2. Combattre la résurgence de l'idéologie nazie
Dans une atmosphère grave, l'Assemblée a condamné la résurgence de l'idéologie nazie dans les États membres. Les délégués de tous les pays n'ont eu de cesse de citer des exemples de cette résurgence et de rappeler que le Conseil de l'Europe devait sa naissance à la victoire des Alliés sur cette idéologie. L'Assemblée s'est engagée à organiser une grande conférence internationale sur cette question.
MM. François Rochebloine (Loire - UDF), Jean-Claude Mignon (Seine-et-Marne - UMP) et Rudy Salles (Alpes-Maritimes - UDF) se sont exprimés au cours de ce débat.
M. François Rochebloine, député :
« Monsieur le président, mes chers collègues, en lisant le rapport de notre collègue M. Margelov, j'ai éprouvé à plusieurs reprises une curieuse impression : j'ai retrouvé dans sa démarche, et dans ses termes mêmes, le fidèle écho de débats qui, actuellement, préoccupent l'opinion française.
Quand il écrit que «l'Europe qui cherche à promouvoir ses valeurs doit servir d'exemple en ce qui concerne le respect de ces mêmes valeurs», cela me rappelle la conscience que nous avons, nous Français, de notre responsabilité particulière : la France, berceau des droits de l'Homme, doit les défendre partout dans le monde, et elle doit être particulièrement vigilante dans la dénonciation de tout ce qui peut contribuer à en menacer le respect.
C'est ce qui nous a poussés, en 1972, à adopter à l'unanimité l'une des premières législations de lutte contre le racisme, et notamment contre l'antisémitisme, faisant participer à cette lutte les grandes associations antiracistes. Voilà, qui a conduit, en 1990, à l'adoption d'une loi qui sanctionne expressément et particulièrement ce que nous dénommons le révisionnisme et le négationnisme, appliqués aux crimes nazis dénoncés à juste titre par M. Margelov.
C'est aussi cette tradition qui explique la reconnaissance publique et unanime en France par la loi du 29 janvier 2001, du génocide arménien de 1915, dont je suis fier d'avoir été le rapporteur. Je suis de ceux, nombreux, qui estiment que les dispositions de la loi de 1990 doivent être étendues aux écrits et aux propos qui nient tous les génocides et crimes contre l'humanité.
Nous inspirant de l'expression si forte de Primo Levi, nous appelons cela respecter le devoir de mémoire : faire en sorte que le souvenir des crimes et des horreurs du passé ne se perde pas, à la fois par respect pour les personnes qui en furent victimes mais aussi pour éviter qu'ils ne se reproduisent.
Notre préoccupation de fond rejoint donc largement celle du rapporteur. S'il ne faut pas exagérer l'état de la menace immédiate, il est sans doute nécessaire de montrer par une réaction collective et publique l'attachement de l'Europe aux valeurs de liberté qui la fondent.
Faut-il organiser une conférence internationale ? Faut-il essayer de fédérer à cette occasion des initiatives qui pourraient être prises dans les différents États membres ? Le vote que nous allons émettre aujourd'hui est un engagement de principe : les modalités de réalisation du projet pourraient être précisées.
Je voudrais cependant insister sur quelques points de méthode. Tout d'abord, ne pas se cantonner au registre de la dénonciation et de l'interdit. La simple prohibition d'une opinion, si elle est déjà trop répandue dans la société, peut produire un effet indésirable, en la parant de l'attrait du fruit défendu. Il faut donc réaffirmer avec force à l'occasion de l'initiative ou des initiatives prises à la suite de l'adoption éventuelle de la résolution la valeur positive de notre tradition commune des droits de l'Homme ; cela suppose naturellement que chacun d'entre nous, que chaque État membre, puisse affirmer, sans risquer d'être contredit de bonne foi, que ses actes et ses pratiques internes sont suffisamment cohérents avec la promotion des droits de l'Homme, et la dénonciation du nazisme qui en est la contrepartie ».
M. Jean-Claude Mignon, député :
« Il ne faudrait pas que cette résolution soit simplement une résolution de plus sur un sujet aussi important. Un texte qui, une fois voté par un petit nombre de députés, s'empile dans des bureaux avec d'autres résolutions déjà votées mais non suivies d'effet. Le Comité des Ministres doit se prononcer sur le fruit de notre travail.
A partir du moment où nous traitons d'un sujet aussi essentiel, il est de la responsabilité des États membres du Conseil de l'Europe de prendre en considération ce que nous disons et de lui donner des suites. L'idéologie nazie, où commence-t-elle et où finit-elle ? On peut se le demander. Tout à l'heure, un orateur a précisé que nos parents connaissaient l'existence d'un certain nombre de camps de concentration.
L'actualité a sa place aujourd'hui sur toutes les chaînes de télévision d'information dignes de ce nom. On voit en direct des prises d'otage, des assassinats, à l'arme blanche, à la hache, qui devraient nous faire réagir beaucoup plus que nous le faisons. Malheureusement, aujourd'hui, rien de tout cela n'est condamné. On peut l'assimiler aussi à de l'idéologie nazie !
Je suis maire d'une ville française. Depuis la fin de la guerre nous nous réunissons régulièrement devant les monuments aux morts pour dire tous ensemble solennellement : plus jamais ça. Nous faisons les uns et les autres, de vibrants discours pour rappeler ce qui s'est passé. Pourtant, chacun le sait pertinemment, «ça» continue de plus belle. De jeunes imbéciles se croient intelligents en traçant des tags ou des graffitis sur les murs dans nos pays, avec des signes nazis complètement idiots ou des signes antisémites. C'est bien beau de réfléchir comme nous le faisons mais jamais ou sinon rarement des suites ne sont données pour condamner les auteurs.
Ne soyons pas insensibles, exprimons le voeu aujourd'hui, pour renforcer l'excellent rapport dont nous discutons, que tous les États sans exception prennent vraiment la mesure de leurs responsabilités. Si tel n'était pas le cas, on pourrait s'interroger sur l'existence du Conseil de l'Europe.
Nous disons souvent que nous sommes le berceau des droits de l'Homme. C'est ici que nous devons faire preuve de détermination pour que l'expression «droits de l'Homme» ne soit pas une expression quelconque, se vidant petit à petit de son sens. Un peu de courage et essayons de faire en sorte que le Comité des Ministres, lorsque nous discutons de sujets aussi fondamentaux, prenne le relais des parlementaires et fasse passer les messages auprès de nos populations et dans nos assemblées respectives.
Je voterai sans hésitation le rapport qui nous est présenté ».
M. Rudy Salles, député :
« Nous avons le privilège de pouvoir débattre ici dans cette enceinte parlementaire, librement, en représentants des nations démocratiques. Si l'idéologie de l'Allemagne nazie avait triomphé, nous ne serions pas ici aujourd'hui.
Fort heureusement l'histoire a emprunté d'autres chemins et l'Europe d'après 1945 s'est bâtie sur le rejet absolu des théories et des pratiques du régime hitlérien, qui voulait imposer sa domination au monde. Le «Reich» qui devait durer mille ans s'est effondré en 1945. Le tribunal international de Nuremberg a irrévocablement condamné les crimes commis, et les principaux représentants du parti et de l'appareil nazi ont été reconnus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Le Conseil de l'Europe créé en 1949 est en lui-même le témoin vivant de cette volonté européenne de vivre ensemble en restaurant la démocratie et les droits de l'Homme.
Et pourtant, comme le souligne M. Margelov dans son excellent mais hélas inquiétant rapport, les idées si intolérables du nazisme qui paraissaient avoir été irrévocablement condamnées, semblent trouver de nouveaux terrains de développement. Multiplication d'actes antisémites, profanation de tombes, usage de symboles nazis, injures et violences à caractère racial, haine de l'autre à peine voilée, négation ou relativisation des crimes commis, partis extrémistes usant de discours à connotation xénophobe, et j'en passe. L'idéologie nazie resurgit insidieusement ou ouvertement. L'indignation ne suffit pas.
S'agissant de la France, nous possédons un dispositif législatif et réglementaire qui permet de sanctionner les tentatives de diffusion d'idéologies xénophobes et racistes. D'autres partenaires européens ont mis en place des dispositifs analogues. A l'occasion de la célébration du soixantième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, des manifestations ont été organisées (en France) pour rappeler les crimes commis par le pouvoir nazi et mettre en garde nos concitoyens, toutes générations confondues, contre les risques éventuels.
Le Conseil de l'Europe a un rôle éminent à jouer dans le combat contre ces idées contraires aux valeurs que nous professons et sur lesquelles nous avons bâti nos États. Nous avons déjà adopté un certain nombre de résolutions ou recommandations sur la menace représentée par les partis extrémistes. Le plan d'action adopté lors du 3ème Sommet du Conseil de l'Europe à Varsovie engage notre organisation à intensifier la lutte contre le racisme, les discriminations et toutes les formes d'intolérance. Sans doute devons-nous aller plus loin.
Le rapport de M. Margelov propose l'organisation d'une grande conférence internationale avec la participation de parlementaires et d'experts gouvernementaux, de chercheurs et de représentants de la société civile. Cela pourrait en effet constituer une large tribune pour condamner à nouveau vigoureusement l'indéfendable et réveiller les esprits endormis, tout en touchant un public plus large.
Je m'associe donc à cette proposition et je félicite le rapporteur pour son analyse si pertinente. Les peuples qui perdent la mémoire se condamnent parfois à perdre la liberté. N'oublions pas cette leçon vitale ».
A l'issue du débat, l'Assemblée a adopté à l'unanimité une Résolution (n° 1495).