III. LES AUTRES MESURES ADOPTÉES POUR FAIRE FACE À LA PANDÉMIE
Malgré l'importance accordée à la vaccination comme moyen de lutte contre la pandémie, les autorités publiques ne se sont pas contentées de cette stratégie mais ont utilisé l'ensemble des autres moyens à leur disposition, au premier rang desquels les antiviraux, immédiatement disponibles, mais aussi les mesures physiques, hygiène et fermeture d'écoles ; par ailleurs, elles ont réalisé des investissements nécessaires en matière d'équipement et d'organisation des hôpitaux, et un effort de recherche a été amorcé.
A. UN USAGE LIMITÉ DES ANTIVIRAUX
Suivant la recommandation de l'OMS, la France a constitué lors de la préparation à une pandémie de virus H5N1 des stocks très importants d'antiviraux. Son choix s'est porté presque exclusivement sur l'oseltamivir, commercialisé par les laboratoires Roche sous le nom de Tamiflu. Lors de la déclaration de la pandémie A (H1N1)v, elle en a cependant fait un usage limité, tout en prenant en compte les expériences étrangères pour s'adapter à l'évolution de la situation.
1. Une prescription modérée de l'oseltamivir
Depuis sa mise sur le marché (1999-2000 aux Etats-Unis et au Canada, 2002-2003 en Europe), l'opportunité de prescrire le Tamiflu pour lutter contre la grippe a été doublement contestée : d'une part, il n'a pas paru lutter efficacement contre l'infection, d'autre part, il a été associé à des effets secondaires graves.
La commission de transparence de la HAS, chargée d'évaluer le service médical rendu par les médicaments afin de déterminer s'ils relèvent ou non d'un remboursement par la Sécurité sociale, n'a ainsi pas estimé, bien qu'elle ait été interrogée à cinq reprises, que celui du Tamiflu justifiait qu'il soit remboursé . Contre son avis, il a néanmoins été admis au remboursement en 2004, au taux de 35 %. Le groupe Cochrane, qui mène des recherches indépendantes et spécialement des méta-analyses regroupant les données issues de plusieurs études cliniques, a pour sa part contesté l'efficacité du Tamiflu contre la grippe saisonnière alors que c'est l'indication principale de ce médicament 164 ( * ) .
Quant aux effets secondaires, ils ont été mis en avant par les réseaux indépendants de médecins. M. Philippe Foucras, médecin généraliste et responsable de l'association « FORMINDEP », dont l'objet est la recherche d'une formation et d'une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes, a affirmé que des cas de défenestration d'adolescents japonais avaient été liés au Tamiflu et que le risque psychiatrique qu'il comporte doit figurer, aux Etats-Unis, sur l'emballage de ce médicament 165 ( * ) . La balance bénéfice-risque du médicament n'incitait donc pas à en faire le recours médicamenteux principal contre la grippe pandémique.
Malgré tout, il n'a pas paru aberrant à la plupart des experts interrogés que l'on ait recours à ce médicament dans les périodes exceptionnelles de grippe . En effet, le fait qu'il n'apparaisse pas plus efficace que le paracétamol ne tient pas à son inefficacité, mais à la nature même du médicament antiviral et de ses indications : contrairement au paracétamol qui lutte contre les symptômes grippaux, et dont l'usage permet donc le mieux-être du malade, l'antiviral s'attaque au virus lui-même, réduisant sa diffusion dans l'organisme et donc le risque de complications et la mortalité ; son mode d'action impose donc de le prescrire impérativement dans les 48 heures après l'apparition des premiers symptômes.
Dans le cadre d'une pandémie, sa prescription paraît donc adaptée pour trois raisons . Tout d'abord, comme l'ont souligné Mme Sylvie Van der Werf et M. Gilles Bouvenot, président de la commission de la transparence de la HAS, le cadre pandémique justifie que l'on utilise tous les moyens à disposition. Ensuite, c'est l'antiviral auquel il y a le moins de résistance connue 166 ( * ) . Enfin, il peut permettre de limiter la diffusion du virus, et en particulier, en limitant les formes graves, il peut ralentir une éventuelle mutation du virus vers une forme plus virulente. D'après le laboratoire Roche, administré conformément à ses indications, le Tamiflu « réduit en moyenne d'un tiers les symptômes, de 30 % à 70 % les complications et de 40 % à 90 % la transmission du virus grippal . » Il faut noter que l'organisation des soins en matière de pandémie se prête particulièrement à la détection précoce des infections, et renforce donc les chances que l'oseltamivir soit administré à temps pour être efficace.
La contrepartie de ce mode d'action est qu'il importe de prendre garde à ne prescrire l'antiviral que contre le virus, afin d'éviter les prescriptions inutiles causes de surmédication et de limiter le risque de développer de nouvelles résistances. Le problème s'est posé lors d'un premier pic de consultations en septembre 2009 : le HCSP a alors considéré avec raison qu'il était en fait causé par un rhinovirus, ce qui l'a amené à ne pas recommander la prescription du Tamiflu. A l'inverse, en novembre, une fois établie la circulation du virus, qui comme tout virus pandémique est un virus conquérant, de sorte que les personnes présentant des symptômes similaires étaient sans doute réellement infectées par le virus A (H1N1)v, il en a recommandé l'administration. Contrairement aux dénonciations entendues à l'époque, il ne s'agissait pas là d'un revirement absurde, ni dû à la pression des laboratoires : il existe des bases scientifiques solides pour cette modification des recommandations.
Proposition n° 29 :
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* 164 BMJ 2009;339:b5106, Tom Jefferson et al.,«Neuraminidase inhibitors for preventing and treating influenza in healthy adults: systematic review and meta-analysis». Publié le 8 décembre 2009.
* 165 Dans le cadre de la pharmacovigilance exercée par l'AFSSAPS pendant la pandémie un cas de suicide sans antécédent psychiatrique a été relevé.
* 166 D'après le laboratoire Roche on constate une résistance au Tamiflu chez 0,4 % des adultes et 5,4 % des enfants.