b) La dangerosité des fibres céramiques réfractaires (FCR) : interdiction ou usage très contrôlé ?
Les fibres céramiques réfractaires ont été répertoriés en CMR (cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques) par arrêté du 28 août 1998.
Les fibres céramiques réfractaires sont des fibres artificielles vitreuses, à orientation aléatoire, dont la composition chimique correspond à un contenu en oxydes alcalins et alcalino-terreux inférieur ou égal à 18 % 141 ( * ) .
C'est le caractère cancérigène avéré chez l'animal qui a conduit les pouvoirs publics à traiter spécifiquement les fibres céramiques réfractaires.
Comme l'affirme M. Henri Pézerat dans un document de synthèse de 1998, « en expérimentation animale (...), les données sont sans ambiguïté sur plusieurs espèces animales et par diverses voies d'exposition. Les fibres céramiques entraînent, à l'égal de l'amiante, des fibroses pulmonaires, des cancers du poumon et des mésothéliomes... On est donc en droit - dans le cadre d'une expertise et quelles que soient les questions que l'on se pose encore sur telle ou telle étude - d'affirmer sa conviction quasi absolue que les fibres céramiques réfractaires sont des matériaux à la fois cancérogènes et fibrosants chez l'homme, ce qui signifie qu'il y aura apparition de ces pathologies dans les populations les plus exposées en milieu de travail » .
La spécificité des FCR par rapport aux autres fibres tient à leur haute résistance aux chaleurs élevées. Les FCR sont des verres de silice-alumine, et non des silicates d'alcalins et d'alcalino-terreux. L'absence de ces derniers éléments (essentiellement sodium et calcium) confère à ces matériaux leur propriété réfractaire (tenue au delà de 1.000° C) et leur très faible solubilité en milieu aqueux. Certaines fibres céramiques contiennent également des oxydes de zirconium, de chrome et de fer.
En raison de ces caractéristiques, ces fibres ne sont utilisées que pour des applications à très haute température et ne sont incorporées que dans un nombre limité de produits.
Pour M. Daniel Bouige, président du laboratoire LHCF environnement, « les céramiques ont des caractéristiques importantes et intéressantes sur le plan technique, en particulier sur le critère de la température. Elles ne constituent cependant pas la panacée pour un certain nombre d'autres applications où la fibre joue un rôle de renfort plutôt que de protection thermique » .
Mme Michèle Guimon, de l'INRS, a rappelé que « ces fibres ont été utilisées depuis la décennie 1950 et ont longtemps coexisté avec l'amiante » . Elle a toutefois insisté sur le fait qu'elles avaient été exclusivement réservées à des applications à très haute température lorsque l'amiante ne pouvait pas être utilisé : « Les FCR ont été réservées à des utilisations industrielles, je pense à l'isolation des fours, des fonderies et hauts-fourneaux. Les FCR sont également utilisées dans l'industrie automobile pour les pots catalytiques ou les airbags. Elles le sont également dans le domaine aéronautique » . Elle a cependant indiqué qu' « en 1995-1996, période durant laquelle l'amiante a été interdit, des essais de substitution avaient été réalisés, notamment pour les plaquettes de frein » , précisant que « ces utilisations n'ont cependant pas duré longtemps » .
Il a été indiqué à la mission que 20.000 salariés seraient aujourd'hui en contact avec ces fibres dans le cadre de leur activité professionnelle, soit des effectifs sans rapport avec la population exposée à l'amiante. Il reste que « quelque 12.000 tonnes par an seraient consommées en France, soit le quart de ce que l'Europe consomme 142 ( * ) » .
La réglementation aujourd'hui applicable aux FCR reflète les incertitudes de la communauté scientifique sur le caractère cancérigène de ces fibres pour la santé humaine.
Pratiquement interdites dans la fabrication d'appareils destinés aux particuliers 143 ( * ) , les fibres céramiques réfractaires sont autorisées dans les produits à usage industriel, sachant que leur classement en produit cancérogène de catégorie 2 doit conduire les chefs d'entreprise à ne les utiliser qu'en dernier recours, là où il n'existe pas de solution de remplacement (c'est-à-dire au dessus de 1.200° C), et sous réserve du respect des précautions réglementaires notamment la valeur limite d'empoussièrement de 0,6 fibre par cm 3 sur 8 heures.
Cette réglementation apparaît cependant insuffisante à la mission.
M. Daniel Bouige (LHCF environnement) a en effet estimé qu' « il est tout à fait justifié, étant donné la biopersistance, les caractéristiques physiques et la capacité de rétention dans les poumons des céramiques, de mettre en oeuvre une démarche de prudence maximale » .
« J'estime qu'il faut interdire les fibres céramiques » a-t-il ajouté, précisant qu'une démarche d'interdiction doit être accompagnée de mesures plus ou moins restrictives, et prévoir des exceptions correspondants à des impératifs technologiques.
Mme Martine Aubry est allée dans le même sens, estimant que « si on pense qu'il y a un risque malgré les protections, on doit interdire ».
Une politique de précaution devrait se traduire par l'interdiction d'utiliser les FCR à des températures inférieures à 1.250 degrés. On rappellera que la recherche de solution de substitution est aujourd'hui facultative, et non obligatoire. Cette proposition formulée, notamment par Henri Pézerat, et par l'ARDEVA reflète l'opinion de nombreux membres de la communauté scientifique.
S'agissant de la valeur limite d'empoussièrement professionnelle, M. Michel Héry de l'INRS, et M. Henri Pézerat, considèrent qu' « il faut la diviser par six et en faire une contrainte réglementaire » 144 ( * ) , alors qu'elle n'est aujourd'hui qu'indicative.
Ce dernier estime que les CHSCT devraient mettre en oeuvre une politique de prévention concernant les FCR, « avec interpellation des employeurs et de l'inspection du travail, du médecin inspecteur du travail, du service de prévention de la CRAM et de l'INRS, avec copie des constats effectués à la direction des relations du travail du ministère » 145 ( * ) .
Le directeur général de l'InVS, a indiqué à la mission qu'un système de surveillance sur les FCR, à partir d'une banque de données, fonctionnait à l'heure actuelle et que les programmes de surveillance et de prévention allaient être renforcés.
M. Gérard Larcher a, pour sa part, précisé que, dans le cadre du plan « santé-travail », un groupe d'experts avait été désigné au sein de la nouvelle agence pour la santé au travail pour approfondir la question du traitement des FCR. Ses conclusions devraient être rendues publiques avant la fin de l'année 2005.
La mission souhaiterait que ce calendrier soit tenu et qu'une réglementation très restrictive des FCR soit rapidement adoptée, qui poserait le principe de l'interdiction des fibres céramiques réfractaires sauf absence avérée de produits de substitution. La mise en place d'une procédure d'autorisation préalable par secteur utilisateur de ces fibres doit être envisagée. Dans les cas où l'autorisation serait accordée à titre dérogatoire, le contrôle de l'utilisation des FCR dans le processus de production devra être renforcé afin de s'assurer que les salariés en contact avec ces fibres bénéficient d'une protection adéquate.
* 141 Définition donnée par la directive n° 97/69 de la communauté européenne.
* 142 L'Humanité du 19 janvier 2005 : « Un scandale gros comme l'amiante ».
* 143 Un décret interdit toute commercialisation en direction du grand public de produits ou préparations contenant plus de 0,1 % de FCR..
* 144 Voir « Libération » du 19 janvier 2005 : « Amiante, un scandale sans fin ».
* 145 Voir « L'Humanité » du 14 mai 2005.