Audition de Mme Vera
ZEDERMAN,
directrice des services juridiques de la Commission des recours
des réfugiés (CRR) (14 décembre 2005)
Présidence de M. Georges OTHILY, président
M. Georges Othily, président .- Mes chers collègues, nous allons entendre Mme Vera Zederman, directrice des services juridiques de la Commission des recours des réfugiés.
Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, Mme Vera Zederman prête serment.
M. Georges Othily, président .- Madame, nous sommes prêts à écouter votre exposé liminaire, après quoi nous pourrons débattre.
Mme Vera Zederman .- Je suis responsable du centre d'information juridique de la Commission des recours des réfugiés. Je vais essayer de présenter la commission, ses activités principales et de son fonctionnement et de répondre bien entendu à vos questions.
La Commission est une juridiction administrative spécialisée chargée de statuer sur les recours formés par les étrangers auxquels le directeur général de l'OFPRA a refusé ou retiré le bénéfice de l'asile sous l'une de ses différentes formes :
- l'asile constitutionnel, reconnu en raison de l'action en faveur de la liberté ;
- l'asile conventionnel, reconnu en application des stipulations de la convention de Genève de 1951 ;
- la protection subsidiaire, instituée par la loi du 10 décembre 2003, pour les demandeurs qui ne répondraient pas, dans un premier temps, aux définitions précédentes.
La Commission est aussi chargée d'examiner de manière accessoire d'autres types de recours. Depuis le décret du 14 août 2004, un recours en révision est possible contre la décision de la Commission, mais il ne peut être exercé que par les parties.
Le bénéficiaire de la protection subsidiaire peut aussi exercer un recours devant la Commission pour obtenir la reconnaissance de la qualité de réfugié qui donne droit à une protection plus importante. La Commission n'a pas encore jugé du premier recours en révision formé par l'OFPRA pour fraude, conformément à ces conditions. En revanche, elle a déclaré irrecevable un recours en révision qu'un préfet avait formé devant elle.
La Commission n'est en revanche pas compétente pour juger des recours formés contre des décisions de l'OFPRA refusant l'enregistrement des demandes d'asile et cette jurisprudence a été confirmée par le Conseil d'Etat. Elle n'est pas non plus compétente contre les recours formés contre les décisions de dessaisissement de l'OFPRA lorsque, en application du règlement Dublin II, un autre Etat est compétent pour examiner la demande d'asile.
Outre ses fonctions juridictionnelles, la Commission des recours examine les requêtes qui lui sont adressées par des réfugiés statutaires qui sont visés par l'une des mesures prévues par les articles 31, 32 et 33 de la convention de Genève, c'est-à-dire l'éloignement ou la restriction au séjour, et elle formule un simple avis quant au maintien ou à l'annulation de ces mesures. Cette compétence est exceptionnellement exercée et elle n'est pas ouverte aux non-bénéficiaires de la qualité de réfugiés, notamment aux déboutés qui feraient l'objet d'une mesure d'éloignement.
La Commission est actuellement composée de douze divisions administratives qui regroupent environ 80 rapporteurs chargés de l'instruction des dossiers et qui n'ont pas de spécialisation thématique ou géographique. Elle est également composée de différents services : le greffe, les ordonnances, un bureau d'aide juridictionnelle qui lui est assigné, un centre d'information géopolitique chargé d'établir des dossiers et des études géopolitiques et un centre d'information juridique chargé de la veille juridique.
Il existe également un important service d'interprétariat à la Commission qui occupe une large partie de son activité pour l'organisation des séances.
Environ 140 formations de jugement sont présidées par des magistrats issus du Conseil d'Etat, des cours administratives d'appel, des tribunaux administratifs et, depuis la nouvelle loi, des magistrats de l'ordre judiciaire, actuellement au nombre de 27.
Une mission en Guadeloupe, dans la lignée de ce qu'a organisé également l'OFPRA, est en cours d'organisation à la Commission pour examiner le cas des demandeurs haïtiens qui sont sur place. Cette mission partira à la mi-janvier prochain avec trois présidents de section, une dizaine de rapporteurs et des agents administratifs pour traiter d'environ 450 dossiers en attente. Une autre mission est prévue au printemps prochain et sera organisée dans les mêmes conditions.
Sur les principales règles de procédure, la Commission ne voit pas se présenter devant elle des étrangers en situation irrégulière, puisque les étrangers dont les recours ont été formés contre une décision de l'OFPRA séjournent régulièrement sur le territoire français, en application de l'article 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ils bénéficient donc du droit de se maintenir jusqu'à la notification de la décision de la Commission des recours dès lors qu'ils ont formé un recours. Evidemment, ce droit comporte quelques exceptions : lorsque l'OFPRA a statué par priorité, le droit de séjour cesse à compter de la notification de sa décision.
Dans ce cas, en cours de procédure devant la Commission ou au moment de la formation du recours, le requérant peut faire l'objet d'une mesure d'éloignement qui sera éventuellement exécutée. Cette situation concerne notamment, devant la Commission, des demandeurs qui ont fait une demande de réexamen et qui n'ont pas obtenu de nouvelle admission au séjour parce que la préfecture a estimé que leur recours aux procédures d'asile était abusif ou qu'il n'était présenté qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement.
Quant à l'examen des recours devant la Commission, le principe du guichet unique s'applique de la même façon qu'à l'OFPRA : le requérant dépose un seul recours dans un délai d'un mois contre la décision de l'OFPRA qui a statué sur l'ensemble des modalités de l'asile. La formation de jugement examine d'abord la demande au regard des critères conventionnels et, si elle décide de ne pas reconnaître la qualité de réfugié, elle examine ensuite, au cours du même délibéré, le droit au bénéfice de la protection subsidiaire, quelle que soit la manière dont le recours a été formulé et les conclusions du recours, en tout cas pour ceux qui ont été formés contre des décisions intervenues après l'entrée en vigueur de la loi nouvelle.
Le dossier est mis en état et instruit par un rapporteur et les recours font l'objet d'un examen en séance publique où tous les demandeurs sont convoqués. Cet examen est effectué par une formation tripartite dirigée par les présidents susmentionnés avec leurs assesseurs : un assesseur nommé par le Haut commissariat aux réfugiés et un autre nommé par le vice-président du Conseil d'Etat sur proposition de l'un des ministres représentés au conseil d'administration de l'OFPRA.
Les convocations à la Commission sont adressées trois semaines à un mois avant l'audience et un interprète est convoqué dès lors que le requérant a déclaré ne pas s'exprimer en langue française. Plus de la moitié des requérants ont un avocat devant la Commission, mais peu d'entre eux ont droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle puisqu'elle n'est accordée, en l'état actuel des textes, que sous condition d'entrée régulière sur le territoire français.
L'instruction est close trois jours francs avant l'audience et il peut toujours être en décidé la réouverture au vu de l'intérêt des pièces produites. L'instruction est également close pour l'OFPRA pour la production de ses observations.
La Commission est juge de plein contentieux et ne va pas se prononcer sur la légalité de la décision de l'OFPRA mais sur le droit au bénéfice de l'asile.
Dans un certain nombre de cas, les demandeurs ne sont pas convoqués, notamment lorsque la décision est prise par ordonnance, c'est-à-dire lorsqu'il s'agit de rejeter les recours entachés d'une irrecevabilité manifeste. Depuis les nouvelles dispositions, il peut être également statué par les présidents de section, par ordonnance, sur les demandes qui ne présentent aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause les motifs de la décision du directeur général de l'OFPRA.
A l'heure actuelle, c'est le président de la Commission et ses vice-présidents qui traitent de ces ordonnances. Evidemment, lorsqu'il est jugé par ordonnance, le requérant n'est pas convoqué ni représenté, la Commission s'en tenant à ses seules productions écrites, mais la président va juger après étude du dossier par un rapporteur, étude qui n'est pas très éloignée de l'établissement d'un rapport, comme il est fait dans les autres cas.
Le rapporteur est chargé de préparer la rédaction de la décision qui sera, dans tous les cas, visée par le président de séance. En dehors des hypothèses d'ordonnances, la lecture intervient environ trois semaines après l'audience publique. La décision est notifiée à l'intéressé à l'OFPRA, ainsi qu'éventuellement au conseil de l'intéressé, et la préfecture en a également connaissance par la base de données INEREC qui est renseignée par les services de la Commission.
En 2005, au début du mois de décembre, la Commission avait enregistré quelque 36.432 recours et elle devrait terminer l'année autour de 40.000 recours enregistrés. A cette même date, elle avait pris presque 61.000 décisions et elle compte en prendre 63.000 avant la fin d'année.
La Commission a pris, en 2005, environ 6.350 ordonnances dites classiques, c'est-à-dire pour irrecevabilité manifeste, et 4.072 ordonnances dites nouvelles. Un peu plus de 17 % des décisions de la Comission sont donc prises par ordonnances.
Au total, la Commission rejette un peu plus de 67 % de l'ensemble des recours formés, et pratiquement 15 % des décisions prises sont des décisions d'admission au bénéfice de la qualité de réfugié ou de la protection subsidiaire. Bien entendu, je suis prête à répondre à vos questions pour vous apporter des précisions sur ces chiffres ou les nationalités qui font l'objet du plus grand nombre d'annulation et qui sont les plus représentées par les recours.
Actuellement, la Commission estime ses délais de traitement à environ quatre mois et demi. Ces délais sont évidemment plus courts pour ce qui concerne les ordonnances : un mois pour les ordonnances traditionnelles et deux mois pour les ordonnances nouvelles.
Près de 800 recours en cassation ont été formés cette année contre les décisions de la Commission, mais le Conseil d'Etat statue très rarement au fond et rejette la plupart des recours en procédure d'admission des pourvois. A ce jour, le Conseil d'Etat a pris seulement trois décisions au fond dont une cassant une décision de la Commission, soit un peu plus que l'année dernière.
Je dirai quelques mots des principales innovations introduites par la loi nouvelle et leur application par la Commission. Nous avons déjà vu quelques éléments de procédure. Sur le fond, l'innovation principale qui a modifié sensiblement la jurisprudence de la Commission concerne les auteurs des persécutions. Au terme des dispositions de l'article L 713-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les persécutions peuvent être le fait d'acteurs non étatiques, dans la mesure où les autorités refusent ou ne sont pas en mesure d'offrir une protection, alors que la jurisprudence antérieure prenait en compte les persécutions étatiques et les persécutions des particuliers ou des groupes au cas où les autorités toléraient volontairement ou encourageaient ces agissements. Ces notions de tolérance volontaire et d'encouragement ne sont donc plus nécessaires.
La Commission a défini les conditions dans lesquelles elle estime devoir opposer l'asile interne, instauré également par la loi, en exigeant deux conditions : le fait que le requérant puisse accéder à une protection sur une partie du territoire où il n'a aucune raison d'être persécuté ou exposé à une atteinte grave ; le fait qu'il est raisonnable d'estimer qu'il peut rester dans cette partie du pays.
L'asile interne a été opposé devant la Commission en de rares occasions jusqu'à présent : pour un requérant de nationalité sri-lankaise ayant résidé plusieurs années sans crainte à Colombo, pour des ressortissants de Serbie-Monténégro originaires de Metrovica au Kosovo mais pouvant s'installer sans crainte dans d'autres villages du Kosovo où ils avaient d'ailleurs leur famille, et pour un ressortissant équatorien menacé à la frontière colombienne mais pouvant s'établir en d'autre points du territoire équatorien. Ce sont les seuls cas, en l'état, que la Commission a reconnu comme possibilités d'asile interne.
La loi a prévu également la constitution d'une liste des pays d'origine sûrs, dans un premier temps établie par le conseil d'administration de l'OFPRA. Devant la Commission, elle peut constituer un indice quant à l'appréciation de l'actualité des craintes ou des menaces graves, mais cette appréciation, selon le Conseil constitutionnel, ne lie pas l'appréciation de la Commission, qui continue de se livrer à un examen individualisé de chaque cas.
Enfin, la nouvelle protection subsidiaire est entrée en vigueur progressivement puisque, durant l'année 2004, la Commission a dû examiner un certain nombre de recours formés contre des décisions antérieures à l'application de la loi nouvelle et que, pour ces recours, elle n'a jugé que de la qualité de réfugié, puisque le contentieux n'était pas lié à la protection subsidiaire. En 2004, elle a reconnu une centaine de protections subsidiaires et 230 cette année. Cette protection entre donc lentement dans la jurisprudence de la Commission. Elle ne s'est pas prononcée, comme l'OFPRA, sur l'application du risque de peine de mort ; elle a pris pratiquement toutes ses décisions sur le risque de traitements inhumains et dégradants visés par la loi.
Elle a notamment reconnu cette protection à des personnes témoins de meurtres ou victimes de violences conjugales ou, dans certains cas, de mariage forcé.
Quant aux situations de violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international, également visées par la loi, la Commission ne les a que très peu appliquées (pas plus de deux ou trois cas). Elle va néanmoins très prochainement avoir l'occasion de les examiner pour Haïti et l'Irak.
M. Georges Othily, président .- Je vous remercie beaucoup, madame. Je donne la parole à monsieur le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur .- J'ai deux questions à vous poser.
Ma première question a un caractère statistique : dans quel pourcentage les décisions rendues par l'OFPRA font-elles l'objet d'un recours auprès de vous et combien d'entre elles sont confirmées ou infirmées ?
Mme Véra Zederman .- Nous avons environ 80 % de recours. Ensuite, 15 % des décisions de l'Office sont annulées au total actuellement.
M. François-Noël Buffet, rapporteur .- J'en viens à ma deuxième question. Je suppose qu'il existe dans les autres pays européens des organismes de même nature que le vôtre. Avez-vous, avec vos collègues, des réunions et des débats pour harmoniser éventuellement des jurisprudences ? Avez-vous des éléments sur ce point ?
Mme Véra Zederman .- Oui, nous avons des contacts avec nos homologues européens. Nous en avons aussi par le biais de l'Association internationale des juges des réfugiés et le président de la Commission, en particulier, participe régulièrement à des réunions. Nous avons des échanges informels de décisions et d'informations sur les procédures suivies par nos collègues et nous participons également au groupe Eurasile-juridictions, chaque année, ce qui nous permet à cette occasion d'avoir des contacts avec nos homologues étrangers.
Nous avons donc des contacts réguliers et quand nous préparons des séances sur des points de droit particuliers, ce que nous appelons des sections réunies, nous nous comparons toujours à ce que font nos homologues sur ce point précis. Nous associons la jurisprudence des autres Etats.
M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Je pense qu'il existe des rapports ou des documents de synthèse de ces travaux ?
Mme Véra Zederman .- Les publications de la Commission consistent en l'établissement de recueils trimestriels et annuels de jurisprudences diffusés en interne et en externe à toute personne qui les demandent et un bulletin d'informations juridiques générales mensuel. Par ailleurs, le site Internet met en ligne plus de 2.000 décisions rendues anonymes et fait état de l'actualité du droit d'asile.
M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Je ne me suis pas bien fait comprendre. Existe-t-il un document qui concrétise les réunions que vous avez avec vos collègues des autres pays ?
Mme Vera Zederman .- Quand nous avons des réunions, nous en établissons des comptes rendus et nous les diffusons dans la documentation interne de la Commission.
M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Si la Commission pouvait nous en communiquer quelques exemplaires, cela nous permettrait de prendre connaissance des comparaisons qui existent et des attitudes qu'ont les différents pays.
Mme Vera Zederman .- Le mois dernier, nous avons ramené un certain nombre de travaux de nos collègues à l'occasion d'une réunion de la l'Association internationale des juges de réfugiés à Budapest et nous avons une documentation à ce sujet que je pourrai bien entendu vous faire parvenir.
M. Geoges Othily , président .- De même, si vous pouvez nous communiquer un document sur l'organisation de votre Commission, cela nous sera très utile.
Mme Vera Zederman .- Nous avons une brochure que je vous ferai parvenir et que nous actualisons, et je suis tout à fait disposée à vous fournir la documentation étrangère dont nous disposons également.
M. Geoges Othily , président .- Merci beaucoup, madame.