B. S'ASSURER DE L'INNOCUITÉ DES PRODUITS DE SUBSTITUTION
Dans son rapport 136 ( * ) remis en 1998 aux ministres du travail et de la santé, le professeur Claude Got insistait sur la nécessité de définir « une politique de santé publique face au développement des (...) fibres de substitution à l'amiante...Les risques pour la santé induits par les fibres d'amiante ont provoqué progressivement leur remplacement par d'autres produits qui ont fréquemment une structure fibrillaire. Cette évolution a été accentuée par l'interdiction de tout usage de l'amiante depuis le 1 er janvier 1997. Ces fibres sont probablement capables d'induire des risques pour la santé ».
Selon lui, l'action des pouvoirs publics devait tendre à « ne pas prendre, avec les multiples substances fibrillaires qui sont produites industriellement, les risques que nous n'avons pas su maîtriser dans l'emploi de l'amiante »
Suite à la directive européenne n° 97/69 du 5 décembre 1997 qui a introduit les laines minérales, les fibres céramiques réfractaires (FCR) et les fibres à usage spécial dans la liste des substances dangereuses, un arrêté ministériel daté du 28 août 1998 a prévu la classification des FCR et des fibres à usage spécial en substance cancérogène de catégorie 2 et impose à l'employeur de mettre en place un certain nombre de précautions pour les salariés en contact avec ces matériaux : étiquetage T (toxique) ; obligation de rechercher des méthodes de remplacement quand cela est possible ; contrôle du niveau de l'empoussièrement et mise à disposition d'équipements de protection individuels.
Cependant, en dépit de la reconnaissance du caractère toxique de certains produits de substitution, aucune stratégie globale n'a été élaborée et aucune interdiction spécifique n'a été envisagée.
Pour M. Daniel Bouige (LHCF environnement), « il est impensable d'attendre 30 ans pour bénéficier d'un recul épidémiologique suffisant avant de mettre en question l'utilisation de ces fibres ».
1. Les diverses fibres de substitution
L'obligation de remplacer l'amiante par d'autres matériaux, basée sur le principe d'une directive européenne de 1992, de la recherche à chaque fois que cela est possible, pour les substances cancérogènes utilisées en milieu professionnel, de solutions de remplacement qui présentent les mêmes garanties techniques et un risque moindre pour la santé, est devenue effective à compter du 1 er janvier 1997, suite à l'interdiction totale de l'usage de ce produit en France.
Les premières tentatives pour remplacer l'amiante par d'autres produits moins dangereux sont pourtant très antérieures : comme l'a rappelé M. Philippe Huré de l'INRS, « dès 1957, l'INRS conseillait d'envisager une substitution de l'amiante dans une de ses notes (...) destinées aux entreprises » . Quant à la substitution effective, « elle a été initiée au cours de la seconde partie des années 1970 pour remplacer l'amiante dont la production commençait de chuter».
Le professeur Claude Got a, pour sa part, rappelé que certains industriels, conscients de la dangerosité du produit, avaient tenté de trouver des solutions de remplacement à l'amiante, citant l'exemple des frères Blandin, qui ont réalisé une partie du flocage du RER parisien avec des fibres de verre, matériaux plus coûteux que l'amiante.
Il semble pourtant qu'en France, contrairement à d'autres pays, la logique économique ait pris le pas sur la logique de santé publique : alors que « certains pays commençaient à mettre de la cellulose, des fibres synthétiques pour armer le ciment et remplacer les revêtements qui ont revêtu tous les hangars dans le monde agricole français, tous les poulaillers et tous les tubes collecteurs d'eaux usées », l'entreprise des frères Blandin était rachetée dans les années 1980 par des industriels de l'amiante.
Le professeur Marcel Goldberg a rappelé par ailleurs que « 80 % des importations d'amiante en France visaient des applications qui ne nécessitent en aucune manière de l'amiante », ajoutant que « la substitution de l'amiante ne pose aucune difficulté sur le plan technique ». Il a précisé que « depuis longtemps, nous savons de quelle manière il est possible de garantir la solidité du ciment grâce à une substitution du ciment par la cellulose », notant que « celle-ci n'apporte, à l'évidence, aucun risque» , même si ce procédé est beaucoup plus coûteux particulièrement avec les crises pétrolières. Les produits de substitution étant fabriqués en utilisant de l'énergie, leur coût varie en effet avec celui du pétrole.
La mission ne peut que constater que le poids des intérêts économiques explique en partie le retard pris par la France dans les années 1980 pour remplacer l'amiante par des substances moins dangereuses.
Le professeur Claude Got a ainsi regretté que « le comité permanent amiante n'ait, dans aucun de ses comptes rendus, posé la seule vraie question qui vaille, à savoir : « Peut-on se débarrasser de l'amiante ? Est-ce que les produits de substitution sont disponibles ? Quel est leur coût ? Quelle est leur sécurité ? »
Cependant, comme l'ont rappelé les interlocuteurs de la mission, il n'existe pas de matériau naturel ou artificiel unique présentant toutes les qualités de l'amiante.
On peut classer en deux principales catégories les matériaux de substitution à l'amiante, selon leur structure fibreuse ou non. S'agissant des matériaux fibreux, il faut distinguer les fibres naturelles (cellulose, coton...) et les fibres artificielles (métalliques, minérales et organiques ).
En fonction des techniques mises en oeuvre et de l'utilisation finale des matières fabriquées, les produits de substitutions varient. Le tableau ci-après retrace les principales utilisations de l'amiante et les matériaux de substitution correspondants.
Familles d'utilisation des matériaux amiantés et techniques de substitution
CLASSIFICATION DE L'AMIANTE |
FAMILLES D'UTILISATION |
TECHNIQUES/MATÉRIAUX DE SUBSTITUTION |
1) Amiante brut en vrac |
Bourres, flocages, isolants, protections thermiques et acoustiques |
laines minérales (verre, roche, laitier) et fibres céramiques enduits, coquilles en plâtre chargé de vermiculite, mica... panneaux, coquilles de silicates divers cellulose |
2) Amiante dans des poudres, des produits minéraux (sauf amiante-ciment) |
Enduits, enduits de façade, enduits-plâtres de protection incendie, mortiers colle, mortiers de protection incendie, mortiers réfractaires, poudres à mouler |
Divers produits minéraux non fibreux : carbonates, silicates, perlite, vermiculite, mica... |
3) Amiante dans des liquides ou des pâtes |
Colles, enduits, mastics, mousses, pâte à joint, peintures |
charges silico-calcaires, argiles cellulose mica |
4) Amiante en feuilles ou en plaques |
cloisons, faux-plafonds, feuilles, feutres, filtres, papiers |
FMA (panneaux, matelas) Mousses d'argiles et de silicates, vermiculite agglomérée |
cartons, coquilles, panneaux, plaques |
Matériaux cités ci-dessus et FCR |
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5) Amiante tissé ou tressé |
Bandes, bourrelets, cordons, couvertures, matelas, presse-étoupes, rideaux, rubans, tissus, tresses, vêtements anti-feu |
PE, PP, PA, PTFE (pour les basses températures)
fibres de carbone, d'aramides et d'acier
fibres de roche FCR |
6) Amiante dans une résine ou une matière plastique |
embrayages, freins, isolateurs électriques, joints |
FMA, aramides, fibres de carbone, PTFE, acier, cuivre, matériaux non fibreux |
matières plastiques |
idem II ou III |
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revêtements muraux, revêtements de sols en dalles ou en rouleaux |
technologies alternatives |
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7) Amiante-ciment |
Bacs, bardages, canalisations, cloisons, éléments de toiture, gaines, plaques, plaques de toiture, tablettes, tuyaux, vêtures |
fibres de cellulose, PP, polyvinylalcool aramides fibres de verre rarement parfois coton, sisal, jute dans certains pays |
8) Amiante dans des produits noirs |
Bardeaux bitumeux, bitumes, colles bitumeuses, enduits de protection anticorrosion, enduits de protection d'étanchéité, étanchéités de toiture, mastics, revêtements routiers |
charges silico-calcaires fibres et laines de verre et roche sauf dans les revêtements routiers |
FMA : fibres minérales artificielles ; PE : fibres de polyéthylène ; PP : fibres de polypropylène ; PA : fibres de polyamide ; PTFE : fibres de polytétrafluoroéthylène ; FCR : fibres céramiques réfractaires.
Comme l'a indiqué M. Philippe Huré, de l'INRS, l'amiante-ciment, soit plus de 90 % du marché de l'amiante dans les années 90, est aujourd'hui remplacé par un mélange de ciment et de fibres de cellulose, de polypropylène, d'alcool polyvinylique ou d'aramides.
Les produits de substitution sont utilisés en fonction des niveaux de températures atteintes dans les divers procédés industriels :
- jusqu'à 400° C : les fibres de verre dont certaines dites fibres de « verre aux oxydes » résistent jusqu'à 1.200°C ;
- jusqu'à 600° C : les fibres de roches
- au dessus de 1.200°C : les fibres céramiques réfractaires ;
- à 2.500°C : les fibres de carbone.
Les interlocuteurs de la mission ont indiqué que les fibres de verre étaient aujourd'hui les plus utilisées comme substitut à l'amiante. Néanmoins, M. Claude Imauven, a indiqué que Saint-Gobain utilisait du polypropylène, pour fabriquer des produits de toiture bas de gamme vendus sur le marché brésilien.
* 136 Rapport sur la gestion du risque et des problèmes de santé publique posés par l'amiante en France, daté du 24 décembre 1997.