B. LE RÔLE STRATÉGIQUE DE GAZPROM
Héritière du ministère du gaz de l'URSS, Gazprom fournit le quart du gaz consommé par l'Union européenne et possède environ 20 % des réserves mondiales de gaz et 155 000 kilomètres de gazoducs. Contrôlée majoritairement par l'Etat, l'entreprise joue un rôle central dans la politique et la diplomatie énergétique du pays.
1. Un instrument de contrôle des ressources énergétiques
a) Une entreprise étroitement contrôlée par le pouvoir politique
Dès 2001, MM. Alexeï Miller et Dmitri Medvedev, anciens collaborateurs de Vladimir Poutine à Saint-Pétersbourg, ont pris les présidences du directoire et du conseil d'administration de Gazprom.
Fin 2005, une cession d'actions de Gazprom à l'Etat russe a permis à ce dernier de passer de 38 % à 50,01 % du capital et de lever, parallèlement, les restrictions aux achats d'actions par les étrangers. Même si elle s'inscrit par de nombreux aspects dans la continuité de l'héritage soviétique, Gazprom s'est ouverte aux logiques du marché : cotation en bourse, majorité des recettes réalisées à l'exportation, stratégies d'acquisition de technologies et d'internationalisation.
Gazprom n'en reste pas moins étroitement contrôlée par le pouvoir, et l'appareil administratif russe intervient largement dans la définition de ses intérêts.
b) Un équilibre délicat entre Gazprom et Rosneft
En recherche d'une solution pour devenir majoritaire dans Gazprom, l'Etat russe avait annoncé en 2004 son intention de fusionner Gazprom avec la compagnie pétrolière publique Rosneft.
Toutefois, le transfert des actifs pétroliers de Ioukos à Gazprom comportant de nombreux risques juridiques, les autorités avaient finalement attribué l'essentiel de la base de production de Ioukos à Rosneft, moins exposé internationalement que Gazprom, et opté pour un paiement cash de sa prise de contrôle de Gazprom. De ce fait, Rosneft est devenu le premier producteur pétrolier russe, devant Loukoil, et un acteur de poids face à Gazprom.
2. Un vecteur d'influence de la Russie à l'étranger
a) La sécurisation des ressources en provenance d'Asie centrale
Les dirigeants de Gazprom entretiennent une diplomatie très active dans les Etats de la Caspienne et d'Asie centrale afin de conserver l'accès privilégié de la Russie à leurs ressources énergétiques et son contrôle sur les voies d'évacuation du gaz de la région.
Jusqu'au déclenchement de la crise économique, Gazprom devait impérativement, pour faire face à la demande de gaz dans l'Union européenne et dans la partie occidentale de la Communauté des Etats Indépendants, disposer pleinement de la variable d'ajustement que constitue la production de gaz des pays d'Asie centrale et du Caucase. Le Turkmenistan fournissait ainsi à la Russie l'essentiel de sa production gazière : 50 milliards de m 3 par an, soit près de 10 % de la production gazière russe. Interrompues depuis avril 2009 par l'explosion d'une branche d'un gazoduc turkmène et un différent contractuel entre les deux parties, les exportations gazières turkmènes ont repris en janvier 2010, mais pour des volumes moindres. Cet évènement a cependant encouragé le Turkménistan dans sa volonté de diversification des débouchés gaziers (ouverture d'un gazoduc vers la Chine, augmentation des exportations vers l'Iran).
b) Les prises de participation dans des actifs à l'étranger
Gazprom avait annoncé en 2008 sa participation à des projets de développement de gisements tous azimuts : accord de production avec le Vietnam, projet d'investissement en exploration au Tadjikistan, etc.
Gazprom investit dans l'aval : prise de participation dans des unités de traitement du gaz, projet d'aménagement au nord de Berlin du plus grand site de stockage souterrain de gaz naturel en Europe, négociations pour l'entrée dans des actifs électriques de la société italienne ENI, volonté de prises de participation dans des terminaux regazification en Europe et en Amérique du Nord, etc.
Gazprom a par ailleurs fait montre d'importantes ambitions dans le domaine du transport : confirmation de l'intérêt du groupe pour un projet de gazoduc Alaska-Chicago, discussion avec Transcanada pour un projet de gazoduc Alaska-Canada, négociations pour une participation à des gazoducs Nigéria-Italie, Iran-Inde, Venezuela-Argentine, etc.
Enfin, l'entreprise est présente sur le marché de la distribution dans plusieurs pays européens. Elle livre ainsi 1 % du marché français, et souhaite en conquérir 10 % d'ici 2010 par la vente directe aux consommateurs. En s'associant au trader Enia, ainsi qu'à des municipalités italiennes, Gazprom a récemment marqué son intention de percer sur la distribution en Italie.
3. Les priorités de Gazprom à l'heure de la crise
a) Un impact sévère de la crise économique mondiale
Gazprom est doublement touché par la crise. Outre la chute du cours du baril , auquel est connecté le prix du gaz, l'entreprise doit faire face à une forte baisse de la consommation de gaz sur les marchés russe, ukrainien et européen. Gazprom avait annoncé au printemps qu'il ne produirait en 2009 que 492 milliards de m 3 , contre 550 en 2008, soit une baisse de 10 % équivalente à une fois et demi la consommation annuelle de la France.
La production constatée fin 2009 aurait finalement été encore plus faible que prévu (461 milliards de m 3 ).
b) Une multiplicité d'objectifs à financer simultanément
Endetté à hauteur de 50 milliards de dollars, Gazprom doit en théorie financer à la fois la maintenance de ses actifs de production et de transport, et sa croissance interne : développement des champs gaziers de la mer de Barents, de la péninsule de Iamal, de Sibérie orientale et d'Extrême-Orient russe, construction de nouvelles infrastructures de transport de gaz (projet de gazoduc de 2 000 kilomètres Sakhaline-Vladivostok, projet de gazoduc de 175 kilomètres pour desservir Sotchi en vue des Jeux Olympiques de 2014).
Simultanément, Gazprom doit financer sa croissance externe : rachat pour 4 milliards de dollars des 20 % d'ENI dans sa filiale pétrolière Gazpromneft, acquisition d'actifs de production électrique en Russie qui demandent un effort de modernisation.