2. Des premières évolutions rassurantes
La première évolution rassurante qui peut être constatée en Ukraine depuis les élections présidentielles tient à la personnalité du nouveau président lui-même. M. Viktor Ianoukovytch, qui avait bénéficié des fraudes massives des deux premiers tours des élections présidentielles de 2004 et apparaissait ainsi comme un « tricheur », au point de paraître politiquement fini, a fait des efforts considérables pour modifier son image d' « homme de Moscou ». Dès avant ces élections présidentielles, il avait déjà beaucoup changé. C'est lorsqu'il était Premier ministre que l'Ukraine a négocié son adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). De même, s'il s'est toujours refusé à l'adhésion de son pays à l'OTAN, comme la grande majorité de la population du reste, il n'a pas non plus réduit sa collaboration avec l'alliance militaire occidentale.
Pragmatique, le nouveau président est confronté à d'immenses défis. Le premier d'entre eux consiste à asseoir son autorité sur un pays divisé et un Etat en proie à d'incessantes querelles politiques et à établir la stabilité à laquelle les Ukrainiens aspirent.
De ce point de vue, les premiers développements politiques depuis son élection sont plutôt encourageants. Jusqu'à présent, l'alternance a eu lieu dans un climat relativement apaisé.
D'abord, les résultats des élections n'ont pas fait l'objet de contestations vraiment sérieuses de nature à en remettre en cause la sincérité.
Certes, environ une semaine après le second tour, Mme Ioulia Tymochenko, dans une « adresse à la Nation » diffusée à la télévision publique, a estimé que les élections avaient donné lieu à des fraudes importantes qui auraient permis la victoire de son adversaire. Si elle a écarté tout appel de ses partisans à manifester, elle a annoncé qu'elle ferait appel des résultats devant la Cour administrative suprême ainsi que devant les tribunaux compétents pour faire annuler les résultats de certains bureaux de vote.
Cette attitude « jusqu'au-boutiste » n'aurait rien auguré de bon pour l'Ukraine. Mme Tymochenko a toutefois renoncé, une dizaine de jours plus tard, à contester les résultats en justice, rendant ainsi possible l'investiture du président élu. Elle n'a cependant jamais reconnu sa défaite. Une note de la Fondation Robert Schuman consacrée aux élections présidentielles ukrainiennes précise que, « selon le très influent journal en ligne Oukrainska Pravda , la Premier ministre a assuré, lors d'une réunion de son parti, qu'elle ne reconnaîtrait « jamais la légitimité de la victoire de Ianoukovytch dans de telles élections » » (6 ( * )) .
Ensuite, la passation de pouvoirs a été rapide . La cérémonie d'investiture de M. Viktor Ianoukovytch a eu lieu le 25 février 2010, soit moins de trois semaines après le second tour de l'élection, en présence du président du Parlement européen, du commissaire européen à l'élargissement et de la Haute Représentante pour les affaires étrangères, qui représentaient l'Union européenne, et de représentants de nombreux États européens, dont la France, mais en l'absence du président russe. Ni le Président Iouchtchenko ni Mme Tymochenko n'ont assisté à la cérémonie.
À cette occasion, le nouveau président a prononcé un discours dans lequel il a pris l'engagement de rétablir la stabilité politique, de favoriser la venue d'investisseurs étrangers et de mettre en oeuvre une politique étrangère fondée sur la neutralité et visant l'équilibre des relations avec la Russie et l'Union européenne.
Enfin, la formation rapide d'une nouvelle coalition au Parlement a permis d'éviter une longue période de transition peu propice à l'engagement des réformes dont le pays a besoin.
À l'issue du scrutin présidentiel, Mme Ioulia Tymochenko restait Premier ministre, à la tête d'une coalition dominée par différentes formations politiques regroupées au sein du Bloc Ioulia Tymochenko (BIOUT), qui dispose de 156 sièges, et comprenant également des députés du « bloc Lytvyn », du nom du président de la Rada, et du parti Notre Ukraine-Autodéfense du peuple, historiquement lié à l'ancien Président Iouchtchenko.
Le parti du Président Ianoukovytch, le Parti des régions, s'il constitue le principal groupe à la Rada, avec 175 sièges, était dans l'opposition. Or, le Premier ministre n'a jamais manifesté son souhait de démissionner, en dépit des appels répétés du président élu, même si son gouvernement était très affaibli par des départs et limogeages de plusieurs ministres (finances, affaires étrangères, défense, transports,...) et si la coalition parlementaire qui la soutenait était en proie à de multiples déchirements. Le Parti des régions n'avait pas la majorité à lui seul à la Rada. La mise en oeuvre du programme présidentiel exigeait la formation d'une nouvelle coalition.
Le 2 mars, alors que vos rapporteurs assistaient, depuis les tribunes, à une séance de la Rada, le président de celle-ci a annoncé la fin de la coalition soutenant le gouvernement de Mme Tymochenko, ouvrant ainsi la voie soit à la formation d'une nouvelle coalition dans un délai de 30 jours, soit, en cas d'échec, à l'organisation d'élections législatives anticipées, le prochain scrutin étant normalement prévu en 2012.
Une nouvelle coalition parlementaire, dénommée « Stabilité et réformes », a été formée dès le 11 mars, ce qui est particulièrement rapide dans un pays marqué par des tensions politiques récurrentes, autour du Parti des régions, rejoint par des députés du « bloc Lytvyn », des députés communistes et des députés du BIOUT ayant fait défection, à titre individuel. La nouvelle coalition a aussitôt apporté son soutien à un nouveau Premier ministre, M. Mykola Azarov, ancien ministre des finances, proche du Président Ianoukovytch. Mme Tymochenko et les parlementaires qui continuent de la soutenir sont passés dans l'opposition.
Les premières décisions du nouveau président en matière de politique étrangère sont également plutôt rassurantes.
Quatre jours après son investiture, le 1 er mars 2010, le Président Ianoukovytch, pour son premier déplacement à l'étranger , a choisi de se rendre à Bruxelles , où il a rencontré le président de la Commission européenne, celui du Conseil européen, la Haute Représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et le président du Parlement européen.
Ce geste symbolique, sans doute motivé par le souci du nouveau président de gommer son image « pro-russe », a été particulièrement apprécié par les dirigeants européens, même si le président ukrainien s'est rendu à Moscou dès le 5 mars suivant. Rappelons toutefois que, lorsqu'il fut Premier ministre, entre août 2006 et décembre 2007, il avait déjà choisi Bruxelles plutôt que Moscou comme destination de son premier déplacement à l'étranger, et que son prédécesseur à la tête de l'Etat, M. Viktor Iouchtchenko, avait fait le choix contraire peu de temps après son élection. Ce déplacement à Bruxelles a explicitement motivé l'absence du président russe à la cérémonie d'investiture du 25 février précédent.
Il n'en demeure pas moins que ce déplacement illustre l'intérêt que porte l'Ukraine au développement de ses relations avec l'Union européenne.
* (6) Fondation Robert Schuman, Questions d'Europe n° 158, 15 février 2010.