C. MERCREDI 12 AVRIL 2006
1. Halte à la traite des femmes à la veille de la Coupe du Monde de la FIFA
Un débat sans nuance a condamné la perspective de l'organisation d'une prostitution illégale et contrainte au cours de la prochaine Coupe du Monde de football qui se déroulera en Allemagne. Les délégués ont appelé de leurs voeux la ratification rapide par les pays membres du Conseil de l'Europe de la Convention sur la lutte contre la traite des être humains adoptée le 3 mai 2005.
M. Jean-Pierre Kucheida (Pas-de-Calais - Soc) et Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - Soc) se sont exprimés.
M. Jean-Pierre Kucheida, député :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, du 9 juin au 9 juillet 2006 va se dérouler chez nos voisins allemands la 18e Coupe du Monde de football. Cet événement va attirer plusieurs millions de supporters dans douze villes allemandes. Or, en parallèle à cet événement sportif, plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines de milliers de prostituées vont vendre leurs charmes aux abords des stades. L'Allemagne, qui a légalisé la prostitution en 2002, permettant aux prostituées d'accéder à la sécurité sociale et de profiter d'un droit du travail, a décidé de canaliser une éventuelle recrudescence de la prostitution lors de la Coupe du Monde. Les autorités des différentes villes organisatrices ont déjà prévu « certains aménagements » : construction de cabines aménagées, distributeurs de préservatifs, par exemple.
Le grand problème qui se pose est celui de l'explosion prévue de la prostitution illégale. Plusieurs dizaines de milliers de femmes sont ainsi attendues en provenance des pays de l'Est, de la Baltique, et peut-être, disons-le, de l'Ouest. Certaines sont candidates à des emplois de services, serveuses ou autres, pour la période de la Coupe du Monde et vont se retrouver en réalité dans l'obligation de se prostituer.
Pour lutter contre ce fléau, il faut d'abord en connaître les causes; elles sont culturelles et souvent liées au pays d'origine avec un chômage élevé, une très grande pauvreté - un mois de travail représentera trois ans de salaire - une instabilité politique, des manques de perspectives, et à la situation personnelle des victimes - marginalisation féminine, niveau d'études bas ou moyen, problèmes familiaux de plus en plus nombreux dans une société qui se déstructure, possibilités réduites aussi des migrations légales.
J'ajoute que, pour moi, la prostitution dont on dit, Madame le rapporteur, qu'elle est essentiellement féminine est aussi, malheureusement, de plus en plus masculine. Cela, il faut aussi le prendre en compte.
Ainsi, avant tout, pour lutter contre la prostitution et la traite des femmes, il faut lutter contre la pauvreté, lutter contre l'analphabétisme en scolarisant toutes les filles le plus tôt possible dans les pays de provenance. Il faut accentuer la lutte contre les réseaux de prostitution mais aussi avoir le courage d'inciter nos pays à ne plus fermer les yeux. En effet, il est plus qu'urgent que tous les pays membres du Conseil de l'Europe signent la Convention du Conseil sur la lutte contre la traite des êtres humains. Jusqu'à présent, seuls vingt-cinq l'ont signée. La France n'est pas dans les signataires alors que la prostitution y est abolie depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. C'est tout de même assez curieux, peut-être avons-nous des problèmes plus urgents à traiter?
Il est plus qu'urgent d'agir et de prendre des mesures significatives. Nous légiférons, nous conseillons, mais en accompagnement, il faut des prises de position fermes de la part de la Fifa qui est à la tête de cet événement, or les prises de position sont plus que modérées, elles ne sont guère perceptibles. Les grands joueurs qui ont une réelle influence sur le public et des équipes sont dans le même cas: après la Coupe du Monde, il sera trop tard et on ne pourra pas dire, nous ne savions pas. »
Mme Josette Durrieu, sénatrice :
« Le trafic des êtres humains, femmes, enfants, organes... s'organise dans un marché libre dont la finalité est le profit, l'argent... et le produit « un être humain » : la femme notamment.
Qu'à Berlin, au moment de la Coupe du monde, elles soient 30 000 ou 100 000 dans ces «usines sexuelles» organisées à cette occasion, le nombre est moins important que le principe qui est moral. Quelles sont les bases économiques et réglementaires de ce trafic ? Les pays « importateurs » sont essentiellement la Turquie, la Belgique, la France, la Grèce. Les pays « exportateurs » ou fournisseurs sont l'Ukraine, la Moldova, la Roumanie...Certains légalisent à la fois la prostitution et le proxénétisme. La prostitution voulue par des femmes consentantes, souvent pour des raisons économiques est une chose. La prostitution, contrainte imposée à des femmes «piégées», kidnappées, exploitées, est un délit voire un crime. Ces femmes sont des victimes qui vivent un calvaire. Elles doivent être protégées et tirées de là.
Nous devons nous insurger avec force. C'est l'honneur de l'Europe et son image qui sont en jeu. S'il s'agissait d'un trafic d'armes, toutes les forces régulières seraient mobilisées. Mais c'est pire : c'est un trafic d'être humains ! De femmes...: vos femmes ! Vos filles ! Vos soeurs ! Réagissez ! Condamnez... Mobilisons-nous... Demandons des comptes...Le sport et le foot ne doivent pas être les otages d'un trafic qui les englobe. Mais maintenant : les responsables de la Fifa, les footballeurs... et les stars du foot qui ont une telle influence médiatique et sociale sur la jeunesse...Tous ceux-là doivent s'engager dans ce combat pour sauver l'image de la femme et du sport ».
A l'issue du débat, l'Assemblée a adopté une Résolution (n° 1494).