Table ronde avec les
représentants d'entreprises privées
(mercredi 31 mars
2010)
Réunie le mercredi 31 mars 2010, sous la présidence de Jean-Pierre Godefroy, président, la mission d'information a organisé une table ronde réunissant Frantz Bléhaut, directeur des ressources humaines de Michelin France, Bruno Debatisse, directeur des ressources humaines France du groupe Legrand, Benoît Dehaye, directeur des affaires sociales du groupe SFR, Philippe Dorge, directeur des relations sociales et du travail à la direction des ressources humaines, et Hervé Pichon, délégué chargé des relations avec les institutions françaises à la direction des relations institutionnelles, du groupe PSA-Peugeot Citroën, Christian Leroy, directeur du développement humain de Flunch, Jean-Christophe Sciberras, directeur des ressources humaines France et directeur des relations sociales Monde du groupe Rhodia.
Frantz Bléhaut, directeur des ressources humaines de Michelin France, a tout d'abord indiqué que cette entreprise se préoccupe, depuis 2002, du stress et des risques psychosociaux dans le cadre de ses plans d'action pour améliorer la qualité de vie au travail. Des actions de formation ont été menées en direction de plusieurs acteurs-clés - médecins du travail, gestionnaires du personnel et managers de proximité - pour leur apprendre à repérer le stress et à réagir de façon adéquate. A ce jour, près de 2 700 personnes ont bénéficié de ces formations. En outre, l'entreprise procède régulièrement, avec les médecins du travail, à une enquête individuelle, dénommée « Hospitality, Anxiety, Depression » (HAD), pour diagnostiquer les situations difficiles. Des enquêtes plus ponctuelles ont été effectuées auprès des salariés de certains secteurs de l'entreprise, en partenariat avec le cabinet de conseil Stimulus. Enfin, en accord avec les partenaires sociaux, une nouvelle méthode, fondée sur un principe de pluridisciplinarité, va bientôt être expérimentée : l'équipe de management d'un secteur, un médecin, un ergonome et des membres du CHSCT seront chargés d'identifier en commun les postes les plus exposés et les facteurs de risque.
Les managers de proximité ont un rôle essentiel à jouer pour détecter et traiter les situations difficiles. C'est pourquoi tous reçoivent, chez Michelin, une formation au phénomène du stress au travail. En outre, chaque salarié peut saisir, au sein du service du personnel, un référent pour l'alerter sur une situation difficile. Récemment, un salarié a par exemple témoigné d'un cas de harcèlement dans son service, ce qui a permis d'agir rapidement. S'appuyant sur ce bilan, Michelin va prochainement signer un accord collectif qui s'attachera notamment à renforcer la prévention.
L'entreprise souhaite que son organisation même contribue à responsabiliser les salariés : ceux-ci doivent avoir une certaine latitude pour gérer leurs activités et faire le point régulièrement avec leur manager de proximité pour recevoir un soutien.
Bruno Debatisse, directeur des ressources humaines France du groupe Legrand, a expliqué que l'entreprise, historiquement, a toujours pris en compte l'impact social de ses décisions économiques et organisationnelles. Son service chargé de la prévention et le CHSCT se sont saisis du problème des risques psychosociaux en 2006 puis la direction générale a décidé, l'année suivante, de lancer un plan d'action. Des groupes référents ont été constitués dans chaque établissement important, réunissant des représentants du management, du service des ressources humaines, des médecins du travail, du CHSCT et, éventuellement, d'autres acteurs, selon les situations locales. Par ailleurs, des commissions ont été chargées d'accompagner les salariés dans les processus de changement les plus difficiles. Enfin, l'entreprise mobilise ses médecins du travail pour organiser la remontée d'informations.
L'entreprise Legrand est sans doute moins exposée que d'autres aux risques psychosociaux, grâce aux actions qui viennent d'être évoquées et au maintien d'un management de terrain et d'un réseau de responsables RH qui connaissent personnellement les salariés. Elle va cependant procéder à une enquête, en lien avec l'agence régionale pour l'amélioration des conditions de travail (Aract), afin d'affiner son diagnostic.
Face à l'accélération du changement et aux besoins d'adaptation grandissants des entreprises, Legrand a souhaité intensifier le rythme des négociations avec les partenaires sociaux. Un accord sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) a été conclu en octobre 2009, après deux ans de négociation, et un accord sur les risques psychosociaux devrait être signé avant l'été.
L'appartenance à un collectif, quand l'ambiance y est bonne, est un facteur de bien-être au travail mais les entreprises doivent, en même temps, tenir compte de l'individualisme grandissant des jeunes générations. L'important est que les changements soient progressifs, ce qui suppose de mieux animer et former le management. Des réunions ont été mises en place pour rapprocher les managers et les partenaires sociaux afin qu'ils travaillent mieux ensemble.
Les acteurs de la prévention des risques professionnels sont aguerris, mais les responsables RH sont trop souvent obnubilés par l'aspect juridique de leur métier, qui prend parfois une tournure trop technocratique. Avec les risques psychosociaux, l'administration du travail doit appréhender un problème complexe et plus difficile à quantifier que la mesure du bruit, par exemple.
En matière de harcèlement, la définition légale, complétée par la jurisprudence, fournit un cadre satisfaisant, de sorte que peu de dérives ont été constatées.
Benoît Dehaye, directeur des affaires sociales du groupe SFR, a indiqué que ce groupe a conclu, en 2003, un accord sur la qualité de vie professionnelle, qui aborde les problèmes du stress, du harcèlement, des conditions de travail ou encore de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Depuis, SFR évalue régulièrement la qualité de vie au travail de ses salariés grâce à une enquête commandée à un institut de sondage.
Le groupe investit dans la formation de ses managers en organisant des cycles de formation et des séminaires sur les bonnes pratiques. Face à l'invasion des nouvelles technologies, il promeut des initiatives, telles que la « journée sans e-mail », pour que les gens reprennent l'habitude de se parler, et réunit salariés et dirigeants à l'occasion de petits déjeuners.
Les télécommunications sont un secteur en perpétuelle évolution, ce qui a un impact sur les organisations. Il faut veiller à maintenir une proximité entre les personnes en charge de la fonction RH et les salariés sur le terrain et accompagner le changement, en lien avec les institutions représentatives du personnel (IRP), avec des mesures de formation et, si nécessaire, par le recours à des intervenants extérieurs.
SFR a développé des outils de prévention : une cellule d'écoute est accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, grâce à laquelle les salariés peuvent recevoir, le cas échéant, un soutien psychologique.
A Jean Desessard, qui souhaitait connaître le nombre moyen d'appels reçus chaque jour par cette cellule, Benoît Dehaye a répondu qu'elle reçoit entre cinq et dix appels par semaine, ou par quinzaine, et que ces appels sont plutôt concentrés en fin de semaine.
Depuis un an, un observatoire du stress, placé sous la responsabilité de la médecine du travail, a été installé, à titre expérimental, sur un site puis étendu à deux autres sites. SFR développe également des actions collectives à caractère caritatif ou de mécénat. Depuis 2003, l'entreprise a aussi mis en place un dispositif de médiation et elle développe un processus d'alerte sur les discriminations.
En ce qui concerne la question de l'individualisation de la gestion des salariés, l'entreprise fixe des objectifs individuels mais en les accompagnant toujours d'objectifs collectifs, communs à toute l'entreprise ou à un secteur d'activité. Un mécanisme d'intéressement permet, en outre, d'associer chaque salarié aux succès de l'entreprise. Les démarches individuelle et collective sont donc complémentaires.
L'inspection du travail ou la caisse régionale d'assurance maladie (Cram) manquent parfois d'une vision suffisamment fine de la réalité des problèmes de stress dans l'entreprise, ce qui les conduit trop souvent à privilégier une approche juridique, voire contentieuse. Or le travail ne doit pas être envisagé seulement sous l'angle de la pénibilité : il est aussi un lieu où les individus peuvent se réaliser. En ce qui concerne enfin les médecins du travail, ceux-ci doivent faire face à de si nombreuses obligations qu'ils manquent de temps pour gérer les problèmes de stress.
Philippe Dorge, directeur des relations sociales et du travail à la direction des ressources humaines du groupe PSA-Peugeot Citroën, a indiqué que la direction générale du groupe a défini quatre objectifs prioritaires : l'efficacité opérationnelle, le « coup d'avance » dans les produits et les services, l'ambition mondiale et l'exigence d'un développement responsable. Ce dernier objectif est lui-même décliné en quatre thématiques, parmi lesquelles figure le bien-être au travail.
La problématique de la souffrance au travail a fait irruption dans le groupe à l'occasion d'une vague de suicides qui a touché l'unité de Mulhouse en 2007. Pour chacun des trois suicides constatés, les facteurs personnels ont bien sûr joué un rôle. Pour autant, PSA a voulu savoir quelle avait été l'incidence des facteurs collectifs dans la survenance de ces drames et comprendre la corrélation entre conditions de travail et suicide. Sur ce point, il importe de distinguer le stress professionnel et le suicide sur le lieu de travail, qui sont deux phénomènes distincts.
Cette série de suicides a permis de sortir du déni qui entourait la question du mal-être du travail et de mettre en oeuvre une véritable politique de prévention des risques psychosociaux. Le groupe a d'abord adopté des mesures d'urgence, telles la création d'une cellule de veille et d'un numéro vert. Il a ensuite demandé au cabinet Stimulus de réaliser un audit sur les conditions de travail, dans les sites de Mulhouse, Sochaux et Vélizy afin de dresser un état des lieux de la souffrance au travail dans ces unités. A cette occasion, les salariés ont pu répondre, sur la base du volontariat, à un questionnaire qui les interrogeait notamment sur le niveau de stress ressenti et sur les facteurs professionnels pouvant l'expliquer. Puis les partenaires sociaux ont demandé la généralisation de cette expérience à l'ensemble des sites du groupe. En septembre 2009, un accord a été signé entre la direction et cinq organisations syndicales sur l'évaluation et la prévention des risques psychosociaux. Celui-ci retient l'idée que les risques psychosociaux sont considérés comme des risques professionnels au même titre que les accidents du travail ou les maladies professionnelles.
L'évaluation des risques psychosociaux a requis l'élaboration d'une méthodologie commune à l'ensemble des entités du groupe, en concertation avec les partenaires sociaux et les médecins du travail. Le déploiement de cette démarche d'évaluation a notamment permis de réaliser des tableaux de bord faisant apparaître différentes données, comme le nombre mensuel de plaintes et de cas de harcèlement ou le nombre de questionnaires sur le stress au travail remplis par les salariés. En février dernier, si 74 % des salariés de PSA estimaient ressentir seulement un peu de stress au travail, 10 % déclaraient subir un stress très fort.
Deuxième étape après l'évaluation des risques psychosociaux : l'action de prévention. Celle-ci nécessite d'abord l'identification de facteurs collectifs contribuant à l'émergence de situations de stress au travail, puis la mise en oeuvre de plans d'action, impliquant l'équipe dirigeante. Un autre axe important dans la politique de prévention est le management du personnel. Sur ce sujet, le groupe PSA a élaboré une nouvelle stratégie, le « lean management », qui repose avant tout sur le facteur humain. Elle consiste à déterminer la place de chaque collaborateur dans l'entreprise ; celui-ci est lié par un contrat d'objectifs, déclinaison individuelle du contrat d'objectifs de la direction à laquelle il appartient. L'ambition du groupe est d'intégrer la prévention des risques psychosociaux dans le management des équipes et de faire en sorte qu'une bonne santé mentale au travail contribue à la conduite du changement.
Christian Leroy, directeur du développement humain de Flunch, a rappelé que la restauration est un secteur d'activité, où le facteur humain n'est généralement pas une préoccupation prioritaire. Les conditions de travail y sont souvent éprouvantes. Lors des négociations sur l'aménagement du temps de travail consécutives aux lois Aubry, la question du bien-être au travail n'a pas été évoquée, alors que l'occasion s'y prêtait. Au moment de la mise en place des trente-cinq heures, le groupe Flunch, qui se compose de 250 établissements employant 10 000 salariés, a investi dans un logiciel permettant d'informer à l'avance les salariés de leur planning de travail.
L'un des grands drames de nos sociétés contemporaines est l'excès d'individualisme et la perte de sens du collectif. Ces deux phénomènes affectent évidemment le monde de l'entreprise, où le mal-être ressenti par les salariés est une réalité préoccupante. Il est donc indispensable de reconstruire les collectifs de travail, ce que Flunch tente de faire depuis le début des années 2000.
S'agissant des acteurs de la prévention des risques professionnels, il faut rappeler que les établissements du groupe ne disposent pas de CHSCT. En revanche, il existe dans chacun d'entre eux un comité d'établissement. Les médecins du travail, dès lors qu'ils connaissent bien le groupe, sont de précieux conseillers avec lesquels la collaboration fonctionne bien. Néanmoins, il est regrettable que ceux-ci manquent souvent de temps pour remplir pleinement leur mission au sein de l'entreprise. Les inspecteurs du travail peuvent également s'avérer être de bon conseil dans la prévention des risques professionnels, mais leur formation mérite sans doute d'être améliorée. Enfin, le groupe est lié à la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) par un accord national, lui-même décliné en accords régionaux auxquels les Cram sont partie prenante.
Les obligations juridiques qui pèsent sur les entreprises en matière de santé et de sécurité au travail forment un arsenal suffisant, même si elles ne sont pas forcément bien appliquées. Le document unique « hygiène et sécurité », par exemple, est un bon outil, pour peu qu'il soit élaboré correctement par le comité d'établissement chaque mois.
Comme l'a demandé le ministère du travail, un accord sur le bien-être au travail a été conclu au sein du groupe Flunch. Celui-ci se compose de sept grandes actions :
- l'orientation, qui est une priorité pour le secteur de la restauration, où le turn-over est important. Deux types de mesures ont été prises : en amont, la signature d'un accord national avec Pôle emploi et d'accords régionaux avec ses antennes locales, ainsi que la conclusion d'un accord avec l'éducation nationale, décliné au niveau des rectorats ; en aval, la mise en place d'un entretien professionnel annuel avec chaque salarié ;
- la formation, la devise du groupe étant « tous formés, tous diplômés, tous formateurs ». Une formation à distance a été ouverte, débouchant sur des certificats de qualification professionnelle. Pour recréer du collectif, une démarche d'accompagnement des salariés a été lancée à tous les niveaux (tutorat, monitorat, référents de premier niveau) ;
- l'envie, l'objectif étant d'améliorer l'écoute des salariés. Tous les mois, chacun d'entre eux est incité à dire ce qui lui a fait plaisir ou pas dans son travail, à expliquer les tâches qu'il a réalisées ou pas, à identifier les obstacles qu'il a rencontrés pour parvenir à ses objectifs, à déterminer ses engagements pour les mois suivants ;
- le pilotage des métiers : aujourd'hui, trop de salariés reçoivent des ordres différents, voire contradictoires, de la part de leurs supérieurs hiérarchiques. Pour remédier à ce problème, chaque établissement du groupe a nommé, au sein de l'équipe dirigeante, une personne chargée du suivi du pilotage des ressources humaines ;
- l'évaluation des compétences, qui a lieu tous les ans, à l'occasion d'un entretien personnalisé, au cours duquel le salarié est appelé à prendre la parole en premier, et non pas après son supérieur hiérarchique, ce qui est plus responsabilisant ;
- la rémunération, qui contient une partie variable, fonction du degré de réalisation des tâches confiées à chaque salarié. A la suite de l'évaluation de ses performances, celui-ci reçoit une lettre de mission précisant les objectifs qu'il devra remplir, compte tenu de ceux que l'établissement s'est lui-même fixé ;
- la démocratie sociale, en ayant pour objectif de renforcer la représentativité des partenaires sociaux et de reconstruire les collectifs de travail. Il faut avoir conscience que, dans la restauration, le simple mot de « partenaires sociaux » est perçu négativement. Beaucoup de progrès restent donc à faire pour renforcer leur légitimité et leur place dans les entreprises du secteur.
Jean-Christophe Sciberras, directeur des ressources humaines France et directeur des relations sociales Monde du groupe Rhodia, a souligné que l'entreprise, issue en 1999 d'une scission du groupe Rhône-Poulenc, a connu des débuts difficiles, à tel point que son dépôt de bilan a été envisagé, ce qui conduit ensuite à relativiser certains problèmes.
La notion de « risques psychosociaux » est récente et n'est pas encore bien définie. Les homologues étrangers du secteur ne comprennent d'ailleurs pas toujours très bien le débat français actuel.
Rhodia a fait réaliser une enquête dans un de ses centres de recherche, employant 450 salariés, qui a montré que la pression au travail y était modérée. La charge de travail est pourtant lourde, mais elle est compensée par un fort soutien social. Une autre enquête conduite dans une usine a abouti au même résultat. Ces bons résultats collectifs n'empêchent cependant pas d'être confrontés à des problèmes individuels.
La médiatisation du phénomène de mal-être au travail a incité les pouvoirs publics à réagir rapidement : on a demandé aux entreprises de négocier, en quelques mois, un accord sur le sujet. Or, seul un accord de méthode peut être sérieusement élaboré dans un laps de temps aussi court. Il faudra certainement plusieurs mois supplémentaires pour arriver à un accord sur le fond.
Rhodia dispose, au niveau national, d'une instance en charge de l'hygiène et de la sécurité, ce que le code du travail n'impose mais qui a été décidé conventionnellement. L'accord de méthode confie à cette institution le soin d'évaluer les risques et d'y apporter des réponses.
Sur le plan juridique, certaines constructions jurisprudentielles incitent à l'inquiétude. Les entreprises ont en effet une obligation de résultat en matière de sécurité au travail. Or, si les entreprises savent gérer les risques physiques, il est plus compliqué pour elles de prévenir les risques psychiques. L'entreprise peut agir sur l'organisation et la charge de travail et sur les pratiques managériales, mais n'a pas de prise sur la vie privée de ses salariés, ce qui est d'ailleurs une bonne chose. Les individus formant un tout, des difficultés personnelles peuvent favoriser la survenance d'un accident sur le lieu de travail, qui sera présumé être un accident du travail. Ceci pourrait inciter les entreprises à être excessivement prudentes dans le recrutement de leurs salariés, en cherchant à sélectionner ceux qui présentent le moins de risques, avec potentiellement un risque d'atteinte à leur vie privée. Les entreprises comme les médecins du travail manquent également des outils adéquats pour évaluer la charge mentale d'un poste et déterminer si un salarié est apte ou non à l'occuper.
Enfin, une réflexion est nécessaire sur la spécificité du rapport des Français au travail. Dans d'autres pays, lorsque les salariés sont trop stressés et ne se sentent pas bien dans leur entreprise, ils n'hésitent pas à la quitter. En France, les démissions sont plus rares, les salariés sont attachés à l'idée de carrière et se sentent plus facilement enfermés dans leur travail lorsqu'une difficulté survient, ce qui peut sans doute expliquer en partie le mal-être actuel.
Jacqueline Alquier a demandé comment peuvent être mesurés les effets des mesures prises par les entreprises pour combattre le mal-être des salariés. Elle s'est étonnée que le représentant de Rhodia semble considérer que la démission soit la solution aux problèmes que les salariés peuvent rencontrer dans leur entreprise.
Jean-Christophe Sciberras, groupe Rhodia, a répondu qu'il avait simplement effectué une comparaison avec des pays qui ont un autre rapport au travail et où le marché du travail est plus fluide. En France, si un manager conseillait à un salarié qui souffre de démissionner, ce serait considéré comme une provocation. Nous devons donc être plus attentifs au bien-être des salariés que les homologues implantés dans d'autres pays où les régulations se font différemment.
Isabelle Pasquet a d'abord souhaité obtenir des précisions sur la manière d'évaluer les résultats des actions mises en oeuvre par les entreprises. Elle a ensuite regretté que ces actions portent davantage sur les effets que sur les causes du malaise : ne faut-il pas remettre en question les méthodes de management elles-mêmes ?
Jean-Pierre Godefroy, président, a souhaité savoir si certains métiers sont plus particulièrement touchés par le mal-être au travail.
Philippe Dorge, groupe PSA Peugeot Citroën, a expliqué que la vigilance est le premier axe d'action pour l'entreprise, toutes les catégories de salariés pouvant être concernées. Le groupe PSA dispose des premières évaluations des mesures mises en oeuvre en 2007 sur certains sites. Par exemple, sur celui de Mulhouse qui emploie plus de sept cents salariés, il apparaît que le malaise naît souvent de problèmes très concrets, comme le manque d'outils ou l'inadaptation de machines, qui peuvent être résolus par la méthode dite de « lean manufacturing » : chaque manager fait remonter rapidement et spontanément à sa hiérarchie les difficultés que son équipe rencontre et se voit, dans les délais les plus brefs, proposer une solution. Les salariés sont ainsi entendus et la pénibilité au travail s'en trouve atténuée. Il faut également expliquer aux salariés dans quelle direction s'oriente l'entreprise. Il n'y a pas, de façon générale, de contradiction entre le bien-être des salariés et la performance économique.
Frantz Bléhaut, Michelin France, a rappelé que, dans certaines de ses usines, ce groupe a choisi d'élaborer un diagnostic sur le malaise des salariés grâce au regard croisé des différents acteurs : le responsable des ressources humaines, le médecin, l'ergonome, les managers, etc. échangent leurs points de vue pour identifier les emplois les plus explosés et apporter des réponses aux salariés.
Jean-Pierre Godefroy, président, ayant demandé comment ces groupes se situent dans l'entreprise, notamment par rapport au comité d'entreprise et au CHSCT, Frantz Bléhaut a répondu que ces groupes pluridisciplinaires travaillent au plus près du terrain pour évaluer les facteurs de risque pour un emploi donné ou dans une entité.
Dominique Leclerc a rappelé que les entreprises ont pris des engagements pour développer l'emploi des seniors, ce qui suppose de lutter contre la pénibilité du travail.
Philippe Dorge, groupe PSA Peugeot Citroën, a estimé qu'il ne faut pas confondre la question de la réparation d'un préjudice individuel subi en raison du travail, une surdité d'origine professionnelle par exemple, et celle de la compensation de la pénibilité, qui met en jeu la solidarité nationale. A défaut, la pérennité des branches où les conditions de travail sont les plus pénibles pourrait être menacée.
Jean Desessard s'est d'abord demandé pourquoi il n'y a pas partout du bien-être si celui-ci va de pair, comme cela vient d'être affirmé, avec la performance économique. Il a ensuite interrogé le représentant de SFR sur les méthodes de management que l'entreprise met en oeuvre dans ses centres d'appels téléphoniques.
Benoît Dehaye, groupe SFR, a répondu qu'un observatoire du stress a été mis en place sur un site situé en Ile-de-France. Il a mis en évidence le fait que le mal-être a des causes multiples, ce qui explique qu'une réponse globale soit difficile à apporter. L'observatoire a notamment insisté sur le rôle des transports comme facteur de stress. Concernant les centres d'appels, la politique suivie par le groupe est différente de celle en vigueur à France Telecom : les équipes sont de taille limitée, six à huit personnes, et le personnel d'encadrement est proche.
Frantz Bléhaut, groupe Michelin, a rappelé que cette entreprise a créé un centre d'appels en 2005 et a été soucieuse, dès le départ, du bien-être des salariés. Il est important de ménager des moments de détente dans la journée de travail.
Philippe Dorge, groupe PSA Peugeot Citroën, a souligné que l'entreprise a besoin d'une ligne managériale solide, qui ait du coeur et du courage. Or les managers sont souvent malmenés, à tel point qu'il n'est pas facile de les recruter.
Jean-Christophe Sciberras, groupe Rhodia, a estimé que beaucoup de problèmes pourraient être résolus grâce à un meilleur dialogue entre tous les acteurs concernés. Lorsque Rhodia a voulu prendre une initiative dans le domaine des transports, il a été difficile d'identifier le bon interlocuteur, conseil régional ou syndicat des transports d'Ile de-France (Stif). Dans un autre domaine, on observe que le médecin du travail n'a pas toujours la possibilité de contacter le médecin traitant du salarié, si ce dernier refuse de communiquer ses coordonnées.
Gérard Dériot, rapporteur, a fait valoir que le dialogue entre le médecin du travail et le médecin traitant est pourtant essentiel pour une bonne prise en charge du patient.
Annie Jarraud-Vergnolle a demandé quels effets a eu le passage aux trente-cinq heures hebdomadaires de travail puis elle a souhaité obtenir des précisions sur le rôle que joue l'instance nationale en charge de l'hygiène et de la sécurité mise en place chez Rhodia.
Jean-Christophe Sciberras, groupe Rhodia, a rappelé que l'enquête menée au sein du groupe, qui a porté sur deux grands secteurs d'activité, a montré sa faible exposition aux risques psychosociaux en raison de la proximité du management et d'une forte solidarité entre collègues. Mais l'entreprise essaie maintenant d'avoir une vision nationale du phénomène grâce à cette instance.
Il est ensuite revenu sur le problème de la charge mentale pour rappeler que celle-ci est particulièrement complexe à évaluer : il est relativement simple pour un médecin du travail d'apprécier si un salarié peut porter une charge lourde, mais il est moins évident de déterminer sa capacité à supporter une charge mentale élevée. Dans une entreprise, la fonction « achats » est particulièrement stressante, parce qu'elle impose de se montrer offensif dans la négociation avec les fournisseurs tout en nouant des partenariats avec eux. Lorsque les achats portent sur des produits, comme l'acier, dont les cours connaissent d'importantes variations, la responsabilité qui pèse sur le salarié est très lourde, un achat au mauvais moment pouvant avoir de sérieuses répercussions sur l'entreprise.
Jean-Pierre Godefroy, président, est revenu sur la question des trente-cinq heures pour demander si le temps libre supplémentaire qu'elles ont permis d'obtenir n'a pas été acquis au prix d'un temps plus contraint dans l'entreprise.
Benoît Dehaye, groupe SFR, a estimé que l'évaluation des effets des trente-cinq heures est complexe. Il n'est pas simple de construire un collectif de travail quand les salariés se croisent moins souvent sur leur lieu de travail. L'aménagement du temps de travail a fait évoluer le rapport des salariés au travail et a eu sur les organisations un impact qu'il a fallu gérer.
Bruno Debatisse, groupe Legrand, a considéré que beaucoup d'éléments, dont les trente-cinq heures, ont contribué à réduire les espaces de convivialité dans l'entreprise. Il n'est pas facile d'évaluer la charge de travail des salariés qui ne sont pas directement employés à la fabrication des produits, ce qui explique que certains d'entre eux aient pu être contraints de réaliser le même travail qu'auparavant, mais en moins de temps.
Philippe Dorge, groupe PSA Peugeot Citroën, a souligné que la mondialisation et la nécessaire adaptation aux fluctuations du marché ont aussi imposé des changements dans l'organisation du travail, dont les conséquences humaines doivent être évaluées.
Jean-Christophe Sciberras, groupe Rhodia, a indiqué que l'entreprise a accordé vingt-et-un jours de repos supplémentaires à ses collaborateurs, au moment du passage aux trente cinq heures, ce qui a été beaucoup apprécié. Toutefois, la réduction du temps de travail a aussi eu pour effet d'augmenter de 11,4 % la masse salariale de l'entreprise, sans que les concurrents étrangers soient soumis à la même contrainte. La forte croissance de l'économie française, à l'époque, a heureusement aidé à absorber le choc.
Christian Leroy, groupe Flunch, a expliqué que cette entreprise réfléchit aujourd'hui à la gestion des temps sur la semaine, le mois, l'année et même sur l'ensemble de la carrière.
Frantz Bléhaut, groupe Michelin France, a fait observer que les salariés, notamment les cadres, souhaitent disposer d'une plus grande liberté pour gérer leur temps, afin de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle.
Jean Desessard a souligné que les chercheurs auditionnés par la mission ont insisté sur la perte de sens du travail, le manque de reconnaissance, l'abandon des valeurs du service public, la dégradation de l'ambiance de travail, la gestion trop individualisée des salariés, pour expliquer les difficultés actuelles. Par ailleurs, viennent d'être évoquées les conséquences de la mondialisation et de la flexibilité accrue sur le bien-être des salariés. Dans ce contexte, peut-on rester compétitif et faire face à la concurrence internationale sans que les salariés soient soumis à une pression excessive ?
Il a ensuite estimé que les salariés souffrent davantage des risques subis que des risques choisis : un conducteur de bus, par exemple, s'accommodera du risque lié aux accidents de la route, dans la mesure où il avait conscience de ce risque en choisissant ce métier, mais souffrira des problèmes posés par la violence ou par les incivilités des passagers.
Alain Gournac a demandé aux intervenants s'ils ont vu émerger le problème du mal-être au travail et comment ils en évaluent l'ampleur.
Philippe Dorge, groupe PSA Peugeot Citroën, a répondu que l'entreprise entend concilier l'efficacité opérationnelle avec un développement responsable, y compris sur le plan humain, ce qui ne dispense pas de prendre les décisions économiques courageuses qui s'imposent. Des contrats d'objectifs bien conçus, discutés avec les salariés, sont un outil qui contribue à redonner du sens au travail. Mais le sens découle aussi du sentiment que ce que l'on fait est utile.
Hervé Pichon, délégué chargé des relations avec les institutions françaises à la direction des relations institutionnelles du groupe PSA Peugeot Citroën, a ajouté que le Médiateur de la République a souligné, dans son dernier rapport, que la société française est confrontée à un mal-être général et que celui-ci a forcément des répercussions sur le travail.
Frantz Bléhaut, groupe Michelin France, a souligné que les managers doivent être évalués sur leur capacité à fédérer et à développer les compétences des membres de leur équipe.
Jean-Christophe Sciberras, groupe Rhodia, a souligné que des objectifs trop éloignés du quotidien des salariés ne peuvent les motiver. Les bonnes relations avec les collègues de travail, au sein d'une petite communauté, sont essentielles.
Bruno Debatisse, groupe Legrand, a fait observer que l'accélération du rythme du changement rend plus difficile la perception du sens du travail accompli. La fonction RH doit donc jouer un rôle de médiation et disposer d'une capacité de réflexion autonome. Comme l'enfermement du salarié dans une fonction peut engendrer du stress, il faut veiller à ce que la GPEC offre des perspectives d'évolution aux salariés, ce qui n'est pas évident dans des entreprises industrielles où les effectifs stagnent ou diminuent.