2. Les faiblesses du mécanisme institutionnel de l'Europe sociale
À l'absence de vision commune entre les États membres sur les contours de l'Europe sociale viennent de surcroît s'ajouter certaines faiblesses du mécanisme institutionnel mis en place en matière sociale.
Un certain nombre de sujets sociaux sont soumis à un vote à l'unanimité au Conseil. Or, face aux antagonismes qui existent entre les États membres en matière sociale, il apparaît de plus en plus difficile de trouver des compromis sur des textes soumis à un vote à l'unanimité. Quant à la majorité qualifiée, elle est elle-même de plus en plus délicate à réunir face à l'absence de consensus entre les États membres.
Procédures décisionnelles dans le domaine
social
sur la base des dispositions du traité
consolidé
Principaux domaines concernés
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Implication
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Nature du vote
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Non-discrimination - Art. 13.1 |
Consultation |
Unanimité |
Mesures d'encouragement à la lutte contre les discriminations - Art. 13.2 |
Codécision |
Majorité qualifiée |
Libre circulation des travailleurs - Art. 39 |
Codécision |
Majorité qualifiée |
Coordination des régimes de sécurité sociale - Art. 42 |
Codécision |
Unanimité |
Lignes directrices pour l'emploi et rapport conjoint - Art. 128 |
Consultation |
Majorité qualifiée |
Santé sécurité sur le lieu de travail - Art. 137.1 a) Conditions de travail - Art. 137.1 b) Information et consultation des travailleurs - Art. 137.1 e) Intégration des personnes exclues du marché du travail - Art. 137.1 h) Egalité entre les hommes et les femmes (sur le marché du travail et dans le travail) - Art. 137.1 i) Lutte contre l'exclusion sociale - Art. 137.1 j) Modernisation des systèmes de protection sociale - Art. 137.1 k) |
Codécision Codécision
Codécision
Codécision
Codécision
Codécision
Codécision |
Majorité qualifiée
Majorité qualifiée
Majorité qualifiée
Majorité qualifiée
Majorité qualifiée
Pas de directive
Pas de directive
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Sécurité sociale et protection sociale des travailleurs - Art.137.1 c) |
Consultation |
Unanimité |
Protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail - Art. 137.1 d) |
Consultation |
Unanimité |
Représentation et défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs - Art. 137.1 f) |
Consultation |
Unanimité |
Conditions d'emploi des ressortissants des pays tiers se trouvant en séjour régulier sur le territoire de la Communauté - Art. 137.1 g) |
Consultation |
Unanimité |
Égalité de traitement entre les hommes et les femmes - Art. 141 |
Codécision |
Majorité qualifiée |
Fonds social européen - Art. 148 |
Codécision |
Majorité qualifiée |
Mesures pour contribuer à la réalisation des objectifs dans le domaine de la formation professionnelle - Art. 150 |
Codécision |
Pas de directive
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Cette situation explique sans doute pourquoi l'Union européenne a développé des méthodes alternatives, à l'image de la méthode ouverte de coordination , pour préserver une certaine coordination des politiques des États membres en matière sociale. Cette méthode de travail a toutefois ses limites. Sa mise en oeuvre s'appuie en effet sur la bonne volonté des États membres. Elle ne comporte aucun caractère contraignant et ne prévoit aucune sanction en cas de non respect, par les États membres, des objectifs qui avaient été fixés.
Les difficultés rencontrées pour légiférer dans le domaine social ont également conduit la Cour de justice à intervenir régulièrement en la matière pour pallier l'insécurité juridique née de l'absence de législation ou de dispositions trop floues. Entre décembre 2007 et avril 2008, la Cour a ainsi rendu trois arrêts - Laval, Viking et Rüffert - par lesquels l'égalité de traitement des salariés est potentiellement assimilée à une entrave à la libre prestation de services. Ce faisant, la Cour tend à privilégier la dimension économique du projet européen. Les cas Laval et Rüffert concernent deux entreprises de travaux publics, l'une lettonne oeuvrant en Suède, l'autre polonaise travaillant dans le Land de Basse Saxe en Allemagne. L'affaire Viking visait une entreprise finlandaise voulant faire passer un de ses navires sous pavillon estonien afin d'échapper aux conventions collectives finnoises.
Ces arrêts viennent souligner les problèmes d'application de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs, notamment au sein des pays ayant recours aux conventions collectives.
La directive sur le détachement des travailleurs adoptée en 1996 et entrée en vigueur en 1999 s'applique dans le cadre d'une prestation de services transnationale effectuée par une entreprise dans un autre État membre que celui où elle exerce habituellement son activité. L'employeur est alors tenu de garantir à son salarié l'application des règles de protection sociale mises en oeuvre sur le territoire de l'État membre où est exécutée la prestation. Les normes applicables aux salariés ont trait à la durée du travail, à celle minimale des congés payés, au salaire minimum, à la santé et à la sécurité au travail.
Ces règles doivent être fixées au sein de l'État membre d'accueil par la voie législative ou réglementaire, voire par le biais de conventions collectives ou sentences arbitrales, si celles-ci sont décrétées d'application générale. Cette précision n'est pas sans incidence, comme l'ont souligné les trois arrêts cités plus haut.
Par ailleurs, l'État membre de détachement ne peut exiger d'autorisation préalable, une déclaration devant néanmoins intervenir au début du détachement sans que cela ne soit nettement fixé par la directive. Une telle imprécision limite la mise en oeuvre de contrôles et peut favoriser un certain nombre d'abus, comme en a témoigné en 2005 l'affaire Constructel en France. France Telecom avait en effet recouru aux services de cette entreprise portugaise pour la pose de poteaux téléphoniques, les employés de la société étant rémunérés selon les règles portugaises.
Dans la lignée des arrêts rendus sur le temps de garde, ces affaires soulignent le rôle pris par la Cour de justice, en matière de définition de la norme sociale européenne, au risque que celle-ci ne soit plus la manifestation de la volonté du politique, mais devienne le fruit des juges. Elles sont parallèlement susceptibles de nourrir la peur du citoyen européen face aux risques de dumping social. Par ailleurs, de telles décisions ne peuvent qu'amener à s'interroger sur les dangers de l'absence de gouvernance en matière sociale à l'échelle de l'Union européenne, la Cour étant amenée à trancher en raison de l'absence d'une réelle coordination entre droits sociaux des travailleurs et liberté de prestation de service pour intervenir.