III. UN CHANGEMENT DE CAP POLITIQUE EXPRIMÉ PAR TROIS PRIORITÉS DISTINCTES
Selon le rapport au Parlement sur les orientations de la politique de l'immigration de décembre 2007, établi en application de l'article L. 111-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, « l'immigration économique est celle qui participe à la prospérité économique de la France ». Et le rapport précise que : « du côté de l'économie de l'offre, est favorable à la prospérité économique l'immigration d'actifs humains de grande valeur qui enrichissent le capital humain au service du développement et la croissance économique (immigration de matière grise, de très hautes qualifications, d'entrepreneurs) et de personnes dont l'employabilité en France est telle qu'ils rencontreront effectivement et durablement l'offre d'emplois du marché interne du travail ou créeront leur propre emploi, permettant ainsi le plein déploiement de l'offre de biens et services au bénéfice de l'ensemble des personnes vivant en France ».
Le ratio comptable pourrait comprendre selon ce même rapport :
- au dénominateur la totalité des premières admissions au séjour pour des durées au moins égales à un an, sauf les admissions d'étudiants, les admissions au statut de réfugié, les admissions d'étrangers malades, en y ajoutant tous les changements de statut d'étrangers autorisés précédemment à séjourner en France en qualité d'étudiants ;
- au numérateur, parmi les seuls titres dénombrés au dénominateur, les premières admissions au séjour pour motifs « économiques » (cartes compétences et talents, actifs non salariés, scientifiques, artistes, salariés, salariés en mission, titres pluriannuels de saisonnier), les visiteurs, les admissions au séjour, sur d'autres motifs, d'étrangers dont le niveau d'employabilité en France est supérieur à un minimum, à définir.
En conséquence, l'objectif d'accroître l'immigration professionnelle est triple :
- positionner la France dans le recrutement des talents, accélérateurs de croissance ;
- trouver des ressources complémentaires au marché du travail national face à certaines pénuries de main d'oeuvre ;
- professionnaliser les ressortissants étrangers venus en France pour motif familial .
A. POSITIONNER LA FRANCE DANS LE RECRUTEMENT DES TALENTS, ACCÉLÉRATEURS DE CROISSANCE
1. Un objectif incarné en large partie par la carte « compétences et talents »
L'article 15 de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration a créé, comme cela existe dans d'autres pays, une carte de séjour, dite « compétences et talents », qui peut être accordée à un « étranger susceptible de participer, du fait de ses compétences et de ses talents, de façon significative et durable au développement économique ou au rayonnement, notamment intellectuel, scientifique, culturel, humanitaire ou sportif de la France et du pays dont il a la nationalité ». Cette carte est donc l'outil dont notre pays a souhaité se doter pour assurer la prospection de talents à l'échelle mondiale.
Ses critères d'attribution ont été définis par une commission, présidée par M. Pierre Bellon, président directeur général du groupe SODEXHO. Nommés le 10 décembre 2007 par arrêté ministériel, près d'un an et demi après la promulgation de la loi précitée, ses membres ont délibéré le 11 décembre 2007 des critères d'attribution de la carte.
Il convient de préciser que cette carte n'est pas le seul outil d'attractivité : d'autres cartes, notamment celle relative aux « salariés en mission », ont été créées dans la même loi et permettent d'alléger les formalités pour les cadres détachés par leur entreprise dans notre pays.
2. Le risque de « pillage des cerveaux », pris en compte par la France, l'est très peu par ses concurrents étrangers
La carte « compétences et talents » est volontairement restrictive pour les ressortissants des pays de la zone de solidarité prioritaire (ZSP), en termes de durée (trois ans non renouvelables), mais aussi parce que le demandeur doit porter un projet de « codéveloppement » avec son pays d'origine, afin de ne pas prêter le flanc à la critique d'un « pillage des cerveaux ».
Ce risque n'est pas réellement pris en compte par les autres pays disposant d'outils du même type, et avec lesquels la France est en concurrence pour attirer des talents du monde entier. Ainsi, selon la note précitée de la direction générale du trésor et de la politique économique, « la liberté de circulation est un concept qui est au coeur de l'identité américaine. Les Américains sont conscients d'avoir les meilleures universités du monde, un système économique extrêmement compétitif malgré certains soubresauts, des pôles de recherche attractifs. Il leur parait donc normal que des hommes et des femmes du monde entier viennent tenter de saisir les opportunités qui s'offrent à eux aux États-Unis, quitte à ce que ces derniers repartent par la suite dans leurs pays d'origine ».
En Allemagne ou en Espagne, il n'existerait pas davantage de réflexion particulière concernant un « pillage des cerveaux ». A l'inverse, au Royaume-Uni, dans certains secteurs particuliers, des règles spécifiques ont été introduites. Dans le domaine de la santé, un code de bonnes pratiques a été introduit en 2001 pour le recrutement international des docteurs et infirmières. Ce code interdit aux organismes publics de santé de recruter à l'international, sauf si un accord spécifique existe avec le gouvernement étranger. Depuis cette date, selon la direction générale du trésor et de la politique économique, le recrutement « agressif » de professionnels de santé aurait considérablement diminué, grâce notamment un investissement plus important dans la formation des personnels médicaux au Royaume-Uni.
En Australie, dans le même secteur de la santé, la « National Health Workforce Strategy » vise à réduire également le recrutement de migrants par la formation de personnels en nombre suffisant. Mais, malgré des efforts, l'Australie resterait marquée par une pénurie des personnels de santé. Selon l'OCDE, plus de 30 % des médecins et plus de 20 % du personnel infirmier actifs en Australie seraient d'origine étrangère.
Tous les pays d'émigration, même en Afrique, ne perçoivent d'ailleurs pas le phénomène avec la même acuité. Le « pillage des cerveaux » ne fait ainsi pas polémique au Bénin, alors que la question est sensible au Sénégal. En la matière, le nombre de migrants est sans doute une variable essentielle.