Table ronde avec les
représentants
des organisations syndicales de Pôle
emploi
(mercredi 7 avril 2010)
La commission a tenu une première table ronde avec les représentants des organisations syndicales de Pôle emploi .
Elle a entendu Régis Dauxois, secrétaire général de Force ouvrière des personnels publics de Pôle emploi (FO-PPPE) , Sylvette Uzan-Chomat, Leïla Salière et Jean-Charles Steyger, membres du bureau national du Syndicat national unitaire (SNU) , Bernadette Billey et Philippe Berhault, de la Confédération française démocratique du travail de Pôle emploi (CFDT Pôle emploi) .
A titre liminaire, Jean-Pierre Godefroy , président, a indiqué que la mission d'information, après avoir entendu beaucoup d'analyses sur la situation des salariés du secteur privé, a souhaité mieux comprendre les problèmes propres au secteur public. Deux tables rondes - avec les syndicats de Pôle emploi et avec les syndicats d'enseignants - sont organisées cette semaine puis deux autres le seront, à la fin du mois d'avril, avec des représentants des policiers et des personnels hospitaliers.
Régis Dauxois, secrétaire général de FO-PPPE , a tout d'abord précisé que cette organisation se préoccupait déjà, depuis une vingtaine d'années, du problème du mal-être au travail au sein de l'agence nationale pour l'emploi (ANPE). La fusion entre l'ANPE et les Assedic pour constituer Pôle emploi n'a certes rien arrangé, mais elle n'est pas la cause centrale des difficultés rencontrées : celles-ci résultent surtout d'une mauvaise organisation du travail et des méthodes managériales appliquées.
Dans ses rapports avec la direction générale, le syndicat FO rencontre deux problèmes principaux :
- une difficulté pour définir l'objet de la discussion : le stress et la souffrance psychologiques sont souvent confondus, alors qu'il s'agit de problèmes distincts ;
- la surdité des directions successives, qui ont commandé des enquêtes mais n'ont jamais véritablement analysé la situation.
En 2007, le syndicat a commandé une expertise au Laboratoire de changement social, qui est composé de chercheurs, puis l'a remise à la direction, mais elle n'a eu aucune suite.
Parmi les facteurs de mal-être au travail, on peut relever :
- la « maladie » des indicateurs : tout ne peut être quantifié et les indicateurs ne sauraient se substituer à une analyse concrète des situations de travail ;
- le manque de participation des agents : sans préconiser un management participatif, qui serait en trompe-l'oeil, il faut reconnaître que les agents sont les mieux placés pour dire ce qui ne va pas dans l'organisation de leur travail ; des groupes d'échanges de pratiques devraient être organisés, ce que la direction accepte aujourd'hui seulement pour les cadres ;
- le caractère souvent incohérent ou contradictoire des consignes données aux agents ; si l'employeur fixe les objectifs, il doit aussi se demander si ceux-ci sont atteignables ;
- la perte du sens du travail : les agents souffrent d'une crise d'identité professionnelle, notamment parce qu'ils ont le sentiment de ne pas respecter les droits des usagers du service public de l'emploi, et ne se sentent pas reconnus dans leur travail.
Des mesures correctives pourraient être apportées sur le plan organisationnel et managérial :
- pour aller vers un plan de prévention des risques psychosociaux, il serait utile de discuter des moyens des institutions représentatives du personnel (IRP), de réfléchir à la formation des élus qui y siègent, de mettre en place un dispositif d'alerte ;
- il faudrait tenir compte, dans la planification du temps de travail, de l'existence d'impondérables, des problèmes imprévus, et faire confiance aux salariés pour les traiter ;
- des réunions d'équipes professionnelles seraient utiles pour échanger et dépasser la simple transmission d'informations par la hiérarchie ;
- les agents doivent enfin avoir le temps de s'approprier les informations et la documentation abondante qui leur est adressée.
Sylvette Uzan-Chomat, membre du bureau national du SNU, a souligné que, d'après les résultats d'une enquête réalisée auprès du personnel, 71 % des agents sont dans une situation de travail sous tension, ce qui est un taux très élevé. Ils doivent accomplir des tâches complexes, alors qu'ils ne disposent que d'une faible latitude décisionnelle. En outre, 80 % des agents déclarent souffrir de conflits de valeurs, ce qui signifie qu'ils sont contraints d'accomplir des actes qu'ils désapprouvent.
La fusion a affecté des agents déjà fragilisés, aucune catégorie de personnel n'étant au demeurant épargnée. Elle n'a pas été précédée d'une réflexion suffisante et s'est accompagnée d'une mise en concurrence avec les opérateurs privés de placement, ce que les personnels ont perçu comme un signe de manque de reconnaissance de leur travail. La fusion a entraîné une chasse aux postes en « doublon », qui déstabilise le personnel d'encadrement. La mise en place des sites mixtes, qui doivent rassembler en un même lieu les personnels issus de l'ANPE et des Assedic, n'est pas achevée, ce qui occasionne de fréquents déplacements et désagrège les collectifs de travail. Enfin, le comité national de l'hygiène, de la sécurité et des conditions de travail qui existait à l'ANPE a disparu.
En raison du manque de moyens, beaucoup d'agents ont l'impression que leur travail est bâclé ou inabouti. L'augmentation du nombre d'agents recrutés en CDD aggrave la situation dans la mesure où ces agents ont du mal à apprendre leur métier dans le temps imparti.
Des négociations sont en cours pour conclure un accord sur les risques psychosociaux mais la direction rejette toutes les propositions susceptibles de ralentir le rythme de la fusion.
Jean-Charles Steyger, membre du bureau national du SNU , a souligné que la direction générale ne partage pas le diagnostic émis par son syndicat sur les effets de la fusion : pour le SNU, celle-ci a aggravé le mal-être des agents. Quand un suicide survient, la direction générale a tendance à mettre en avant les facteurs personnels et à minorer ceux liés au travail.
La négociation sur les risques psychosociaux a débuté il y a cinq mois et va encore se poursuivre en avril et en mai. D'autres négociations sont en cours sur des sujets connexes, comme le temps de travail. Il ne semble pas, cependant, que le Gouvernement ait donné beaucoup de marge de manoeuvre à la direction de Pôle emploi pour négocier.
La qualité du service public se dégrade du fait des fermetures de sites, de la sous-traitance de certaines tâches à des opérateurs privés ou du recrutement d'agents en CDD pour suivre les demandeurs d'emploi.
Philippe Berhault, de la CFDT Pôle emploi, a estimé que la fusion a été trop précipitée, puis il a souligné la difficulté de réunir, dans un même organisme, des agents publics et des salariés de droit privé. Plusieurs questions juridiques restent non résolues, par exemple celle du statut de Pôle emploi par rapport à la médecine du travail ou de son rattachement ou non au « 1 % logement ».
Pôle emploi manque, par ailleurs, d'un véritable projet d'entreprise : la priorité a été donnée dans un premier temps à l'accompagnement personnalisé des demandeurs d'emploi puis l'accent a été mis sur l'indemnisation.
Le directeur général a d'abord expliqué aux conseillers de l'ANPE qu'ils effectueraient les mêmes tâches après la fusion, tout en étant mieux rémunérés. Il a ensuite décidé la mise en place du « conseiller unique », censé assumer les fonctions de placement et d'indemnisation des demandeurs d'emploi. A présent, il est proposé que chacun garde son métier et que l'on constitue progressivement un corps d'agents possédant les deux compétences. Ces changements d'orientation successifs sont déstabilisants pour le personnel.
Pôle emploi a des crédits suffisants pour embaucher en CDI et rien ne justifie donc les récents recrutements en CDD. Certes, la crise actuelle a une dimension conjoncturelle mais, du fait de la pyramide des âges de Pôle emploi, de nombreux départs en retraite vont se produire et il convient donc de les anticiper en procédant dès maintenant à des embauches.
Bernadette Billey, de la CFDT Pôle emploi, a souligné que Pôle emploi emploie 75 % de femmes, qui sont très qualifiées et investies dans leur travail. On leur demande d'accomplir un travail personnalisé, mais de masse, et on les traite souvent de façon infantilisante, sans leur laisser assez d'autonomie. Pour autant, elles refusent la victimisation et aspirent au bien-être, tant il est vrai qu'il faut se sentir bien pour pouvoir aider les autres.
Pôle emploi souffre de sous-effectifs structurels et d'une incertitude sur la nature de son projet d'établissement, les agents n'ayant pas les moyens d'accomplir correctement leurs missions. Les agents n'ont pas toujours de bureau fixe, et sont donc confrontés à une forme de « nomadisme », et la charge de travail est souvent mal répartie. Les responsables d'équipe souffrent de relayer les instructions contradictoires de la direction. Les gens ne reconnaissent plus leur métier, tant les évolutions sont rapides, et ne sont pas suffisamment formés.
Les salariés ont des idées, que des espaces d'expression permettraient de valoriser, mais la direction considère que l'organisation du travail est une prérogative exclusive de l'employeur. Pôle emploi est pénalisé, enfin, par sa structure qui demeure trop centralisée.
Jean-Charles Steyger (SNU) a souligné que les conseillers en charge de l'orientation employés par l'association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) viennent d'être rattachés à Pôle emploi, qui compte désormais 50 000 agents.
Annie Jarraud-Vergnolle a souhaité obtenir des précisions sur la nature juridique de Pôle emploi et sur la convention collective qui lui est applicable. Puis elle s'est enquise du nombre moyen de demandeurs d'emploi suivis par chaque conseiller et a demandé si des projections existent concernant les futurs départs en retraite. Enfin, elle a souhaité savoir si les cadres sont eux aussi sous pression et si Pôle emploi cotise à un fonds d'aide à la formation.
Annie David a regretté que les chômeurs soient souvent déboussolés par les nouvelles méthodes de Pôle emploi : à titre d'illustration, le 39 49, le numéro de téléphone qu'il faut appeler pour obtenir un rendez-vous avec un conseiller, est payant et souvent coûteux pour les personnes sans emploi. Par ailleurs, combien faudrait-il recruter d'agents supplémentaires pour que Pôle emploi assume convenablement ses missions ?
Alain Gournac a fait observer que les promoteurs de la fusion savaient, dès le départ, qu'elle serait complexe à mettre en oeuvre. Il a noté que si 80 % des agents de Pôle emploi déclarent souffrir de conflits de valeurs, bien peu ont présenté leur démission. Dans toute la société, les métiers évoluent vers plus de mobilité et les salariés doivent faire des efforts d'adaptation.
Leïla Salière, membre du bureau national du SNU, a fait observer que quelqu'un qui démissionne se prive de son revenu, ce qui doit dissuader beaucoup d'agents de quitter Pôle emploi malgré les conflits de valeurs dont ils se plaignent.
Les personnels venus des Assedic ou de l'Afpa sont accueillis dans les locaux qui étaient auparavant prévus pour les seuls agents de l'ANPE, d'où un manque de place et d'équipements qui les empêche de travailler correctement.
Lorsqu'un conseiller est chargé de suivre 180 demandeurs d'emploi, il ne peut leur proposer un accompagnement personnalisé. Beaucoup d'agents manquent de temps pour assumer toutes leurs tâches pendant la journée et répondent à leurs courriers électroniques le soir, depuis leur domicile, ce qui a bien sûr un impact négatif sur leur vie personnelle.
Jean-Charles Steyger (SNU) a précisé que Pôle emploi a le statut d'un établissement public administratif. Une convention collective a été négociée mais le SNU a refusé de la signer.
L'effort de formation des personnels a été insuffisant ; les conseillers de l'ANPE, en particulier, n'ont pas eu le temps d'assimiler les règles d'indemnisation du chômage. Pôle emploi cotise cependant à un fonds d'aide à la formation pour ses agents de droit privé.
Les 23 000 agents de droit public issus de l'ANPE ont la possibilité d'opter pour le statut de salarié de droit privé et ils sont alors couverts par la convention collective. A ce jour, 37 % d'entre eux ont fait ce choix.
Le personnel d'encadrement dispose de peu de moyens et de faibles marges de manoeuvre, ce qui occasionne un réel désarroi des collectifs de travail. Le 39 49 est un numéro payant, contrairement à ce que le secrétaire d'Etat à l'emploi, Laurent Wauquiez, avait annoncé, et il est même une source de bénéfices pour l'établissement. Les agents de terrain doivent gérer l'écart entre les annonces gouvernementales et la réalité vécue par les usagers. La fermeture d'un trop grand nombre de sites risque d'entraîner un recul du service public dans certains territoires.
Philippe Berhault (CFDT) a précisé que la convention collective n'aborde pas certains sujets, qui doivent être traités lors de prochaines négociations : classifications, gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, égalité entre les femmes et les hommes, retraite complémentaire, etc.
Le service rendu aux usagers ne s'est pas amélioré grâce à la fusion et on est très loin de l'objectif, fixé initialement, de soixante demandeurs d'emploi par conseiller. On peut évaluer à cinq mille le nombre d'embauches auxquelles il faudrait procéder pour pallier ce déficit de personnel. Cependant, Pôle emploi n'a pas seulement besoin de recrutements mais aussi d'un projet d'établissement clair.
Gérard Dériot , rapporteur, a fait part de son incompréhension : le fait d'avoir rapproché les agents de l'ANPE et des Assedic dans un même établissement a-t-il donc occasionné tant de dysfonctionnements ?
Régis Dauxois (FO) a répondu qu'il serait erroné de croire que Pôle emploi est simplement confronté aux problèmes classiques que rencontre tout établissement amené à gérer une fusion. Le coeur du problème réside plutôt dans un modèle managérial qu'il faut remettre en cause.
Jean-Charles Steyger (SNU) a estimé qu'il aurait fallu différer la fusion pour permettre au service public de l'emploi de faire face dans de bonnes conditions à l'afflux de chômeurs dû à la crise.
Jean-Pierre Godefroy , président, a demandé s'il serait utile que Pôle emploi se dote d'un nouvel organe de concertation au niveau national.
Régis Dauxois (FO) a jugé qu'il serait préférable d'élargir les moyens d'action des IRP existantes.
Jean-Charles Steyger (SNU) a ajouté qu'il est important de recréer des temps d'échanges entre les agents, afin de renforcer leur sentiment d'appartenance à une équipe.
Leïla Salière (SNU) a déploré la persistance d'inégalités de carrières et de salaires entre les femmes et les hommes, auxquelles la convention collective n'apporte pas de solutions.