INTRODUCTION

On parle si souvent des « dépenses publiques » que l'idée de leur consacrer un rapport peut paraître déconcertant. Ne sont-elles pas une des rares notions économiques dignes des attentions d'une opinion publique invitée par de fréquents sondages à exprimer ses avis sur le sujet ?

D'ailleurs, elles sont l'objet de l'attention de tous ceux (institutions comme les autorités européennes, économistes chargés de rapports...) qui se penchent sur le cours de l'économie et s'attachent aux finances publiques pour exercer leur surveillance ou leurs conseils.

Pour autant, les « dépenses publiques », dès qu'on cherche à les définir, échappent à l'évidence que paraît comporter la concentration de tant de discours, d'analyses, de pratiques. D'ailleurs, dès qu'on quitte le langage courant, la notion perd de son identité sémantique. Par exemple, le droit qui ne déteste rien tant que les notions floues et confuses ne les mentionnent pas comme telles. Il y est question de « crédits », de « dépenses engagées », de « dépenses des administrations publiques », jamais à la connaissance de votre rapporteur, de « dépenses publiques ».

Ainsi, si le mot appartient incontestablement au champ du discours, dès le stade de l'analyse, il ne se suffit plus à lui-même. Il n'est réellement compréhensible qu'accompagné de compléments qui restent trop souvent implicites.

Rester dans cet « implicite » ne peut satisfaire personne, surtout pas le Parlement, car, même si dans la structuration historique des démocraties parlementaires, les dépenses publiques n'ont pas le même rôle que le consentement à l'impôt, la définition de leur contour représente un enjeu politique de premier plan.

Cela, les parlementaires le savent bien puisqu'une partie importante de leur activité consiste à examiner le détail des dépenses publiques.

Mais, ils savent aussi que cet examen n'est pas toujours exhaustif - les dépenses fiscales ne leur sont pas toujours présentées avec la rigueur nécessaire - et qu'il est tributaire des supports qui en sont l'occasion : textes financiers ou à effets financiers qui morcèlent le point de vue, rapports qui, insistant sur un aspect en délaissent d'autres et, finalement, tronquent les problèmes à envisager...

Le présent rapport n'a évidemment pas la prétention de dépasser ces limites que les parlementaires connaissent et s'efforcent si bien de surmonter.

Il s'agit plus simplement d'aborder quelques grandes questions relatives à l'économie de la dépense publique , questions qui sont trop souvent traitées par prétérition alors qu'elles apparaissent fondamentales.

Trois questions sont envisagées - pour autant de parties - dans le présent rapport :

- quel est l'effet des dépenses publiques sur l'emploi des ressources économiques d'un pays ?

- quel est l'effet des dépenses publiques sur la croissance économique et, plus largement, sur le bien-être ?

- quel est l'effet des dépenses publiques sur la répartition du revenu national entre les individus ?

Ces trois interrogations sont assez proches, on le constate, de celles que le fondateur le plus célèbre de l'économie publique, Richard Musgrave, avait choisi de traiter, en 1959, dans « Une théorie des finances publiques » .

Cette proximité n'est pas le résultat d'une volonté de se caler a priori sur des travaux précurseurs. Elle témoigne plutôt de la permanence des problèmes théoriques.

La relative marginalisation dans le débat public de ces approches, nécessairement complexes, au profit de jugements de valeur plus simplistes, et la nécessité d'en renouveler l'analyse en raison des changements de contexte (la montée en charge des dépenses publiques, la mondialisation économique...) ont paru à votre rapporteur autant de justifications à un travail qui s'est révélé extrêmement difficile.

Car les ambitions de départ se sont heurtées à la rareté des données immédiatement utilisables et n'ont pas été secondées autant qu'on pourrait s'y attendre, compte tenu de l'importance du sujet, par l'abondance de la littérature disponible.

Il est heureux que des études de très grande qualité soient de plus en plus accessibles et que les comptables nationaux, surtout au niveau européen et de l'OCDE, s'efforcent de combler les vides.

Mais, il reste beaucoup à faire pour construire les statistiques que nécessite l'analyse rigoureuse d'une dimension pourtant majeure (40 % du PIB dans l'OCDE) des réalités économiques et sociales de notre temps.

Ces manques sont sans doute moins accidentels que le produit d'un temps où l'intervention publique trouvant, en soi, sa propre justification, les exigences de l'analyse n'exerçaient pas leurs effets en termes de production de données propres à les satisfaire.

Désormais, il en va tout autrement et la négligence n'est plus possible : elle entretient une critique sourde et aveugle, donc sans profit collectif.

La réflexion sur les dépenses publiques devrait - ce n'est pas une prévision, mais bien une recommandation - connaître un changement de dimension pour la porter au niveau qui, compte tenu de leur poids dans l'économie, devrait être la sienne et permettre de réaliser des choix informés.

Il convient de sortir de nos attitudes quelque peu « fétichistes » qui prêtent une attention exclusive au mot pour ses vertus magiques, et d'entrer dans le coeur du sujet, ou plutôt des sujets puisqu'aussi bien l'expression « la dépense publique » renvoie à une unité qui, factice, ne peut faire illusion.

Sans doute, les dépenses publiques sont-elles loin de représenter le plus puissant élément « aspirant » des ressources économiques des pays développés. Par exemple, le poids du secteur financier, apprécié à partir de la masse salariale qu'il mobilise a plus que doublé, entre 1960 et aujourd'hui, passant de 4 à 9 % de la totalité de la masse salariale privée.

Toutefois, en raison de leur niveau, mais aussi de leur nature, les dépenses publiques appellent un regain d'attention .

La première grande conclusion du présent rapport selon laquelle le niveau des dépenses publiques n'est pas une variable fondamentale à l'oeuvre dans les mécanismes de répartition globale des ressources économiques pourrait conduire à nuancer ce propos.

Mais, les deux autres grandes conclusions du rapport ajoutent au besoin de repérer plus finement les domaines dans lesquels, même marginalement, des études plus systématiques permettraient d'enrichir ce premier constat, en repérant les domaines dans lesquels on consacre trop, ou trop peu, de ressources économiques :

- l' influence des dépenses publiques sur la croissance économique et le niveau de la production ressort comme indéterminée quand on n'observe que leur niveau global mais est, sans doute, fortement liée à leur composition, au niveau le plus fin, et à leur efficacité ;

- l' impact redistributif des dépenses publiques, favorable sous un angle purement quantitatif , doit être très sérieusement nuancé quand on l'apprécie avec des critères plus qualitatifs .

En bref, tout invite à renoncer aux facilités de la généralisation.

D'une part, il n'y a pas une « dépense publique » mais des dépenses publiques, avec sans doute quelques grandes catégorisations possibles, mais aussi de très fortes particularités à chaque fois. Quoi de commun, par exemple, entre une retraite versée en contrepartie de cotisations préalables et la construction d'un pont ?

D'autre part, il n'y a pas de « magie » des dépenses publiques. Dans un contexte de rareté économique, mais aussi d'aspirations au bien-être, il faut pouvoir mesurer l'utilité nette des dépenses publiques. L'entreprise est considérable. Elle invite à un effort d'évaluation, en rupture avec tous les préjugés.

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