c) La chaleur d'origine renouvelable : un potentiel considérable, un gisement sous-exploité
Les gisements de chaleur d'origine renouvelable apparaissent considérables en France. Toutefois, ce potentiel est largement sous-exploité.
La chaleur d'origine renouvelable consomme 11 Mtep à l'heure actuelle, soit 18 % de nos besoins thermiques : 9,18 Mtep pour le bois énergie (soit la production énergétique la plus importante en Europe en valeur absolue), 600.000 tep pour la valorisation énergétique des déchets (ce qui en fait la deuxième énergie thermique renouvelable en France), 130.000 tep pour la géothermie, 63.000 tep pour le biogaz et 34.000 tep pour le solaire.
Les parts respectives des différentes énergies renouvelables thermiques en France
(1) Biomasse énergie
D'après M. Claude Roy, coordonnateur interministériel pour la valorisation de la biomasse, l'objectif d'augmenter de 50 % la chaleur d'origine renouvelable devrait pouvoir être atteint en 2010, essentiellement par la valorisation énergétique de biomasse.
Tout d'abord, la valorisation des déchets (déchets ménagers et déchets industriels banals) pourrait fournir, une énergie supplémentaire de 1 à 2 Mtep par incinération d'ordures ménagères ou production de biogaz. Mais le potentiel à moyen long terme va bien au-delà, comme cela sera indiqué ultérieurement.
Toutefois, c'est bien la biomasse agricole et forestière qui constitue le gisement énergétique le plus fécond pour les années à venir , d'autant qu'il s'agit d'une ressource abondante et territorialement bien répartie : son utilisation est ainsi possible dans de nombreuses régions en métropole comme outre-mer, en plaine comme en montagne, ce qui en fait un atout pour l'aménagement du territoire . On estime à 5 Mtep l'énergie qui pourrait être produite chaque année par les déchets de l'agroforesterie (plaquettes forestières, pailles, petits bois et résidus d'exploitation, bois d'élagage, copeaux, écorces, pailles de céréales, tiges de maïs, sarments de vigne...) ainsi que par les produits de l'industrie du bois (par exemple, les déchets de scierie qu'on trouve dans certaines régions comme les Pays de la Loire, la Lorraine et Rhône-Alpes).
Copeaux de bois
(Source : Dalkia)
De nombreuses personnes entendues par vos rapporteurs ont ainsi souligné l'intérêt de la valorisation énergétique de la paille . Il s'agit de recycler un sous-produit des cultures céréalières qui ne sert ni pour le bétail (l'élevage disparaît progressivement), ni comme amendement des sols et qui est le plus souvent brûlé sur place. La production de pailles et résidus de récoltes est estimée en France à 50 Mt/an (soit 12 Mtep/an), mais 90 % sont ainsi utilisés comme fourrages ou litières (ou pour l'enfouissement). Un à 1,5 Mtep/an seraient aujourd'hui théoriquement disponibles pour l'énergie , contre une valorisation aujourd'hui négligeable.
La valorisation énergétique de la paille : l'exemple de Valduc Avec une puissance de 5 mégawatts, la chaufferie de Valduc (Côte d'Or) est la plus importante chaufferie à paille de France. Selon le même principe de fonctionnement qu'une chaudière à bois, le combustible est de la paille broyée à laquelle peuvent s'ajouter des déchets de scierie. L'unique utilisateur de ce procédé de cogénération, encore peu répandu en France, est l'installation du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), implantée sur la même commune. Classé secret-défense, l'établissement effectue des recherches sur les matériaux et fabrique des sous-ensembles d'armes nucléaires. Les deux tiers de la chaleur nécessaire pour chauffer les 194.000 m 2 de bureaux et laboratoires du CEA proviennent, depuis novembre 2005, de la combustion de la paille. Par rapport au fioul qui était précédemment utilisé, ce nouveau mode de chauffage réduit annuellement les rejets de CO 2 dans l'atmosphère de 6.390 tonnes. Ces performances ont convaincu les pouvoirs publics de subventionner la moitié de l'investissement de 2,3 millions d'euros. |
Toutefois, la paille présente deux inconvénients : la combustion est difficile à maîtriser au plan technologique et, compte tenu des problèmes logistiques (volume important pour une faible densité énergétique), une chaufferie à paille doit présenter une taille critique minimale d'une puissance d'au moins 2 mégawatts.
Par ailleurs, la biomasse forestière, au même titre que les déchets agricoles, peut être valorisée sur le plan énergétique. Contrairement à certaines idées répandues, la forêt française regorge de potentialités , comme l'a rappelé au cours de son audition M. Claude Roy, coordonnateur interministériel pour la valorisation de la biomasse. Avec 15 millions d'hectares, elle occupe actuellement 27 % du territoire, avec toutefois des taux de boisement très variables d'une région à l'autre (par exemple, 4,4 % de surfaces boisées dans la Manche contre 61,7 % dans les Landes).
Les espaces boisés ont même doublé de superficie depuis deux siècles en France et la forêt retrouve aujourd'hui la surface qui était la sienne à la fin du Moyen Age. Elle croît d'ailleurs toujours de manière continue, entre 30.000 et 80.000 hectares par an.
Selon les estimations, entre le tiers et la moitié de l'accroissement annuel de la biomasse agricole et forestière n'est pas valorisé actuellement . En effet, la forêt française produit une biomasse de 90 millions de mètres cubes de bois par an, alors que la récolte annuelle oscille seulement entre 45 millions et 60 millions de mètres cubes. Autrement dit, la forêt française est loin d'être menacée à court terme par la déforestation puisque la croissance annuelle du bois n'est même pas exploitée à l'heure actuelle .
Arrivée du bois combustible dans une chaudière
(Source : ADEME/O. Sébart)
Au-delà, quand auront été valorisés les déchets de l'agroforesterie et les sous-produits de l'industrie du bois, ressources les plus accessibles et les moins coûteuses, il s'agira d'exploiter des cultures énergétiques agricoles et forestières ou cultures ligno-cellulosiques . Pourront être privilégiées les cultures dédiées à courte rotation, c'est-à-dire à croissance rapide. M. Claude Roy estime le potentiel annuel à 5 millions de tep par million d'hectare, soit 40 millions de tep sur 8 millions d'hectares (80.000 km²), ce qui représente près de 15 % de la superficie de la France.
Dès lors, les agriculteurs et forestiers d'aujourd'hui deviendraient aussi des producteurs d'énergie demain . Notre pays replacerait ainsi l'agriculture et la sylviculture françaises au coeur de notre bien commun, après une période caractérisée à leur égard, dans l'opinion, au mieux par de l'indifférence et, au pire, par une forme étrange de dénigrement suscité par l'urbanisation de nos modes de vie.
Cependant, M. Claude Roy soutient qu'il sera difficile d'aller au-delà de 40 Mtep, sauf à porter atteinte à la production de cultures alimentaires et de papier . Selon lui, la biomasse ne doit pas « fleurir la tombe de la filière bois, ni de l'agro-alimentaire, ni celle de nos sols ». De même, la biomasse-énergie porte en germe une compétition interne entre biocarburants et biocombustibles. Les sols et les concurrences entre leurs usages constituent donc une limite pour la valorisation de la biomasse .
En matière d'énergie, les systèmes de soutien doivent être suffisants pour faire décoller les filières, mais pas excessifs afin de ne pas mettre en cause des filières préexistantes. Il faut en effet rappeler, par exemple, que la filière bois d'oeuvre crée par m 3 de bois trois fois plus de valeur ajoutée et d'emplois que la filière énergie. De plus, elle maintient le matériau en état pendant vingt ans en moyenne et stocke du carbone durant ce temps. Enfin, ce matériau est encore utilisable pour produire de l'énergie in fine . De même il convient de ne pas mettre à mal l'industrie papetière et du panneau, secteur en difficulté, sous prétexte de produire de la chaleur.
Tout est une question de dosage et d'optimisation : l'arbitrage global doit aboutir à un équilibre gagnant-gagnant entre les filières énergie et matériau , l'approche étant, du reste, la même avec l'agro-alimentaire. Enfin, il n'est pas envisageable de produire de l'énergie en ruinant les sols par trop d'intensification. Toutefois, s'il convient de rester attentif à une possible « concurrence des usages », le problème ne se posera pas avant plusieurs années tant les ressources en bois-énergie sont actuellement pléthoriques .
(2) Géothermie
La géothermie assure aujourd'hui en France le chauffage d'environ 150.000 logements (soit l'équivalent de 300.000 habitants), grâce à une cinquantaine d'opérations en service , dont la moitié en Ile-de-France 23 ( * ) et un tiers dans le bassin aquitain.
Ainsi, la géothermie est la première énergie renouvelable en région parisienne : les puits fournissent environ 950.000 MWh (plus de 80.000 tep) aux réseaux de chaleur qui alimentent en chauffage et en eau chaude sanitaire plus de 150.000 habitants.
La première opération de géothermie d'Ile-de-France a été réalisée en 1969 à Melun : elle a été effectuée dans le cadre des recherches des énergies nouvelles et a été suivie de deux autres opérations, jusqu'en 1976. Puis, après les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, l'Etat a fortement incité les collectivités territoriales à se lancer dans des opérations de géothermie : 45 opérations géothermiques ont ainsi été réalisées en Ile-de-France de 1981 et 1985. Dans la plupart des cas, ce sont les communes qui ont été les maîtres d'ouvrage des opérations. |
Le potentiel de développement de cette technique est immense , sans doute de l'ordre de 2 à 3 Mtep, mais il se trouve obéré par un déficit d'image qui est un legs du passé. En effet, des difficultés économiques et techniques rencontrées par certaines opérations au milieu des années 1980 ont occulté la réussite de toutes les autres. Pour vos rapporteurs, il convient de corriger sans tarder cette appréciation négative de la géothermie car les handicaps (corrosion des matériels, faible rentabilité...) dont a souffert cette filière énergétique ont désormais totalement disparu.
Du reste, le gisement apparaît totalement sous-exploité , notamment en Ile-de-France et en région Aquitaine, régions où se trouvent des bassins sédimentaires aquifères, c'est-à-dire avec des ressources d'eau chaude en profondeur.
Ces deux régions présentent toutefois des caractéristiques bien distinctes : dans la « géothermie aquitaine », les bassins sédimentaires sont profonds et l'eau est de qualité alors que dans le bassin francilien , le fluide géothermal extrait du sous-sol provient de la nappe aquifère du Dogger, dont l'eau a pour caractéristique essentielle une forte salinité ainsi qu'une concentration importante de sulfures dissous. En outre, la nappe aquifère n'est pas naturellement réalimentée. Pour ces deux raisons, le fluide géothermal extrait ne doit pas être rejeté dans le milieu naturel et il est réinjecté dans sa nappe d'origine par un second forage : l'ensemble forme un doublet géothermique . Une opération géothermique en Ile-de-France comprend ainsi nécessairement un puits de production et un puits de réinjection oblique . Le recours aux méthodes de déviation permet d'éloigner d'environ un kilomètre les impacts de chacun des deux forages au Dogger afin de ne pas retrouver dans le puits de production l'eau refroidie circulant dans le puits d'injection.
La nécessité de mettre en place un doublet ainsi que des tubes anti-corrosifs contre la salinité modifie en profondeur l'économie générale du projet car un puit de réinjection oblique, nécessairement plus long que le puits de production, coûte 50 % plus cher qu'un puits unique (sans compter que les tubes anti-corrosifs sont également plus onéreux que les tubes traditionnels). C'est ainsi qu'un puits simple coûte environ 1,5 million d'euros quand un double puits représente un investissement d'environ 4 millions d'euros 24 ( * ) . Il faut néanmoins noter que, depuis trente ans, les coûts d'acquisition d'un forage géothermique ont beaucoup diminué en monnaie constante 25 ( * ) .
Toutefois, si la géothermie francilienne nécessite un doublet, le débit des puits est, en général, nettement supérieur à celui des opérations du bassin aquitain en raison d'une meilleure transmissibilité des roches.
Consciente des atouts considérables de la filière et de la sous-exploitation des ressources, l'ADEME, en partenariat avec le BRGM et l'ARENE Ile-de-France, a décidé en 2000 de relancer la dynamique de la géothermie en Ile-de-France . L'ADEME et la Région soutiennent conjointement une politique d'extension des réseaux géothermiques existants avec un objectif de raccordement de 100.000 logements supplémentaires, et la réalisation de cinq nouveaux réseaux. Cette relance pourrait ensuite s'étendre à toutes les régions où les ressources géothermales sont exploitables dans des conditions technico-économiques favorables, en particulier en Aquitaine .
Mais si le potentiel de la géothermie est aujourd'hui considérable dans les nappes aquifères, il sera peut-être demain bien plus fort encore dans le domaine de la géothermie profonde , à l'image de l'expérience alsacienne de Soultz-sous-Forêts (Alsace). Ce programme de recherche, mené par Shell et EDF, a pour objectif l'exploitation d'une source nouvelle d'énergie par la valorisation de la chaleur des roches chaudes sèches fracturées situées à quelque 5.000 mètres de profondeur, à des températures supérieures à 200°C.
Le principe de fonctionnement est le suivant : une anomalie géothermique permet d'atteindre des températures très élevées à une faible profondeur. Comme aucun réservoir n'existait sur le site de Soultz-sous-Forêts, il a fallu réaliser des forages, espacés de 500 mètres. En stimulant les fractures existantes dans le massif rocheux par des injections d'eau sous pression, un échangeur thermique profond a été ainsi créé de façon artificielle.
Shell et EDF ont fait valoir qu'en exploitant seulement 10 % des ressources potentielles de l'Europe, on pourrait produire plus de 900 TW par an, soit deux fois la consommation électrique française . Si ces résultats escomptés étaient confirmés, le potentiel géothermique s'en trouverait considérablement accru. L'exploitation de la chaleur de la terre ne serait alors pas limitée aux seules formations rocheuses renfermant des eaux souterraines naturelles mais à toutes les zones profondes de la croûte terrestre.
Dans de nombreuses régions françaises, le potentiel des roches chaudes sèches pourrait être particulièrement intéressant. Par exemple, la Région Auvergne est sans doute celle, qui, en France, dispose des ressources géothermales les plus abondantes et les plus diversifiées, même si ces gisements (notamment ceux des Limagnes) restent encore mal connus et les développements économiques encore rares.
(3) Solaire thermique
Notre pays accuse un retard assez net par rapport à certains de ses voisins européens pourtant moins ensoleillés : ainsi, la France ne compte que 150.000 mètres carrés de capteurs installés, contre 2 millions de mètres carrés en Allemagne. De même, l'Espagne a décidé, en mars 2006, de rendre obligatoire le solaire thermique pour l'eau chaude sanitaire dans les bâtiments neufs et les rénovations, alors que notre pays s'est refusé à inscrire une telle mesure dans la loi énergie promulguée le 13 juillet 2005.
Le solaire thermique présente pourtant de forts atouts sur le plan économique et environnemental. A condition de veiller à ce que son développement se réalise avec une insertion paysagère et urbanistique harmonieuse, l'énergie solaire permet d'économiser annuellement 35 % sur le chauffage et 50 % sur l'eau chaude .
Il importe de noter que le chauffage solaire peut être développé dans toutes les régions, même celles qui sont faiblement ensoleillées. Il paraît particulièrement adapté pour un bassin de pisciculture, une serre ou une piscine (une centaine d'opérations fonctionnent en France). Au cours de son audition, Gaz de France a d'ailleurs souligné que sa filiale Cofathec Services exploitait 400 m² de panneaux solaires destinés au chauffage de certaines installations du lycée sportif de Font-Romeu (Pyrénées Orientales), telles que les bassins de la piscine olympique et la patinoire.
Enfin, on signalera que le chauffage solaire présente un grand intérêt pour le chauffage ou la production d'eau chaude sanitaire des logements collectifs , car il permet une baisse des charges des copropriétaires. De plus, la mutualisation des coûts permet généralement une baisse du prix au m² des capteurs solaires. Citons l'exemple des HLM de Commentry (Auvergne), dont le dispositif couvre un tiers des besoins en eau chaude des 48 logements.
C'est pourquoi notre pays a lancé un « Plan soleil 2000-2006 » national visant à aider l'ensemble de la filière par d'importantes aides à l'investissement et aux études. Ce plan est piloté par l'ADEME et l'association professionnelle Énerplan, qui regroupe des professionnels des énergies renouvelables et plus particulièrement des filières solaires (Giordano Industries, Viessmann, Tecsol, Apex BP Solar, Dalkia, EDF, GDF...). Il prévoit une large diffusion de l'énergie solaire thermique par l'amélioration des matériels, la formation des installateurs et la diminution du coût des équipements installés, ainsi que par la mise en place d'un réseau d'installateurs certifiés (Qualisol).
En outre, la France s'est fixé comme objectif, dans la loi d'orientation énergétique du 13 juillet 2005, l'installation , à l'horizon 2010, de 200.000 chauffe-eau solaires, soit environ un million de m² de capteurs (« Plan face sud »). Mais si le crédit d'impôt pour les particuliers peut sensiblement dynamiser le marché des chauffe-eau solaires (8.000 unités en 2004, 16.000 unités en 2005), l'objectif fixé par la loi devrait toutefois être difficile à atteindre, d'autant que la filière professionnelle (fabricants, distributeurs, installateurs) est en cours de structuration.
(4) Les énergies fatales
(a) Incinération des déchets ménagers et assimilés
La chaleur libérée par l'incinération des déchets ménagers et assimilés (chaleur dite « fatale ») peut être récupérée au profit de réseaux de chaleur avec une très bonne rentabilité économique.
La France compte 132 unités d'incinération d'ordures ménagères (UIOM) qui traitent plus de 11 millions de tonnes de déchets ménagers et assimilés, soit 44 % du tonnage global annuel en France 26 ( * ) .
Or, si la grande majorité des UIOM dispose de mécanismes de valorisation énergétique, ces procédés ne sont pas pour autant développés, et ce pour deux raisons essentielles : d'une part, il n'existe pas toujours de débouché pour la chaleur à proximité de l'unité d'incinération (réseau de chaleur ou client industriel), d'autre part, les tarifs de rachat de l'électricité produite à partir d'incinération d'ordures ménagères sont actuellement insuffisants pour rentabiliser les projets.
Or, le potentiel de la chaleur produite par les UIOM est considérable : si environ 1 Mtep est valorisé aujourd'hui et assure le chauffage de 700.000 habitants, à l'horizon 2020, ce sont 4 Mtep qui pourraient être produites chaque année. L'association AMORCE indique ainsi que les déchets de quatorze familles permettent d'en chauffer une.
En conséquence, vos rapporteurs estiment que les collectivités territoriales devraient redonner toute sa place à la valorisation énergétique des déchets ménagers et industriels banals.
Il importe de souligner que le ministère de l'environnement a mené, ces dernières années, une politique volontariste dans le domaine de la qualité de l'air. Trois réglementations successives ont obligé les usines d'incinération à traiter leurs fumées et améliorer leur combustion. Avec les règles imposées par l'arrêté du 20 septembre 2002, la pollution de l'air par l'incinération des déchets ménagers est aujourd'hui extrêmement limitée.
Les évolutions du parc d'incinérateurs d'ordures ménagères Le parc français des usines d'incinération d'ordures ménagères (UIOM) a connu en 2005 une évolution majeure, sans précédent, pour respecter les dispositions de l'arrêté du 20 septembre 2002 relatif aux installations d'incinération et de co-incinération de déchets non dangereux et aux installations incinérant des déchets d'activités de soins à risques infectieux. La nouvelle réglementation prolonge la modification en profondeur de l'ensemble du parc des UIOM, aussi bien en ce qui concerne les conditions d'admission des déchets que l'exploitation et la surveillance de l'installation. Cette mise en conformité a concerné la quasi-totalité des UIOM en fonctionnement au 30 juin 2005, à l'exception de 6 UIOM récentes. Les principaux enseignements d'une enquête réalisée en juin 2005, confirmés par la situation observée au 28 décembre 2005, indiquent que le nombre d'unités et les capacités d'incinération restent stables. Sur un total de 132 unités en fonctionnement au 30 juin 2005, seuls cinq maîtres d'ouvrage ont fermé définitivement leur unité à l'échéance du 28 décembre 2005, soit environ 4 % de la capacité nationale estimée à 1.925 tonnes de déchets par heure. (Source : Rapport d'activité de l'ADEME 2005) |
(b) Biogaz
La quantité de biogaz valorisée actuellement en France représente moins de 1 % de la consommation nationale de gaz naturel fossile ( 0,36 Mtep ), même si l'on constate ces dernières années une forte progression, de l'ordre de 15 à 20 % annuellement.
Or, on estime au total à 3,25 millions de tep/an l'énergie qui pourrait être produite par le biogaz valorisable en France . Ce gisement, supérieur à celui de gaz naturel fossile de Lacq (2,5 Mtep/an, qui sera du reste épuisé dans 10 ans), représente 10 % de la consommation nationale de gaz naturel 27 ( * ) . Ce chiffre de 3,25 millions de tep/an se décompose comme suit :
- 1,8 million de tep proviendrait de l'agriculture et de l'agroalimentaire : en effet, la France détient avec son agriculture un des plus forts potentiels de biogaz au monde ;
- 1,45 million de tep proviendrait des déchets ménagers.
Estimation du gisement français de biogaz à partir des déchets municipaux
Il existe certes une certaine « culture de défiance » à l'égard d'un gaz provenant d'ordures et de déchets. Pourtant, il importe de faire oeuvre de pédagogie et d'expliquer à nos concitoyens que la méthanisation ne fait qu'accélérer le processus de fossilisation , qui dure normalement des siècles : le biogaz n'a donc pas plus de germes que le gaz de ville.
Car la France accuse, en effet, un retard manifeste par rapport à certains pays étrangers : pour la récupération et la valorisation du biogaz, elle ne compte qu'une vingtaine de centres d'enfouissement techniques de déchets ménagers, une unité de méthanisation des déchets ménagers, deux cents stations d'épuration urbaines ou industrielles et moins de dix sites de déjections d'élevage.
Dès 1930, du biogaz de digesteur de station d'épuration était déjà utilisé en Chine comme combustible dans des moteurs ou en chaudières. Mais c'est dans les années 70, après le premier choc pétrolier, qu'il devient réellement d'actualité en tant qu'énergie alternative.
Le meilleur exemple semble être le Danemark , qui a développé des unités de méthanisation concentrée remarquables : de grosses coopératives exploitent les déchets agricoles, ainsi que les déchets organiques des collectivités, et produisent annuellement 26 millions de m 3 de méthane. Il existe donc une forme de centralisation qui permet des économies d'échelle. De même, les Pays-Bas comptent une vingtaine de sites de production de biogaz, pour environ 80 millions de m 3 /an, dont en particulier quatre installations avec injection du biogaz dans le réseau de gaz naturel. En Allemagne et en Autriche , on dénombre 400 installations. Enfin, la filière biogaz est déjà largement implantée au Royaume-Uni , où les producteurs d'électricité ont obligation de fournir un taux d'énergies renouvelables, ce qui explique les 78 réalisations pour une puissance installée de 174 MW et les 51 projets en cours qui permettront d'atteindre 380 MW dans l'avenir.
Au total, le leader européen de la production de biogaz est le Royaume-Uni avec 1,47 Mtep, suivi de l'Allemagne avec 1,29 Mtep. La France vient loin derrière, avec 0,36 Mtep, à peu près au même niveau que l'Espagne (0,27 Mtep) et l'Italie (0,2 Mtep).
Le biogaz peut avoir deux débouchés énergétiques extrêmement intéressants : carburants d'une part, cogénération chaleur-électricité d'autre part. Cette valorisation procède d'une démarche éminemment éco-vertueuse puisque le recyclage du méthane permet d'éviter une dispersion dans l'atmosphère d'un gaz qui est un puissant contributeur de l'effet de serre (vingt fois plus que le dioxyde de carbone). On estime ainsi que 5 % des émissions de gaz à effet de serre proviennent en France des émissions de méthane.
? En premier lieu, le biogaz pourrait produire du gaz naturel pour véhicules (GNV) , carburant qui présente de nombreux avantages .
Le GNV est le moins polluant des carburants (il ne contient ni benzène, ni dérivé nocif pour la santé), le moins bruyant (il permet de réduire de moitié les nuisances sonores), et le plus sûr : plus léger que l'air, il se disperse très vite dans l'atmosphère en cas d'accident et n'est inflammable qu'à partir de 500°C, contre 200°C pour l'essence.
En outre, il est économiquement rentable . Sa production est relativement simple, le GNV n'étant que du méthane séché, épuré et compressé. Encouragée et soutenue par les pouvoirs publics, la filière GNV bénéficie de mesures fiscales incitatives telles que l'exonération de la taxe sur les véhicules de société, l'amortissement exceptionnel des véhicules sur douze mois, et la réduction de la taxe proportionnelle sur les cartes grises. L'ADEME propose en outre aux collectivités territoriales un dispositif d'aides et de subventions pour les transports publics fonctionnant au GNV.
C'est pourquoi chaque année, de nouvelles communes soucieuses de mettre en place des transports publics ou des bennes à ordures propres, dans des conditions financières équilibrées, font le choix du GNV. Citons ainsi Besançon, Bordeaux, Nantes, Toulouse ou encore Valence. Ces communes ont fait le choix du GNV produit à partir de gaz naturel fossile.
Encore plus vertueuse est l'action conduite par la communauté urbaine de Lille , qui compte produire en 2007 du biogaz carburant afin d'alimenter une flotte de bus municipaux. L'exemple de Lille, que le présent rapport présentera en détail ultérieurement, est assurément une des très bonnes pratiques locales en France et gagnerait à être imitée par de nombreux élus.
Outre les vertus traditionnelles reconnues au GNV, le biogaz carburant présente des atouts supplémentaires. D'une part, il s'agit d'une énergie fatale produite essentiellement par des déchets, d'autre part, il peut être produit par la combustion de tout produit organique (déchets ménagers ou assimilés, déchets et résidus agricoles tels que la paille de céréales ou des tiges de maïs, déchets forestiers, sous-produits de la transformation du bois...). Produit à partir de l'intégralité de la matière végétale , il se trouve donc en faible concurrence avec les cultures alimentaires . C'est d'ailleurs pour cette même raison qu'il faut encourager la réflexion sur les biocarburants de seconde génération (dits BTL), qui doivent permettre d'exploiter la biomasse ligno-cellulosique dans sa totalité.
Au cours de son audition, M. Pierre Rellet, Directeur général France de Veolia Propreté, a également indiqué que le groupe réfléchissait à l'alimentation en biogaz GNV, produit par Veolia Propreté, des bennes à ordure utilisées par Veolia Transports, afin de favoriser la synergie entre les deux structures.
? En deuxième lieu, le biogaz pourrait servir de combustible dans le cadre de chaufferies et produire ainsi électricité et/ou chaleur .
Une première expérience intéressante a été tentée au centre de stockage des déchets ultimes (CSDU) de Rillieux-la-Pape appartenant à la communauté urbaine de Lyon. Ce centre d'enfouissement a la particularité de posséder un réseau de puits et de drains qui collecte le biogaz. Depuis 1999, une partie du biogaz produit est injectée dans des canalisations dédiées et alimente la chaufferie de l'OPAC du Boutarey à Sathonay-Camp et contribue au chauffage de 172 logements.
Cependant, cette expérience n'est pas reproductible car les décharges accueillent désormais pour l'essentiel des déchets ultimes et non des déchets organiques fermentescibles : c'est d'ailleurs pourquoi ils sont désormais appelés centres de stockage des déchets ultimes. On entend par déchet ultime « tout déchet qui n'est plus susceptible d'être traité dans les conditions techniques et économiques du moment » . Les CSDU reçoivent donc majoritairement les déchets qui ne peuvent pas être incinérés (encombrants, gravats...). Dans ces conditions, la production de méthane est nécessairement limitée .
En revanche, avec des unités de méthanisation par digesteur recueillant des déchets organiques en abondance, la quantité de biogaz produite est nettement supérieure. En particulier, dans les régions d'élevage (Bretagne ou Normandie par exemple), la méthanisation présenterait l'intérêt majeur de valoriser les nombreux déchets animaux (lisiers de porcs, déjections bovines, fientes de volaille, farines animales...), alors qu'aujourd'hui sont pratiqués l'épandage ou la mise en décharge après opération de déshydratation. Si la méthanisation par digesteur est embryonnaire dans notre pays, l'expérience du digesteur Valorga à Amiens a permis d'identifier les écueils et les contraintes propres à cette filière, notamment la nécessité de méthaniser des déchets fermentescibles soigneusement triés et, partant, de mettre en place, en amont, des circuits de collecte sélective.
Il faut toutefois admettre que la valorisation du biogaz sous forme de chaleur est souvent difficile du fait de l'éloignement des utilisateurs potentiels . La difficulté majeure est en effet de conserver les UIOM ou les unités d'incinération et d'en créer d'autres à proximité des zones de consommation, dont on a eu contraire tendance à les éloigner sous la pression des riverains 28 ( * ) . C'est pourquoi vos rapporteurs recommandent aux pouvoirs publics de mettre en place une « aide au transport de la chaleur » afin de favoriser l'acheminement de la chaleur provenant des UIOM ou du biogaz produit par des décharges ou des unités de méthanisation.
? En troisième, le biogaz produit par méthanisation ne permet pas seulement une valorisation énergétique (carburant ou chaleur), mais également une valorisation organique : la méthanisation permet, en effet, le retour au sol des composts (fabriqués à partir des digestats de méthanisation) et rend possible la fertilisation des sols, en particulier des cultures énergétiques qui pourraient alimenter ensuite un réseau de chaleur biomasse. Le dosage entre valorisation organique et valorisation énergétique se fait en fonction des facilités ou difficultés pratiques, des débouchés, de l'impact sur l'environnement et des coûts. Par exemple, dans une région à forte demande de compost pour l'agriculture, la valorisation organique sera privilégiée, tandis qu'en cas de proximité d'un réseau de chaleur, c'est la valorisation énergétique qui le sera.
? Enfin, si le biogaz peut produire carburant ou combustible, il ne semble pas envisageable en revanche de le réinjecter dans le réseau de distribution de gaz de ville : une telle expérience a été tentée aux Pays-Bas, à Tilburg, à partir du biogaz issu d'une décharge de 100 ha. Le biogaz s'avère être, en effet, être un gaz pauvre, fréquemment chargé d'éléments indésirables au pouvoir corrosif élevé (hydrogène sulfuré par exemple), ce qui condamne l'injection sur un réseau public, sauf à mettre en oeuvre de coûteux procédés de purification qui pèsent alors lourdement sur la compétitivité économique du combustible.
(5) Réseaux de chaleur
Les réseaux de chaleur apparaissent insuffisamment développés en France. Au nombre de 450 environ (120 en Ile-de-France), répartis dans plus de 350 villes , ils n'alimentent aujourd'hui que 2 millions d'habitants 29 ( * ) .
Nés dans l'après-guerre pour accompagner l'extension urbaine, lorsque l'on souhaitait chauffer les logements - notamment les logements sociaux -, le plus souvent à partir d'une énergie fossile qu'on voulait utiliser de la manière la plus rationnelle possible, ils ont connu une deuxième vague au moment des chocs pétroliers de 1974 et 1979, à ceci près que l'on a soutenu cette fois-ci les réseaux utilisant des énergies renouvelables . La période actuelle se caractérise par un regain d'intérêt pour les réseaux de chaleur, dans un contexte marqué par la hausse des prix de l'énergie et la préoccupation du changement climatique.
La France accuse un net retard par rapport à ses voisins d'Europe du Nord. Sans même aller jusqu'en Islande, où le taux est de 100 %, les villes nordiques sont souvent structurées autour du réseau de chaleur lui-même (la moitié des logements en Suède, au Danemark et en Finlande sont chauffés par des réseaux de chaleur). Le pourcentage décroît à mesure qu'on va vers le sud, même si l'Italie et l'Espagne ont, elles aussi, leurs réseaux de chaleur.
Parallèlement à l'augmentation du nombre de réseaux de chaleur, il convient de renforcer la part des énergies locales qui les alimentent. Le schéma figurant page suivante révèle en effet que les énergies locales (biomasse, déchets, géothermie) ne représentent que 21 % de l'approvisionnement énergétique des réseaux de chaleur d'une puissance supérieure ou égale à 3 MW .
Panier énergétique des réseaux de
chaleur
d'une capacité unitaire de plus de 3 MW en 2002
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(Source : Syndicat national du chauffage urbain - SNCU)
En particulier, on observe que le bois ne constitue que 1 % de cet approvisionnement. En effet, si 80 des 450 réseaux de chaleur sont alimentés en bois (soit environ 17 % des réseaux), ce sont en général de micro réseaux situés en milieu semi-rural, dont la puissance est de quelques dizaines de kWh et qui alimentent principalement les mairies, les hôpitaux, les maisons de retraite, ainsi que quelques clients privés.
Force est donc de constater que le chauffage collectif au bois est encore très faiblement développé en France . Notre pays est d'ailleurs en ce domaine également mal classé en Europe puisque son ratio de consommation de chaleur collective au bois par habitant est dix fois plus faible que celui de la Suède, de la Finlande, du Danemark ou encore de l'Autriche , où les pouvoirs publics encouragent très fortement la diversité de leur approvisionnement, notamment à partir de bois-énergie.
En revanche, la tradition française de chauffage au bois (le bois-énergie utilisé en France fournit près de 17 % des besoins de chaleur, soit 9,18 Mtep ) profite essentiellement au chauffage individuel , où le bois est utilisé principalement sous forme de bûches (plus de 50 millions de stères par an, soit 7,3 Mtep/an ). Dans ce domaine, la France fait d'ailleurs partie des meilleurs élèves de l'Europe avec 5,6 millions de foyers chauffés totalement ou partiellement au bois.
Il faut également compter avec les industries du bois, qui brûlent les produits connexes (sciures, écorces, copeaux...) pour couvrir principalement les besoins de « process » : près de 1.000 installations consomment ainsi 1,67 M tep/an .
* 23 D'après le BRGM, entendu par vos rapporteurs, 29 opérations de géothermie sont actuellement en exploitation en Ile-de-France, deux de ces installations de production étant associées à une pompe à chaleur à Bruyères-le-Chatel et à Paris (chauffage de la Maison de la radio).
* 24 Le premier puits coûte 1,5 million d'euros et le second 50 % plus cher, soit 2,25 millions d'euros, auxquels s'ajoutent les coûts des tubes.
* 25 Par exemple, le forage construit à Jonzac (Charente-Maritime) en 1993 a coûté le même prix en francs courants que celui de 1980.
* 26 Chaque habitant produit en moyenne 450 kg de déchets par an.
* 27 Source : GDF et « Club Biogaz » mis en place par l'Association technique énergie environnement.
* 28 Ce problème d'acceptabilité sociale est connu sous le nom de NIMBY , acronyme de « Not in my backyard », qui signifie « Pas dans mon arrière-cour (ou jardin) ».
* 29 Ces 2 millions d'habitants représentent en fait 3 millions d'équivalent d'habitants, compte tenu du fait qu'une partie des locaux ainsi chauffés sont des bureaux, appartenant notamment à des collectivités territoriales.