Audition de M. Patrick WEIL,
directeur de recherche au CNRS
(20 décembre 2005)

Présidence de M. Alain GOURNAC, vice-président

M. Alain Gournac, président .- Mes chers collègues, nous entendons cet après-midi M. Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS.

Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Patrick Weil prête serment.

M. Alain Gournac, président .- Monsieur le directeur, je vous donne la parole.

M. Patrick Weil .- Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, merci de m'avoir invité à témoigner devant vous sur l'immigration clandestine ou irrégulière, selon les terminologies que l'on peut employer, qui est un phénomène réel, difficile à évaluer, impossible à supprimer, mais qu'il est probablement possible de réduire. C'est à partir de ces différents points que je vais essayer d'organiser mon exposé.

L'immigration irrégulière est un phénomène réel qui apparaît, par exemple, lorsque des étrangers en situation irrégulière sont interpellés et ne peuvent pas présenter des titres de séjour leur permettant de séjourner régulièrement en France. Cependant, c'est un phénomène très difficile à évaluer puisque nous avons déjà du mal à produire des statistiques fiables sur l'immigration légale. Il est évident que les chiffres qui sont diffusés sur les étrangers en situation irrégulière ne sont que des estimations et, comme je viens de jurer de dire toute la vérité, je me garderai bien d'en donner aucun, pour ne pas m'exposer, monsieur le président, aux sanctions que vous évoquiez...( Sourires )

J'ajoute que c'est un phénomène qui, bien que cela puisse, j'en conviens, être difficile à admettre, est le produit même d'une régulation et d'une réglementation. Après tout, vous légiférez dans beaucoup de domaines, notamment dans le domaine fiscal ou dans celui du code de la route, et même si vous essayez de faire les meilleures lois, vous savez qu'un certain nombre de nos compatriotes ne respecteront pas la loi et seront soit fraudeurs au fisc, soit contrevenants au code de la route.

Cependant, à chaque fois qu'il y a un accident de la route ou un fraudeur fiscal contrôlé par le fisc, personne n'en conclut qu'il faut modifier complètement la législation fiscale ou le code de la route. C'est pourtant ce qui se produit en matière de politique d'immigration.

Dès que des bateaux sont interpellés et des étrangers en situation irrégulière montrés à la télévision, l'immigration est un sujet tellement sensible, « politisable » et lié à des principes fondamentaux et contradictoires de notre République -le respect des droits de l'homme, la souveraineté ou l'identité nationales- que le public, voire les hommes politiques, demandent qu'on légifère pour supprimer ce phénomène, alors qu'il est absolument impossible de le supprimer dès lors que nous sommes aussi le premier pays au monde en matière de tourisme et que nous voulons le rester.

C'est donc un phénomène qu'il faut tenter d'analyser et de comprendre pour le réduire.

Nous vivons dans un monde de plus en plus inégal dans lequel des hommes et des femmes subissent des persécutions ou bien, tout simplement, crèvent de faim et cherchent à gagner des terres meilleures.

On peut remarquer, cependant, que tous les dispositifs législatifs qui ont été mis en place depuis une trentaine d'années, c'est-à-dire depuis que la France a interrompu, temporairement puis définitivement, l'immigration de travailleurs étrangers, ont eu une relative efficacité.

En effet, la majorité des étrangers en situation irrégulière qui sont interpellés sont entrés régulièrement, en tout cas sur le territoire métropolitain, c'est-à-dire qu'ils ont obtenu un visa soit donné par la France, soit donné par d'autres pays de la zone Schengen. Ce qui montre bien que, pour ce qui est de l'accès à notre territoire, les dispositifs de délivrance des visas et de contrôle aux frontières ont une certaine efficacité.

La deuxième remarque que je ferai, c'est que nous n'avons pas la maîtrise, en tant que nation, de la circulation des personnes sur notre territoire, puisque vous savez bien qu'un visa « Schengen » attribué par l'Espagne, la Grèce, l'Autriche ou la Belgique permet de circuler sur notre territoire. Il est donc nécessaire de développer des actions nationales, mais il est aussi très important d'avoir une politique de coordination, notamment pour l'attribution des visas, avec les pays de la zone Schengen, puisque c'est ensemble que nous devons gérer ce phénomène.

Je ferai une remarque complémentaire : je pense que les dispositifs policiers atteignent les limites de leur efficacité. Vous pourrez me dire que vous avez fait des constatations qui démentent ce que je viens de dire, mais à mon sens, si la majeure partie des étrangers en situation irrégulière viennent avec des visas réguliers et restent au-delà du leur validité, cela signifie qu'il faut s'interroger sur la façon d'améliorer nos dispositifs.

Il faut, bien sûr, lutter contre les filières et contre les trafics et améliorer la coopération entre les pays de départ et les pays de destination, mais il faut aussi s'interroger sur deux points : d'une part, dans quelle mesure les procédures d'admission légales favorisent-elles ou dissuadent-elles l'immigration illégale ; d'autre part, comment peut-on mieux coopérer avec les pays du Sud pour cogérer cette question des flux migratoires légaux et illégaux ?

C'est sur ces deux points que je souhaite insister.

Premièrement, selon que l'on considère l'Europe ou l'Amérique du Nord, on trouve des dispositifs d'admission qui sont relativement différents et qui permettent de faire des comparaisons. On remarque par exemple que les pays qui ont choisi des systèmes de quotas pour admettre des étrangers en situation légale sont ceux qui ont le plus d'étrangers en situation irrégulière : l'Espagne et l'Italie en Europe, les Etats-Unis en Amérique du Nord. La raison en est très simple : si, par exemple, l'Italie annonce 80 000 ou 100 000 permis pour l'année suivante, il y aura dans les pays d'origine beaucoup plus de 100 000 candidats pour venir. Et, comme vous le savez, une fois que les gens sont là, il est difficile de les faire repartir.

Du coup, l'Espagne et l'Italie, depuis une dizaine ou une quinzaine d'années, font des régularisations massives tous les deux ou trois ans.

Les Etats-Unis ne peuvent pas faire la même chose, parce qu'il faut une autorisation du Congrès, mais, aujourd'hui, on évalue à 11 millions de personnes le nombre d'étrangers en situation irrégulière et le Congrès discute, à la demande du président Bush, d'une procédure de légalisation, parce que la situation devient intenable.

Deuxièmement, si on considère le seul paysage européen, on constate que des directives ont harmonisé les procédures d'asile, ainsi que, dans une moindre mesure, les procédures de regroupement familial, mais qu'il n'y a pas de directives en matière d'admission au travail. On constate aussi que ce qui crée aujourd'hui des différences entre les pays européens, c'est l'attitude à l'égard des nouveaux ressortissants de l'Union. La Grande-Bretagne, l'Irlande, la Suède et même l'Italie ont mis en place des systèmes soit d'autorisation sans contrôle, pour ce qui est de la Grande-Bretagne et de l'Irlande, soit pour l'Italie, de quotas très élevés qui ne sont jamais atteints, marquant ainsi -je le dis clairement- leur préférence pour l'immigration européenne légale.

Les autres pays de l'Union, dont la France, ont opté pour l'application des mesures transitoires prévues par le traité d'adhésion, ce qui leur permet de reporter à sept ans -aujourd'hui, cela ne fait plus que cinq ans- la date où la libre circulation va se transformer en droit de venir travailler et s'installer en France.

Le résultat, c'est qu'un certain nombre de ressortissants de ces pays ont le droit de venir sans visa et qu'ils travaillent irrégulièrement, mais qu'on ne va pas chercher à les renvoyer puisqu'ils ont le droit de circuler et de revenir. Paradoxalement, dans les pays d'Europe continentale, sauf l'Italie, l'application de ces mesures transitoires favorise le développement du travail irrégulier des ressortissants d'Europe de l'Est alors que, dans les pays qui ont décidé de leur ouvrir la porte, ils travaillent légalement et paient leurs cotisations sociales et leurs impôts.

Je soulève ce point parce qu'il est rarement évoqué. Je l'ai fait également au cours d'une petite réunion qui a eu lieu il y a quelques semaines au 10 Downing Street avec M. Blair, en tant que président de l'Union européenne -pour ma part, j'étais là pour parler de la politique européenne de l'immigration- parce que cette absence d'harmonisation des politiques au niveau de l'Europe vis-à-vis des ressortissants des nouveaux membres de l'Union pose problème.

Il me semble que, dans le domaine des procédures d'admission légale, il faut agir avec beaucoup de finesse, corriger la législation quand elle se montre inadaptée, mais aussi tenir compte des expériences soit du passé, soit des autres pays.

Je vous donne un exemple : celui de l'asile. La loi de 1998 avait créé, en suivant les conclusions du rapport que j'avais remis au Gouvernement de l'époque, une procédure d'asile complémentaire, l'asile territorial, qui a été maintenu dans la loi de 2003 sous d'autres formes. Ce n'est donc pas le principe de l'asile complémentaire qui était en jeu. C'est l'application de la loi qui a posé un problème quand le Gouvernement de l'époque, en 1998, a décidé de créer deux procédures pour gérer les demandes d'asile au lieu de les faire gérer par la même institution, l'OFPRA. La décision de créer deux procédures a entraîné un nouvel attrait pour la demande d'asile et des délais qui ont contribué au développement d'une certaine forme d'immigration irrégulière.

En matière d'asile, comme toutes les expériences internationales nous le démontrent, la meilleure procédure est celle qui est indépendante, et donc inattaquable du point de vue de la protection de ceux qui sont persécutés, mais elle doit aussi être rapide parce que, dans ce cas, celui qui a besoin d'être protégé l'est plus vite que s'il doit attendre trois ans, tandis que ceux qui voudraient abuser de la procédure pour se maintenir dans des conditions semi-légales sur le territoire national en sont dissuadés.

Par conséquent, si vous constatez que la procédure d'asile est toujours un peu encombrée, il me semble qu'il faut suggérer au Gouvernement non pas de changer la loi mais, plutôt, de faire en sorte que puissent être prises plus rapidement les décisions de l'administration chargée d'accorder ou de refuser d'accorder le statut de réfugié.

J'en viens à ce qui se passe à Mayotte, dont on m'a demandé de parler. Je ne suis pas un spécialiste des rapports géographiques entre les Comores et Mayotte, mais je peux dire qu'aujourd'hui, il n'y a plus de lien possible entre le droit de la nationalité tel qu'il a évolué au cours de ces 25 dernières années et le droit au séjour. S'il est proposé ou même décidé de changer le droit de la nationalité à Mayotte, je ne vois pas quel impact cela pourra avoir sur l'immigration irrégulière étant donné qu'aujourd'hui, si un enfant naît à Mayotte de parents étrangers, il faut qu'il attende d'avoir au moins treize ans pour que la nationalité française puisse être réclamée en son nom, à condition qu'il ait résidé à Mayotte pendant au moins cinq ans, à partir de l'âge de huit ans. Si pendant tout ce temps, il a vécu en territoire français avec ses parents, alors il faut faire quelque chose.

A cet égard, nous avons, depuis la loi de 1998 -cela existait auparavant mais a été renforcé en 1998- un système de régularisation permanente et individuelle. Cela veut dire que nous faisons, en matière de gestion de l'immigration, ce qui se passe dans tous les autres domaines réglementaires, avec les mécanismes de prescription ou d'amnistie.

Prenons l'exemple de la fraude fiscale : pendant un certain nombre d'années, chacun d'entre nous peut être contrôlé après l'année où il a déclaré ses impôts. S'il n'y avait pas de contrôle et si on savait qu'on allait être amnistié, personne ne paierait ses impôts. Mais si nous devions garder pendant toute notre vie les preuves des revenus que nous avons perçus chaque année, nous deviendrions obnubilés par des problèmes de preuve. Il y a donc un mécanisme de prescription qui joue.

C'est ce qui a été mis en place par la loi de 1998. Au bout de dix ans, si la police n'a pas su faire son travail et si la personne s'est maintenue en France et a montré, par la permanence de son séjour sur le territoire, sa volonté d'intégration, on l'amnistie individuellement, en quelque sorte. Il y a comme cela un certain nombre de cas qui permettent de demander une régularisation.

Ce mécanisme, qui est un peu pratiqué par les Anglais et plus discrètement par les Allemands, permet d'éviter les grandes régularisations.

Parce que, je voudrais insister là-dessus, le choix n'est pas entre zéro régularisation et quelques-unes, mais entre soit un mécanisme discret et individuel de légalisations permanentes, soit des grandes légalisations. Cela apparaît clairement dans le paysage international.

Mais je pense aussi, et c'est le sujet que je voudrais aborder maintenant, que nous pouvons faire mieux avec les pays du Sud.

Comme vous le savez, la principale difficulté que l'on rencontre lorsqu'un étranger est interpellé en situation irrégulière, c'est le problème de la reconnaissance de sa nationalité par son pays d'origine. Il s'agit donc de savoir comment on peut mieux coopérer avec le pays d'origine. Je me suis donc demandé si on ne devait pas mettre en place des mécanismes qui, finalement, même si nous restons dans un rapport inégal, permettraient d'offrir plus de satisfaction aux pays du Sud en matière de politique d'immigration que ce que nous pouvons leur offrir aujourd'hui.

Je vais prendre un exemple : celui de l'immigration qualifiée, que j'ai donné à M. Blair quand il m'a reçu. Dans ce domaine, il y a deux « modèles » : soit le modèle nord-américain, australien ou néo-zélandais, qui consiste à prendre les meilleurs sans s'interroger sur leur devenir car on pense qu'ils ont vocation à servir leur pays d'accueil ; soit le modèle correspondant à la politique traditionnelle de la France qui, jusqu'à ces dernières années, a consisté à dire que les étudiants et les qualifiés devaient retourner dans leur pays. C'est une pratique qui a aujourd'hui quelque chose d'absurde parce que, si nous sommes les seuls à la suivre, les étudiants que nous allons former chez nous vont aller en Angleterre, en Allemagne ou aux Etats-Unis et seront perdus à la fois pour la France et pour leur pays d'origine.

C'est pourquoi nous sommes obligés d'inventer quelque chose d'autre. J'ai donc essayé de « vendre » à M. Blair l'idée que l'Europe devrait avoir une autre approche que celle du brain drain , du pillage des cerveaux, une approche que j'ai appelée en anglais brain circulation , dont l'objectif est de favoriser la circulation et la recirculation des cerveaux.

L'idée est de permettre à des qualifiés qui ont travaillé chez nous de venir travailler pour nos entreprises mais aussi de contribuer au développement des pays d'où ils viennent grâce aux technologies dont ils sont peut-être porteurs, en leur permettant de faire des allers-retours avec leur pays sans craindre de ne pas pouvoir revenir. Car quel est le problème d'un médecin, d'un chercheur, de quelqu'un qui a fait une école de commerce et qui vient d'Afrique ? Il se dit qu'il veut bien aider son pays en retournant y travailler, mais si ensuite il veut revenir en France et qu'on ne lui donne pas de visa, que devient-il ? Il ne peut pas prendre le risque de perdre, par un retour définitif, l'accès à l'environnement culturel et scientifique nécessaire au maintien ou à l'accroissement de sa qualification. Il me semble donc qu'il faut développer des mécanismes qui facilitent les allers-retours.

Pour cela, il faudrait que ce que la loi prévoit pour les étudiants existe aussi, en particulier, pour les diplômés de l'enseignement supérieur français. On pourrait ainsi prévoir que, si un étranger diplômé de l'enseignement supérieur français qui est rentré dans son pays veut revenir ensuite en France, on ne pourra plus lui refuser un visa sans justifier ce refus, ce qui faciliterait l'obtention du visa. Pour quelques catégories de personnes, le refus de visa par les consulats devrait donc être justifié.

La deuxième idée serait que, comme je l'ai suggéré à M. Blair, lorsqu'un hôpital ou une université européenne recrute un chercheur, un médecin ou un professeur venu par exemple du Mali, on puisse lui dire ceci : « Vous allez travailler dans un hôpital français ou britannique, mais vous ferez aussi une partie de votre carrière dans votre pays et quand vous serez au Mali, on vous garantira le salaire que vous toucherez en France ou en Grande-Bretagne, cette garantie sera assurée par l'Union européenne au titre de la coopération avec le Sud. » Cela permettrait de faire en quelque sorte de ces gens des agents du co-développement, qui transféreront leur savoir au Sud et qui créeront des pôles de développement tout en ayant la garantie qu'ils auront la possibilité de revenir pour effectuer une partie de leur carrière en Europe et en France.

Voilà les quelques pistes de réflexion que je voulais développer devant vous, mesdames et messieurs les sénateurs.

M. Louis Mermaz .- Je souhaite demander à M. Patrick Weil comment il pense pouvoir régler de façon plus humaine, plus harmonieuse et politiquement plus intelligente l'immigration économique. Il nous a parlé des étudiants et de l'immigration qualifiée et nous avons été très intéressés par les pistes qu'il a ouvertes, mais je pense aussi aux personnes qui vivent dans une situation misérable et qui, souvent parce qu'ils sont les plus habiles, sont choisis par leur village pour essayer de venir travailler chez nous comme manoeuvres, ce qui est un immense problème.

Quelles pistes M. Weil pourrait-il nous suggérer pour répondre à ce besoin fondamental, d'autant plus fondamental, en ce qui concerne la France, que ces gens viennent de pays francophones et qu'ils ont des liens avec nous ? On parle toujours de la coopération quand on ne sait plus quoi dire, mais, vu l'état du budget de l'Union européenne aujourd'hui, que pourrions-nous faire en attendant qu'il permette un véritable effort de coopération ?

Mme Catherine Tasca .- Ma question porte en fait sur le même sujet. Vous évoquiez, monsieur Weil, le cas des les immigrés qualifiés. Je trouve que votre idée d'un parcours professionnel sur les deux continents est une bonne piste et que cela pourrait être une vraie politique de coopération, mais il reste que, pour l'essentiel, l'immigration, en tout cas africaine, est une immigration non qualifiée. Certes, nous faisons appel à quelque Maliens ou quelques Egyptiens, par exemple, pour les faire travailler dans nos hôpitaux. Mais, pour l'immigration non qualifiée, que peut-on imaginer, étant entendu qu'économiquement, toutes ces formes d'immigration sont en partie profitables à notre pays et à l'Europe ?

M. Bernard Frimat .- Si je peux joindre ma voix à celle de Louis Mermaz et de Catherine Tasca, je souhaite vous interroger, monsieur Weil, sur cette notion d'immigrés qualifiés ou non qualifiés en me référant notamment à l'exemple canadien et à des réflexions que j'ai entendues au Canada et sur lesquelles je souhaiterais avoir votre avis d'expert. Il apparaît en effet qu'un certain nombre de migrants pourtant choisis, accueillis et sélectionnés, ne s'intègrent pas du tout dans la société canadienne au niveau de leur qualification mais qu'au contraire, pour des raisons sans doute très variées, notamment corporatistes, ils occupent des emplois qui ne correspondent pas à leur qualification : on cite toujours l'exemple symbolique du médecin qui devient chauffeur de taxi.

Face au discours que nous pouvons entendre et qui laisse penser que dans le choix de la qualification résiderait une espèce de solution miracle, j'aimerais avoir votre sentiment sur de telles situations. Correspondent-elles à un vrai problème ?

M. Patrick Weil .- Je commencerai par répondre à M. Frimat en revenant sur la question des qualifiés. Cette question doit être traitée d'urgence car nous sommes vraiment sur un marché mondial. Les jeunes Français le sentent d'ailleurs tout à fait puisqu'ils quittent la France et vont en Angleterre, aux Etats-Unis, en Australie, au Canada, etc. Nous avons des atouts, il faut les mettre en valeur et il faut réfléchir à cet aspect sur la base d'un marché mondial dans lequel, aujourd'hui, nous sommes moins bons que les Anglais, par exemple, pour attirer les meilleurs dans nos universités et, ensuite, sur notre marché du travail alors que, parfois, il s'agit de francophones qui, justement, n'ont pas trouvé chez nous les moyens de continuer leur carrière dans les entreprises françaises. Il y a là un vrai problème qu'il faut traiter en tant que tel en le distinguant de celui des non qualifiés.

Cela dit, je suis entièrement d'accord avec ce que vient de dire M. Frimat : nous sommes en quelque sorte dans une situation inverse par rapport à celle du Canada.

Tout d'abord, il faut arrêter de prendre le Canada pour exemple. Certes, c'est une nation qui a une frontière territoriale, mais, du point de vue de l'immigration, le Canada est comme une île : on n'y vient pas par le nord et quand on est au sud, c'est-à-dire aux Etats-Unis, on y reste et on ne va pas au Canada. C'est au contraire le Canada qui a des problèmes pour conserver sa population active qualifiée qui est attirée vers le marché américain. Donc nous ne sommes pas du tout dans la même situation que le Canada, qui cherche à faire venir tous les ans un maximum de gens parce qu'une partie de sa population quitte le pays.

En France, nous avons déjà de nombreux qualifiés dans nos universités, nos grandes écoles, qui font des stages dans les entreprises, mais c'est lorsque ces mêmes entreprises repèrent quelqu'un qu'elles veulent recruter que le problème se pose, parce que notre administration refuse la demande d'autorisation de travail. C'est donc l'inverse de ce qui se passe au Canada, où on fait venir des gens sur la base de leur qualification sans savoir s'ils vont trouver du travail alors que, chez nous, nous avons des gens qui ont trouvé un travail et à qui on ne donne pas l'autorisation de travailler.

C'est un vrai paradoxe, et je pense vraiment que votre mission de parlementaire est de « mettre votre nez » dans l'administration, car vous votez des lois qui ne sont pas toujours appliquées de la même manière sur tout le territoire.

Je pense par exemple que vous devriez demander à la direction de la population et des migrations (DPM) un rapport qui lui a été remis récemment -je vous en parle puisque je dois dire toute la vérité. Ce rapport, qui a été établi par certains de mes collègues à la demande de la DPM concerne les méthodes d'attribution des titres de travail par les directions départementales du travail. Ils ont travaillé sur plusieurs départements et leur étude montre que la pratique des départements est très différente, selon que l'on a affaire à des chefs de service qui ont une certaine intelligence de leur métier ou à d'autres qui ont été habitués à dire non depuis trente ans et qui, par conséquent, continuent de le faire.

La responsabilité des ministres en charge de ces services est de veiller à ce que la loi et les circulaires qu'ils signent soient appliquées avec l'esprit qui a prévalu au départ, ce qui n'est pas le cas.

Cela dit, vous avez raison : les Canadiens font venir des docteurs en sciences qui ne trouvent pas de travail. Ils ont une carte de séjour, mais ils n'ont pas de travail comme docteurs en sciences alors que, chez nous, nous avons des gens qui trouvent du travail en tant que docteurs en sciences mais qui n'obtiennent pas de carte de séjour.

C'est la question qu'il faut régler. Il ne s'agit pas de changer tout notre système dont j'entends dire, en parlant avec des collègues qui connaissent très bien les pays de l'OCDE, qu'il s'agit de l'un des plus souples. Au fond, il ne manque que la souplesse du ministre du travail et du ministre de l'intérieur et l'inflexion qu'ils donnent, ou qu'ils ne donnent pas. Nous avons en effet tous les outils réglementaires nécessaires pour délivrer des permis de travail à des personnes qualifiées. Il n'y a pas besoin de changer les lois, il faut simplement que les ministres compétents prennent en charge ce dossier et se préoccupent de la façon dont fonctionnent leurs services.

J'en viens maintenant à la situation des travailleurs non qualifiés, sur laquelle j'ai toujours été réservé. C'est un problème très compliqué parce que nous avons un taux de chômage très élevé parmi les travailleurs non qualifiés.

Quand j'avais fait mon rapport pour le Gouvernement de M. Jospin en 1997, j'avais constaté -je pense que cela n'a pas beaucoup changé- que nous avions un grave problème de statut du travail saisonnier dans notre pays : c'est en effet un statut dévalorisé du point de vue tant des conditions de travail que de l'indemnisation du chômage. Vous avez donc des secteurs, comme l'hôtellerie, la restauration, l'agriculture, la confection, ou encore le bâtiment, où on travaille plus l'été que l'hiver, qui n'attirent plus les salariés et où le travail clandestin se développe.

Avant d'en venir aux mesures -car je vais y venir- que l'on peut envisager à l'égard des étrangers non qualifiés, il faudrait peut-être s'interroger sur l'organisation de notre marché du travail par rapport à nos chômeurs domestiques, qu'ils soient français ou étrangers.

Une fois que nous aurons avancé sur ce dossier, je me demande s'il ne faudrait pas, par exemple, mettre en place des mécanismes de contrats multi-annuels à l'égard des saisonniers. Je pense au Mali, que je connais un peu, où les villages et les familles ont l'espoir que l'un des hommes pourra venir travailler.

Il me semble que de tels contrats pourraient contribuer à résoudre le problème du maintien en situation irrégulière, qui tient au fait que, si les gens repartent, ils ne sont pas sûrs de pouvoir revenir par la suite en France. Si bien qu'ils restent.

L'Espagne a mis en place des mécanismes de permis saisonniers pluriannuels très intéressants, de même que l'Italie avec l'Albanie. L'idée est qu'une fois que la personne a obtenu un permis, si elle revient dans son pays à la fin de la saison elle a la garantie de revenir l'année suivante, et ce pendant cinq ou dix ans. Cela fait qu'elle retourne chez elle parce que, si elle est prise en situation irrégulière entre deux saisons, elle perd son droit à l'aller-retour et paie donc chèrement le fait de ne pas avoir respecté le caractère saisonnier du séjour.

Je pense que vous devriez essayer -je n'ai pas eu le temps de le faire moi-même- de creuser l'expérience italienne qui, sur ce sujet, a innové sur un certain nombre de points avec l'Albanie en matière de permis multi-annuels.

M. Alain Gournac, président .- Ce sont effectivement des pistes intéressantes, et nous devrions certainement regarder ce qui se passe en Italie et en Espagne.

M. Philippe Dallier .- Vous nous avez parlé de l'absence d'égalité de traitement dans l'attribution des permis de travail par les directions départementales du travail. Mais beaucoup d'associations nous ont dit qu'il y avait également des différences très importantes d'une préfecture à l'autre dans le traitement des dossiers de régularisation.

Comme j'ai tendance à considérer que cela doit être vrai, que peut-on faire à ce sujet ? Certains réclament des régularisations massives en disant que tous ceux qui sont là depuis un certain nombre d'années doivent être régularisés, mais quid du risque d'« appel d'air » ensuite ? J'incline à penser avec vous que les régularisations individuelles, sur des critères précis, peuvent être une solution dans certains cas mais si elles ne sont pas pratiquées de la même façon dans tous les départements, que peut faire le Parlement ? Bien sûr, nous pouvons demander aux ministres de donner de nouvelles instructions, mais j'imagine que cela a sans doute déjà été fait !

M. Patrick Weil .- Je vais vous dire les choses franchement. Votre commission d'enquête est peut-être l'occasion de dire une chose évidente : la question de l'immigration n'est pas une question du passé mais une question d'avenir et cela demande un investissement administratif. Vous avez raison : la gestion de la régularisation individuelle est variable selon les préfectures. Cela veut donc dire qu'il faut mettre des moyens pour coordonner tout cela.

Quand j'ai fait mon rapport en 1997, je me suis rendu compte que jamais les chefs des services chargés des étrangers des préfectures n'étaient réunis, même pas une fois par an, au niveau du ministère de l'intérieur. Je crois que cela a changé depuis, mais il n'y avait même pas une réunion par an ! Ils ne faisaient que recevoir les circulaires.

Une inspection a été menée par un membre de l'Inspection générale de l'administration et un administrateur civil du ministère dans les vingt départements où il y avait le plus d'étrangers résidents, ce qui a permis de se rendre compte que la gestion et l'organisation des services dans chaque préfecture étaient complètement différentes. Certains services préfectoraux continuaient à compter manuellement les titres parce qu'ils ne faisaient pas confiance à l'informatique : ils mettaient trois agents pour faire cela !

M. Alain Gournac, président .- Pour faire des bâtons, en quelque sorte.

M. Patrick Weil .- Tout à fait. Il faut bien se rendre compte qu'à un certain moment, on n'est plus dans le domaine du législateur mais dans celui de la simple bonne gestion et de l'organisation administrative. Il faut se demander s'il n'y a pas encore des progrès à faire dans le domaine de la coordination, par exemple en prévoyant une coordination au niveau des préfets de région. On pourrait envisager un mécanisme prévoyant des comptes rendus réguliers et des réunions pour que chacun sache comment les choses sont faites dans tel ou tel cas. Ensuite, il faut que les préfets aient une marge d'appréciation.

M. Philippe Dallier .- Ils l'ont actuellement.

M. Patrick Weil.- C'est vrai, mais il faut que ce soit coordonné et géré. Les questions d'immigration sont d'une très grande technicité et quand vous avez formé un agent pendant cinq ou dix ans, c'est un peu embêtant d'aller le mettre ensuite aux permis de conduire et de perdre tout le bénéfice de sa qualification. Peut-être faudrait-il créer un corps interministériel intervenant dans toutes les administrations -consulats, préfectures, services départementaux- qui ont des compétences en matière de gestion des étrangers. Cela permettrait de valoriser les carrières des agents chargés de ces questions, qui au contraire sont dévalorisées, alors qu'ils occupent des fonctions qui exigent beaucoup de compétence et d'expérience pour gérer des procédures très compliquées.

M. Alain Gournac, président .- Je trouve cette idée très intéressante car -je suis tout à fait d'accord avec vous sur ce point- les fonctions de gestion des étrangers sont très techniques et ne sont pas suffisamment valorisées au sein de l'administration. Votre proposition de confier ces tâches à des agents qui traiteraient ces questions dans leur globalité me paraît donc mériter réflexion.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Ma question vous paraîtra peut-être un peu redondante par rapport à tout ce que vous venez de nous dire mais il me paraît important que nous ayons tous bien saisi le sens de vos propos : vous nous dites en somme qu'il est inutile de modifier la législation en vigueur et qu'il s'agit uniquement de veiller à la façon dont elle est appliquée ?

M. Patrick Weil .- Je ne dis pas qu'à la marge, il n'y ait pas des ajustements à effectuer, mais comme, ces trente dernières années, chaque nouvelle majorité a corrigé ce que faisait l'autre, il y a un moment où on arrive au bout de l'exercice. Il y a toujours des modifications à faire, parce que c'est un domaine très mouvant, mais je trouve, pour avoir travaillé sur ce sujet depuis un certain nombre d'années, qu'il faut surtout que vous vous mêliez de la partie « grise » et administrative des choses et que les ministres et les directions des services se sentent suivis par le Parlement sur ces questions.

M. Alain Gournac, président .- Vous voulez dire que nous devons faire notre travail de contrôle.

M. Patrick Weil .- Exactement.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- D'après l'expérience que vous avez acquise, constatez-vous aujourd'hui que le recours au droit d'asile peut être détourné par des demandeurs qui cherchent à l'utiliser pour se maintenir sur le territoire ?

M. Patrick Weil .- C'est un peu ce que j'ai dit tout à l'heure. Quand la procédure de l'asile est gérée avec rapidité et justice, elle devient protectrice et on en abuse beaucoup moins que si elle est longue et permet un maintien en situation semi-légale pendant un, deux, trois ou quatre ans. Là aussi, ce n'est pas le changement de la loi qu'il faut rechercher mais plutôt son application rapide et il faut que, s'il y a un encombrement, on mette pendant six mois à deux ans les moyens nécessaires pour réduire les délais plutôt que d'envisager tout de suite de changer la loi.

Il y a quelques années, un collègue et ami américain était venu en France, à un moment où il y avait une crise de l'asile aux Etats-Unis, pour observer la réforme de l'asile qui avait eu lieu en 1989, sous le gouvernement de M. Rocard, et qui avait permis de développer les moyens de l'OFPRA et de la Commission des recours des réfugiés. Cet ami avait ensuite témoigné devant le Congrès américain en disant qu'il fallait suivre l'exemple français et c'est ce qui avait été fait.

M. Jean-François Humbert .- Ensuite, nous avons fait autre chose.

M. Patrick Weil .- Tout à fait, et c'est bien le problème : nous avons oublié cette leçon. A cet égard, je tiens à dire que le Gouvernement de M. Lionel Jospin a fait une erreur, en 1998, en créant deux procédures gérées par deux administrations différentes. On a oublié qu'il était plus important de voir comment on allait mettre en oeuvre l'asile territorial plutôt que de le créer. Dans le domaine de l'immigration, ce sont souvent la gestion et la mise en oeuvre de la loi qui créent les problèmes plutôt que la loi elle-même.

Mme Catherine Tasca .- Je voudrais revenir sur les questions des allers-retours. Je connais assez bien l'Afrique et les flux d'immigration en provenance de ce continent, et je connais aussi assez bien le fonctionnement des consulats et l'extraordinaire difficulté, dans les pays de l'Afrique francophone, pour tout citoyen, et même pour un « notable », d'obtenir un visa pour venir chez nous. Je pense qu'il y a donc là un point sur lequel nous devons travailler. Plus nous rendons la délivrance des visas difficile, plus cela encourage d'une certaine manière le touriste venu pour un bref séjour à ne pas retourner dans son pays, s'il a trouvé de quoi vivre et un petit travail.

Il faut bien établir ce lien entre l'incroyable difficulté d'obtention des visas aujourd'hui et le développement de l'immigration irrégulière. En effet, prendre le risque de retourner dans son pays revient, neuf fois sur dix, à ne pas être sûr d'obtenir un visa pour revenir en France.

Je pense que tous les parlementaires ici le savent, mais il faut avoir conscience de l'attitude des personnels dans nos consulats. Il ne s'agit pas de leur jeter la pierre, mais ils font preuve d'un très grand mépris vis-à-vis des demandeurs de visa, y compris, je le répète, des notables, même dans des pays proches comme la Tunisie...

M. Alain Gournac, président .- ...ou le Maroc.

Mme Catherine Tasca .- Tout à fait. Il faudrait donc pouvoir travailler sur l'administration des consulats. Je pense qu'il faut que nous nous saisissions de cet aspect du problème parce que c'est l'un des facteurs qui encouragent l'immigration irrégulière. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je le constate constamment.

M. Patrick Weil .- Je le pense également, mais, là encore, c'est une question de moyens. Quand vous êtes dans un consulat et que vous devez gérer le manque de moyens et les pressions de tous ordres que subissent les agents locaux, qui ne sont pas toujours des agents français, vous comprenez que les choses ne sont pas faciles.

C'est ce que je dis à mes collègues du monde universitaire : quand on a 200 copies à corriger dans la journée ou seulement 25, on les traite différemment !... ( sourires ) C'est la même chose pour les demandes de visa ou d'asile. Lorsque les agents se trouvent face à des situations très complexes et subissent des pressions qui viennent du ministère pour leur demander de faire attention, mais aussi du niveau local pour qu'ils ne soient pas trop sévères, ils doivent être extrêmement performants. Or, là encore, ce ne sont pas les meilleurs agents qui sont en place et c'est pourquoi la valorisation de la carrière de nos agents et les moyens que l'on met au niveau des structures aussi bien préfectorales que consulaires sont un enjeu très important.

On pourra toujours changer la loi, mais si, sur le terrain, il n'y a pas de bons agents, cela ne « suivra » pas.

M. Alain Gournac, président .- J'ai rencontré récemment des parlementaires marocains qui m'ont fait part de difficultés incroyables pour obtenir des visas et ont évoqué l'attitude des services consulaires, jugée blessante par beaucoup de leurs compatriotes, qui ne comprennent ni les refus qu'on leur oppose, ni la façon dont on les reçoit. Je crois qu'il faut que nous nous inquiétions de cela car ce genre de choses, dans des pays amis de la France, peut avoir des conséquences très négatives pour l'image de notre pays.

M. Louis Mermaz .- Monsieur le président, je suis impressionné par les échanges de bons sentiments auxquels nous nous livrons. On nous dit que les lois ne sont pas si mauvaises, que la majorité d'hier aurait pu faire mieux, celle d'aujourd'hui aussi, d'ailleurs, qu'il suffirait que l'administration travaille mieux, etc. ( Rires )

Mme Tasca pourrait aussi nous raconter une histoire dont elle fut témoin : celle de la façon dont un grand cinéaste malien a été accueilli par la police aux frontières alors qu'il était l'invité personnel du président de la République.

M. Weil souhaite davantage de moyens et des fonctionnaires de grande qualité, mais encore faudrait-il que l'on veuille faire une politique de l'immigration.

Or, aujourd'hui, et la commission ferait bien de s'en préoccuper, je n'ai pas l'impression que les « pôles d'éloignement » des étrangers -un terme horrible- et les préfets reçoivent des circulaires leur enjoignant de mener une politique d'immigration pour faire venir en France des gens diplômés.

Comme beaucoup de parlementaires, je me suis occupé de quelques dossiers : j'ai vu le cas d'un jeune Algérien qui, n'ayant pas obtenu la prolongation de son visa, est allé travailler au Canada. Je suis aussi en train de faire des démarches pour un jeune à qui on offre un contrat à durée indéterminée dans une grande entreprise bancaire et je ne suis pas sûr qu'il obtienne le titre lui permettant d'accepter cette offre.

Pour dire les choses de façon un peu provocatrice, soit on fait une politique d'immigration, soit on fait du chiffre en matière de reconduite à la frontière. Il y a une certaine sagesse au Sénat, qui est moins soumis à des pressions quotidiennes que d'autres assemblées et si nous pouvions suivre certaines des pistes que nous a indiquées M. Weil, il ne serait pas venu pour rien. Mais on ne fait rien sans volonté politique, il ne suffit pas d'avoir de bons sentiments pendant un après-midi. En tout cas, je suis, pour ce qui me concerne, preneur de toutes les bonnes idées que l'on peut proposer, quelle que soit la majorité qui les soutient.

M. Alain Gournac, président .- Nous sommes tous d'accord là-dessus, et je crois que notre objectif commun est que cette commission fasse du bon travail. Nous sommes tous preneurs de bonnes idées, et je remercie très sincèrement, en notre nom à tous, notre interlocuteur d'aujourd'hui de nous avoir indiqué des pistes que nous pourrons sans doute explorer avec profit.

M. François-Noël Buffet, rapporteur.- Pourrait-on vous demander de nous communiquer le rapport que vos collègues ont fait pour la DPM sur les pratiques des directions départementales du travail ?

M. Patrick Weil .- Je ne l'ai pas. Je pense qu'il vous suffira de le demander à la DPM.

M. Alain Gournac, président .- Notre commission d'enquête va le demander.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Qui a rédigé ce rapport ?

M. Patrick Weil .- C'est un organisme de la région parisienne dont le nom m'échappe sur le moment, mais que je pourrai sans difficulté vous communiquer si vous le souhaitez.

M. Bernard Frimat .- Vous n'avez pas du tout abordé le problème du travail illégal en tant que moteur de l'immigration. J'aimerais donc avoir votre sentiment sur ce point.

Vous nous avez très clairement exposé qu'il arrive très souvent que l'on entre régulièrement sur notre territoire pour ensuite y rester en situation irrégulière. Il faut donc savoir que les contrôles à la frontière n'épuisent pas le sujet.

Cela dit, je ne sais pas, monsieur le président, si le ministre chargé du travail figure dans notre programme d'auditions, comme nous l'avions envisagé, mais je pense que son audition serait utile.

M. Alain Gournac, président .- Elle est prévue, ainsi que celle d'un certain nombre de services et d'organismes intervenant dans la lutte contre le travail illégal.

M. Bernard Frimat .- En tout cas, sur la question du travail illégal comme moteur de l'immigration irrégulière, vous semble-t-il qu'il y a des pistes ? En effet, nous avons entendu le ministre de l'intérieur et le ministre de l'outre-mer qui ne sont pas chargés de lutter en tant que tels contre le travail illégal mais qui ont eux-mêmes évoqué ce problème. J'aimerais donc vous entendre sur ce point.

M. Patrick Weil .- Il y a, à mon avis, un sujet à creuser, qui porte sur l'emploi illégal des ressortissants des nouveaux Etats-membres de l'Union, qui s'est développé. On remarque tous les étés, notamment dans la région parisienne, bon nombre de Polonais, de Tchèques et même d'Ukrainiens -je ne sais pas si ces derniers sont soumis à obligation de visa. Comme ils ont le droit de faire des allers-retours, ils viennent, ils travaillent, ils repartent et on ne peut pas les empêcher de venir ou de revenir.

M. Bernard Frimat .- Ce que vous dites est vrai, notamment dans le bâtiment.

M. Patrick Weil .- Tout à fait, mais aussi dans les services.

Je sais bien que c'est une question délicate, mais j'aimerais que l'on compare, puisque cela fait deux ans qu'elle est appliquée, la politique britannique à la nôtre. Les Britanniques ont décidé d'ouvrir leur marché du travail aux ressortissants de l'Europe de l'Est et nous avons essayé de le fermer, mais comme ces ressortissants ont le droit de venir chez nous, ils y travaillent de façon irrégulière. Je trouve donc qu'il faudrait évaluer le choix que nous avons fait.

Du point de vue des qualifiés, par exemple, je ne comprends pas que l'on maintienne ce blocus. Si on recrute des diplômés polonais des universités françaises, où est le problème dans la mesure où la Pologne fait désormais partie de l'Union ? Notre image dans ces pays est très mauvaise puisque nous leur donnons beaucoup moins de droits qu'en Grande-Bretagne, en Irlande ou même en Italie. Je pense donc que nous payons un certain prix -vous avez parlé de l'image de la France- en termes d'image dans ces pays avec lesquels nous devons coopérer pour les décisions européennes. Il convient donc de réfléchir sur ce point.

Cela dit, il y a une attractivité du travail irrégulier dont j'ai quand même un peu parlé en évoquant le traitement du travail saisonnier, lui-même lié à la lutte contre le chômage chez nous. Il faut aussi demander au ministre du travail ce qu'il compte faire pour rétablir l'attractivité du travail saisonnier, car en l'état c'est un secteur dans lequel beaucoup d'étrangers en situation irrégulière viennent travailler.

Dans le rapport que j'avais fait en 1997, j'avais proposé de nous ouvrir plus aux étudiants étrangers et c'est ce qui se fait depuis maintenant six ou sept ans. En effet, ces étudiants étrangers ont le droit de travailler à mi-temps et ils peuvent le faire dans des emplois du secteur de l'hôtellerie ou de la restauration, par exemple. Il vaut mieux que ce soient des étudiants en situation régulière qui prennent ces emplois plutôt que des étrangers non qualifiés en situation irrégulière, parce qu'on sait bien que les étudiants ne vont pas travailler toute leur vie dans la restauration ou l'hôtellerie.

Il y a donc des moyens de lutter contre l'attractivité de certains secteurs du marché du travail à l'égard d'étrangers en situation irrégulière en attirant sur ces secteurs des gens qui n'y sont pas encore parce qu'ils n'ont pas envie d'y être ou parce qu'on ne les a pas encore accueillis, notamment les ressortissants de l'Europe de l'Est.

M. Alain Gournac, président .- Je vous remercie encore pour la contribution que vous avez apportée à nos travaux et qui va tout à fait dans le sens de notre souci de faire oeuvre utile.

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