2. Les conséquences politiques de la crise économique
Lors de la première partie de session de 2009, l'Assemblée avait constaté que la crise économique pouvait représenter une menace pour les fondements de la démocratie sur le continent européen 4 ( * ) . Elle avait, à cet égard, ciblé plusieurs dangers potentiels liés à l'impact social de la crise ainsi que ses conséquences en matière de migrations ou d'emploi des femmes. Dans la résolution adoptée à l'époque, l'Assemblée invitait les Etats membres à mettre tout en oeuvre en vue de sauvegarder les droits sociaux et économiques des citoyens. Elle insistait sur la nécessité pour les gouvernements d'investir en faveur des infrastructures et du logement.
Dans son intervention, M. Jean-Pierre Kucheida (Pas-de-Calais - SRC) a souligné, à la lumière de l'Histoire, les risques que font peser les crises économiques sur les démocraties :
« Si l'Histoire ne se répète pas, elle peut bégayer ! La Révolution française est née de l'incapacité de la monarchie à se réformer et à assainir ses finances, faute de vouloir remettre en cause les avantages des privilégiés. Hitler ne serait pas arrivé au pouvoir s'il n'y avait eu autant de chômeurs en Allemagne après la Première Guerre mondiale ou la crise de 1929. La force de la démocratie américaine se mesure au fait que Roosevelt est arrivé au pouvoir quelque temps après la crise de 1929.
Dans son excellent rapport, M. Zingeris fait d'ailleurs bien le lien entre la montée des partis extrémistes et la crise économique. La montée de l'abstentionnisme est un autre signe fort du désenchantement à l'égard du politique et de la démocratie.
De manière plus sournoise, les partis au pouvoir, théoriquement légitimes et responsables, peuvent reprendre les idées des partis extrémistes, qui ont alors gagné la bataille des idées. Et un jour, les électeurs, mesdames, messieurs, préfèrent l'original à la copie. Restons donc authentiques dans tous les domaines ! Restons nous-mêmes !
De plus, la crise économique survient dans un contexte difficile, celui d'un monde globalisé, infiniment complexe, voire incompréhensible pour le commun des mortels. N'a-t-on pas vu des dirigeants de banque avouer qu'ils étaient bien incapables de comprendre ce que faisaient réellement les traders ?
Dans ce monde complexe, la tentation est forte de l'affronter avec des idées simplistes, faciles à comprendre, en surfant souvent sur un fond nationaliste et xénophobe.
Comment éviter les dérives fatales que nous avons connues par le passé ? Je livre quelques pistes à votre réflexion.
Redonnons tout d'abord tout son rôle au politique. Cela implique une régulation au niveau adéquat : l'Union européenne, les conventions du Conseil de l'Europe, voire le plan mondial, avec par exemple, l'OCDE, lorsqu'il s'agit d'appréhender le système financier.
À l'inverse, appliquons autant que faire se peut, le principe de subsidiarité lorsqu'il y a lieu. Fort bien appliqué en Allemagne, il l'est beaucoup moins au niveau de l'Union européenne. Redonnons de l'espace aux parlements nationaux, encore détenteurs de l'essentiel de la légitimité démocratique. Le bilan de l'Union européenne est, à bien des égards, brillant. La construction européenne a cependant eu pour effet de transférer le pouvoir législatif aux gouvernements. Aujourd'hui, je ne crois pas que le Parlement européen comble ce déficit démocratique, bien au contraire.
Le traitement de la crise doit ensuite être équitable. Les sacrifices doivent être justement partagés. Ce n'est aujourd'hui absolument pas le cas dans l'Europe tout entière.
Il nous faut aller vers plus de régulation du système financier. Tout indique, en effet, aujourd'hui, que de nombreuses banques européennes sont dans une situation d'autant plus préoccupante qu'elles s'efforcent de dissimuler encore l'ampleur de leurs faiblesses.
Les responsables politiques doivent donc tenir un langage ferme d'équité, de transparence et de responsabilité. Je rejoins mon collègue Mignon ; encore faut-il être correctement relayé par les médias qui doivent être objectifs pour rapporter nos propos.
N'oublions pas que la démocratie est beaucoup plus fragile qu'il n'y paraît. Regardez ce qui se passe au coeur de l'Europe, en Belgique. Qu'y constate-t-on ? Des discriminations ethniques, un refus de la solidarité, la montée de la xénophobie, la désagrégation du pays ».
Selon la commission, les réductions de la dépense publique observables un peu partout en Europe vont à rebours de ces recommandations, les gouvernements annonçant en outre de nombreuses réformes en vue de limiter leur endettement : gel des dépenses publiques, réforme des retraites, hausses d'impôts. Mal perçues par les opinions publiques, de telles mesures d'austérité peuvent occasionner une dégradation rapide du climat social, qu'il ne convient pas de relativiser, comme en témoignent les violences enregistrées à Athènes en mai dernier. Il y a également lieu de s'interroger, à terme, sur le recours aux extrêmes à l'occasion des prochains scrutins.
Néanmoins, comme l'a indiqué M. Bernard Fournier (Loire - UMP) , cette crise peut être envisagée comme une opportunité en vue de réformer le mode de fonctionnement de nos démocraties :
« La crise actuelle, dont l'Europe peine beaucoup à sortir alors que nombre d'économies émergentes connaissent une forte croissance, doit nous faire prendre conscience que nous sommes en train de vivre une période de profonds changements.
Le premier tient aux évolutions perceptibles du capitalisme. L'ampleur de la crise actuelle et la violence de ses conséquences nous ont surpris. La chute du système soviétique et la faillite définitive de l'économie planifiée avaient suscité un moment dans l'Histoire - environ vingt ans, dans les années 1990 et 2000 -, marqué par une foi sans doute excessive dans le marché. Celle-ci s'est traduite par des comportements exubérants, tels que le développement hors de tout contrôle de la sphère financière et les rémunérations extravagantes des traders .
Certes, on peut penser et espérer que cette époque, en tout cas dans ses manifestations les plus excessives, est révolue. Mais prenons garde à ce que le capitalisme du XXI e siècle ne répète les travers de celui du XIX e , c'est-à-dire un système marqué par des inégalités criantes et la prééminence du patrimoine qui avait fait les beaux jours des rentiers. Les prémices d'une telle évolution, qui menacerait nos valeurs démocratiques, sont pourtant bien présentes aujourd'hui.
Nous éprouvons des difficultés à accepter que nous ne connaîtrons plus jamais la situation économique des Trente Glorieuses. Cette époque, nous l'avons sans doute idéalisée. Mais surtout, elle a correspondu à un moment exceptionnel et transitoire de notre histoire économique, résultant d'un phénomène de rattrapage engendré par la reconstruction de l'Europe après les désastres causés par deux guerres mondiales successives. À partir de 1945, nous avons cru que les revenus du capital avaient tout bonnement disparu au bénéfice des revenus du travail, toujours croissants. L'actionnaire, âpre au gain, avait fait la place au cadre méritant. Les inégalités avaient fortement diminué, n'étant plus que salariales. Nous vivons dans la nostalgie de cette époque, dont la crise a pourtant bien mis en évidence qu'elle était révolue. Les inégalités actuelles reviennent à leur niveau de la Belle Epoque.
Pour autant, je ne veux pas céder au pessimisme, qui, selon moi, transparaît du rapport de notre collègue M. Zingeris. Car la crise peut aussi nous offrir la possibilité, non seulement d'instituer des régulations plus efficaces, à même de mettre un terme aux excès les plus flagrants, mais aussi d'envisager de nouvelles modalités de fonctionnement plus solidaires. C'est le second changement observable.
Je voudrais prendre l'exemple, également évoqué dans le rapport, des décisions prises très récemment par l'Union européenne pour faire face aux suites de la crise grecque.
Cette tourmente a obligé l'Union européenne à réfléchir et à prendre position sur la façon dont elle fonctionne. On le sait, les fondements du projet européen ont d'abord été économiques. Ce sont les « solidarités de fait » évoquées par Robert Schuman, qui ont progressivement abouti à la mise en place d'une monnaie unique. Mais ces solidarités ne peuvent jouer que si chacun des partenaires présente une situation économique transparente, fondée sur des statistiques fiables et des évaluations crédibles.
Le mécanisme européen de stabilisation mis en place début mai constitue une opportunité pour contraindre les Etats de la zone euro à mettre leurs actes en concordance avec leurs engagements d'assainir leurs finances publiques.
Ce dispositif constitue l'un des premiers éléments que l'Europe met en place pour améliorer sa gouvernance et rééquilibrer le pouvoir économique en son sein, qui, jusqu'à présent, accorde une trop grande place aux seules questions monétaires. Il se construira de façon progressive, pragmatique et selon des modalités qui restent encore à définir. Nous sommes probablement au commencement d'une période nouvelle. »
La mise en oeuvre d'une véritable gouvernance économique européenne apparaît d'ailleurs aux yeux de Mme Arlette Grosskost (Haut-Rhin - UMP) comme la réponse la plus adaptée de la part des démocraties à la crise :
« Notre monde actuel est tellement tourné vers le tout-économique que l'on oublie que l'économie n'est que le soubassement de la politique.
M. Touraine l'a évoqué, les conséquences politiques de la crise pourraient être pires que celles auxquelles nous sommes confrontés. La crise économique a nécessairement des conséquences politiques. Elle a mis en évidence deux points : une perte de confiance en la capacité du politique à diriger ou réguler l'économie, un déficit de politiques européennes. L'abstentionnisme et la montée des partis extrémistes sont les prémices de cette perte de confiance des citoyens dans les dirigeants qu'ils ont eux-mêmes choisis pour les représenter.
La crise grecque a mis en exergue, à l'échelle européenne, l'absence totale de coordination et de véritable politique européenne digne de ce nom. Non seulement les hésitations des partenaires de l'euro ont fait mécaniquement monter le prix de l'argent prêté, mais ils ont eu pour corollaire plus dangereux la mise en évidence d'une absence totale de coordination en cas de crise parmi l'un des pays partenaires.
La crise de défiance des marchés, qui n'est pas exempte de spéculation, a révélé une crise de défiance plus profonde dans la capacité des pays membres de l'euro à avoir une politique européenne économique commune.
Les conséquences sont doublement graves. D'une part, le déficit démocratique de l'Union européenne s'accentue et montre l'impuissance des parlements et des gouvernements nationaux à enrayer un phénomène de défiance qui, malheureusement, se propage. D'autre part, on constate la difficulté des gouvernements à dessiner une politique solidaire qui ne pourrait avoir pour conséquence uniquement de renforcer un contrôle technocratique, déjà demandé, de la Commission européenne sur le vote des budgets par les parlements nationaux, compétence qui légitime à elle seule l'existence d'une représentation démocratique.
A ce constat pessimiste, je souhaiterais ajouter une note d'optimisme. La crise économique, et notamment ses conséquences négatives en Grèce, nous ont mis et nous mettent face à nos responsabilités politiques. C'est à nous, hommes et femmes politiques, de montrer que le fatalisme n'existe ni dans le domaine économique, ni dans le domaine politique. C'est à nous, hommes et femmes politiques, de décider quelle Europe et quelle démocratie nous souhaitons laisser à nos enfants. C'est à nous, hommes et femmes politiques, de mettre en évidence que l'impuissance supposée peut laisser la place à un volontarisme assumé. C'est à nous, hommes et femmes politiques, de montrer que l'Europe politique est possible.
Il nous appartient de surmonter nos peurs pour construire, de manière rationnelle et réaliste, un chemin d'avenir sur la base d'éléments objectifs, qui doivent faire de l'Europe un acteur majeur pour bâtir le monde de demain.
L'euro, la monnaie commune, a su protéger des assauts répétés de spéculateurs avides, les pays plus faibles économiquement. Certes, il y a eu des conséquences dommageables, mais l'Europe a su jusqu'alors résister économiquement et ce grâce à son expérience, à sa maturité, qui fait qu'elle demeure à la table des grands décideurs du monde.
C'est à nous, hommes et femmes politiques, de colmater la brèche, ainsi ouverte par la défiance des marchés, pour qu'elle ne se transforme pas en une ouverture béante, en devenant la défiance des citoyens. La crise économique nous oblige à des politiques coordonnées, notamment fiscales et budgétaires. Elle nous oblige à une véritable gouvernance économique européenne.
C'est à nous, hommes et femmes politiques, de redonner confiance en nos institutions, et tout simplement en la politique. Ce n'est pas à l'économique de primer sur le politique, mais bel et bien l'inverse.
C'est à nous, hommes et femmes politiques, de redonner foi en notre engagement. C'est ainsi que nous saurons à nouveau rendre crédible la démocratie et, par là même, encourager les citoyens à retourner aux urnes ! »
La mise en oeuvre, par l'Union européenne, d'un ensemble de mesures d'urgence destinées à défendre la monnaie unique et la zone économique qui lui est rattachée participe, aux yeux de la commission des questions politiques, des mesures indispensables en vue de conserver une forme de cohésion sociale. Elle regrette cependant que cette politique ne soit pas coordonnée avec celles des autres Etats membres du Conseil de l'Europe, tentés en conséquence d'adopter des solutions purement nationales.
La résolution adoptée insiste parallèlement sur la nécessité pour les parlements nationaux d'être mieux associés aux processus de réforme de la gouvernance financière et économique au sein de l'Union européenne et en dehors. Une attention particulière doit également être portée à la lutte contre la corruption au sein des pouvoirs publics.
* 4 Résolution n° 1651 (2009) sur les conséquences de la crise financière mondiale