2. Situation au Proche-Orient
L'Assemblée a débattu des changements nés au Proche-Orient à la suite de la récente victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes.
Au cours du débat, certains sujets ont fait l'unanimité : la reconnaissance que le peuple palestinien avait pu librement exprimer son vote au cours de ces élections, le souhait qu'il renonce à la violence, qu'il gouverne dans le respect des droits de l'Homme ; une délégation palestinienne avait été invitée à assister à ce débat et tous ont regretté qu'elle n'ait pu obtenir de visa pour ce faire : les délégués ont insisté sur la nécessaire reprise du dialogue entre les nouveaux responsables palestiniens et israéliens, proposant même la création d'une instance parlementaire à cet effet au sein de la sous-commission du Proche-Orient. En revanche, des opinions contradictoires se sont exprimées au sujet de la suspension de l'aide internationale et européenne au peuple palestinien, certains insistant pour qu'elle reprenne, d'autres refusant qu'elle ne soit versée et ne serve à financer la violence.
Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - Soc), MM. Jean-Marie Geveaux (Sarthe - UMP), Jean-Pierre Kucheida (Pas-de-Calais - Soc) et Rudy Salles (Alpes-Maritimes - UDF) se sont exprimés.
Mme Josette Durrieu, sénatrice :
« Monsieur le Président, je voudrais moi aussi féliciter notre rapporteur pour son excellent travail et son propos. Et ce n'est pas de la rhétorique. Comme lui, je dirais que les élections en Palestine - et nous y étions - se sont déroulées dans d'excellentes conditions, bien que ces conditions ne soient pas normales dans ce pays.
Force est de constater que nous aurions volontiers tendance à vouloir changer les règles du jeu quand les résultats ne nous satisfont pas. Or nous ne pouvons pas affirmer les principes démocratiques et contester les résultats après. Et c'est le cas ! Le Hamas est majoritaire au Parlement, le Hamas est seul au Gouvernement.
Au nom du Groupe socialiste, je vais formuler quelques observations d'ordre général en faisant remarquer d'abord que la plupart des mouvements islamistes, voire intégristes, sont tous entrés, partout dans le processus démocratique. C'est vrai pour les Frères musulmans en Égypte, pour le Hezbollah au Liban, pour le Hamas en Palestine. C'et vrai en Iran.
Tous sont entrés dans leurs Parlements respectifs. Tous ne sont pas forcément au gouvernement. Le Hamas y est.
D'autre part, certains de ces mouvements sont armés, d'autres non. Les Frères musulmans ne sont pas armés. Le Hezbollah et le Hamas le sont. Ils sont au Parlement et au Gouvernement. Autant la démocratie peut se satisfaire de la première démarche, autant elle ne peut pas se satisfaire de la seconde. Lorsqu'on est au pouvoir, on se doit simultanément de déposer les armes.
Alors, je vois un dilemme qu'il nous faut résoudre. Ils sont armés parce qu'ils sont d'abord un mouvement de résistance, - avant d'être devenus ce mouvement terroriste qui s'attaque effectivement aux populations civiles. Mais ici, nous n'allons pas renoncer au droit à la résistance ! Combien sommes-nous à être fils ou filles de résistants et à réclamer que continue à exister ce droit légitime à la résistance ! Là aussi, il faudra répondre. Ce n'est pas le discours unilatéral, et donc arbitraire qui est celui d'Israël aujourd'hui, qui donnera la réponse.
Ici, nous devons dire clairement : oui, le Hamas doit déposer les armes et décréter dès maintenant une longue trêve jusqu'à la paix. Oui, le Hamas doit reconnaître Israël. Oui, le Hamas doit s'inscrire dans la feuille de route du quartet. Mais simultanément, nous devons dire la même chose à Israël. Oui, Israël doit cesser l'occupation de ce pays, oui Israël doit cesser la colonisation, oui Israël doit revenir à la feuille de route et respecter le quartet.
L'objectif pour ces deux pays dramatiquement épuisés est quand même la fin de ce conflit qui pourrit le Moyen-Orient et le reste du monde. La communauté internationale et l'Union européenne ont une mission : répondre à cet appel. Reste que face à cet interlocuteur qu'est le Hamas, l'Union européenne aurait dû d'abord engager le dialogue pour faire évoluer ce mouvement islamiste par des arguments politiques.
Le choix qui a été fait est celui de l'affrontement, de la démarche frontale. On coupe les vivres et, en même temps, on maintient les raids. On ne rembourse même pas à la Palestine ce qui lui est dû, les droits de douane. Posons-nous plusieurs questions. Je me les pose. A-t-on évalué tous les risques, y compris ceux de la rupture d'un processus de paix fragile ? A-t-on bien évalué toutes les chances ? Parce que l'objectif est et demeure une paix proche, durable et équitable ! Elle ne sera durable que si elle est équitable. La réponse du Président, ce matin, ne peut pas être satisfaisante ».
M. Jean-Marie Geveaux, député :
« Une nouvelle fois, nous voici confrontés au problème du Proche-Orient : ce n'est pas nouveau, mais il y a fort à parier que nous reviendrons régulièrement sur ce sujet récurrent.
Certes, la situation dans cette région a évolué. Est-elle pour autant satisfaisante ? Certainement pas. Eu égard aux récentes élections tant en Israël qu'en Palestine on peut effectivement dire que la situation est nouvelle. La victoire du parti Kadima en Israël, sa courte victoire, traduit sans doute l'émergence d'une société israélienne moins idéologique, comme l'ont souligné différents analystes dans la presse; on a le sentiment que les Israéliens ont enterré le rêve du Grand Israël aux frontières bibliques. L'effondrement de la droite nationaliste et religieuse signifie clairement la volonté de la société israélienne.
Le parti travailliste qui soutient M. Ehud Olmert, le nouveau chef du Gouvernement, est favorable à la recherche d'une paix négociée avec les Palestiniens et M. Amir Peretz, son chef, juge qu'il existe un partenaire palestinien en la personne du président modéré de l'Autorité Palestinienne, M. Mahmoud Abbas. De ce fait, l'unilatéralisme prôné par le parti Kadima pourrait bien être infléchi.
Il est à noter que le premier discours de M. Ehud Olmert, après sa victoire, va dans ce sens. Il n'exclut pas de dialoguer avec M. Mahmoud Abbas qui s'affirme comme un chef d'État, et de paix, que ni la victoire du Hamas, ni cette volonté unilatérale, ni les provocations comme celles de Jéricho ne font dévier de son chemin. M. Mahmoud Abbas a multiplié les offres de négociation et a appelé M. Ehud Olmert à renoncer à son plan de «tracer la frontière israélienne» d'une manière unilatérale.
Le problème aujourd'hui est le Hamas, qui se retrouve à la tête, et largement, de l'État Palestinien, et ce, après des élections qui, selon les observateurs, ont été bien organisées et conduites de manière démocratique. L'attitude du Hamas n'est pas aujourd'hui acceptable mais peut-il du jour au lendemain changer radicalement d'attitude à l'égard d'Israël ? Je demeure favorable à une position d'exigence et de fermeté à l'égard du Hamas, comme le rappelait M. Philippe Douste Blazy, ministre des Affaires étrangères de mon pays, mais aussi l'Union européenne. Cependant, n'oublions pas le peuple palestinien.
J'apporte donc mon soutien au projet de résolution équilibré de notre rapporteur qui continuera ainsi que, j'en suis sûr, le Conseil de l'Europe à tout mettre en oeuvre pour que les négociations puissent se poursuivre et se dérouler normalement ».
M. Jean-Pierre Kucheida, député :
« L'année 2006 n'a pas commencé sous les meilleurs auspices au Moyen-Orient, bien au contraire. En effet, deux problèmes majeurs sont apparus. Tout d'abord, depuis le 25 janvier dernier, date des élections législatives palestiniennes, élections démocratiques selon tous les observateurs, élections contre la corruption et le clientélisme, qui ont vu la victoire du Hamas puis l'approbation par le Conseil législatif palestinien de la composition et du programme du gouvernement du Hamas dirigé par Ismaïl Haniyeh, le torchon brûle à nouveau entre les Israéliens et les Palestiniens.
Quand le Hamas était minoritaire, il était supporté. Aujourd'hui, majoritaire, il est sur diabolisé.
En représailles, les États-Unis et Israël s'efforcent d'isoler ce Gouvernement; les premiers en bannissant tout contact, les seconds en asphyxiant l'Autorité palestinienne - qui est au bord de la faillite - en décidant de suspendre le reversement des taxes et autres droits de douane perçus au nom de celle-ci. Affamer les Palestiniens, c'est prendre le risque de les transformer en bêtes sauvages.
J'espère sincèrement que le Hamas reconnaisse l'État d'Israël. Sa position radicale, après tout, peut fortement changer quand je vois à quel point certaines positions ont pu évoluer, comme en Irlande du nord ou au Pays basque espagnol. Je souhaite que le Hamas renonce à la violence le plus rapidement possible, mais aussi que parallèlement Israël rende au peuple palestinien les moyens de sa subsistance, sinon des conséquences politiques désastreuses sont à prévoir. Nous ne devons pas passer d'une logique de paix à une logique de guerre.
Enfin, en parallèle à toutes les mesures qui ont été présentées par M. Margelov et qui sont proposées dans son excellent rapport avec lequel je suis en accord total, il convient d'ajouter certains autres éléments à appliquer afin d'accéder à une paix totale et durable respectueuse de chacun.
Ces éléments sont les suivants : l'égalité et le respect des droits; l'abandon de la lutte armée de la part du Hamas; le règlement du conflit israélo-palestinien à travers la feuille de route; la co-souveraineté sur Jérusalem; le retrait immédiat des colonies et la destruction du mur de séparation - n'est-ce pas une violence majeure que celle-là ? -, le respect du droit au retour des réfugiés palestiniens; un partage équitable des ressources en eau.
Ainsi, Monsieur le Président, mes chers collègues, je pense que le Conseil de l'Europe et tous les acteurs soucieux de trouver des solutions pacifiques et durables doivent s'unir en faisant notamment appel à la raison et à la sagesse afin que la situation que nous connaissons aujourd'hui ne se radicalise pas en dégénérant ».
M. Rudy Salles, député :
« Monsieur le Président, chers collègues, beaucoup d'élections se sont déroulées et notamment une pour laquelle notre Assemblée a mandaté des observateurs, je veux parler de l'élection du conseil législatif palestinien qui a vu arriver une majorité absolue issue du mouvement terroriste le Hamas.
Si la régularité du scrutin ne peut être mise en cause, en revanche le résultat mérite quelques commentaires. Ce résultat a stupéfié les observateurs qui s'attendaient à ce que le Fatah l'emporte, il s'explique notamment par le mode de scrutin. En effet, outre une dose de proportionnelle, le mode de scrutin majoritaire à un tour a favorisé l'élection du Hamas, parti uni, alors que le Fatah était divisé. Ainsi, avec 43 % des voix le Hamas est majoritaire en sièges alors que le Fatah avec 51 % des voix est minoritaire en sièges. C'est un élément très important car il signifie que la majorité du peuple palestinien n'adhère pas aux thèses du Hamas. Et encore convient-il de souligner que parmi les 43 % des Palestiniens qui ont voté pour le Hamas il n'y a pas adhésion au programme de cette organisation terroriste, mais souvent l'expression d'un vote sanction à l'égard de la corruption et de l'héritage de Yasser Arafat. En attendant, cette situation pose problème tant à la communauté internationale qu'à la société palestinienne car aujourd'hui l'établissement de liens avec les autorités palestiniennes est remise en question.
Le 28 mars dernier, ce sont les Israéliens qui étaient appelés à élire leurs députés. Malgré l'empêchement d'Ariel Sharon, le parti du centre Kadima, qu'il avait créé il y a à peine quelques mois, est arrivé en tête et est en mesure de réaliser une coalition. Rappelons que c'est Kadima qui a réussi l'évacuation difficile de Gaza et que le nouveau Premier ministre israélien M Ehud Olmert s'est engagé sur d'autres évacuations, cette fois en Cisjordanie. C'est un point qui me parait très positif et qui montre la volonté des Israéliens d'avancer vers la paix et l'établissement de deux États.
Avant ces deux élections, c'est l'Iran qui avait voté. Malheureusement, ce sont les mouvements fondamentalistes qui l'ont emporté, non que le peuple iranien se soit prononcé librement pour cette tendance, mais tout simplement parce que la liberté électorale n'existe pas dans ce pays. En attendant, le Président iranien propose comme programme la nucléarisation de son pays et l'anéantissement de l'État d'Israël.
C'est pourquoi, il me semble que, vu les changements survenus tant en Iran qu'au Conseil législatif palestinien, l'Europe doit être non seulement attentive mais active pour faire face aux dangers potentiels qui pèsent tant sur cette région que sur le monde. La pression doit être mise sur l'Iran pour que cet État ne puisse user de l'énergie nucléaire à des fins militaires. Chacun sait que malgré les démentis, c'est bien à cette finalité que vise l'enrichissement de l'uranium auquel ce pays se livre actuellement.
D'autre part se pose la question de l'aide internationale à destination des territoires palestiniens telle qu'elle s'exerçait jusqu'à présent. Il n'est pas concevable de dialoguer avec une organisation terroriste qui refuse de reconnaître Israël, les Accords d'Oslo et de condamner la violence. Il est également inconcevable d'envoyer des fonds à des organismes qui pourraient servir à financer des actions terroristes. Dans le même temps, c'est la population palestinienne qui se retrouve prise en otage du fait de cette situation. C'est pourquoi, l'Europe doit jouer la carte de la fermeté sur les principes. La fermeté, cela veut dire également la cohérence. Il serait inadmissible que d'une part certains États refusent de dialoguer tant que le Gouvernement palestinien n'aurait pas changé d'attitude et que d'autres États cherchent, pour jouer un jeu diplomatique singulier, à avoir une autre attitude. Cette inquiétude est présente dans l'esprit de beaucoup d'entre nous. C'est pourquoi j'en appelle au sens des responsabilités de chacun pour que le rappel de ces principes puisse être fait dans pays respectifs.
S'il y a une enceinte où les principes de paix, de démocratie et de respect des droits de l'Homme doivent être rappelés, c'est bien au Conseil de l'Europe. Je souhaite que ce débat et que le rappel de ces principes soient entendus par les exécutifs des pays membres qui seraient tentés par des attitudes différentes de celles qui guident aujourd'hui les pas de la communauté internationale. Je demande à notre Assemblée de n'adresser aucune invitation à des Palestiniens membres du Hamas, reconnu organisation terroriste, fussent-ils élus, tant que ce mouvement n'aura pas décidé, comme le lui demande la communauté internationale, en général, et l'Union européenne, en particulier, de condamner la violence et de reconnaître Israël ainsi que les Accords d'Oslo ».
A l'issue du débat, l'Assemblée a adopté une Résolution (n° 1493).