b) Le démantèlement de la préférence communautaire

Mais le succès même de ces instruments d'une « préférence communautaire » amène les États-Unis à réagir dans le cadre des différents cycles de négociations du GATT. En effet, ce sont toujours les États-Unis qui sont à l'origine des cycles de négociations du GATT et un certain nombre d'entre eux sont lancés en réaction à un progrès dans la construction de la Communauté. C'est ainsi que le cycle de Dillon suit la création du marché commun, que le cycle de Tokyo suit l'élargissement et que le cycle d'Uruguay suit l'Acte unique européen. On a ainsi le sentiment que chaque progrès intérieur dans la constitution de la Communauté doit être compensé par un avantage concédé par celle-ci sur le plan international .

La négociation Dillon se conclut ainsi le 16 juillet 1962 par des concessions tarifaires de la part de la Communauté de 6,5 % en moyenne. On notera d'ailleurs que le tarif douanier commun de la Communauté ne sera complètement mis en place qu'au 1 er juillet 1968, c'est-à-dire après cette réduction. La négociation Kennedy, qui se déroule du 4 mai 1964 au 15 mai 1967, aboutit à un accord qui prévoit un abaissement réciproque de 35 à 40 % des droits sur les produits industriels qui sera échelonné de 1968 à 1972. Ainsi, au 1 er janvier 1972, le tarif extérieur commun est ramené à 6,9 % en moyenne alors que celui des États-Unis se situe à 11,1 %, celui de la Grande-Bretagne à 11,6 % et celui du Japon à 10,1 %.

Il n'en va pas de même pour l'agriculture. Cependant, les États-Unis se montrent également tout à fait sourcilleux en ce domaine, et cela dès qu'il est question d'un prélèvement communautaire, c'est-à-dire dès 1960. Une difficile négociation s'engage alors à l'issue de laquelle les États-Unis acceptent le principe du prélèvement communautaire, moyennant la renonciation définitive de la Communauté à tout droit de douane sur les graines oléagineuses. Cette concession, qui paraît secondaire à l'époque, prendra une importance considérable au fil des ans. Dans le cadre de la négociation Kennedy, la Communauté accorde la même concession douanière pour les drèches de maïs ( corn gluten feed).

Parallèlement, la « préférence communautaire » va se trouver contournée par l'apparition de produits de substitution qui ne sont pas touchés par la protection communautaire et qui concurrencent les productions européennes bénéficiant du mécanisme du prélèvement. Il s'agit d'abord des produits de substitution des céréales, tels le manioc, ou les déchets industriels les plus divers (écorces de citron...). Il s'agit ensuite des produits de substitution aux produits laitiers, tels le lait de soja.

Enfin, un élément déterminant pour l'avenir du prélèvement communautaire apparaît : sans peut-être l'avoir recherché, l'Europe devient un exportateur mondial de premier plan.

Dès lors, la pression internationale, et notamment américaine, se fait plus forte. Elle aboutit à l'accord signé le 15 avril 1994 à Marrakech qui met fin à « l'exception agricole » qui prévalait jusque-là, c'est-à-dire la non-application à l'agriculture des règles du GATT. Les produits agricoles sont désormais explicitement inclus dans le champ des produits dont les échanges doivent se conformer aux disciplines multilatérales. Parallèlement, les prélèvements variables à l'entrée sur le marché communautaire sont transformés en droits de douane fixes, dénommés « équivalents tarifaires », qu'il est prévu de diminuer de 36 %.

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Le débat entre la « préférence communautaire » et l'ouverture au marché mondial s'était ouvert dès la négociation du traité de Rome. Dans la Communauté à Six, la France parvenait, non sans mal, à faire prévaloir son attachement à la « préférence communautaire » , mais, au fil des élargissements, les tendances favorables au libre-échange n'ont cessé de se renforcer. La succession des cycles de négociation a permis à ces dernières de l'emporter et de démanteler les outils d'une « préférence communautaire » qui, aux yeux des autres parties prenantes aux négociations du GATT, n'est toujours apparue que comme l'utilisation des outils traditionnels du protectionnisme.

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