Audition de M. Jean-Loup
KUHN-DELFORGE,
directeur général de l'Office de protection des
réfugiés et des apatrides
(OFPRA)
(14 décembre
2005)
Présidence de M. Georges OTHILY, président
M. Georges Othily, président .- Mes chers collègues, nous allons à présent entendre le directeur général de l'OFPRA.
Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Jean-Loup Kuhn Delforge prête serment.
M. Georges Othily, président .- Monsieur le directeur général, vous avez la parole.
M. Jean-Loup Kuhn-Delforge .- Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, avant d'engager mon exposé, puis de me livrer à vos questions, je commencerai mon propos par quelques remarques.
Ayant lu les comptes rendus des auditions des invités qui m'ont précédé, j'ai remarqué que l'on avait fait mention de lacunes et d'insuffisances de l'appareil statistique national. Vous verrez dans l'exposé que je vais être amené à faire et dans les réponses que je vous donnerai que l'OFPRA se caractérise au contraire par une très grande précision statistique et par un décompte à l'unité près, et non pas une estimation, des demandes qui lui sont présentées, des décisions qu'il prend et des délais dans lesquels il prend ses décisions.
Etant un établissement qui prend des décisions et qui est habitué à rendre compte des moyens qui sont les siens -nous recevons en effet une subvention du ministère des affaires étrangères- nous travaillons depuis des années dans l'esprit de la LOLF : notre établissement est habitué à rendre des comptes sur les délais dans lesquels il prend ses décisions. Par conséquent, les notions de délais, de stocks, d'âge du stock, de dossiers et de productivité par service et par agent sont des choses que nous essayons de maîtriser depuis quelques années. Je pense qu'il était important de le dire devant vous.
La deuxième remarque que je ferai, c'est que l'établissement que je dirige voit passer la misère du monde. En effet, qu'il s'agisse de demandeurs d'asile qui justifient de persécutions passées ou de risques à venir, de gens qui sont victimes de filières, ou qui fuient tout simplement l'insécurité ou la misère, mes collaborateurs qui portent, en tant que fonctionnaires, le titre d'officiers de protection -c'est le nom du corps qui est le leur- sont en permanence confrontés à des situations de détresse personnelle, puisque nous recevons chacun des demandeurs en entretien individuel, qui sont parfois difficiles. Il fallait le dire également.
Troisièmement, la France est le premier pays au monde en termes de demandes d'asile, non pas par rapport à la population mais en chiffres absolus, devant les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Autriche. La France reste donc, comme c'est le cas depuis plusieurs années, le premier pays au monde en termes de demandes d'asile.
La dernière remarque liminaire que je ferai, c'est que nous sommes conscients du fait que la demande d'asile peut être un détournement de procédure : on constate en effet qu'après passage à l'Office, 85 % des demandes d'asile n'apparaissent pas fondées (nous déboutons 85 % des demandeurs) et qu'après passage devant la commission de recours des réfugiés (CRR), 75 à 80 % des demandeurs ne sont pas admis.
Mais, même s'il y a bien un détournement de procédure, je pense qu'il n'est pas bon de mêler les considérations de droit d'asile avec les considérations d'immigration. En effet, le droit d'asile est un droit constitutionnel dans notre pays, il en est même l'une des fiertés, et je pense donc que le débat sur le droit d'asile ne doit pas être pollué par celui sur l'immigration.
Il convient donc de bien distinguer les notions d'immigration et le droit d'asile. C'est ce qu'a fait le législateur de 2003 en votant deux lois distinctes selon qu'il s'agissait d'immigration et de droit d'asile.
Puisque nous parlons de lois, je commencerai mon exposé en rappelant la modification législative de décembre 2003.
Il s'agit d'une loi libérale parce qu'elle permet d'assurer une meilleure protection aux demandeurs d'asile et qu'elle élargit le champ d'application de la convention de Genève à une catégorie qui n'était pas prise en compte jusqu'à présent : les victimes de persécutions non étatiques. En effet, les Etats ne sont pas les seuls à persécuter leurs ressortissants ; cela peut être aussi le cas, comme en Algérie, de groupes armés qui ne dépendent pas forcément de l'Etat.
Par ailleurs, cette loi institue une nouvelle forme de protection : la protection subsidiaire -par rapport à la protection principale que représente la convention de Genève- qui se substitue à l'asile territorial, lequel était jusqu'à présent géré par les préfectures. Cette protection s'adresse aux personnes exposées à certaines menaces graves en cas de retour dans leur pays d'origine pour d'autres motifs que ceux de la protection de la convention de Genève.
C'est un point important. Alors que l'asile territorial était autrefois administré par les préfectures, la protection subsidiaire relève désormais du même guichet que la convention de Genève, avec les mêmes garanties de convocation et d'entretien et avec un droit de recours suspensif devant une juridiction spécialisée, ce qui n'était pas le cas de l'asile territorial.
C'est pour cet ensemble de raisons qu'il s'agit d'une loi libérale, qui pose, enfin, le principe de l'audition du demandeur d'asile, sauf dans quatre cas, énumérés par la loi, dans lesquels l'Office peut se dispenser de convoquer le demandeur pour une audition. C'est aussi un point très important.
La loi a été suivie d'un décret d'application qui date du mois d'août 2004 et qui renforce la notion de guichet unique ou de compétence unique de l'OFPRA pour l'administration du droit d'asile en lui transférant la responsabilité de l'asile à la frontière, qui est une procédure non pas d'asile, mais d'admission sur le territoire national en vue d'entamer une procédure d'asile devant l'OFPRA. Néanmoins, ce sont des agents de l'OFPRA qui en sont chargés, principalement à Roissy, en donnant un avis au ministère de l'intérieur, le ministère de l'intérieur prenant, en toute souveraineté, la décision d'admettre ou non les intéressés sur le territoire national.
Le décret de 2004 met en place un certain nombre de procédures visant à réduire les délais tout au long de l'examen de la demande, dans le but d'assurer une protection plus rapide aux demandeurs qui méritent une protection, mais aussi d'éviter la constitution, sur le sol national, de situations qui perdurent et qui, ensuite, ne permettent plus de revenir en arrière.
C'est ainsi que le demandeur dispose désormais d'un délai de 21 jours pour présenter sa demande complète à l'Office, en français, au-delà duquel son dossier ne peut plus être enregistré. Quand il est saisi en procédure prioritaire par la préfecture, l'OFPRA doit statuer dans un délai de quinze jours, qui est ramené à 96 heures lorsque le demandeur est en centre de rétention. Le décret met donc en place des délais qui s'imposent à l'OFPRA et le contraignent à des décisions rapides dans un certain nombre de cas.
Après avoir rappelé ce nouvel environnement législatif et réglementaire dans lequel l'OFPRA inscrit son travail, je voudrais rappeler où nous en sommes en ce qui concerne la demande.
Nous avons eu deux pics de la demande d'asile, d'abord en 1989 puis en 1999, après lesquels les pouvoirs publics ont accru les moyens de l'Office et de la commission des recours des réfugiés, et nous observons aujourd'hui que la demande est sur une pente déclinante.
Après une première baisse de la demande globale observée pour l'année 2004, la tendance s'est poursuivie au cours des onze premiers mois de 2005, la demande globale d'asile baissant de 8,5 % sur cette période.
On constate cependant deux réalités différentes : les premières demandes chutent de 13,5 % alors que les demandes de réexamen (puisqu'on peut toujours présenter une nouvelle demande après avoir été débouté du droit d'asile en invoquant un fait nouveau) augmentent de 34 % par rapport à 2004. J'ajoute qu'en 2004, par rapport à 2003, il y avait eu une augmentation de 242 %, soit plus qu'un triplement, des demandes de réexamen. Si vous le souhaitez, je reviendrai sur les causes de cette augmentation des réexamens.
En ce qui concerne les nationalités d'origine, je mentionne un fait nouveau pour nous : la demande haïtienne constitue désormais la première demande nationale, quantitativement, avec 12 % du total, ce qui représente une hausse de 75 % par rapport à 2004. Cette demande pose des difficultés toutes particulières, dans la mesure où elle s'exerce à hauteur de 76 % en Guadeloupe. Elle pose aussi des difficultés d'éloignement, ce qui a justifié l'envoi de six missions de l'Office dans les Antilles depuis le début de l'année et la mise en place, à compter de début janvier 2006, d'une antenne permanente en Guadeloupe, qui aura en charge l'instruction complète de la demande d'asile haïtienne et la possibilité d'effectuer des missions, à partir de la Guadeloupe, vers la Martinique et la Guyane.
Après les Haïtiens, les nationalités principalement représentées sont les Turcs, les Chinois, les Serbes monténégrins et les Congolais de la République démocratique du Congo. En 2005, ces nationalités sont toutes en baisse, sauf les Serbes monténégrins (+ 8 %).
Enfin, il convient de noter une chute importante de la demande algérienne, qui diminue de 52 % par rapport à l'année précédente. C'est un point important, parce que la demande algérienne, pour laquelle l'asile territorial avait majoritairement été inventé, ne se retrouve pas dans les procédures d'asile devant l'OFPRA. L'attractivité n'est pas la même pour les procédures OFPRA que pour la procédure d'asile territorial, d'où une chute de la demande.
L'asile à la frontière est en chute de 9 % entre 2004 et 2005, après avoir connu une forte hausse en 2000-2001, mais nous voyons apparaître de nouvelles populations comme les Tchétchènes, les Cubains et les Colombiens, ce qui provoque une hausse des avis positifs.
Depuis le début de cette année, l'Office a pris environ 60 000 décisions et le nombre de dossiers en instance s'élève à 11 600, ce qui, compte tenu de notre capacité de prendre plus de 5 000 décisions par mois, représente une capacité de traitement d'un peu moins de 2 mois et demi.
Le taux d'admission de l'OFPRA est de 8,1 % et le taux d'annulation par la CRR, la juridiction administrative spécialisée qui est au-dessus de nous en appel, reste proche de 15 %. Au total, le taux d'admission global est de 25 %, mais dans une situation un peu particulière : il est sinon de l'ordre de 15 %.
Après avoir rappelé le contexte législatif et réglementaire et précisé l'évolution de la demande, j'en arrive aux conséquences de la réforme législative et réglementaire et de l'évolution de la demande.
Pour la mise en oeuvre de la réforme du droit d'asile, nous avons vu nos moyens fortement augmenter. Le budget pour l'année 2006 s'élève à 49 M€, à la fois pour l'OFPRA et la CRR, puisque l'établissement public que je dirige gère en même temps la juridiction de contrôle sur le plan du budget, des agents et des personnels (le corps est unique). Les effectifs sont de 860 agents et se partagent environ par moitié entre les deux institutions.
Le travail d'instruction à l'Office repose toujours -c'est une spécificité française- sur la spécialisation géographique des agents et des structures, chaque dossier est confié à un agent qui est responsable et spécialisé sur un pays ou une région, par exemple, la Tchétchénie.
Les services d'appui, comme la division des affaires juridiques ou le service de la documentation, ont également été fortement renforcés.
J'en arrive à la protection subsidiaire. L'application du principe de la protection subsidiaire est assez mince puisque, pour les onze premiers mois de 2005, nous avons eu 454 décisions d'admission contre 83 sur l'ensemble de l'année 2004.
Il s'agit essentiellement de menaces avérées de torture ou de peines ou traitements inhumains ou dégradants. Il faut dire que cette protection subsidiaire, qui est importante parce qu'elle comble des lacunes de la convention de Genève, a reçu une application assez faible, comme vous pouvez le constater, notamment parce que l'élargissement du champ d'application de la convention de Genève aux auteurs de persécutions non étatiques a permis de reconnaître le statut de réfugié à des personnes dont la situation relevait auparavant de l'asile territorial.
Du fait de l'élargissement du champ d'application de la convention de Genève, le recours à la protection subsidiaire s'avère donc moins utile que l'on pouvait l'imaginer au départ.
L'autre conséquence de l'entrée en vigueur de la nouvelle législation, c'est la multiplication des procédures prioritaires, un point important pour nous en termes de gestion et de charge de travail. Les procédures prioritaires ont augmenté de 31 % entre 2004 et 2005. Comme vous le savez, ces procédures sont de quinze jours et c'est la préfecture qui prend cette décision. L'agent place le demandeur en procédure prioritaire en fonction d'un certain nombre de critères fixés par la loi, sachant qu'en procédure prioritaire, il n'y a pas de droit au séjour ni de droit aux prestations sociales.
Les procédures prioritaires ont augmenté de 31 % et, pour l'année, nous avons jusqu'à présent reçu 11.000 demandes, c'est-à-dire qu'environ 20 % de demandes sont classées en procédure prioritaire. Cette procédure concerne plus particulièrement les réexamens, qui sont en forte augmentation. Il s'agit des nouvelles demandes présentées par des personnes déboutées qui invoquent des faits nouveaux pour revenir devant l'Office. Ces réexamens sont placés en procédure prioritaire à hauteur de 70 %.
Cette augmentation des procédures prioritaires est importante pour nous parce que cela entraîne des conséquences importantes sur la charge et l'organisation de notre travail. Alors que nous avons à examiner des procédures d'asile selon un rythme que je qualifierai de normal, les mêmes agents doivent traiter, puisque notre principe est celui de la spécialisation géographique, des procédures prioritaires qui, par définition, sont prioritaires par rapport aux autres demandes et qui peuvent donc être un facteur de désorganisation, surtout lorsqu'elles sont en grand nombre. Elles nuisent donc par là même à la sérénité de l'Office et, surtout, au délai d'instruction des demandes qui sont examinées de manière normale. Un excès de procédures prioritaires fait donc qu'il n'y a plus de priorités, ce qui peut être contraire à l'objectif d'accélération des délais poursuivi par les pouvoirs publics.
J'en viens au taux de convocation des demandeurs d'asile. Je vous ai dit que la loi avait fixé, sauf exception, le principe de l'entretien avec le demandeur d'asile. Le taux de convocation, qui s'est accru au cours de l'année 2004, a atteint en 2005 une moyenne de 83 % qui n'a jamais été égalée. Cela veut dire que nous convoquons 83 % des demandeurs d'asile à un entretien individuel. Cela dit, tous ne viennent pas, ce qui fait que le taux d'entretien s'élève, lui, à 61 %.
Les auditions, en tout état de cause, sont rendues nécessaires par l'apparition de nouvelles problématiques qui sont liées à la protection subsidiaire, notamment la notion de traitement inhumain et dégradant.
Nous observons ainsi une certaine féminisation de la demande, notamment africaine, avec la question des mariages forcés, des mutilations génitales et des violences conjugales. De manière générale, on observe une évolution de la demande d'asile qui, par rapport à la demande d'asile traditionnelle, est moins politique, davantage la résultante de conflits ethniques tels qu'on en voit en Afrique, dans l'est de l'Europe ou en Asie, et plus sociale. On voit ainsi arriver comme demandeurs d'asile dans notre pays des personnes qui encourent des risques du fait que leur comportement heurte la pratique sociale dominante : la femme qui refuse un mariage forcé, la femme qui veut faire échapper ses filles à l'excision, des homosexuels autour du bassin méditerranéen ou en Ukraine, pour prendre un exemple que j'ai en tête.
Cette évolution est un point important parce que, du coup, la notion d'entretien est fondamentale : on ne peut plus se contenter du seul dossier -de toute façon, la loi nous en fait obligation- et les entretiens sont nécessaires pour creuser la situation personnelle de la personne qui invoque de tels arguments.
Je vous ai dit que le demandeur avait 21 jours pour présenter une demande complète en français, faute de quoi nous ne pouvions pas enregistrer son dossier. Beaucoup d'associations se sont émues, au moment de l'adoption de cette disposition, en disant que cela risquait de restreindre fortement l'accès au droit d'asile. Dans la pratique, nous observons que les refus d'enregistrement de demandes incomplètes ou tardives représentaient 5 à 10 % des demandes les premiers mois d'application du nouveau texte, mais, aujourd'hui, sont tombés à 3,5 % des demandes. Par conséquent, on ne peut pas dire que cette règle des 21 jours pour présenter la demande en français ait été un obstacle véritable à la présentation et à l'examen d'une demande d'asile.
M. Alain Gournac .- C'est intéressant parce qu'on nous avait dit le contraire.
Mme Alima Boumediene-Thiery .- En fait, ceux qui ne peuvent pas présenter leur demande en français n'en présentent plus. S'ils ne peuvent pas avoir un accès à un interprète, ils ne peuvent pas la présenter et ils sont donc exclus d'office.
M. Jean-Loup Kuhn-Delforge .- Non. Tous motifs confondus, c'est-à-dire les demandes en retard, celles pour lesquelles il manque une photo ou l'APS ou qui ne sont pas signées, on n'a que 3 % de refus. Nous considérons donc que c'est vraiment très peu.
Mme Alima Boumediene-Thiery .- Vous avez mal compris ce que je voulais dire. Je dis que les personnes qui ne peuvent pas déposer leur demande en français ne la déposent pas, c'est-à-dire qu'elles restent à l'écart et ne sont pas comprises dans ces 3 %. En fait, elles s'excluent elles-mêmes de cette demande parce qu'elles n'ont pas accès à l'interprète.
M. Jean-Loup Kuhn-Delforge .- Vous avez raison dans le principe, madame la sénatrice, mais l'expérience nous montre -c'est la pratique de l'Office- qu'une personne, par le moyen de sa communauté et de ses relations, a toujours la possibilité d'exprimer, même dans un français hésitant, au moins un argument pour lequel elle vient demander l'asile. J'ajoute que l'Office ne demande pas que l'on remplisse des pages en français et que ce ne sont pas toujours les dossiers les plus complets et les plus sophistiqués qui sont les meilleurs. Je constate que les dossiers un peu frustres sont parfois les plus fondés et qu'un dossier supposé excellent est souvent un dossier fabriqué, mais nous pourrons revenir sur ce point si vous le souhaitez.
La question des mineurs isolés était une question importante l'année dernière, mais, cette année, nous observons une chute de l'ordre de 40 % des demandes des mineurs isolés.
M. François-Noël Buffet, rapporteur .- C'est un point sur lequel je souhaitais vous interroger après votre intervention. Effectivement, nous avions constaté une augmentation de l'entrée de mineurs étrangers isolés sur le territoire, suivie d'une stabilisation ou d'une diminution, et je voulais donc savoir si vous pouviez nous confirmer ce point ou non. Je précise d'ailleurs qu'au cours de la première visite que nous avons faite sur le terrain, on nous a dit que cette situation se stabilisait, mais sur une population bien particulière, celle des jeunes femmes exploitées par des filières de prostitution.
M. Jean-Loup Kuhn-Delforge .- C'est effectivement une cible d'implication de mineurs isolés. Cela dit, alors que la très forte augmentation de mineurs en 2004 nous avait beaucoup inquiétés, nous avons constaté une chute de 40 % en 2005, et j'ajoute qu'à la frontière, où nous voyons arriver certaines des jeunes femmes dont vous parlez, la chute n'est que de 14 %.
Pour la protection de l'enfance et des mineurs, nous demandons à chaque fois la représentation d'un administrateur ad hoc qui est désigné par la justice à la demande de la préfecture, ou de l'OFPRA si le mineur est adressé directement à l'Office.
M. Georges Othily, président .- La baisse du nombre de demandes de mineurs que vous avez observée pourrait tenir aussi au fait que tous les mineurs isolés ne demandent pas l'asile, par exemple, ceux qui sont pris en charge par l'aide sociale à l'enfance.
M. Jean-Loup Kuhn-Delforge .- Certes, monsieur le président, mais, en même temps, nous avons observé un phénomène lié à la modification du code civil par la loi du 26 novembre 2003, qui restreint les conditions d'accès à la nationalité française pour les mineurs étrangers placés sous protection sociale. Il faut mentionner aussi le renforcement du contrôle des filières d'immigration irrégulière.
Dans le domaine que nous examinons aujourd'hui, il n'y a jamais une seule explication mais, toujours, un ensemble de phénomènes.
M. Georges Othily, président .- Surtout dans le cas des mineurs isolés.
M. Jean-Loup Kuhn-Delforge .- J'ai encore deux éléments à vous indiquer.
La première concerne la notion de pays d'origine sûrs, qui a été très critiquée, qui a fait l'objet d'un recours devant le Conseil constitutionnel et qui a donné lieu à l'adoption, par le conseil d'administration de l'OFPRA, d'une liste adoptée lors de sa réunion du 30 juin dernier. Cette décision a fait l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat, qui est pendant, de la part d'un certain nombre d'associations et je précise que, sur cette liste, figure douze pays dont la Bosnie-Herzégovine, l'Inde, la Géorgie et le Mali, pour en citer les principaux.
Quelle est la conséquence de cette inscription sur la liste des pays d'origine sûrs ? Les demandes d'asile qui sont déposées par les ressortissants de ces pays sont systématiquement instruites dans le cadre de la procédure prioritaire. En fait, les préfectures les classent à 81 ou 82 % en procédure prioritaire (les guichets des préfectures n'ont donc pas suivi cette mesure à 100 %), ce qui veut dire qu'il n'y a ni droits sociaux, ni caractère suspensif du recours. C'est la raison pour laquelle cette liste a été critiquée.
Cependant, chaque demande fait l'objet d'un examen individuel, c'est-à-dire que le fait que le pays soit classé parmi les pays d'origine sûrs ne signifie pas que la personne ne peut pas présenter une demande d'asile. Ce n'est qu'une présomption générale qui peut être combattue par l'examen individuel de la demande.
Au moment de son adoption, cette liste représentait 11,5 % de la demande d'asile au 30 juin et, évidemment, elle peut être modifiée dans le temps en fonction de l'évolution des pays. A cet égard, il est extraordinaire d'observer la chute massive de la demande d'asile provenant des douze pays considérés : elle est de 72 %. Parmi ces pays, je citerai en particulier la Bosnie-Herzégovine (- 70,5 %) et le Mali (- 83 %).
Cela fait que la demande originaire des pays d'origine sûrs, qui représentait presque 12 % des demandes d'asile au 30 juin, n'en représente plus à ce jour que 4,9 %. Il s'agit là d'une évolution tout à fait notable, mais nous pourrons y revenir.
Le dernier point que je signalerai et qui est souvent passé sous silence est relatif aux spécificités françaises de l'OFPRA : la première, c'est que notre établissement, spécialisé sur l'asile, n'intervient pas dans le domaine de l'immigration ; la deuxième, c'est sa spécialisation géographique ; la troisième, c'est que nous protégeons et gérons les réfugiés statutaires alors que, dans tous les autres pays européens, ce sont les communes et les institutions locales qui s'en chargent.
Nous avons par ailleurs une augmentation importante du nombre de réfugiés reçus, nous veillons à l'amélioration de la qualité des services rendus, nous avons, depuis le début de l'année, délivré près de 300 000 documents d'état-civil -nous sommes en quelque sorte l'équivalent d'une grosse mairie à cet égard- et nous avons à gérer une part croissante de demandes de regroupement familial.
Notre effort porte cette année sur la réduction des délais d'obtention des documents, ce qui est absolument indispensable, notamment pour la délivrance des documents d'état civil aux réfugiés reconnus à la suite d'une décision d'annulation de la CRR, pour laquelle nous avions des délais rédhibitoires.
Voilà, monsieur le président, ce que je souhaitais vous dire en introduction.
M. Georges Othily, président .- Merci. Mes chers collègues, vous avez la parole.
M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Les associations nous ont dit que, lorsque les demandeurs d'asile bénéficiaient de leur aide et de leur soutien, ils avaient plus de chances d'admission que lorsqu'ils présentaient seuls leur demande, sans accompagnement. Avez-vous des observations à faire sur cette remarque ?
M. Jean-Loup Kuhn-Delforge .- C'est une remarque de bon sens. Lorsqu'une personne reçoit une aide psychologique et juridique et une aide à la rédaction et à la bonne présentation de son dossier, qu'elle peut bénéficier d'un interprète traducteur et s'entraîner pour son entretien à l'OFPRA, il est évident que la personne se présente avec toutes les chances à l'entretien.
Cela dit, il faut voir que cet entretien est individuel, que nos agents sont rompus aux techniques de l'entretien et à la détermination du statut de réfugié, qu'ils sont spécialisés pays par pays, zone par zone et problématique par problématique, et que, quelle que soit la qualité d'un dossier, qui n'est parfois qu'apparente, ils savent la déceler. Nous sommes un établissement de protection des réfugiés dont la plupart des agents ont une très haute idée humanitaire de leur travail et leur objectif, lorsqu'ils ont affaire à un dossier mal ficelé ou à une personne qui s'exprime mal, est de lui donner le temps nécessaire et de l'aider pour qu'elle formule sa demande.
Notre rôle humanitaire est de pallier les insuffisances d'un dossier et cette inégalité qui peut exister dans la préparation d'un demandeur. Nous sommes donc là pour cela et pour compenser cette inégalité.
M. François-Noël Buffet, rapporteur .- J'ai une deuxième question qui concerne les mineurs. Dans les dossiers que vous avez à connaître, l'origine de leur demande provient-elle des mineurs eux-mêmes, d'une association qui les aide ou, éventuellement, d'un service social départemental ?
M. Jean-Loup Kuhn-Delforge .- Nous observons que ce sont vraiment des mineurs isolés, et donc seuls.
M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Je vais plus loin. Certains services sociaux départementaux qui s'occupent des mineurs pendant la période durant laquelle ils sont mineurs disent qu'à l'âge de 18 ans, ces jeunes repartent dans la nature, après quoi ils ne savent plus ce qui se passe. Apparemment, ils repartent sans avoir fait une démarche préalable. Il semblerait donc que les mineurs qui font la démarche de demande d'asile la font seuls, sans assistance particulière.
M. Jean-Loup Kuhn-Delforge .- Je me permets de revenir sur la remarque très importante de M. le rapporteur. Le discours des associations est de dire que, lorsque les personnes sont aidées, elles ont plus de chances. J'y ai répondu et c'est en effet le bon sens. Mais, les associations vont plus loin en disant que, lorsqu'on est dans un centre d'accueil de demandeurs d'asile (CADA), on a cinq fois plus de chances d'obtenir le statut de réfugié que lorsqu'on est tout seul, dans la nature.
Loin de moi l'idée de nier que, lorsqu'on est dans un CADA, c'est-à-dire avec la sécurité que donne le fait d'avoir un toit, une aide psychologique et juridique, une assistance et des cours de français, on met toutes les chances de son côté, mais le raisonnement des associations est un peu biaisé par le fait que se retrouvent principalement en CADA, du fait de la sélection préalable, des ressortissants de Russie, Bosnie, Angola, Congo, Serbie et Géorgie (je les cite dans l'ordre), c'est-à-dire des nationalités qui produisent naturellement de très forts taux d'admission, alors que ne se retrouvent jamais en CADA des Turcs, Chinois ou autres qui produisent de très faibles taux d'admission, tout simplement parce que les Chinois et les Turcs, pour prendre ces deux seuls exemples, se débrouillent tout seuls grâce à leur communauté et ne font pratiquement jamais appel au service des CADA. Les Russes, c'est-à-dire en fait les Tchétchènes, forment l'énorme majorité des personnes qui sont en CADA et ont un très fort taux d'admission à l'Office.
Le raisonnement est donc un peu biaisé de ce fait.
M. François-Noël Buffet, rapporteur .- J'ai une dernière question. Confirmez-vous que la procédure du droit d'asile est dévoyée parce qu'elle devient le dernier recours possible pour pouvoir rester sur le territoire ? Vous avez dit aussi tout à l'heure que les demandes venaient aujourd'hui surtout de populations qui sont en rupture avec les traditions de leur communauté ou qui connaissent des problèmes d'origine ethnique ou sociale plutôt que politique. Pouvez-vous nous confirmer cette tendance en nous donnant quelques statistiques ?
M. Jean-Loup Kuhn-Delforge .- J'ai essayé d'expliquer que la demande d'asile fondée sur des motifs politiques n'était plus la seule motivation de la demande d'asile et que nous avions maintenant des motivations ethniques ou sociales, notamment pour la demande d'asile féminine. Il n'y a donc plus seulement une demande d'asile politique. Cela dit, comme le fait apparaître le taux d'admission de l'Office, il est vrai que nous avons environ 85 % de demandes qui se révèlent, après examen de l'Office, non fondées. Cela veut-il dire qu'il y a un détournement de procédure ? Peut-être. Certains demandeurs peuvent utiliser le droit d'asile pour accéder au territoire national et s'y maintenir ou pour faire échec à une procédure d'éloignement, mais c'est dans la nature même de notre système français en matière d'immigration.
M. Louis Mermaz .- Monsieur le président, j'ai deux questions à poser à M. Kuhn-Delforge, en relayant celles de notre rapporteur, M. Buffet, et de Mme Alima Boumediene-Thiery. Si j'ai bien compris, le problème du demandeur d'asile est d'atteindre l'OFPRA, même s'il n'est pas encore tiré d'affaire quand il a réussi à le faire.
Pour cela, j'ai constaté depuis plusieurs années le problème que pose l'expression de la demande. A Roissy, par exemple, il y a quelques années -je ne pense pas que cela ait changé-, la demande devait être faite de façon quasi sacramentelle. Si la personne qui expliquait que son frère avait été tué, par exemple, ne disait pas : « Je demande le droit d'asile », ce n'était pas enregistré.
Avez-vous donc le pouvoir, monsieur Kuhn-Delforge, de voir tout ce qui passe en amont ou attendez-vous que l'on vienne jusqu'à vous ? C'est un problème très important. J'ajoute d'ailleurs à ce que vous avez dit sur les CADA que l'on pourrait se demander aussi comment on a plus de chances d'arriver dans un CADA que de ne pas y arriver.
Par ailleurs, après le débat sur cette loi de décembre 2003, qui nous a beaucoup retenus ici, quelles sont aujourd'hui vos relations structurelles avec le ministère de l'intérieur ? Je crois savoir que vous avez un correspondant au niveau du ministère de l'intérieur et aussi, à vos côtés, un représentant des préfets. Comment les choses se passent-elles et quel est le rôle de ces deux fonctionnaires ?
M. Jean-Loup Kuhn-Delforge .- Effectivement, l'un des arguments des associations est de dire que l'OFPRA fait plus ou moins bien son travail, que son travail est honorable et qu'il est à l'honneur des agents qui ont des préoccupations humanitaires, mais que le problème est l'accès à l'Office parce que les pays occidentaux, d'une manière générale, organisent les visas de transit aéroportuaire et rendent difficile d'accéder au territoire national dans lequel on peut présenter la demande.
En ce qui concerne l'asile à la frontière, je n'ai pas les moyens -ce n'est pas dans mon mandat- d'aller voir qui se passe en amont. Je relève du ministère des affaires étrangères, comme l'ensemble de l'OFPRA, et les agents de l'asile à la frontière sont à Roissy en attendant que se présentent les fonctionnaires du ministère de l'intérieur qui ont pour charge de dresser immédiatement procès-verbal dès lors que quelqu'un demande l'asile, et de nous l'amener. Nous avons alors un entretien d'accès au territoire national, différent de l'entretien prévu dans le code de la procédure d'asile. Cela dit, je n'ai pas de pouvoir d'enquête ni les moyens d'aller voir ce qui se passe en amont.
M. Louis Mermaz .- Je suis satisfait de votre réponse, qui est importante. C'est un problème qui se pose, mais vous n'y êtes pour rien : je vous en donne acte.
M. Jean-Loup Kuhn-Delforge .- En ce qui concerne les CADA, les places sont rares et ne sont peut-être pas suffisantes. Les pouvoirs publics se sont lancés dans un programme important d'augmentation des places de CADA et, notamment, de transformation de places d'hôtel en places de CADA.
Cette politique, qui ne relève pas de mon établissement mais que je connais et qui correspond à un effort très important des pouvoirs publics, vise deux objectifs : d'une part, dans un souci de dignité des demandeurs et de réduction de la dépense budgétaire, l'augmentation des places de CADA et la diminution des places en hébergement d'urgence ; d'autre part, une mesure inspirée des exemples allemands et belges, le fait d'offrir suffisamment de places d'hébergement normal, comme en CADA, pour en arriver au point où c'est l'Etat qui fixe lui-même le lieu d'hébergement (par exemple à Luxeuil ou Guingamp), et non plus, ce qui est à mon avis le maillon faible du système français, le demandeur qui dit qu'il aimerait présenter sa demande à la préfecture de police de Paris plutôt qu'en Haute-Saône ou dans le Nord.
En Allemagne, le système est très autoritaire, puisqu'on dit à un demandeur, par exemple, qu'il a une place qui l'attend à Brême, qu'il a une obligation de résidence dans le canton et qu'il ne peut pas en sortir pendant le temps d'instruction. En France, nous avons un système extrêmement libéral puisque c'est le demandeur qui choisit la préfecture où il doit être traité et qu'il peut se déplacer sur l'ensemble du territoire national.
Les pouvoirs publics s'orientent donc vers une réforme qui consiste à offrir suffisamment de places de CADA pour que, désormais, ce soit l'Etat qui affecte un lieu de résidence au demandeur. Cette politique est mise sur pied parallèlement à la réforme de l'allocation d'insertion.
Pour répondre plus précisément à votre demande, je vous signale que les commissions d'accès en CADA privilégient généralement l'accueil des familles. Cela veut dire que les personnes isolées, même les femmes, ont des difficultés à trouver des places en CADA : comme les places sont rares, on les affecte essentiellement aux familles. C'est la raison pour laquelle nous trouvons en CADA les nationalités que j'indiquais tout à l'heure, des personnes qui, traditionnellement, viennent dans notre pays non pas de manière isolée comme le font souvent les Africains (l'homme venant en premier et la famille le rejoignant), mais avec toute la famille qui fait le grand saut vers les nouvelles frontières. Dans ce cas, on les loge en CADA.
M. Louis Mermaz .- J'avais posé aussi une deuxième question sur les relations structurelles entre le ministère de l'intérieur et l'OFPRA.
M. Jean-Loup Kuhn-Delforge .- Vous avez raison de me le rappeler. Le directeur général est désormais nommé sur proposition du ministre des affaires étrangères et du ministre de l'intérieur, ce qui constitue un changement par rapport à la disposition précédente. En outre, j'ai auprès de moi un préfet qui est directeur général adjoint et j'ai un autre adjoint qui est traditionnellement un magistrat de l'ordre judiciaire, en l'occurrence un avocat général. Il a fallu créer un poste de directeur général adjoint confié à quelqu'un du ministère de l'intérieur, mais ce n'est que conjoncturel : dans le fond, rien ne dit dans les textes que le directeur doit être un diplomate. C'est la tradition depuis cinquante ans, mais rien ne le dit dans les textes et rien ne dit non plus que l'adjoint doit être du ministère de l'intérieur.
J'ai donc un adjoint qui est un fonctionnaire du ministère de l'intérieur et un deuxième adjoint magistrat de l'ordre judiciaire et j'ai partagé leurs tâches de manière logique, chacun apportant le génie propre de son corps d'origine : le magistrat est en charge de la qualité, de l'harmonisation de la doctrine et des questions juridiques et le membre du corps préfectoral est en charge de tout ce qui concerne le management interne et la productivité de l'Office.
M. Louis Mermaz .- Quel est le rôle du correspondant du ministère de l'intérieur ?
M. Jean-Loup Kuhn-Delforge .- La mission de liaison avec le ministère de l'intérieur est à l'intérieur de l'OFPRA (mais ce correspondant n'a pas connaissance des dossiers, qui restent eux-mêmes confidentiels pour respecter ce principe constitutionnel) et elle a essentiellement pour but des questions d'ordre public dans le cadre de l'application de la protection subsidiaire et les questions de transmission de documents.
Cela dit, les craintes que les associations avaient éprouvées au moment où nous avions mis en place cette institution se sont révélées non fondées parce que le rôle de la mission de liaison avec le ministère de l'intérieur est assez ténu.
Mme Gisèle Gautier .- J'aurai deux questions à vous poser, monsieur le directeur général. Vous nous avez indiqué que vous constatiez une certaine féminisation de la demande pour des motifs d'excisions, de mariages forcés ou de violences conjugales. Par ailleurs, j'ai noté que vous aviez beaucoup de demandes de personnes provenant d'Haïti (cela représente 12 % des demandes, ce qui est considérable), du Congo et d'autres pays d'une extrême pauvreté. Je voudrais donc savoir -c'est ma première question- quels sont les motifs qui font que vous parviennent des demandes provenant de certains pays et non pas d'autres ?
Pour l'Inde, par exemple, qui est un pays pauvre même si on le considère comme un pays émergent, ou d'autres pays environnants de l'Inde, il n'y a pas de demandes. En connaissez-vous les raisons et pouvons-nous imaginer que les demandeurs sont dirigés par des filières ?
J'ai une deuxième question. J'ai noté que nous sommes sur une pente déclinante des demandes de révision et des réexamens (une baisse de 8,5 %) alors qu'en 2004, nous avons connu un bond prodigieux de 242 %. Cette régression, qui est importante, pourrait avoir deux explications que je me permets de poser par hypothèse : la première serait l'impact des mesures dissuasives qui ont été prises pour faire en sorte que les demandes d'asile injustifiées ne parviennent pas jusqu'à vous ; la deuxième, dans la mesure où on constate un rejet de ces demandes d'asile, serait que ces demandeurs d'asile se transforment en immigrés irréguliers. Je souhaiterais donc savoir si vous avez des éléments à ce sujet.
Mme Alima Boumediene-Thiery .- J'ai une question très courte à vous poser. Vous avez parlé de la liste des pays sûrs et j'aimerais avoir quelques notions sur les critères qui vous ont permis de l'établir.
M. Jean-Pierre Cantegrit .- Je tiens à dire tout d'abord, à titre personnel, combien j'ai apprécié l'intervention de M. Kuhn-Delforge, avec lequel j'ai eu le plaisir de collaborer quand il était à la direction des Français à l'étranger. J'avais alors déjà pu apprécier la concision de ses analyses et de ses propos.
Cela dit, monsieur l'ambassadeur, vous nous avez expliqué qu'il y avait une demande d'asile basée sur des critères politiques et qu'il y avait également d'autres critères du fait de l'extension de la convention de Genève et de la création de la protection subsidiaire. En ce qui concerne l'asile politique, je souhaite revenir sur le cas d'Haïti. Ce pays étant pratiquement en état de guerre civile, je voudrais savoir sur quels critères vous pouvez vous fonder pour accorder le statut de réfugié à certains demandeurs et le refuser à d'autres.
M. Alain Gournac .- Je souhaite moi aussi dire, en deux mots, que j'ai beaucoup apprécié la présentation de M. l'Ambassadeur, qui a été très claire, et qui nous aura appris beaucoup de choses.
M. Jean-Loup Kuhn-Delforge .- Je commencerai par répondre à la question de Mme la sénatrice sur les motifs des demandes, qui sont divers. Il est très rare de voir un demandeur d'asile nous dire que la situation économique de son pays ne lui permet pas de travailler et qu'il vient en France pour pouvoir le faire. Lorsque cela arrive, le travail est assez facile.
La plupart du temps, le demandeur invoque la situation générale de son pays (Haïti ou l'Algérie), des problèmes ethniques (c'est le cas en Europe de l'Est) ou des problèmes sociaux comme ceux que j'ai cités (excisions, mutilations, violences conjugales, ce qui est le cas de nationalités africaines mais aussi de l'est du bassin méditerranéen). Les motifs de la demande peuvent donc être très variables et plus ou moins sophistiqués.
Les entretiens n'ont pas de durée limitée. Ils peuvent durer trois ou quatre heures et se font avec le concours de l'interprète de la langue que choisit le demandeur, qui est libre du dialecte ou de la langue dans laquelle il veut s'exprimer, et nous interprétons ainsi environ 60 ou 70 langues. Cet entretien, qui peut être très long, a pour but non seulement de s'assurer de la cohérence et de la véracité du récit -et je réponds ici également à M. le sénateur Cantegrit- mais aussi de « tirer les vers du nez » du demandeur, parce que le persécuté d'aujourd'hui peut être le persécuteur d'hier. Dans le cas de conflits ethniques comme en Tchétchénie, une personne qui s'engage à des risques de persécution s'il retourne sur place peut avoir été persécuteur trois ou quatre ans avant.
Dans ce cas, nous avons un raisonnement en deux temps : nous disons qu'il y a des risques s'il rentre dans son pays, mais qu'à l'inverse, il doit être exclu de la protection de la convention de Genève parce qu'il a été lui-même persécuteur à un moment. Le but de l'entretien est donc de s'assurer de la cohérence des choses.
Quant à l'Inde, il y a des filières, effectivement, mais il ne s'agit pas forcément de filières criminelles. Dans un pays où une personne est en danger de mort, elle est heureuse de trouver une filière au sens de filières d'évasion. La filière peut être aussi tel membre de la famille qui est déjà installé dans une ville de province en France. Cela donne une impression de filières, mais elles ne sont pas forcément criminelles.
En revanche, certaines filières sont très bien organisées, notamment la filière chinoise, qui a la particularité de vendre la totalité du « pack », y compris la demande d'asile, mais de s'arrêter là ensuite, c'est-à-dire que la plupart des demandeurs chinois que nous convoquons ne viennent jamais à l'entretien : ils disparaissent dans la nature. Cependant, la demande d'asile présente l'intérêt de donner une date certaine à la présence sur le territoire national.
Il n'y a pas de demandes originaires de l'Inde, madame la sénatrice, mais originaires du Sri Lanka et des Etats voisins de l'Inde.
Vous avez demandé pourquoi il y avait une telle hausse des réexamens, + 242 % l'année dernière et, malgré une décélération de l'accroissement, une nouvelle augmentation en 2005.
Je citerai d'abord l'effet de la nouvelle loi : les gens déboutés sous l'empire de la précédente loi ont voulu profiter de l'élargissement du champ de la protection.
Deuxièmement, l'OFPRA a beaucoup « déstocké », ce qui provoque beaucoup de déboutés et donc beaucoup de demandes de réexamen. La CRR est également en train de déstocker, ce qui justifie également un grand nombre de demandes. Pendant peut-être deux ans, nous aurons donc encore beaucoup de demandes de réexamen.
Je précise quand même que ces demandes de réexamen sont une source de préoccupation pour les préfets parce qu'on voit des gens débouté par l'OFPRA et de la CRR et qui présentent une nouvelle demande, souvent pour écarter le risque d'un éloignement ou au moment de l'éloignement. En fait, il s'avère que l'on présente une demande de réexamen, mais qu'il est très rare d'en présenter deux, que ces demandes de réexamen sont placés à 70 % en procédure prioritaire, que, dans les faits, plus de la moitié des demandes de réexamen sont examinées par l'Office en deux jours (les dispositions sont donc prises pour ne donner aucune attractivité à la procédure de réexamen) et qu'au terme de cette tâche, le taux d'admission est de 1,5 %.
Autrement dit, toutes les dispositions sont prises par l'Office, et ce ne sont pas des instructions que je donne mais le résultat des dossiers qui sont faibles, pour que le réexamen ne soit pas attractif.
Quels sont les critères permettant de définir les pays d'origine sûrs ? Ils ont été fixés par vous-mêmes puisqu'il s'agit de ceux de la loi du 10 décembre 2003. Je n'ai pas en tête la définition de la loi, mais tout cela figure dans la loi.
Le conseil d'administration a donc pris comme point de départ la définition de la loi, en ayant également en tête la directive européenne qui donne une définition plus précise que la loi française des pays d'origine sûrs, et nous nous sommes aussi inspirés des rapports de nos ambassadeurs sur le terrain, de rapports d'ONG et des avis du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Je note d'ailleurs que, dans les pays d'origine sûrs qui ont été retenus, très peu font l'objet d'une mention dans le rapport annuel d'Amnesty International, par exemple.
J'ai déjà en partie répondu à la question de M. Cantegrit en disant que l'objectif était de s'assurer de la cohérence du récit du demandeur au cours d'un entretien individuel qui peut durer plusieurs heures et au cours duquel on interroge le demandeur sur son itinéraire, sa profession ou sa famille et on s'assure d'éléments de véracité du récit dans le plus petit détail, puisque nos officiers de protection connaissent très bien les pays en cause et les modes d'habitat et ont donc les moyens de s'assurer de la cohérence du récit.
Monsieur le président, j'inviterai les membres de la commission d'enquête, s'ils le souhaitent, à venir tout simplement à l'Office, ce qui permettra à la représentation nationale, par leur intermédiaire, d'assister à un entretien entre un officier de protection et un demandeur d'asile. Cela nous permettra d'ailleurs de prolonger cet échange et de pouvoir répondre de façon plus complète à des questions qui n'auraient pas reçu de réponses suffisamment précises.
M. Georges Othily, président .- Nous vous en remercions beaucoup, monsieur le directeur général.
M. Jean-Loup Kuhn-Delforge .- Il reste la question sur les déboutés du droit d'asile qui restent sur le territoire national. Pendant toute l'année 2004 et les onze mois de 2005, on a compté 90 000 déboutés définitifs du droit d'asile, à la fois par l'OFPRA et la CRR.
M. Georges Othily, président .- Merci beaucoup, monsieur le directeur général. Vous nous avez donné beaucoup de renseignements et nous retenons votre invitation à venir à l'Office.
Mme Alima Boumediene-Thiery .- Pouvons-nous vous saisir si nous avons des demandes particulières ?
M. Jean-Loup Kuhn-Delforge .- Je reçois beaucoup d'interventions de parlementaires et il est apporté évidemment une réponse à chacune.