Audition de M. Alain LECOMTE,
directeur général de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction,
et de Mme Dominique de VEYRINAS, chef du service de l'habitat,
placés sous l'autorité du ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement
et du ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer
(1er mars 2006)

Présidence de M. Georges OTHILY, président

M. Georges Othily, président .- Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation à être auditionnés par notre commission.

Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Alain Lecomte et Mme de Veyrinas prêtent serment.

M. Georges Othily, président .- Acte est pris de votre serment. Vous allez nous faire un exposé liminaire d'une dizaine de minutes, après quoi le rapporteur et nous-mêmes vous poserons des questions.

M. Alain Lecomte .- Merci, monsieur le président. En tant que directeur général de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction, je suis placé sous la double autorité de M. Jean-Louis Borloo au titre du logement et de M. Dominique Perben au titre de l'urbanisme. J'évoquerai donc les deux aspects que sont le logement et l'urbanisme, mais je traiterai plus généralement celui du logement.

Je vais tout d'abord vous parler de l'accès au logement, qui est un point très important, après quoi je vous dirai un mot des aides personnelles au logement, puis je vous indiquerai un certain nombre d'éléments sur des situations d'habitat qui peuvent poser problème en termes d'immigration clandestine.

Je commencerai par l'accès au logement en distinguant les différentes catégories de logement.

Sur le parc privé, il apparaît clairement que les étrangers jouissent en France de tous les droits privés qui ne leur sont pas refusés par des dispositions expresses de la loi, selon les jurisprudences de la cour de cassation, et qu'ils ont donc a priori la possibilité de conclure un contrat de bail. En revanche, le bailleur qui, en toute connaissance de cause, signerait un contrat de bail avec un immigré clandestin pourrait être sanctionné dans la mesure où il a facilité ou tenté de faciliter le séjour irrégulier d'un étranger en France, avec les peines que vous connaissez : un emprisonnement de cinq ans et une amende de 30 000 euros.

Sur le parc social, constitué pour l'essentiel par les logements HLM, mais aussi par les foyers de travailleurs migrants (c'est ce qu'on appelle les logements ordinaires par rapport aux foyers logements), la réglementation est très claire : l'article R 441-1 du code de la construction prévoit que l'on attribue des logements aux personnes physiques admises à séjourner sur le territoire français dans des conditions de permanence définies par arrêté. Il s'agit de l'arrêté du 25 mars 1998 qui donne la liste, qui n'a pas été modifiée depuis, des différents titres de séjour pris en compte.

Cela pose des problèmes parce que les réfugiés ou les bénéficiaires de la protection subsidiaire, qui n'ont qu'un récépissé de demande de titre de séjour qui équivaut à une autorisation de trois mois, n'ont pas en principe de titre correspondant à ce qui est prévu dans l'arrêté. Sur ce point, la réglementation est donc très restrictive et nous assure qu'il n'y a pas de possibilité d'attribuer un logement à une personne qui n'est pas en situation régulière.

J'ajoute que les contrôles de la mission d'inspection interministérielle du logement social ne nous ont pas fait remonter de cas particuliers pour lesquels il aurait pu y avoir des abus. Cette mission d'inspection a un programme très complet de contrôle des organismes HLM chaque année.

Comme il faut par ailleurs se conformer à des conditions de ressources pour entrer dans un logement HLM, l'article 4 de l'arrêté du 29 juillet 1987 exige la production d'un avis d'imposition, lequel pose des problèmes pour les étrangers, y compris en situation régulière. Dans ce cas, il peut y avoir un avis favorable pour l'attribution, émis soit par la CADA, soit par la préfecture pour les étrangers arrivés sur le territoire français depuis moins de deux ans, ou une attestation des services fiscaux de non déclaration au titre de l'année n - 2. Sur la partie HLM, il s'agit donc d'un système complet, si je puis dire.

Nous retrouvons la même situation pour les foyers de travailleurs migrants, étant précisé que, lorsque ce sont des foyers de travailleurs, il faut une carte de séjour pour exercer une activité professionnelle.

Nous rencontrons une autre difficulté : à l'entrée dans les lieux d'un logement HLM, la vérification du titre est faite tout à fait normalement, mais nous ne sommes évidemment pas complètement assurés qu'il y ait une vérification du devenir du titre, ce qui peut être un problème. Vous savez qu'il y a une garantie de maintien dans les lieux dans les organismes HLM mais que nous n'avons pas un système de contrat de bail, comme dans le parc privé.

Le troisième point que je souhaite aborder concerne l'hébergement sous toutes ses formes. Il y a, bien sûr, l'hébergement tout à fait classique d'une personne privée. Il nous semble que le droit offre peu de possibilités pour refuser à une personne d'héberger quelqu'un chez elle, sous réserve, bien entendu, des dispositions concernant l'attestation d'accueil.

En ce qui concerne l'hébergement dans les centres prévus à cet effet, il n'y a pas d'exigences au titre des centres d'hébergement et de réinsertion sociale. Les textes ne prévoient pas une exigence de titre de séjour. Quant aux centres d'hébergement d'urgence, la situation est encore plus claire puisqu'on accueille tous ceux qui ont un besoin, sans justification de l'état civil a priori.

Voilà ce que je peux dire sur les différents types de parc.

Certes, nous pouvons rencontrer quelques situations anormales en matière d'habitat qui, d'ailleurs, ne conduisent pas nécessairement à dire qu'il y a des clandestins mais qui peuvent être des lieux où il y a des immigrés clandestins. Il s'agit bien sûr des foyers de travailleurs migrants, dans lesquels on observe un phénomène très important de sur-occupation. Nous avons des estimations qui vont jusqu'à 20 000 personnes, mais il faut les prendre avec beaucoup de prudence. Bien entendu, il y a des contrôles d'identité par les forces de police et un règlement intérieur du foyer, puisqu'on ne peut pas accueillir des gens dans les foyers de travailleurs migrants dans n'importe quelles conditions. Cela dit, cette sur-occupation couvre toutes sortes de cas : à la fois des gens en situation régulière et un certain nombre d'immigrés clandestins.

A cet égard, le projet de loi concernant l'engagement national pour le logement qui est en cours d'examen par le Parlement et qui a été voté en première lecture par les deux assemblées, prévoit qu'un décret encadrera l'hébergement en foyer, notamment l'accueil de personnes dans les foyers chez les résidents.

Le deuxième problème est ce qu'on appelle classiquement l'habitat indigne, c'est-à-dire tous ces logements qui sont en dessous des normes de confort, souvent insalubres ou en situation de péril. Par définition, comme nous sommes en dehors de la légalité, nous avons très probablement un bon nombre d'étrangers en situation irrégulière mais aussi toutes sortes de situations : des Français ou des étrangers en situation régulière.

Cela pose un problème aux préfets parce que, lorsqu'on évacue ce type d'habitat dans des situations extrêmes, notamment pour salubrité irrémédiable ou péril, on a évidemment d'énormes difficultés à reloger les personnes en situation irrégulière.

Je dirai enfin un mot sur le regroupement familial. A l'article 9 du décret du 17 mars 2005, une disposition prévoit des conditions pour accueillir des gens dans le cadre du regroupement familial : 16 mètres carrés pour deux personnes plus 9 mètres carrés par personne supplémentaire et des conditions de décence du logement. Cette norme est à peu près la même que celle qui prévoit la superficie minimale pour bénéficier de l'allocation de logement au titre de l'article D. 542-14 du code de la sécurité sociale, puisqu'il est prévu aussi 16 mètres carrés pour deux personnes plus 9 mètres carrés par personne supplémentaires, dans la limite de 70 mètres carrés pour huit personnes. C'est une référence qui peut être intéressante pour vous.

Au titre du règlement de construction, on prévoie des superficies minimales en termes de construction, et non pas en termes d'occupation de logement : les logements neufs doivent prévoir 14 mètres carrés par personne pour les quatre premières, puis 10 mètres carrés par personne supplémentaire. C'est une norme générale qui est prévue par l'article R 111-2 du code de la construction et de l'habitation.

J'en viens aux aides au logement. On distingue trois types d'aides qui sont très proches les unes des autres, qui ont le même barème, sauf dans le cas du logement en foyer, et qui relèvent du code de la construction et du code de la sécurité sociale : l'allocation de logement sous deux formes (à caractère familial et à caractère social) et l'aide personnalisée au logement.

Les choses sont très claires : le code de la sécurité sociale prévoit la nécessité d'un titre de séjour pour bénéficier des prestations familiales (article L. 512-2). Quant à l'aide personnalisée au logement, qui est du même type, elle est sous condition de ressources en fonction du loyer et de la taille de la famille et elle est prévue par l'article L. 351-2-1 du code de l'habitation.

La Caisse nationale d'allocations familiales nous indique qu'elle effectue des contrôles rigoureux qui ne portent pas seulement sur cette exigence et qu'elle vérifie, lorsqu'un titre vient à expiration, qu'il est bien renouvelé. Il est vrai que l'exigence du titre de séjour n'est opposée, si j'ose dire, qu'au seul bénéficiaire et non pas à l'ensemble du foyer qui va constituer les habitants du logement, mais je pense que le risque de détournement des aides au logement est limité, dans la mesure où il faut se déclarer en tant que tel, puisque l'aide est fonction de la taille de la famille, et où cette déclaration constitue à l'évidence un risque. A priori, il y a peu de chances qu'il y ait un détournement des aides indirectes à la personne pour majorer le montant de l'aide à ce titre.

Mon troisième point concerne le traitement de certains types d'habitat à problème. J'ai déjà évoqué les foyers de travailleurs migrants et l'habitat indigne. Il est important que vous sachiez que c'est un sujet que nous traitons en termes de rénovation et de réhabilitation parce qu'il peut constituer des trappes à problèmes de salubrité, de délinquance et, évidemment, d'immigration clandestine.

Nous avons en France 650 foyers de travailleurs migrants (dont 40 % en Ile-de-France) et 120.000 lits (dont 45 % en Ile-de-France). Ils sont très centrés sur l'Ile-de-France et les deux ou trois autres principales régions.

Par ailleurs, un grand plan de traitement et de restructuration des foyers de travailleurs migrants a été lancé depuis quelques années. Il s'agit de les rendre plus confortables et de mieux adapter les espaces de vie aux habitants. Sur les 327 foyers qui le nécessitaient, nous en avons traité environ la moitié. Il reste donc beaucoup de travail à faire. Ces réhabilitations sont faites grâce à des subventions classiques de l'Etat, les aides à la pierre, mais aussi, à hauteur de près de 50 %, par une partie du 1 % logement, que l'on appelle maintenant « 10 % sociaux » et qui est en réalité la forme contractualisée avec les partenaires sociaux du vieux 1/9 ème qui était destiné en priorité au logement des immigrés.

J'ajoute que, sur les foyers de travailleurs migrants, une opération ponctuelle et urgente de 7 millions d'euros sur un montant total de 50 millions d'euros est débloquée par le premier ministre pour résoudre les problèmes de sécurité.

Si j'évoque ce programme de réhabilitation des foyers de travailleurs migrants, c'est que cela peut être l'occasion, même si ce n'est pas complètement de ma compétence, de mettre un peu d'ordre dans le cadre de ces foyers de travailleurs migrants qui sont évidemment extrêmement difficiles à gérer par les gestionnaires, compte tenu de ce phénomène de sur-occupation. La réhabilitation peut être sans doute aussi un moyen d'améliorer les choses.

Toujours sur l'habitat indigne, nous avons deux procédures assez complexes : d'une part, l'insalubrité au titre du code de la santé et, d'autre part, la procédure de péril au titre du code de la construction et de l'habitation qui ont été réformés par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) du 13 décembre 2000. Par exemple, on a inclus les hôtels meublés, des obligations et sanctions à l'égard des propriétaires, des modalités de récupération des créances à l'égard des propriétaires qui doivent faire des travaux et qui ne les font pas et une protection des occupants améliorée.

Cela a eu de l'effet puisque, en matière de salubrité, qui relève du préfet, nous avons eu 750 arrêtés préfectoraux en 2004, un montant très supérieur à ce que nous pouvions connaître il y a quelques années.

Nous avons franchi une étape supplémentaire dans ce domaine avec l'article 122 de la loi de programmation pour la cohésion sociale, qui a accordé au gouvernement une habilitation législative pour prendre deux ordonnances.

La première date du 15 décembre 2005 et elle devrait être prochainement proposée à la ratification du Parlement. Elle a pour objectif d'améliorer ce qui avait été prévu dans la loi SRU selon un système complexe -il faut bien le dire- consistant à considérer à la fois les deux types de procédure : péril et insalubrité.

La deuxième ordonnance pour laquelle le gouvernement a une habilitation est un système assez puissant que l'on peut appeler « séquestre immobilier spécial » et qui permettrait à des communes de récupérer les travaux qu'elles font en substitution des propriétaires indélicats qui ne font pas les travaux et qui ont disparu dans la nature un certain temps. Le bien étant séquestré, les loyers peuvent venir compenser le coût des travaux effectués par la commune. Bien entendu, une fois que la créance de la commune vis-à-vis du propriétaire se trouve de ce fait complètement honorée, le séquestre s'arrête et il n'y a pas d'expropriation. Il y a une limitation provisoire du droit de propriété au niveau du fructus, si j'ose dire.

Je pense que c'est une mesure assez puissante, parce que les maires hésitent souvent à se lancer dans ce type de procédure, tout simplement, parce qu'ils craignent pour les finances locales : les travaux sur ce type de logement coûtent très cher.

J'en viens à un dernier point que je souhaite évoquer sur les situations à problème pouvant, mais non pas toujours, se traduire par des refus pour les immigrés clandestins. Il s'agit d'un sujet que nous gérons de plus loin, puisque c'est le ministère de l'outre-mer qui est évidemment en première ligne dans la mesure où il gère la ligne budgétaire unique qui regroupe les aides à la pierre en outre-mer, et nous nous y sommes intéressés au titre de l'urbanisme. Il s'agit notamment du problème des constructions illicites que l'on peut trouver en Guyane ou à Mayotte, sachant qu'en Guyane, un certain nombre de mesures ont été prises pour en démolir certaines, sous le crédit de ma direction générale. Cela ne remet pas en cause toute la compétence au titre de la ligne budgétaire unique, mais c'est un sujet qui est évidemment important et difficile.

Il est prévu également un certain nombre de sanctions au titre des constructions illicites, mais cela va de soi.

Enfin, nous n'avons aucune donnée statistique sur l'immigration clandestine. Nous avons bien sûr, régulièrement, les résultats du recensement et, entre les recensements, nous avons des enquêtes nationales sur le logement, la dernière datant de 2001-2002. Cela nous permet d'avoir une connaissance des conditions de logement des ménages étrangers, mais il est évident qu'à cette occasion, nous n'avons aucun moyen de déterminer quels sont les clandestins parmi les groupes d'étrangers.

Voilà ce que je voulais vous dire le plus brièvement possible, monsieur le président.

M. Georges Othily .- Nous vous remercions. Je me tourne vers M. le Rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Monsieur le directeur, vos propos ont été complets. Nous avons constaté tout de même une difficulté, en particulier outre-mer, et singulièrement à Mayotte, lorsque des personnes en situation irrégulière s'appropriaient des terrains appartenant à l'Etat pour y établir leurs constructions, qu'elles soient de fortune ou même parfois solides. La commission s'est demandée comment l'Etat pouvait laisser se pérenniser des situations de cette nature. Je suppose qu'il doit y avoir plusieurs explications. En avez-vous une sur ce point ?

M. Alain Lecomte .- Je n'ai pas de réponse complète. Je peux quand même vous indiquer qu'une ordonnance du 28 juillet 2005, relative à l'actualisation et à l'adaptation du droit de l'urbanisme à Mayotte, présente très clairement les dispositions relatives à l'acte de construire et à divers modes d'occupation des sols. Je vous signale notamment une disposition qui figure à la fin de l'article 4 de l'ordonnance et qui prévoit des conditions d'entrée et de séjour réguliers pour la protection des occupants dans les hypothèses d'expropriation à l'occasion d'opérations d'aménagement.

Il me semble donc que la sortie de cette ordonnance est aussi un moyen d'avoir une politique plus active en matière d'urbanisme, qui reste de la responsabilité des collectivités territoriales, bien entendu. En l'occurrence, je suppose qu'il s'agit de la collectivité unique de Mayotte.

M. Georges Othily, président .- Nous n'avons plus d'autres questions à vous poser, monsieur le directeur. Je vous remercie donc de ces renseignements, sachant que, si nous en avons besoin, nous vous demanderons des compléments.

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