3. La « préférence communautaire » aujourd'hui
a) Un objectif politique et non un principe juridique
Comme on l'a rappelé ci-dessus, juridiquement, la « préférence communautaire » n'est pas un principe fondateur de l'Union . La notion de « préférence communautaire » ne figurait pas dans le traité instituant la Communauté économique européenne. Le 6 ème alinéa du préambule de ce traité va même à l'encontre de cette idée, puisqu'il dispose que « les Chefs des États membres (...) désireux de contribuer, grâce à une politique commerciale commune, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux , (...) ont décidé de créer une Communauté économique européenne... » . Le seul article faisant référence à une « préférence naturelle » entre les États membres, l'article 44-2 du même traité, a été abrogé par le traité d'Amsterdam.
Plus récemment, la Cour de Justice des communautés européennes a rendu un arrêt le 10 mars 2005 dans lequel elle affirme clairement que la préférence communautaire est un principe qui n'a pas une valeur juridique mais une valeur politique . La Commission européenne et les États membres peuvent donc s'y référer dans la mesure où ils estiment que c'est un objectif politique, mais il n'est pas possible d'invoquer la préférence communautaire pour faire obstacle à la libéralisation des échanges. Dans le cas d'espèce, l'Espagne avait demandé la suppression d'une mesure communautaire de libéralisation du commerce du thon, au motif que ce marché était suffisamment alimenté par les produits communautaires.
ARRET DE LA COUR (première chambre)
(...) Sur le premier moyen tiré d'une violation du principe de la préférence communautaire Argumentation des parties Le gouvernement espagnol expose que la préférence communautaire constitue un des principes du traité CE et qu'elle est le fondement du tarif douanier commun . L'intérêt de la Communauté doit être pris en compte et le développement de la production communautaire doit être assuré. Le règlement n° 975/2003 violerait ce principe, étant donné que les mesures qu'il comporte n'auraient pu être arrêtées que si la production communautaire était insuffisante. Or, une telle insuffisance n'aurait pas été établie en l'espèce. À cet égard, ledit gouvernement fait remarquer que l'Espagne est, au niveau mondial, le troisième producteur et le deuxième exportateur de conserves de thon, et que plus de 80 % du total de ces exportations est destiné à l'approvisionnement du marché communautaire. Le gouvernement espagnol souligne l'importance du secteur des conserves de thon pour l'économie espagnole et, plus particulièrement, pour celle de la Région autonome de Galicie, qui est déjà confrontée à de graves problèmes économiques et qui assure 90 % de la production espagnole de ces conserves. Il s'agirait donc d'un produit sensible qui exige un degré élevé de protection tarifaire en vue de maintenir des conditions de compétitivité par rapport aux produits originaires d'autres pays. Le Conseil, pour sa part, rappelle que le principe dit de la « préférence communautaire » ne constitue pas une exigence légale . Ce principe signifierait uniquement que les producteurs communautaires doivent être traités plus favorablement que les producteurs des pays tiers. Il ne serait pas interdit à la Communauté d'adopter un acte susceptible d'avoir un effet préjudiciable sur les producteurs communautaires. Ledit principe ne serait pas violé en l'espèce, étant donné que les importations de conserves de thon, dans les limites du contingent tarifaire prévu par le règlement n° 975/2003 sont soumises à un droit de 12 %, de sorte que les producteurs communautaires continuent à bénéficier d'un traitement plus favorable que celui fait aux pays tiers. La Commission expose que la « préférence communautaire » n'est qu'une des considérations politiques que les institutions peuvent prendre en compte, parmi d'autres considérations, pour fixer les taux des droits de douane . Si les institutions devaient respecter la « préférence communautaire » en toutes circonstances, le champ d'action de la politique commerciale commune serait circonscrit dans des marges étroites et incompatibles avec le traité. Appréciation de la Cour Il est constant que la « préférence communautaire » est une des considérations à caractère politique sur lesquelles les institutions communautaires se sont fondées lors de l'adoption de régimes d'échanges avec des pays tiers. Toutefois, ainsi que la Cour l'a déjà précisé, cette préférence ne constitue aucunement une exigence légale qui pourrait entraîner l'invalidité de l'acte concerné (arrêt du 14 juillet 1994, Grèce/Conseil, C-353/92, Rec. p. I-3411, point 50). Il résulte de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté, sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'état de l'approvisionnement du marché communautaire et les répercussions du règlement n° 975/2003 sur l'économie communautaire. (...) |
Ainsi, la préférence communautaire est un choix politique, mais elle ne peut être invoquée, en l'état actuel des traités, pour invalider une décision communautaire.
Il est en revanche fait explicitement référence à la préférence communautaire dans un domaine très particulier, celui de la libre circulation des travailleurs . Dans son livre vert « pour une approche communautaire de la gestion des migrations économiques » , publié en janvier 2005, la Commission européenne rappelle que dans une résolution du Conseil du 20 juin 1994, le principe de « préférence communautaire » est défini en ces termes : « Les États membres prendront en compte les demandes d'accès sur leur territoire en vue d'emploi seulement quand l'offre d'emploi proposée dans un État membre ne peut pas être pourvue par la main d'oeuvre nationale et communautaire ou par la main-d'oeuvre non communautaire qui réside d'une façon permanente et légale dans cet État membre et qui appartient déjà au marché régulier du travail dans cet État membre » .