; elle peut ne pas être remise en cause pendant plus de cinq ans, d'où l'importance de bien définir ses modalités dès le départ.
Vous imaginez bien que toutes ces autorités sanitaires ne refont pas l'analyse complète du dossier à chaque fois. En l'occurrence, cette recommandation est remontée aux collègues de la HAS qui la contresignent, avant qu'elle soit envoyée aux 120 000 médecins libéraux. Si elle comporte un vice de forme au départ, celui-ci va être repris jusqu'à la base, ce qui est un peu gênant.
Vous rendez-vous compte des conséquences d'un bug dès le départ dans l'appréciation sur l'indication d'un vaccin ? Il est incompréhensible que nos autorités sanitaires françaises et internationales aient ainsi été aussi aveugles face à une situation loin d'être dramatique.
Je tiens à votre disposition tous les documents en rapport avec ce que j'ai dit. Je ne parle que de ce que je sais. Je ne me place pas en tant qu'expert de médecine spécialisée, mais en tant qu'expert de terrain. On pourra reparler de ce qui s'est passé réellement en termes d'épidémiologie, de chronologie et de décisions ainsi que de la façon dont s'élaborent les recommandations à la HAS.
M. François Autain, président - Merci pour cette intervention foisonnante et frappée du sceau de l'authenticité.
La parole est à notre rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur - La réponse vaccinale vous paraît-elle la plus adaptée à la lutte contre une pandémie grippale, pour faire barrage à la pandémie et assurer une protection individuelle ?
Une campagne de vaccination est-elle prévue à la Réunion pour l'hiver austral ?
Pouvez-vous approfondir la comparaison que vous avez faite avec la gestion du chikungunya ?
M. Philippe de Chazournes - D'abord, est-on bien dans une situation de pandémie ?
M. Alain Milon, rapporteur - La pandémie correspond à la définition donnée par l'OMS. La réponse vaccinale, dans ce cadre, est-elle la bonne réponse à la situation ?
M. Philippe de Chazournes - Oui.
M. Alain Milon, rapporteur - La définition de la pandémie est une autre question. Notre sujet est la pandémie grippale telle qu'elle a été définie et les réponses apportées par les différents Etats et gouvernements.
M. Philippe de Chazournes - La réponse vaccinale est une bonne réponse à une pandémie, à la seule condition qu'il existe un critère de gravité. Sinon, on vaccine tout le monde contre tout.
M. Alain Milon, rapporteur - Nous sommes d'accord mais le critère de gravité n'est pas celui mis en place par l'OMS jusqu'à présent. Cela fera peut-être l'objet d'une des conclusions du rapport - mais ce n'est pas le sujet aujourd'hui.
M. Philippe de Chazournes - Selon moi, une réponse vaccinale répond à un besoin de santé publique afin d'éviter une maladie grave. Je ne connais pas de vaccin qui puisse protéger une population contre une absence de maladie !
La définition d'un vaccin est d'apporter une réponse, avec une balance bénéfices-risques supérieure à l'absence de vaccination pour un besoin de santé publique. Nous n'avions ni problème de santé publique ni gravité déclarée. La réponse vaccinale était alors non. Je ne connais pas de vaccin qui ne réponde pas à ces critères de gravité ou de santé publique !
Quant à la campagne de vaccination pour l'hiver austral, nos collègues réunionnais sont un peu échaudés. En outre, il y a maintenant une souche du H1N1 dans le vaccin contre la grippe saisonnière. Je ne suis pas sûr que la population se rue sur les cabinets de médecins libéraux pour se faire vacciner ! Ce sera au cas par cas, comme on sait le faire. Je pense que l'on vaccinera les personnes à risque ; quant aux personnes sans critère de gravité, on ne les vaccinera pas. Désolé si des stocks restent dans les réfrigérateurs mais nous n'allons pas cautionner quelque chose dont on n'est pas convaincu. En outre, la population fait preuve d'un certain scepticisme par rapport aux autorités sanitaires, et même par rapport à son propre médecin qui lui dit un jour noir et le lendemain blanc ! C'est cela qui est grave ! Nous sommes très mal à l'aise.
Pour ce qui est du chikungunya, j'ai rédigé plusieurs articles parus dans Le Praticien en 2006 ; j'ai malheureusement l'impression que les retours d'expérience ne servent pas à grand-chose, malgré le travail extraordinaire des agents de la lutte antivectorielle qui, tout simplement, mettent des moustiquaires dans différents lieux. Malheureusement, le chikungunya se développe du fait du manque de propreté - décharges, carcasses de voitures qui offrent des réservoirs d'eau pour les moustiques.
Les autorités sanitaires font ce qu'elles peuvent, mais je ne suis pas sûr qu'elles aient fait le maximum faute de financements. J'ai réalisé moi-même une étude, publiée en 2006, sur les critères cliniques et thérapeutiques du chikungunya afin d'établir une liste de symptômes permettant de le diagnostiquer sans prise de sang. C'est une étude facile à mener ; je l'ai faite tout seul. J'imagine que les autorités sanitaires disposent quand même de la liste des médecins. Pour ma part, j'ai posé deux questions aux 1 200 médecins libéraux. L'une portait sur les signes du chikungunya aigu qui sont caractérisés par un prurit de la plante des pieds...
M. Alain Milon, rapporteur - Ce sont des signes d'appel...
M. Philippe de Chazournes - Certes, mais en période d'épidémie, on considère dix signes d'appel qui peuvent être considérés comme un signe de certitude.
De même, pour la grippe H1N1, il ne s'agissait pas de faire des prélèvements nasaux ou des sérologies pour être certain de l'infection. On considérait que toute personne ayant une narine qui coulait lors du pic pandémique, durant la semaine 35 à la Réunion - était atteinte de la grippe. Il s'agit de critères de prédictivité par rapport à des symptômes.
La seconde question consistait à savoir ce que faisaient les médecins en présence du chikungunya. Le paracétamol était couramment utilisé mais a entraîné un certain nombre d'hépatites. L a Réunion est très ouverte aux médecines par les plantes ; il y a donc matière à réaliser des études randomisées en double aveugle. On a les moyens structurels pour le faire : la cellule interrégionale d'épidémiologie de la Réunion et de Mayotte de l'InVS, le département de l'INSERM...
J'ai donc envoyé cette étude à Mme Chantal de Singly, nouvelle directrice de l'Agence régionale de santé (ARS) depuis le 1 er avril en lui demandant pourquoi elle n'y mettait pas les moyens. On a enregistré une petite reprise d'une cinquantaine de cas - qui a fait l'objet d'une grande reprise dans les médias. Heureusement, cela n'a pas effrayé M. Raymond Domenech, qui a dit : « Arrêtez de nous faire peur et arrêtons de se faire peur ! » . En Afrique du Sud, pour la coupe du monde, il y a le chikungunya, le syndrome d'immuno-déficience acquise (Sida) et le paludisme ! Certaines choses doivent être dites mais pas forcément médiatisées. Tout le problème du chikungunya se répète, comme en 2006, avec une hypermédiatisation. La presse reprend les chiffres et on a l'impression qu'il ne faut plus aller à la Réunion. Cinquante cas, ce n'est rien car complètement localisé, mais suffisant pour faire des études randomisées en double aveugle. On a le temps mais le jour où la décision sera prise, on ne l'aura plus !
Néanmoins, j'ai été mandaté par la Conférence nationale des présidents des unions, sous l'égide de M. Didier Houssin, en mars et avril derniers, dans le cadre du projet « Horizon santé », pour améliorer la recherche de la médecine de terrain. Il n'existe pour l'instant que des commissions verticales - commission ambulatoire, commission des patients, commission des industriels, etc. En septembre, devraient être créées des commissions transversales.
S'agissant de la recherche, un point ne pourra être éludé, celui de l'absence de conflits d'intérêts. On ne peut plus faire des recherches avec des conflits d'intérêts, ou au moins les exposer de façon très nette.
La seule réponse de la HAS à la gestion des conflits d'intérêts majeurs et publics est de dire que « les membres du groupe de travail ont communiqué leur déclaration d'intérêts à la HAS ; elles ont été analysées ». C'est totalement insatisfaisant !
M. François Autain, président - C'est mieux que rien !
M. Philippe de Chazournes - A l'AFSSAPS, la personne qui a un conflit d'intérêts majeur sort de la salle et ne prend pas part aux décisions ; à la HAS, tout le monde a le droit de parler. Or, les personnes qui ont des conflits d'intérêts majeurs jouissent d'une aura extraordinaire et monopolisent plus de la moitié du temps de parole. On a l'impression que ce qu'ils disent vaut règle d'or, ce qui est gênant.
Néanmoins, la recommandation que j'ai citée va être déclinée, comme je l'ai déjà expliqué, jusqu'au médecin lambda ; le bug de départ va donc se répercuter jusqu'à la médecine de terrain !
M. Alain Milon, rapporteur - Disposez-vous d'études ou d'analyses vous permettant de dire que beaucoup d'hépatites toxiques ont été provoquées par le paracétamol ?
M. Philippe de Chazournes - Je n'ai pas ces études mais il y a dans les environs de Saint-Benoît, dans l'Est de la Réunion, un nombre important d'hépatites toxiques dues au paracétamol. Le chikungunya est très douloureux et les patients prennent jusqu'à 3 g de paracétamol par jour et le foie s'en ressent !
M. Alain Milon, rapporteur - C'est certainement en liaison avec d'autres prises alimentaires ou médicamenteuses. Comme médecin, je n'ai jamais vu d'hépatites toxiques dues au paracétamol.
M. Philippe de Chazournes - Venez chez nous !
M. Alain Milon, rapporteur - Il a été fait état devant la commission d'enquête d'une étude, réalisée en mai 2009, qui envisageait l'éventualité d'une nouvelle vague pandémique dans l'hémisphère Sud en mai-juin 2010.
Les éléments aujourd'hui disponibles font-ils apparaître la possibilité d'une nouvelle vague à la Réunion ?
M. Philippe de Chazournes - Je l'attends toujours ! Je l'attends pour le chikungunya. Le professeur Antoine Flahault nous la promet depuis 2006 : on l'attend toujours. Il nous a promis une deuxième vague pour le H1N1 : on l'attend toujours ! On se base toujours sur des modèles mathématiques mais il existe des biais et j'ai cru comprendre qu'il avait admis s'être trompé.
M. Alain Milon, rapporteur - Quels enseignements tirez-vous de la gestion de la grippe pandémique en matière de liens d'intérêts et du rôle de l'expertise ? Pensez-vous qu'il faille diversifier les profils recrutés au titre de l'expertise et, notamment, inclure systématiquement des généralistes dans les comités d'experts ?
M. Philippe de Chazournes - Il aurait été bon de se poser la question avant ! Je ne parle pas du H1N1 mais de 2006... C'est la même chose ! On nous disait que le médecin traitant était au centre des préoccupations. Depuis, plus rien !
Un professeur toulousain a conseillé d'arrêter de submerger les urgences et de confier la tâche aux médecins de terrain. Le 2 juillet, Mme Bachelot a annoncé que les médecins traitants étaient au centre du système. Ce n'est pas ce que nous demandions : il fallait médiatiser le fait de demander aux gens de rester chez eux. Cela paraît de bon sens.
Le bulletin de veille sanitaire n° 3 de 2010 apparaît très frustrant sur le plan du retour d'expérience. Il n'y a pas un mot sur la contestation des 1 200 médecins libéraux, ni sur la position de la seule structure officielle les représentant. Cela signifie donc que si c'était à refaire, on referait la même chose !
M. François Autain, président - Cela ne doit pas vous étonner, puisque dans la gestion de cette pandémie le Gouvernement a donné la place la plus restreinte possible à la médecine libérale et aux médecins généralistes. Ce bulletin n'en est qu'une des illustrations ! Je le déplore avec vous, mais je ne pense pas que, pour le moment, nous puissions aller au delà.
M. Marc Laménie - Selon votre expérience à la Réunion, quelles sont vos suggestions, si une telle situation se reproduisait, pour être le plus efficace possible, sur un dossier aussi important et sensible ?
M. Philippe de Chazournes - Je pense qu'il faut prendre les bons interlocuteurs. Le problème, en métropole, réside dans le fait que ce sont d'abord les interlocuteurs syndicaux. Or, les syndicats ne sont pas représentatifs d'une population ni des médecins. Il faut donc choisir des personnes qui ont une expertise mais n'appartenant pas forcément aux syndicats, dont la préoccupation n'est pas toujours la santé publique ou le bien-être de la population.
Il faut ensuite faire des études pragmatiques. Je viens d'être auditionné, à la Réunion, dans le cadre d'un projet portant sur les techniques de l'insecte stérile mis en place par la DGS, avec le même parcours, portant sur le fait de savoir ce qu'il faudrait faire pour importer des insectes stériles pour éviter la propagation de chikungunya. La méthodologie étant la même, je ne suis pas sûr que cela remonte vers le sommet et que l'on fasse des études s'il y a des conflits d'intérêts.
Ma position est la même : il faudrait pouvoir assumer un diagnostic clinique chez un patient sans prise de sang sérologique. Un certain nombre de signes, en période d'épidémie, devraient suffire à diagnostiquer si un patient est grippé ou non.
Mme Marie Christine Blandin - L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) s'est rendu à la Réunion et a rencontré une délégation d'une dizaine de médecins généralistes de l'Union : qu'ils se rassurent, leurs observations figureront dans le rapport de l'Office parlementaire, avec leurs critiques !
Pour achever de démoraliser notre interlocuteur, nous avons réalisé le même travail à Saint-Laurent-du-Maroni concernant la grippe. Les centres de vaccination installés sous les tentes avaient recruté quelques jeunes RMIstes, tous exclusivement francophones, afin d'accueillir les patients ; or, à Saint-Laurent-du-Maroni, on parle cinq langues différentes. Il était très aisé de recruter ces jeunes : on aurait donc pu en avoir d'autres. A la question : « Avez-vous déjà été vacciné ? », les gens sortaient un bras. A la question : « Avez-vous le Sida ? », ils sortaient l'autre bras, croyant à un problème ! Par ailleurs, l'équipement de terrain parachuté par des autorités de santé - complètement imperméables aux remarques des généralistes - était inadapté à une zone d'outre-mer, dont il ne tenait pas compte des réalités.
Ce n'est pas une question mais un échange de considérations.
M. François Autain, président - Vous avez oublié de signaler les onze opérations que l'OMS recommande pour se laver les mains ! C'est assez inadapté aux populations d'outre-mer.
M. Philippe de Chazournes - S'agissant de la chronologie, j'ai avec moi le compte rendu d'un certain nombre de réunions en visioconférence entre Mme Huguette Vigneron, qui représentait alors l'ARH, la DRASS, les hôpitaux de l'île et Mayotte.
Le 8 juin déjà, le représentant de la cellule interrégionale d'épidémiologie (CIRE), émanation de l'InVS, disait que la létalité paraissait inférieure à celle de la grippe saisonnière. Qu'on ne nous dise donc pas que l'on ne savait pas !
Le 29 juin, 239 cas étaient confirmés en France, sans aucune forme sévère ni décès. Les gens de la DRASS répondent : « A ce jour, il ne sert à rien d'anticiper car tout va changer au fil des jours, en fonction du stade épidémique, de sa gravité, etc. De toute façon, tout est prévu dans les schémas nationaux ».
Aucune anticipation, aucun compte rendu de ces réunions ! C'est peut-être pour cela que l'information ne remonte pas. On nous a expliqué que la DRASS n'était pas obligée de faire des comptes rendus mais qu'elle faisait de temps en temps des notes de réunion. Ces comptes rendus, je les ai faits et je les ai donnés à l'URML et à tout le monde ! Si personne ne fait de compte rendu ni d'ordre du jour, cela ne peut pas remonter ! Je pense qu'il faut revoir les décisions et les attributions des ARS. Il faut des comptes rendus de réunion qui remontent très rapidement. Si cela avait été le cas, je pense que Mme la ministre aurait placé la médecine libérale au centre du système avant le 2 juillet ! Elle aurait également vu l'opposition totale d'une population, en pleine période épidémique, face à la vaccination. Cela aurait été pareil en métropole.
M. Alain Milon, rapporteur - L'OMS, en juin, a dit que c'était une épidémie modérément grave. Cet état de gravité était reconnu par l'OMS dès le mois de juin.
En outre, ce n'est pas la médecine libérale qui est au centre du système de santé. J'ai été rapporteur de la loi HPST : c'est le médecin généraliste qui est le médecin de premiers recours.
M. François Autain, président - Je voudrais vous rassurer, monsieur de Chazournes : notre commission d'enquête, comme l'OPECST, tiendra compte, même si nous n'allons pas sur l'île de la Réunion, des observations que contenait votre intervention, dont je vous remercie.