2. L'OCDE et l'économie mondiale
L'Assemblée, réunie en formation élargie aux membres non européens qui bénéficient du statut d'observateur - le Canada, la Corée, le Japon et le Mexique - a tenu un débat sur l'OCDE et l'économie mondiale.
Les délégués se sont réjouis de la bonne orientation actuelle de la croissance mondiale. Ils ont particulièrement insisté sur leurs souhaits de voir des politiques volontaristes mises en place dans le développement des secteurs de l'énergie, de la gestion de l'eau, de l'éducation et de l'agriculture. Ils ont souhaité que les pays en voie de développement bénéficient de cette bonne conjoncture. Ils se sont félicités du choix du Secrétaire général de l'OCDE - M. Ángel Gurría - de faire des migrations massives de population sa priorité.
M. Rudy Salles (Alpes-Maritimes - UDF) s'est exprimé dans ce débat au nom de la commission des Migrations, des réfugiés et de la population, ainsi que MM. Francis Grignon (Bas-Rhin - UMP) et Michel Hunault (Loire-Atlantique - UDF).
M. Rudy Salles, député :
« Il y a un an, je présentais, devant cette Assemblée, au nom de la commission des Migrations, un rapport sur la politique de co-développement comme mesure positive de régulation des flux migratoires. Je constate que mon texte a aujourd'hui encore plus d'actualité qu'il y a un an, quand on songe aux arrivées en masse des migrants irréguliers de l'Afrique sub-saharienne et même de l'Asie sur les rives sud de l'Europe. Plus de 25 000 sont arrivés aux îles Canaries depuis le début de l'année, contre 2 000 en 2005, un nombre presque aussi dramatique à Lampedusa, ainsi qu'à Malte, en Grèce, à Chypre et en France.
Les ministres de l'Intérieur de ces pays, avec leurs collègues du Portugal et de la Slovénie, ont donc organisé une réunion en Espagne, vendredi dernier, pour discuter d'une stratégie pour faire face à ce problème. La cause principale de ces migrations est le manque de perspectives pour les jeunes dans leur pays d'origine. Rappelons que la famine, les pandémies, la dictature, les guerres, la corruption sévissent dans nombre de pays d'origine, ce qui constitue un appel important pour les candidats au départ.
Je note avec satisfaction que l'OCDE a organisé une Conférence sur les migrations, les transferts de fonds et le développement économique des pays d'origine, ce qui va dans le sens de notre rapport. Faut-il rappeler que le total des transferts de fonds opérés fait chaque année par les migrants dépasse aujourd'hui largement les flux d'aides officielles pour le développement apportés par les pays de l'OCDE ?
L'une des recommandations de mon rapport sur le co-développement était précisément de faire en sorte que les migrants deviennent des agents du développement en créant à cet effet les conditions adéquates et favorables aux niveaux national, régional et international. Une autre de ses recommandations souligne l'importance d'encourager la participation des migrants à l'élaboration des politiques et des projets de co-développement et de promouvoir un retour des étudiants et migrants répondant aux besoins des pays d'origine.
Mes chers collègues, nos pays industrialisés, avec une population de plus en plus âgée, ont aussi besoin des migrants pour assurer le bon fonctionnement de nos économies. Certains secteurs sont déjà aujourd'hui très dépendants des travailleurs migrants. La commission des migrants, des réfugiés et de la population a étudié ces questions dans plusieurs rapports. C'est avec satisfaction que je constate que la gestion des migrations de travail, afin d'assurer et soutenir la croissance économique, représente également une des priorités de l'OCDE.
Je tiens enfin à féliciter le nouveau Secrétaire Général de l'OCDE, M. Ángel Gurría, d'avoir choisi les migrations internationales comme l'une des trois priorités de l'organisation pour les deux premières années de son mandat.
Je veux dire, pour conclure, que ce sujet constitue l'un des défis majeurs du XXIe siècle. Aucun pays d'accueil n'est aujourd'hui en mesure de régler les problèmes de migration en votant simplement des lois intérieures qui n'ont strictement aucun effet sur le problème dont nous parlons. Nous devons mettre en oeuvre, au moins au niveau européen, un vaste plan de coopération. Nous devons encourager le co-développement de toutes nos forces. Si nous n'y mettons pas l'ardeur et les moyens nécessaires, alors nous serons responsables d'une situation migratoire très difficile, qui appauvrira les pays les plus pauvres et déstabilisera le fragile équilibre de la planète. »
M. Francis Grignon, sénateur :
« Monsieur le Président, monsieur le Secrétaire Général, mes chers collègues, nous sommes appelés, comme chaque année, à débattre de l'évolution de l'économie, en particulier du rôle de l'organisation de coopération et de développement économique qui nous associe à nos principaux partenaires. Je m'en réjouis, car c'est l'occasion de débattre des grandes orientations que l'OCDE trace pour nos économies.
Le rapport très complet de notre collègue Ignacio Cosidó évoque à juste titre la nécessité de poursuivre la négociation des accords multilatéraux sur le commerce international dans le cadre de l'OMC.
L'invitation à abandonner toute subvention publique aux producteurs doit être respectée par tous les grands partenaires du commerce international. L'Union européenne a fait, à mon sens, la plus grande partie du chemin sans que la réciproque soit toujours respectée. Je pense, par exemple, au coton, dont les producteurs doivent supporter la concurrence largement faussée.
Le rapport insiste aussi fort justement sur la transparence du marché mondial des capitaux et sur l'impératif d'un environnement juridique stable, condition nécessaire aux investissements. Quant au paragraphe 5 du projet de résolution, qui qualifie les flux migratoires intenses de positifs pour la croissance mondiale dans le cadre d'une mondialisation des marchés du travail, il me semble que l'approche devrait être moins passive, plus positive pour les pays d'origine. Nous ne pouvons ignorer ni l'impact sur nos sociétés de flux incontrôlés ni les causes qui poussent de plus en plus de candidats à quitter leur pays natal. Je pense en particulier aux pays d'Afrique, dont l'émigration vers l'Europe ne peut être la seule perspective pour leurs populations.
Par ailleurs, il me semble impératif d'orienter vers ces régions l'implantation d'industries manufacturières de main-d'oeuvre plutôt que de les considérer comme des marchés d'exportation pour le Nord. Il est temps de rompre avec des comportements coloniaux d'un autre âge. Ainsi, par la distribution de salaires, doit pouvoir s'enclencher un cycle vertueux de consommation locale et donc des développements à partir de cette injection initiale de pouvoir d'achat. Tant qu'un salarié africain ne gagnera que 70 euros par mois pour acheter un téléphone portable, un congélateur, un ordinateur ou une voiture qui vient d'un autre continent, l'Afrique stagnera.
En conséquence, l'aide publique de nos États vis-à-vis des pays en voie de développement doit se concentrer sur l'éducation. Pas de vraie démocratie sans éducation ; pas d'eau, de pain ou de médicaments pour tous sans vraie démocratie. L'éducation est donc la condition sine qua non de tout développement. La formation des personnes constitue le capital humain qui permettra à des investisseurs d'implanter des industries dans ces pays. J'espère que nous saurons dépasser nos égoïsmes pour aller dans cette direction.
Enfin, le rapport insiste, entre autres, sur les incertitudes en matière d'énergie et nous invite, à juste titre, à développer la recherche ainsi que la production d'énergies alternatives. Largement à l'abri d'une dépendance préjudiciable grâce aux investissements dans l'énergie nucléaire, la France prend conscience de l'important potentiel des bio-énergies. Mais le problème doit être désormais envisagé au niveau de toute l'Europe. Quand je pense «énergie», je ne pense pas seulement au carburant de nos voitures, mais aussi à la chimie du végétal qui devra à terme, j'en suis persuadé, compléter la chimie dérivée des ressources fossiles.
En conclusion, ne s'agit-il pas aujourd'hui, plutôt que de faire prévaloir une orthodoxie entre les 30 pays membres de l'OCDE, de prévoir l'élargissement de l'Organisation à nos partenaires que sont la Chine, l'Inde et la Russie. Cette évolution, plus conforme aux flux actuels du commerce mondial, deviendrait ainsi le cadre du fair trade , c'est-à-dire de cette concurrence loyale dont le développement a besoin tant entre États riches ou près de l'être qu'entre États de l'OCDE et pays en voie de développement. Ce serait en somme une solidarité au bénéfice de tous. »
M. Michel Hunault, député :
« Monsieur le Président, dans le cadre de ce débat annuel devant votre Assemblée sur les activités de l'OCDE et l'économie mondiale, je tiens à saluer à mon tour, la qualité du rapport de M. Cosidó, les intervenants entendus au nom des différentes commissions et votre exposé, M. le Secrétaire général.
Jamais l'économie mondiale n'a connu une croissance aussi soutenue qu'en 2005 et 2006, notamment en Asie. Certes, comme il est écrit dans le rapport, l'économie mondiale est confrontée aux défis de la hausse des prix de l'énergie, des déséquilibres commerciaux et budgétaires de certains pays. Plus grave encore que ces défis, l'économie mondiale est confrontée aux déséquilibres et à l'accroissement des disparités entre pays riches et pays pauvres. Nous avons obligation de lutter contre la pauvreté. Alors que le secteur financier réalise des profits record, que jamais il n'y a eu autant de disponibilités financières, les inégalités s'accroissent entre les pays riches et pays pauvres ! Or, nous savons ici que l'économie mondiale ne peut s'exonérer de certaines préoccupations et exigences. La situation de misère, d'extrême pauvreté pour près de deux milliards d'êtres humains qui vivent avec moins de 1,5 dollar par jour, est une insulte à notre dignité humaine.
La misère est la cause première de l'immigration en provenance des pays pauvres. Aucun mur, aucune loi n'arrêtera l'immigration des populations en provenance des pays abandonnés qui réclament, à juste titre, leur part de dignité.
Dans ce débat, je voudrais mettre en relief des pistes pour conforter la croissance et l'économie mondiale vers une économie plus justement et mieux partagée. L'exigence d'une bonne gouvernance passe par la lutte contre toute forme de corruption et contre le blanchiment du produit de l'activité criminelle organisée. En effet, on sait qu'il existe une relation étroite entre le niveau de la pauvreté et celui de la corruption. Nous devons donc réagir et nous poser la question de la traçabilité des mouvements financiers dans le dessein de lutter contre la corruption qui sévit dans le domaine de l'aide accordée aux pays en voie de développement, trop souvent détournée de ses objectifs. Nous devons aussi veiller à orienter l'aide au développement vers l'éducation et la recherche, dans un monde où un enfant sur deux n'a pas accès à l'école ! Nous devons aussi engager, comme vous l'avez suggéré M. le Secrétaire général, une action urgente pour l'accès à l'eau potable et aux richesses les plus essentielles dont sont privés tant d'êtres humains.
Se pose aussi la question de l'efficacité des institutions de coopération notamment financières. A l'exemple de la BEI et de la BERD, au nom de la commission économique de notre Assemblée, je suis chargé de rédiger un rapport sur l'opportunité de créer une nouvelle institution financière, la banque Euro-Méditerranée, qui serait orientée vers le développement durable, le financement d'infrastructures et l'éducation dans les pays de l'Euro-Méditerranée.
Les déséquilibres et la pauvreté entraîneront l'économie mondiale vers le chaos si nous ne réagissons pas. On sait que c'est sur le terrain de la pauvreté, des frustrations, de l'ignorance que prospèrent la haine, le terrorisme et les conflits. Monsieur le Secrétaire général a parlé à juste titre des déséquilibres démographiques dans les pays développés, où la population vieillit. Au-delà de la problématique du financement des retraites, se posera la question du financement de la dépendance des personnes âgées et handicapées.
Devant cette Assemblée parlementaire qui a vocation à oeuvrer pour la dignité de l'homme, qui se doit de contribuer à construire un monde de paix et de prospérité, nous devons, à l'occasion de ce débat sur l'économie du monde, comme nous l'avons fait en juin 2005 lorsque nous avons débattu des priorités du troisième millénaire, appeler à la construction d'un nouvel ordre économique mondial ; mais aussi oeuvrer à rendre plus efficace les institutions politiques, juridiques et financières existantes.
Monsieur le Secrétaire général, vous avez souhaité des suggestions. Il me semble que, face aux défis du XXIe siècle, au premier rang desquels se trouve la pauvreté, il faudra se poser la question de l'efficacité des institutions existantes. Ne faut-il pas en créer de nouvelles pour rendre plus prospère l'économie du monde au service de toutes les nations ? »
A l'issue du débat, l'Assemblée a adopté à l'unanimité une Résolution (n° 1518) .