EXAMEN EN DÉLÉGATION
La délégation a examiné, le mardi 28 juin 2005, le rapport d'activité 2004-2005 présenté par Mme Gisèle Gautier, présidente .
Après l'exposé de Mme Gisèle Gautier, présidente , qui a successivement porté sur l'activité de la délégation entre avril 2004 et juin 2005 et sur le thème particulier de la situation des femmes dans les dix nouveaux États membres de l'Union européenne, un débat s'est instauré.
Mme Gisèle Gautier, présidente , s'est demandé si, après avoir dressé un constat sur la situation des droits des femmes dans les dix nouveaux Etats membres de l'Union européenne, la délégation ne devrait pas reprendre les éléments essentiels du rapport afin, notamment, de dresser une comparaison avec la situation française, son souci étant de donner des suites concrètes à ce travail.
Mme Gisèle Printz a fait part de son souhait de continuer de travailler sur des sujets européens et a évoqué la possibilité d'une étude sur l'opinion des femmes sur la construction européenne.
Mme Annie David , estimant elle aussi que la délégation pourrait continuer de s'intéresser aux problèmes rencontrés par les femmes dans les dix nouveaux Etats membres de l'Union européenne, a centré son propos sur la manière d'améliorer la vie quotidienne de ces femmes, ce qui serait, selon elle, la condition d'une construction européenne progressiste. A ce titre, elle a évoqué la possibilité de travailler sur la traite des femmes et des enfants en Europe.
Mme Gisèle Printz a jugé que les femmes des nouveaux Etats membres avaient sans doute une vision spécifique de la construction européenne.
Mme Gisèle Gautier, présidente , a noté que les dix nouveaux Etats membres avaient comblé leur retard très rapidement grâce à une réelle volonté politique, et a fait observer que certains des Quinze ne paraissaient guère, en la matière, de « bons élèves ». Elle a souhaité que la délégation retienne le principe d'approfondir certaines pistes de réflexion abordées dans le présent rapport.
Mme Jacqueline Alquier s'est interrogée sur la possibilité d'aborder le sujet des perspectives, pour les femmes, de l'apparition de nouveaux métiers.
Puis la délégation a adopté le rapport annuel d'activité.
ANNEXE
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
Audition de Mme Emmanuelle Latour,
secrétaire
générale de l'Observatoire de la parité
entre les femmes et les hommes
(15 mars 2005)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente
Mme Gisèle Gautier, présidente , a accueilli la secrétaire générale de l'Observatoire de la parité en rappelant qu'elle participait elle-même, en tant que membre, aux travaux de cet organisme. Elle a ensuite évoqué l'actualité et l'intérêt d'une comparaison de la situation des droits des femmes dans les dix nouveaux États membres de l'Union européenne.
Mme Emmanuelle Latour, secrétaire générale de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes , a brossé un panorama statistique global de la situation des femmes des nouveaux États membres, en indiquant qu'il convenait de se prémunir contre une vision trop « exotique » de ces pays, dont les caractéristiques se rapprochent de celles des anciens États de l'Union européenne. Elle a présenté un certain nombre d'indicateurs, en précisant qu'elle estimait préférable de se concentrer sur quelques données particulièrement significatives. Elle a tout d'abord commenté les taux d'emploi des femmes, en notant que les statistiques européennes calculaient le taux d'activité des femmes en France dans la tranche d'âge comprise entre 15 et 80 ans. Elle a rappelé que les pays du bassin méditerranéen connaissaient traditionnellement des taux d'activité féminins moindres que dans les pays du Nord. Cinq pays connaissent, en effet, un taux d'emploi des femmes inférieur à 50 % : Malte, l'Italie, la Grèce, l'Espagne et la Pologne.
Mme Emmanuelle Latour a noté que les femmes au foyer exercent néanmoins des activités productives. A ce titre, elle a fait observer qu'une approche en termes d'activité, et non de salariat, permettrait de donner une image plus fidèle de la charge effective de travail des femmes.
En réponse à une interrogation de Mme Gisèle Printz sur la comparaison des taux d'activité féminins en France et en Allemagne, Mme Emmanuelle Latour a rappelé qu'en Allemagne, de nombreuses femmes travaillent dès l'âge de 16 ans, notamment dans le cadre de l'enseignement professionnel par alternance, ce qui se traduit dans les statistiques par le fait que le taux d'activité des femmes y est supérieur alors que, comme l'a indiqué Mme Gisèle Printz, les femmes françaises semblent traditionnellement occuper un emploi plus fréquemment que les femmes allemandes.
Mme Jacqueline Alquier a également fait observer que, dans certains pays, les femmes pouvaient être amenées à travailler après l'âge légal de départ à la retraite.
Mme Gisèle Gautier, présidente , a évoqué la différence culturelle entre les pays du Nord et des pays latins, qui peut expliquer la variabilité des taux d'activité des femmes.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam a souhaité une harmonisation dans la collecte et la description des données statistiques.
Mme Emmanuelle Latour a ensuite présenté les taux de chômage comparés entre hommes et femmes en observant qu'à quelques exceptions près, comme l'Espagne ou la Grèce, les grandeurs étaient comparables. Elle a rappelé que ces statistiques globales masquaient l'existence des phénomènes de « plafond de verre », de ségrégation sur le marché du travail et l'ampleur du travail féminin à temps partiel. Elle a indiqué, pour illustrer le phénomène de ségrégation, qu'au Portugal, où l'enseignement des mathématiques n'était pas valorisé, les jeunes filles représentaient 70 % des effectifs de cette filière.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam a rejoint ces propos en estimant que les jeunes filles étaient trop souvent orientées vers les filières dévalorisées.
Mme Gisèle Printz a indiqué que c'était parfois le déficit de main-d'oeuvre masculine qui conduisait à orienter les femmes vers certaines filières.
Mme Emmanuelle Latour a estimé que la prise de conscience de l'impact d'un modèle professionnel traditionnellement masculin devrait conduire à repenser les déroulements de carrière des femmes et des hommes. Elle a ensuite estimé que la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle pouvait être économiquement rentable en rappelant, a contrario, le gâchis humain produit par l'excès de stress au travail.
Mme Gisèle Gautier, présidente , a souligné la nécessité de combattre fermement l'idée, trop souvent exprimée dans divers instances ou colloques, selon laquelle les femmes pourraient être utilisées pour pallier le manque de main-d'oeuvre masculine démographiquement prévisible.
Mme Gisèle Printz a rappelé que, pendant les deux guerres mondiales, les femmes avaient été employées dans cet esprit pour occuper les emplois laissés vacants jusqu'au retour des hommes mobilisés comme soldats.
Mme Emmanuelle Latour a, pour sa part, insisté sur l'ampleur, injustement sous-estimée, du travail domestique en rappelant, à titre d'anecdote illustrative, qu'au Canada, il avait été calculé que les femmes au foyer étaient amenées à soulever quotidiennement de lourdes charges en déplaçant notamment leurs enfants.
Mme Gisèle Gautier, présidente , s'est interrogée sur les spécificités des taux de chômage des femmes observés dans les dix nouveaux pays membres de l'Union européenne.
Mme Emmanuelle Latour a indiqué que six pays, parmi les dix nouveaux membres, connaissaient un taux de chômage supérieur ou égal à 10 % : l'Estonie (10 %), la Lettonie (10,7 %), Malte (11,3 %), la Lituanie (13,3 %), la Slovaquie (17,4 %), la Pologne (20 %). Elle a noté qu'à la différence des anciens États membres, où la classe moyenne est traditionnellement majoritaire, les nouveaux États membres connaissent fréquemment une situation plus inégalitaire entre les groupes sociaux.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam a jugé particulièrement intéressant de noter que, malgré ce haut niveau de chômage, les nouveaux pays membres se caractérisaient par un niveau comparable de chômage entre les hommes et les femmes.
Mme Emmanuelle Latour a cependant fait observer que le développement du marché du travail, notamment dans les pays de l'Est, comportait des aspects ségrégatifs à l'égard des femmes.
Mme Jacqueline Alquier s'est demandé si la prise en compte de l'économie parallèle ne devait pas relativiser ces statistiques officielles.
Mme Emmanuelle Latour , commentant les chiffres relatifs aux écarts de rémunération entre hommes et femmes, a fait observer que l'écart le plus minime était observé en Italie, qui fait partie, avec Malte et la Belgique, du groupe des trois pays où l'écart est inférieur à 10 %. Elle a rappelé que le Président de la République avait fixé, pour la France, un objectif de rattrapage de cet écart dans les cinq ans, la France faisant partie de la fourchette haute du groupe des quinze pays où l'écart salarial est compris entre 10 et 20 %. Elle a estimé nécessaire de prendre en compte les données concernant la protection sociale et le niveau d'éducation dans les nouveaux pays membres de l'Union européenne.
S'agissant des données relatives au suffrage universel, Mme Gisèle Gautier, présidente , a noté que les pays du Nord de l'Europe avaient des traditions très anciennes de suffrage universel incorporant le vote féminin, la Finlande ayant, par exemple, institué le vote des femmes dès 1906, le Danemark en 1915, les statistiques présentées par Mme Emmanuelle Latour indiquant plus généralement que quatorze pays de l'Union européenne avaient introduit le suffrage féminin entre 1915 et 1931.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam a relevé qu'après la seconde guerre mondiale, neuf pays avaient, comme la France, accordé le droit de vote aux femmes.
Mme Emmanuelle Latour a insisté sur la nécessaire prise de conscience du décalage entre les déclarations de principe et la réalité culturelle ou institutionnelle.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam s'est ensuite interrogée sur les solutions permettant de favoriser et d'approfondir la parité politique au-delà de la législation en vigueur.
Un débat s'est instauré sur cette question au cours duquel Mme Gisèle Gautier, présidente , Mmes Joëlle Garriaud-Maylam , Gisèle Printz et Jacqueline Alquier sont intervenues.
Puis Mme Emmanuelle Latour a indiqué que l'Estonie, la Slovaquie et la République Tchèque connaissaient le vote féminin depuis 1920.
En réponse à une interrogation de Mme Gisèle Gautier, présidente , elle a précisé que le taux de participation électorale était traditionnellement élevé dans les pays qui rejoignent l'Union européenne.
S'agissant de la proportion de femmes au Parlement européen, Mme Emmanuelle Latour a divisé les États membres en trois groupes : onze d'entre eux ont élu entre 0 et 30 % de femmes au Parlement européen ; dans neuf pays, cette proportion se situe entre 30 et 40 % ; et dans cinq États membres, dont la France, la Slovénie, les Pays-Bas, la Lituanie et la Suède, la proportion de femmes élues au Parlement européen en juin 2004 est supérieure à 40 %.
Mme Gisèle Gautier, présidente , ayant noté que 31,5 % des parlementaires européens espagnols étaient des femmes, Mme Emmanuelle Latour a précisé que l'Espagne constituait une démocratie relativement jeune où les femmes participaient à la vie politique de manière très dynamique.
Mme Emmanuelle Latour a fait observer que pendant longtemps le mandat de député européen avait été considéré comme un enjeu de pouvoir moindre que les mandats nationaux et que, par la suite, le Parlement européen était devenu plus accessible aux femmes.
Mme Gisèle Gautier, présidente , a demandé des précisions sur la législation relative à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), la fécondité et les taux de mortalité infantile dans les nouveaux pays membres de l'Union européenne.
Mme Emmanuelle Latour lui a indiqué que l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes s'efforcerait d'apporter à la délégation toutes les précisions utiles à ce sujet.
Audition de Mme Jacqueline Heinen,
professeure au laboratoire Printemps
(UFR de sciences sociales et des humanités)
de l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
(Mercredi 30 mars 2005)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente
Mme Jacqueline Heinen, professeure au laboratoire Printemps (UFR de sciences sociales et des humanités) de l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines , a tout d'abord analysé la question de la diversité et des traits communs des nouveaux États membres en matière des droits des femmes. Elle a indiqué qu'il existait, avant 1989, des différences notables entre les nouveaux États membres imputables notamment à leur histoire économique, sociale, culturelle et religieuse.
Elle a cependant noté qu'une certaine homogénéité pouvait être observée dans la situation des femmes de ces pays : d'une part, des règles assez semblables y sont affichées, et, d'autre part, le même décalage se manifeste entre les normes et la pratique quotidienne.
Après 1989, a-t-elle poursuivi, l'ensemble de ces pays a dû faire face à une montée générale du chômage ; au demeurant, l'aggravation du taux de chômage des femmes s'est révélée assez variable d'un pays à l'autre, même si, de manière générale, les femmes ont subi plus durement la crise de l'emploi que les hommes, à l'exception de la Hongrie qui a connu, selon les statistiques, le phénomène inverse en raison notamment de la mise en place d'un dispositif de congé parental bien rémunéré.
S'agissant des politiques sociales, elle a noté que des systèmes d'allocation assez divers avaient été instaurés dans ces nouveaux États membres, mais que de manière générale, la période avait été surtout marquée par une réduction en volume des allocations et une dégradation de la protection sociale, qui a frappé particulièrement les femmes et les familles. Elle a, en particulier, évoqué l'effondrement des structures de garde d'enfants dans certains pays de l'Est.
Se fondant ensuite sur un certain nombre de travaux d'études, elle a indiqué que, globalement, on pouvait constater qu'un effort d'alignement des règles d'égalité entre les sexes sur les normes européennes avait été consenti au plan juridique, mais que rien n'avait sensiblement changé dans les faits avec, en particulier, le maintien de l'héritage précédent : une dichotomie entre public et privé ainsi que le maintien de la hiérarchie traditionnelle au sein de la famille.
En ce qui concerne les règles applicables en matière d'égalité des chances, elle a fait observer qu'en dépit d'un mouvement général d'alignement des droits, l'âge de départ à la retraite restait, dans ces pays, la plupart du temps, distinct pour les hommes et les femmes. Elle a précisé qu'un débat s'était instauré sur ce point dans un certain nombre de ces États et que l'idée de tenir compte de l'espérance de vie comparée des hommes et des femmes avait été lancée, ce qui pourrait contribuer à minimiser encore les pensions des femmes.
Puis elle a appelé les membres de la délégation à agir pour remédier au cruel défaut de statistiques disponibles, qui contrecarre les efforts conduits pour analyser la situation des femmes avec une précision suffisante. Rappelant ensuite que l'entrée dans l'Union européenne supposait une mise à niveau des normes en matière d'égalité des chances, elle a cependant insisté sur le fait que le principe du cofinancement des subventions européennes conduisait presque tous les pays à sacrifier un certain nombre de dépenses sociales et, en particulier, celles qui peuvent être consacrées à l'amélioration de la condition féminine.
Par ailleurs, elle a fait observer que la « brèche » que constitue le maintien de l'interdiction de l'avortement en Pologne devait inciter à demeurer attentif en matière de droits des femmes dans les nouveaux États membres.
Au plan politique, elle a décrit un double mouvement au lendemain de la « chute du mur » avec l'effondrement, dans un premier temps, de la représentation des femmes au Parlement à un niveau souvent inférieur à 5 % et, dans un second temps, le rééquilibrage qui était intervenu dans les années 2000 avec des proportions de femmes parlementaires avoisinant 20 % dans un certain nombre de pays.
Elle a noté que la proportion des femmes dans les institutions locales demeurait traditionnellement plus élevée, en Europe de l'Est, que dans les institutions nationales, dont l'image est fortement entachée auprès de l'opinion publique en raison des nombreux scandales financiers qui ont été mis au jour ces dernières années.
En matière d'emploi, elle a rappelé que la diminution des taux d'activité avait généralement frappé plus durement les femmes que les hommes et a brièvement analysé la segmentation du marché du travail qui perdure dans les nouveaux États membres de l'Europe de l'Est, les hommes occupant majoritairement les emplois les mieux rémunérés. Elle a souligné le fait que l'accomplissement des tâches domestiques était massivement réservé aux femmes, les statistiques indiquant même que le nombre d'heures quotidiennes qu'elles y consacrent est près de deux fois plus élevé que chez les femmes de l'Ouest, ce qui contribue mécaniquement à surcharger la journée de celles qui occupent par ailleurs un emploi.
A propos des violences faites aux femmes, elle a indiqué que la forte augmentation révélée par la lecture des statistiques disponibles reflétait le durcissement de la situation économique et sociale. A ce sujet, elle a fait observer que les inégalités de revenus s'étaient accentuées.
Elle a ensuite indiqué qu'un certain nombre de « quotas inversés », qui avaient pu être instaurés dans les années 1980, par exemple en Pologne, pour limiter la proportion très élevée de femmes médecins, avaient été supprimés lors de la mise à niveau des normes requises pour l'entrée dans l'Union européenne.
Mme Gisèle Gautier, présidente , a demandé à l'intervenante si l'entrée dans l'Union européenne constituait globalement, selon elle, un facteur favorable à l'amélioration de la situation des femmes.
Mme Jacqueline Heinen a répondu que, selon le point de vue exprimé par toutes les organisations de femmes consultées à travers ces pays, l'entrée dans l'Union européenne avait été unanimement considérée comme une chance d'amélioration, encore fallait-il que les institutions européennes puissent prendre cette dimension en compte pour définir des mesures concrètes. Elle a insisté, par ailleurs, sur l'importance des échanges d'informations entre les anciens et les nouveaux États membres à travers un dialogue fondé sur l'équilibre et le respect mutuel. De façon générale, elle a estimé que, depuis une quinzaine d'années, les esprits avaient sensiblement évolué en matière d'égalité des chances entre les sexes dans les nouveaux États membres.
Interrogée ensuite par Mme Gisèle Gautier, présidente , sur l'influence du facteur religieux, elle a répondu en prenant l'exemple de la Pologne, qui constitue le pays où le facteur religieux a le plus de poids. Elle a toutefois observé qu'en dehors des spécificités en matière d'avortement et d'interruption volontaire de grossesse, ce pays ne s'écartait pas sensiblement de la moyenne en matière de normes et de droits des femmes et que les représentations traditionnelles concernant la place des femmes dans la famille étaient aussi accusées dans les autres pays qu'en Pologne.
En réponse à une question de Mme Gisèle Gautier, présidente , sur la place de l'économie parallèle, Mme Jacqueline Heinen a indiqué que celle-ci continuait de jouer un rôle très important et rappelé qu'un certain nombre de personnes occupaient traditionnellement plusieurs emplois simultanément, au prix d'un grand nombre d'heures de travail. Elle a ensuite noté que, pour un certain nombre de retraités qui occupaient traditionnellement des emplois à temps partiel dans l'économie informelle, la situation était devenue dramatique étant donné la baisse du nombre de ces emplois. Elle a noté que les pensions de retraite effectivement perçues par les femmes étaient, en moyenne, de l'ordre de 50 % inférieures à celles des hommes et, à niveau égal d'emploi, de 30 % moins élevées.
Mme Gisèle Gautier, présidente , a ensuite abordé la question des incidences de la politique économique de l'Union européenne et, en particulier, des effets du pacte de stabilité et de croissance pour les nouveaux États membres.
Mme Jacqueline Heinen a indiqué que cette politique de stabilité supposait un cofinancement de la part des États et collectivités territoriales concernés pour bénéficier des aides distribuées au titre des fonds structurels et des fonds de cohésion, et que le risque était grand de les voir dégager des marges de financement en opérant des réductions dans les dépenses publiques, notamment dans le domaine des politiques sociales et familiales.
En matière d'immigration, elle a observé, en prolongeant une interrogation de Mme Gisèle Gautier, présidente , que des flux très importants existaient, en liaison, notamment, avec l'industrie du sexe. Elle s'est dite interloquée par le spectacle qui peut être observé dans certaines zones frontalières, en citant le cas des abords de la République tchèque et de l'Allemagne, où de nombreuses jeunes femmes se prostituent. Par ailleurs, elle a indiqué que les femmes en provenance de l'Europe de l'Est installées en Europe de l'Ouest ne souhaitaient pas, la plupart du temps, retourner dans leur pays d'origine.
En définitive, et en réponse à une suggestion de Mme Gisèle Gautier, présidente , elle a conclu en formulant deux recommandations : perfectionner les outils statistiques permettant de comparer les données selon le genre, d'une part, et, d'autre part, multiplier les échanges en allant sur place, dans les nouveaux États membres, pour susciter une mobilisation sur le terrain en faveur de l'amélioration de la situation des femmes.
Audition de Mme Marie-Cécile Moreau,
présidente de l'Association des femmes de carrières juridiques
(mardi 5 avril 2005)
Présidence de Mme Gisèle Printz, vice-présidente
Soulignant l'ampleur du sujet qu'elle était amenée à traiter, Mme Marie-Cécile Moreau, présidente de l'Association des femmes de carrières juridiques, a souhaité présenter trois observations liminaires. Elle a d'abord noté que la situation concrète des femmes dans les dix nouveaux États membres de l'Union européenne était très difficile à cerner, en raison des décalages potentiels que l'on pouvait observer entre les règles juridiques et leur application effective. Elle a également mis en évidence l'existence de ce qui peut être qualifié de « faux-amis » juridiques, une loi régissant une matière pouvant ne pas avoir la même portée qu'un texte similaire en Europe occidentale, et noté que ces « faux-amis » peuvent être une source d'erreur pour apprécier la situation réelle prévalant dans les nouveaux États membres. Elle a également constaté la difficulté de recueillir des informations fiables, faute d'actualisation régulière. De même, elle a ajouté qu'il était important, afin d'éviter des contresens, voire des faux-sens de connaître la source et la date des informations disponibles.
Elle a ensuite indiqué que les dix nouveaux États membres remplissaient les quatre critères de Copenhague, ce qui leur a permis d'adhérer à l'Union européenne : tous sont des républiques parlementaires démocratiques, disposent d'une économie de marché et respectent les droits de l'Homme et ceux des minorités.
Enfin, a-t-elle noté, ces dix pays avaient tous, avant le 1 er mai 2004, ratifié la Convention de New York sur l'élimination des discriminations à l'encontre des femmes (CEDAW). Elle a expliqué que l'intégration de ces dispositions dans leur ordre juridique leur avait déjà donné une bonne connaissance des questions de discrimination, alors que ce sujet avait parfois été découvert par certains États membres plus anciens au moment de leur adhésion. Elle a également indiqué que ces dix pays étaient membres du Conseil de l'Europe et qu'ils avaient ratifié la Convention européenne des droits de l'Homme de 1950 ainsi que ses protocoles postérieurs, dont le protocole 12 relatif aux discriminations, ce qui n'est pas le cas de la France. A ce titre, elle a également rappelé un fait souvent négligé ou volontairement ignoré, à savoir que la Turquie est membre à part entière du Conseil de l'Europe.
Mme Marie-Cécile Moreau a ensuite abordé la question de l'élimination des discriminations et de l'égalité entre les sexes, telles qu'elles sont prévues à l'article 2 du traité constitutionnel, relatif aux valeurs de l'Union européenne, et à l'article 3 qui concerne ses objectifs, ainsi que dans la Charte des droits fondamentaux qui est intégrée à ce texte. Elle a expliqué que les dix nouveaux États membres possédaient tous des mécanismes prévoyant l'élimination des discriminations, qui ont été mis en place au titre de l'application de la Convention européenne des droits de l'Homme et de la Convention de New York. Elle a estimé que les mécanismes les plus efficaces étaient ceux mis en oeuvre par les ministères de plein exercice et qui, s'agissant des droits des femmes, sont le plus souvent celui des affaires sociales, de la santé, voire de la famille.
Elle a indiqué que certains de ces pays avaient aussi modifié leur législation et s'étaient dotés d'institutions destinées à lutter contre les discriminations selon le sexe et à promouvoir l'égalité. Elle a toutefois jugé que les informations relatives aux activités concrètes de ces institutions étaient peu nombreuses.
Elle a expliqué qu'à l'origine, les dispositifs mis en place, qu'il s'agisse d'une législation spécifique ou de l'institution de structures administratives, avaient pour objectif de prendre des décisions ou d'en suggérer, en particulier au législateur, afin d'engager un rattrapage en termes d'égalité entre les hommes et les femmes. Elle a mis en évidence l'évolution récente qui consiste à promouvoir « l'approche intégrée », dont l'objet n'est plus seulement d'effectuer un rattrapage au profit des femmes mais d'examiner l'égalité au regard des situations comparées des hommes et des femmes. Elle a précisé que l'article 116 du traité constitutionnel reprenait la notion « d'approche intégrée », qui cherche à promouvoir la femme en qualité d'égale de l'homme dans le souci de l'intérêt général de la société. Elle a fait observer que cette approche existait d'ailleurs déjà dans les législations les plus récentes de certains de ces dix pays. Elle a cité le cas de la Slovénie, pays relativement performant en matière de droits des femmes et qui, selon elle, pourrait servir de modèle en Europe, y compris pour certains des « anciens États membres ».
Mme Gisèle Printz, présidente , a noté que la France avait souvent l'impression d'être un exemple en Europe.
Mme Marie-Cécile Moreau, approuvant ce propos, a fait remarquer que la France n'était pas toujours à la hauteur de ses déclarations, notamment en ce qui concerne la place des femmes sur le marché du travail. Elle a néanmoins souligné les progrès accomplis récemment en matière électorale quand 43,6 % des représentants français au Parlement européen sont des femmes, même si des progrès sont encore possibles, pour les élections législatives notamment.
Elle a également considéré qu'il convenait d'attacher une grande importance à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, qui siège à Strasbourg, et à celle de la Cour de justice des Communautés européennes de Luxembourg, cette dernière se référant souvent, dans ses considérants, aux droits fondamentaux. Elle a insisté sur l'existence de deux ordres juridiques distincts, celui issu des traités communautaires et celui résultant du droit conventionnel européen, et a estimé que leur conciliation sera difficile, le traité constitutionnel prévoyant une adhésion de l'Union européenne, désormais dotée de la personnalité juridique, à la Convention européenne des droits de l'Homme. Il n'en demeure pas moins, a-t-elle estimé, que ce traité, s'il est adopté, instituera un espace commun de sécurité, de justice et de liberté. Elle a rappelé que la Cour européenne des droits de l'Homme de Strasbourg était souvent considérée comme la « gardienne des droits des femmes ». Elle a cité le cas de l'accouchement sous X, la France étant le seul pays sur les vingt-cinq de l'Union européenne à posséder un tel dispositif. Elle a noté que la Cour de Strasbourg, interrogée sur l'éventuelle contrariété de cette disposition avec le droit de connaître ses origines, avait donné raison à la France. Elle a souligné le caractère évolutif de certains sujets de société, tels que l'avortement. Elle a expliqué que cette question n'était pas de la compétence du traité constitutionnel et que les États membres de l'Union européenne conservaient des pratiques différentes. Ainsi, la Pologne est le seul pays de l'Union où l'avortement est illégal. Plusieurs autres pays européens, dont le Portugal, ont une législation qui ne reconnaît pas l'accès à l'avortement, sans le sanctionner systématiquement.
Mme Hélène Luc s'est interrogée sur les raisons de cet écart entre la loi et son application.
Mme Marie-Cécile Moreau a rappelé que la France avait connu la même situation et que, sur l'avortement, elle avait modifié la loi en 1974, en partie parce que le droit n'était plus appliqué pour des raisons liées à l'évolution des moeurs.
Mme Gisèle Printz, présidente , a noté que le traité constitutionnel n'empêchait pas les différents États membres d'adopter une législation spécifique sur certains sujets.
Mme Annie David a fait observer que l'article 116 du traité constitutionnel ne représentait pas, selon elle, une avancée pour les droits des femmes, puisqu'il ne faisait que reprendre les dispositions existantes.
Mme Hélène Luc a estimé que le traité comportait même des dispositions défavorables aux femmes.
Mme Marie-Cécile Moreau a relevé que le traité constitutionnel ignorait volontairement certaines questions sociales qui concernent en particulier les femmes. Elle a, par exemple, indiqué que le droit de la famille ne serait pas communautarisé et qu'il resterait propre à chacun des États membres. Elle a affirmé que la notion « d'approche intégrée » constituait en revanche un réel apport.
Mme Gisèle Printz, présidente , a souhaité obtenir des informations complémentaires en matière de législation comparée en se demandant notamment dans quels pays le droit du divorce prévoyait un dispositif d'éviction du conjoint violent du domicile conjugal ou l'attribution d'une pension alimentaire.
Mme Marie-Cécile Moreau a indiqué que la Lettonie et la Lituanie possédaient un dispositif d'éviction du conjoint violent du domicile conjugal et que celui-ci avait été institué bien avant leur adhésion à l'Union européenne.
Mme Gisèle Printz, présidente , a fait observer que la France souhaitait souvent que toute l'Europe imite son « modèle ».
Mme Marie-Cécile Moreau a abondé en ce sens et a rappelé que l'Union européenne était constituée de pays très divers connaissant des étapes d'évolution extrêmement hétérogènes, en particulier depuis son dernier élargissement.
Evoquant le cas de la Slovénie, elle a rappelé que ce pays de 1,9 million d'habitants présentait, en janvier 2004, un taux de chômage de 6,4 % et que les femmes y constituaient 39,5 % de la population active, loin derrière la Lettonie et la Lituanie. Elle a indiqué que la Slovénie ne disposait pas de loi relative à l'égalité salariale. En revanche, a-t-elle ajouté, ce pays, où les femmes ont le droit de vote depuis 1945, s'est doté d'un médiateur, de même qu'en Lituanie, et demeure le seul à avoir institué très récemment un défenseur de l'égalité des chances, qui émet des avis écrits sur les cas dont il est saisi, ces avis étant présentés au Parlement. Elle a noté que si le Comité (article 17) mis en place par la Convention de New York avait estimé que la loi slovène était insuffisamment précise quant aux objectifs affichés en matière de lutte contre les inégalités, il n'en demeurait pas moins que la Slovénie était le seul pays, parmi les dix nouveaux États membres, à avoir introduit des mesures de discrimination positive, dans l'esprit de la Convention de New York et en application du traité d'Amsterdam.
Mme Hélène Luc a demandé des précisions sur les inégalités salariales en Slovénie.
Mme Marie-Cécile Moreau a indiqué que l'écart de rémunération était plus important dans ce pays qu'en France. Puis elle a abordé le cas d'un autre nouvel État membre, très différent de la Slovénie, la Pologne. Elle a rappelé que ce pays comptait 38 millions d'habitants et qu'en janvier 2004, le taux de chômage y était de 19 %, les femmes constituant 60 % des chômeurs. Elle a noté que les Polonaises avaient le droit de vote depuis 1918. Enfin, si l'avortement est illégal dans ce pays très marqué par la religion catholique, les autorités y entretiennent des relations étroites avec les organisations non gouvernementales, y compris en matière de droits des femmes.
Audition de Mme Monique Halpern,
présidente de la Coordination française pour le lobby européen des femmes
(Mardi 5 avril 2005)
Présidence de Mme Gisèle Printz, vice-présidente
Mme Monique Halpern, présidente de la Coordination française pour le lobby européen des femmes , a souhaité présenter des observations personnelles sur la situation des femmes dans les nouveaux États membres. Elle a précisé, pour mieux situer son point de vue, qu'elle était agent de l'État au ministère du travail et qu'elle exerçait ses fonctions au sein du Groupement d'intérêt public (GIP) pour le développement de l'assistance technique et de la coopération internationale. Elle a également rappelé qu'elle était présidente de la Coordination française pour le lobby européen des femmes et a présenté brièvement ce lobby européen en rappelant qu'il avait été créé en 1992, qu'il représentait 4.000 associations de femmes et qu'un budget de près d'un million d'euros lui était alloué par la Commission européenne.
Elle a indiqué que la Coordination française, dite la « CLEF », représentait, au plan national, quatre-vingts réseaux et associations qui ont, à travers leur diversité, un point commun : leur implication à l'égard des enjeux européens, pour les femmes.
Mme Monique Halpern a précisé que le Lobby européen des femmes comprenait vingt-cinq coordinations nationales, en faisant observer que Chypre n'en disposait pas mais qu'en revanche, la Turquie y était représentée par une coordination très active.
Elle a signalé que, depuis l'arrivée des nouveaux pays membres qui font souffler un esprit libéral au cours des débats auxquels ils participent, la configuration traditionnelle entre Nord et Sud avait changé au sein du Lobby européen des femmes. Elle a, par exemple, noté que les représentantes de certains pays baltes et d'Europe centrale avaient manifesté leur opposition au principe d'une réduction généralisée de la durée du travail, en indiquant qu'elles souhaitaient, compte tenu de l'insuffisance des revenus des femmes, avant tout pouvoir améliorer leur rémunération.
Elle a rappelé que la création du Groupement d'intérêt public, en 1992, répondait au souci de mettre au point des programmes de coopération au plan européen et que, peu à peu, les recours aux financements européens tendaient à se substituer au financement par le budget de l'État.
Dans le cadre d'un appel d'offre financé par l'Union européenne à hauteur de 500.000 euros, elle a indiqué qu'un programme récemment lancé concernait l'aide à la mise en place, dans les administrations slovaques, d'outils destinés à intégrer les politiques d'égalité (« gender mainstreaming ») dans tous les départements ministériels. Elle s'est félicitée de ce que le GIP ait remporté cet appel d'offre, qui suppose la mise en place d'un jumelage avec la France : dans ce cadre, elle a souhaité que des fonctionnaires slovaques puissent être reçus par la délégation sénatoriale aux droits des femmes.
Elle a ensuite présenté quelques observations personnelles et « de terrain » sur la situation des femmes dans les nouveaux États membres de l'Europe centrale et orientale, en rappelant tout d'abord que l'un des postulats affichés du régime communiste était d'améliorer la place des femmes dans la société. Même si cet objectif a pu comporter un aspect artificiel, a-t-elle noté, les femmes étaient, de ce fait, parties prenantes au monde du travail, ce qui s'est, par exemple, traduit par la mise en place généralisée de crèches et d'infrastructures de garde des enfants.
Mme Monique Halpern a cependant souligné que les données récentes avaient révélé dans ces pays une importante régression de la situation des femmes en termes de salaire, de représentation politique, et plus généralement au niveau des soutiens de l'activité féminine. A ce titre, elle a cité le rapport remis par une chercheuse hongroise au Conseil de l'Europe, qui, en référence à la situation des femmes après 1989, évoque une « masculinisation de la société ». Elle a également précisé que la chute importante de la natalité qui peut être observée dans ces nouveaux États membres conduisait certains milieux conservateurs à y prôner une remise en cause du droit à l'avortement, en citant l'exemple de la Serbie.
Puis, Mme Monique Halpern s'est alarmée de l'explosion de la traite des êtres humains en indiquant qu'entre 120.000 et 175.000 femmes d'Europe de l'Est sont livrées à ce fléau.
Elle a ensuite insisté sur la rapidité fulgurante avec laquelle les changements se mettent en place dans ces pays. Elle a noté, à ce titre, la jeunesse des gouvernants et des cadres dirigeants, qui se traduit, en particulier, par le style très dynamique et quelque peu inhabituel, aux yeux de l'Europe de l'Ouest, de l'action des représentantes des femmes. Elle a illustré son propos en relatant un certain nombre de rencontres au cours desquelles des statistiques économiques présentées en janvier 2004 se sont révélées caduques trois mois plus tard : ainsi, les écarts salariaux dans certains secteurs et un recours accru au temps partiel rapprochent très rapidement la situation des femmes à l'Est et à l'Ouest.
Mme Monique Halpern a noté que la vitesse de ces évolutions contrastait avec le caractère plus modéré des rythmes du changement qui prévaut plus volontiers en Europe de l'Ouest. Evoquant la récente réunion onusienne, à New York, pour le 10 e anniversaire de la Conférence de Pékin, elle s'est félicitée du fait qu'en matière de droit à l'avortement, l'activité de la diplomatie américaine, pour exclure la référence à ce droit au niveau international, n'avait réussi à rallier ni la Pologne ni la Slovaquie, qui sont restées sur la position commune de l'Union européenne.
Mme Gisèle Printz, présidente , a posé la question des liens entre la CLEF et l'Association des femmes de l'Europe méridionale.
Mme Monique Halpern a répondu que ces liens étaient extrêmement amicaux et étaient appelés à se renforcer.
Mme Annie David , revenant sur la jeunesse et la combativité des femmes issues de l'Europe de l'Est, s'est demandé dans quels domaines ce dynamisme se manifestait.
Mme Monique Halpern a précisé que se manifestait de manière assez nette, chez les femmes des nouveaux États membres de l'Europe de l'Est, un rejet du régime politique antérieur. En même temps, elle a rappelé que la période communiste avait provoqué un bouleversement de la condition des femmes avec, notamment, un effort d'éducation de haut niveau et un ancrage de la conception selon laquelle les femmes peuvent occuper des postes à haute responsabilité. Elle a cependant noté que ces femmes, à l'heure actuelle, n'avaient pas le choix : étant donné leur situation économique précaire, elles sont obligées, pour évoluer, d'accepter un certain nombre de sacrifices, tout en espérant que leur adhésion à l'ensemble des normes européennes pourra entraîner une amélioration de leur situation.
En ce qui concerne le débat sur l'avortement, elle a noté que, même dans un pays comme la Pologne, il ne fallait pas négliger l'existence d'une grande diversité des conceptions des femmes sur ce sujet sensible.
S'agissant de la prostitution, elle a rappelé que l'Allemagne et les Pays-Bas défendaient traditionnellement l'idée de la professionnalisation du commerce du sexe. A travers les opinions recueillies dans les nouveaux États membres, elle a indiqué que certaines femmes faisaient observer que la pauvreté économique entraînait presque nécessairement des comportements de ce type pour des raisons de survie. Elle a cependant jugé particulièrement intéressant de signaler que la République tchèque vient de refuser la professionnalisation de la prostitution.
Mme Monique Halpern a enfin indiqué que, pour un certain nombre de pays de l'Est, le modèle de pays européen qui réussit à tirer partie de son intégration pour initier une forte progression économique demeurait, à bien des égards, l'Irlande.
Audition de Mme Sabrina Tesoka,
chargée de recherches à la Fondation européenne
pour l'amélioration des conditions de vie et de travail
(Mardi 12 avril 2005)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente
A la demande de Mme Gisèle Gautier, présidente, Mme Sabrina Tesoka, chargée de recherches à la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail , a rappelé les étapes de sa carrière, essentiellement consacrée aux questions européennes, dont un doctorat de l'Institut universitaire européen de Florence. Elle a présenté brièvement la Fondation en notant que son statut était celui d'une agence décentralisée des Communautés européennes, créée par un règlement du Conseil des ministres européens en 1975 et que sa mission était d'apporter une expertise sur l'amélioration des conditions de vie et de travail en Europe. Elle a insisté sur l'importance de la composition tripartite de la Fondation, qui rassemble des représentants des gouvernements, des États membres, des partenaires sociaux, ainsi que trois représentants de la Commission européenne.
Procédant à l'aide d'une vidéo-projection fondée sur les travaux de la Fondation, Mme Sabrina Tesoka a tout d'abord précisé, au titre des sources et de la méthodologie utilisées, que la Fondation avait procédé à un certain nombre d'enquêtes sur les conditions de travail dans les États de l'Union européenne (reposant sur 21.500 interviews réalisées en 2000), dans les pays d'Europe centrale et orientale (11.000 interviews en 2001), ainsi qu'une enquête réalisée en 2002 en Turquie.
Mme Sabrina Tesoka a ensuite présenté des statistiques relatives à la participation des femmes au marché du travail, selon lesquelles, dans les pays d'Europe centrale et orientale (PECO), le taux d'emploi des femmes s'élève à 50,2 % et le taux de chômage à 15,6 %, tandis que les chiffres sont respectivement de 55,6 % et de 8,7 % pour « les Quinze ». Elle a noté qu'avant 1989, les chiffres concernant la participation des femmes au marché du travail dans les PECO avoisinaient couramment 70 %, ce qui traduit une forte érosion depuis le début des années 1990. Puis elle a analysé quatre tendances majeures qui caractérisent les mutations du marché du travail de ces pays avec, tout d'abord, le déclin de l'agriculture, sauf en Pologne et en Roumanie, et ensuite le déclin de l'industrie, qui représente dans les PECO entre 20 et 33 % de l'emploi, alors que ce chiffre s'établit à 26 % dans l'Union européenne des Quinze.
Puis Mme Sabrina Tesoka a souligné la croissance du secteur privé des services et la stagnation, voire le déclin du secteur des services publics. Elle a précisé que, désormais, les hommes ne représentaient plus que 16 % des effectifs dans les services publics de certains pays d'Europe centrale et orientale, tandis que la proportion de femmes décline dans les services privés de ces mêmes pays.
S'agissant de la répartition entre hommes et femmes dans les secteurs privé et public, elle a indiqué que la croissance du secteur des services était l'une des sources principales de création d'emplois. Elle a précisé que, globalement, le secteur public dans les PECO comprenait une proportion de femmes de l'ordre de 65 à 75 %.
Elle a noté que la croissance des services du secteur privé, de l'ordre de 27 % à 30 % entre 1990 et 2001, avait sans conteste bénéficié à l'emploi masculin, alors qu'un bilan plus mitigé se manifestait en termes d'emplois féminins, ceux-ci ayant connu une stabilisation, sinon un certain déclin, dans les domaines particulièrement rémunérateurs de la vente, du tourisme et des finances : la proportion de femmes qui y sont employées se limite à 45 ou 50 % en moyenne.
Mme Sabrina Tesoka a ensuite présenté des statistiques sur la répartition des femmes par grands secteurs, indiquant notamment que l'agriculture des PECO continue de représenter environ 20 % de l'emploi féminin, contre moins de 5 % dans l'ancienne Europe des Quinze. Elle a noté que le secteur industriel était plus ouvert aux femmes dans les nouveaux États membres issus de l'Europe de l'Est, en rappelant qu'en revanche, à la différence de la situation observée en Europe occidentale, le secteur du tourisme ou des services en général est moins féminisé dans les pays membres issus de l'Europe de l'Est.
En matière de répartition des femmes par profession, elle a fait observer que, contrairement à l'idée reçue d'une surreprésentation des femmes dans les professions intellectuelles dans les nouveaux États membres, les statistiques traduisaient globalement un rapprochement des situations entre les Quinze et les PECO.
S'agissant des postes de direction et d'encadrement, elle a estimé que les chiffres qui manifestent une meilleure représentation des femmes au sein de cette catégorie dans les nouveaux pays membres devaient être analysés avec une certaine prudence, les hommes continuant d'occuper les principaux postes stratégiques.
Mme Sabrina Tesoka a ensuite diagnostiqué de manière générale, et sur le long terme, une réduction progressive des disparités salariales, les rémunérations des femmes représentant entre 73 et 81 % de celles des hommes en 2001. Elle a toutefois signalé un renforcement des disparités dans certains pays et relevé qu'aucune amélioration majeure ne se dégageait entre les écarts constatés aujourd'hui et ceux des années 1990. Elle a précisé, pour expliquer cette stagnation des écarts, que la sphère très dynamique des services privés créait des emplois plus volontiers masculins et rappelé l'influence de la féminisation des services publics à faibles salaires. Elle a fait observer, en outre, que ces écarts salariaux ne pouvaient pas être imputés à un différentiel en termes de temps de travail entre les hommes et les femmes dans les pays d'Europe centrale et orientale.
Prolongeant cette remarque, Mme Sabrina Tesoka a chiffré la moyenne hebdomadaire du temps de travail pour les hommes à 43 heures dans les PECO et à 40 heures dans les Quinze pays membres, et, pour les femmes, à 42 heures en Europe centrale et orientale et à 33 heures dans les « Quinze ». Elle a signalé, en outre, que 33 % des salariés hommes et 27 % des femmes travaillaient plus de 45 heures par semaine dans les PECO, tandis que les grandeurs respectives s'établissaient à 27 % et 7 % dans l'Union européenne des Quinze.
S'agissant du travail à mi-temps, elle a évalué à plus de 30 % le pourcentage de femmes des quinze pays de l'Union européenne travaillant à temps partiel, les femmes des PECO ainsi que les hommes de l'ensemble des pays européens étant un peu plus de 5 % dans la même situation.
Tout en rappelant que les spécificités nationales subsistaient, Mme Sabrina Tesoka a diagnostiqué de manière générale une harmonisation des conditions de travail des femmes dans l'Europe élargie au sein des PECO, mais aussi et surtout entre ces pays et ceux de l'Union européenne des Quinze, ce qui aboutit à des conditions généralement comparables, en termes de segmentation du marché du travail, de ségrégation et de disparités salariales. Elle a également mentionné l'introduction de nouveaux instruments et d'affirmations de principe en matière d'égalité entre les sexes dans les PECO, vue comme un élément d'amélioration de la situation des femmes. Elle a fait observer que, dans les pays d'Europe centrale et orientale, le problème de l'écart entre les normes et les pratiques se posait avec une acuité particulière.
Puis évoquant les dynamiques susceptibles d'améliorer la qualité du travail et de l'emploi des femmes dans une Europe élargie, elle a insisté sur la faiblesse du dialogue social, ainsi que sur le dénuement et le manque d'intérêt des partenaires sociaux pour se saisir de la question de l'égalité entre hommes et femmes.
Mme Sabrina Tesoka a également indiqué que l'opinion publique manifestait un certain désintérêt, sinon une certaine méfiance, à l'égard du discours égalitaire.
Mme Gisèle Gautier, présidente , après avoir rendu hommage à la qualité de l'exposé de l'intervenante, s'est essentiellement inquiétée du manque de mobilisation des opinions publiques pour la question de l'égalité des chances avant de se demander si l'entrée dans l'Union européenne était susceptible d'« éveiller les consciences ».
Mme Sabrina Tesoka a convenu que l'on pouvait sans doute tabler sur un effet puissant d'entraînement consécutif à l'intégration européenne. Elle a précisé que cette dynamique communautaire pouvait être enclenchée non seulement par des acquis sur les plans juridique et judiciaire, mais aussi par la confrontation des idées et par le dialogue.
S'agissant de l'acquis communautaire sur lequel Mme Gisèle Gautier, présidente , a demandé des précisions, Mme Sabrina Tesoka a précisé qu'il s'appliquait de la même manière à l'ensemble des États membres, tout en insistant sur le décalage entre l'ordre juridique et les pratiques effectives et en rappelant l'importance du phénomène de faible rémunération de l'emploi public féminin dans les pays d'Europe centrale et orientale.
Elle a rappelé ensuite, en réponse à Mme Gisèle Gautier, présidente , qu'en termes d'éducation et d'orientation des femmes vers les filières scientifiques, les PECO avaient une certaine avance sur l'Europe des Quinze, les préjugés étant plus faibles en la matière en Europe de l'Est. Mme Sabrina Tesoka a estimé que cet acquis des PECO était l'un des rares à avoir bien résisté. En revanche, elle a indiqué que le système de garde d'enfants, traditionnellement bien développé dans les PECO, n'avait pas disparu mais que son coût s'était fortement accru. En outre, a-t-elle ajouté, les indicateurs de la participation des femmes à la politique, traditionnellement élevée dans les PECO, se sont largement érodés. Revenant sur le haut niveau d'éducation et de formation des femmes dans ces pays, elle a déploré que ce dernier ne leur assure pas un niveau de salaire satisfaisant.
Répondant ensuite à une interrogation de Mme Gisèle Gautier, présidente , elle a estimé que le pays qui paraissait se rapprocher le plus de la France en termes d'indicateurs, y compris d'égalité entre les sexes, était la Slovénie. En revanche, elle s'est dite surprise de l'aggravation de la situation dans certains pays, tels que la Hongrie où les transformations structurelles ont provoqué des bouleversements de la situation des femmes : entre 1990 et 1993, le taux de participation des femmes au marché du travail est revenu de 76 % à 50 %.
Audition de Mme Luisella Pavan-Woolfe,
directrice des affaires horizontales et
internationales
à la direction générale de l'emploi,
des affaires sociales et de l'égalité des chances de la
Commission européenne
(Mardi 12 avril 2005)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente
Mme Luisella Pavan-Woolfe, directrice des affaires horizontales et internationales à la direction générale de l'emploi, des affaires sociales et de l'égalité des chances de la Commission européenne , a d'abord rappelé que la politique d'égalité entre hommes et femmes était au coeur de la politique sociale européenne, dénommée, depuis 2000, « Agenda social », et qu'elle incarnait des valeurs essentielles : promouvoir le respect des droits fondamentaux et de la dignité humaine, construire une société inclusive, refuser les discriminations, renforcer la démocratie représentative et participative. Elle a considéré qu'elle illustre également le mieux les avantages d'une combinaison d'instruments variés, la législation, la responsabilité sociale des entreprises, la diffusion de « bonnes pratiques » ou d'informations et des interventions financières.
Elle a fait observer que la politique d'égalité était avant tout un principe fondamental de l'Union, inscrit dans le Traité et dans le droit communautaire, et mis en oeuvre depuis plusieurs décennies par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), et que, pour cela, elle était liée à la vérification du respect des « critères de Copenhague ». Elle a souligné l'évolution intervenue, depuis l'époque où l'égalité entre hommes et femmes donnait lieu exclusivement à des mesures spécifiques et ciblées sur les femmes. Elle a estimé que, si ces mesures restaient évidemment nécessaires lorsque des inégalités persistent et qu'elles étaient profondes, l'objectif essentiel consistait désormais à intégrer l'objectif de l'égalité des chances et de l'égalité des genres dans toutes les politiques - emploi, protection sociale, éducation, cohésion sociale et territoriale - grâce à l'intégration de la dimension de genre dans les fonds structurels.
Elle a rappelé que le caractère central de la politique d'égalité entre hommes et femmes découlait de son enracinement dans l'histoire de la construction européenne, le Traité de Rome contenant, dès 1957, une stipulation imposant l'égalité de rémunération entre hommes et femmes, qui a été à l'origine du développement d'un acquis considérable. Elle a mis en évidence les apports de l'article 141 du Traité, qui est l'un des rares à posséder un effet direct, c'est-à-dire qu'un citoyen de l'Union peut s'en prévaloir dans son pays en l'absence de dispositions de droit dérivé ou si son État a failli à ses obligations juridiques. Elle a fait observer que les nombreuses directives adoptées à partir des années 1970, ainsi que l'abondante jurisprudence de la CJCE, formaient aujourd'hui un cadre juridique global et intégré. Elle a indiqué que cette question avait été essentielle lors des négociations d'adhésion et que la Commission européenne avait l'intention de pleinement assumer ses responsabilités de « gardienne des Traités » en faisant respecter l'acquis communautaire dans ce domaine.
Mme Luisella Pavan-Woolfe est ensuite revenue de façon plus détaillée sur l'acquis législatif que les nouveaux États membres auraient dû et doivent encore mettre en oeuvre. Elle a rappelé que l'article 2 du Traité prévoyait que l'égalité des femmes et des hommes était un principe fondamental et constituait l'une des missions de la Communauté, et, qu'en vertu de l'article 3, la Communauté devait veiller à respecter ce principe dans toutes ses politiques. Elle a également noté que la CJCE, de son côté, avait souligné que l'article 141 du Traité définissait l'un des objectifs essentiels de la Communauté et contribuait ainsi à la réalisation du marché intérieur, au progrès social et à l'amélioration des conditions de vie et de travail des citoyens. Si cette politique se cantonnait initialement à une seule stipulation sur l'égalité de rémunération, la CJCE a depuis développé un acquis considérable dans le domaine de l'égalité de traitement, une caractéristique qui fait de l'Europe une région unique au monde.
Puis elle a retracé les quatre étapes de ce développement :
- la mise en oeuvre de l'égalité de traitement dans toutes les questions relatives à l'emploi, y compris les salaires, la formation, la carrière, les régimes d'assurance vieillesse supplémentaires, qui sont considérés comme des éléments de rémunération au sens du droit communautaire ;
- sa mise en oeuvre dans les régimes de protection sociale : ce domaine est très « sensible », car ce sont les États membres qui possèdent la responsabilité de l'organisation et du financement de leurs régimes de protection sociale ;
- la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, à l'exemple du congé parental, qui représente un progrès rendu possible grâce à un accord des partenaires sociaux ;
- le traité d'Amsterdam a sensiblement augmenté la capacité de l'Union européenne à agir dans le domaine de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes en créant des bases juridiques spécifiques - les articles 13, 137, 141 - qui constituent une incorporation explicite de la jurisprudence de la CJCE, laquelle a clairement établi que l'élimination des discriminations fondées sur le sexe faisait partie des droits fondamentaux des citoyens.
Mme Luisella Pavan-Woolfe a expliqué que le processus d'élargissement s'était fondé sur cet acquis et que les huit directives de base dans le domaine de l'égalité de traitement entre hommes et femmes avaient dû être transposées avant le 1 er mai 2004 par les nouveaux États membres. Elle a rappelé que cette législation traitait de l'égalité de rémunération, de l'égalité de traitement en matière d'accès à l'emploi, de conditions de travail et de régimes de sécurité sociale, de la protection des travailleuses enceintes, ainsi que de la maternité et du congé parental. Elle a ajouté que, sur la base de l'article 13 du Traité, une nouvelle directive avait été adoptée, à la fin de l'année 2004, afin d'étendre l'égalité de traitement, pour la première fois, hors du domaine de l'emploi, à l'accès et à la fourniture des biens et services.
Elle a insisté sur l'écart qui pouvait parfois exister entre la proclamation d'une égalité formelle et l'égalité réelle, qui, selon elle, est loin d'être réalisée dans l'Union élargie. Elle a estimé que la mise en oeuvre effective de la législation adoptée serait le défi primordial de cette Union élargie, et que les institutions compétentes devaient renforcer leur capacité administrative pour assumer les responsabilités résultant de la législation. Elle a ajouté que l'expérience montrait qu'une mise en oeuvre effective constituait un processus continu reposant sur la participation de la société civile, des partenaires sociaux, des organismes de recherche, et pas seulement de l'ordre judiciaire et de l'administration.
Puis Mme Luisella Pavan-Woolfe a abordé la procédure de surveillance de la reprise de l'acquis communautaire avant l'adhésion des dix États.
Elle a précisé que, pendant le processus d'adhésion, la Commission européenne avait contrôlé au fur et à mesure la transposition des directives concernées dans la législation nationale des pays d'adhésion. Elle a expliqué que la Commission avait travaillé sur la base de tableaux de concordance et des informations fournies pour analyser la conformité de la législation des candidats à l'adhésion avec l'acquis communautaire, y compris les arrêts de la CJCE. Ces analyses ont été effectuées dans le cadre des réunions régulières des sous-comités, réunions techniques entre les ministères concernés et les services de la Commission. De surcroît, pendant l'année qui a précédé l'adhésion, les services de la Commission ont effectué des visites à haut niveau dans tous les pays d'adhésion pour examiner les questions politiques en suspens, ce qui a eu un effet positif sur l'accélération et l'achèvement du processus de mise en oeuvre. Elle a indiqué que les rapports réguliers que la Commission transmettait chaque année au Conseil sur les progrès réalisés par ces pays illustraient un alignement satisfaisant sur l'acquis communautaire en matière d'égalité entre les sexes.
Elle a fait observer qu'en général, les pays d'adhésion avaient non seulement transposé les directives concernant l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes mais aussi, souvent, créé des structures nationales pour l'égalité entre les hommes et les femmes. Elle a noté les efforts considérables accomplis, dans de nombreux cas, pour accroître la sensibilisation et la prise de conscience de l'opinion publique sur les questions d'égalité.
Elle a ajouté que le suivi et le contrôle du respect de l'acquis communautaire se poursuivaient bien entendu après l'adhésion, la Commission européenne devant vérifier la transposition effective et la mise en oeuvre des directives, avec, éventuellement, un recours aux règles des procédures d'infraction en cas de non-transposition ou mauvaise application.
Mme Luisella Pavan-Woolfe a indiqué que le tableau général dans les dix nouveaux États membres était contrasté et, qu'à ce stade, il était tout à fait prématuré de tirer des conclusions sur la mise en oeuvre effective de la législation communautaire. Elle a néanmoins fait observer que certains nouveaux États membres avaient institué des médiateurs, des commissions de l'égalité, qui deviendront de toute façon obligatoires pour tous les États membres après octobre 2005 lorsque la directive, qui amende l'ancienne directive sur l'accès à l'emploi, entrera en vigueur, ou encore des ministres de plein exercice pour l'égalité.
Elle a rappelé qu'avant leur adhésion, certains nouveaux États membres présentaient une législation comportant des dispositions contraires au droit communautaire, s'agissant, par exemple, des pensions statutaires ou de mesures de « sur-protection » des femmes relatives au travail de nuit, aux heures supplémentaires ou au travail souterrain. D'autres problèmes concernaient l'accès à l'emploi, le congé parental, la charge de la preuve et les travailleuses enceintes. Elle s'est félicitée de ce que, dans la plupart des cas, ces problèmes aient pu être résolus grâce aux négociations conduites avant l'adhésion.
Elle a considéré que les principaux défis pour l'avenir seraient de bien faire connaître les droits des femmes et d'assurer que les professions juridiques, les juges et les avocats en particulier, soient familiarisés aux questions d'égalité entre les hommes et les femmes, qui nécessitent également des systèmes judiciaires efficaces. Elle a rappelé que la Commission européenne attachait beaucoup d'importance à une meilleure connaissance par tous des droits de l'égalité et qu'elle avait organisé, avant l'adhésion, une conférence à Malte, à laquelle avaient participé, en vue d'un échange de bonnes pratiques et d'expérience, des représentants des États membres, des pays candidats, mais aussi des partenaires sociaux et de la société civile. Elle a également noté que les nouveaux États membres, avant l'élargissement, avaient eu l'occasion de participer au programme communautaire sur l'égalité, ce qui a facilité leur initiation à cette problématique ainsi que l'échange d'expériences avec la société civile.
Mme Luisella Pavan-Woolfe a ensuite évoqué les nouveaux défis que rencontre notre société, marquée par le vieillissement démographique, et indiqué que la Commission européenne avait l'intention de publier, en 2006, une communication sur les défis futurs de la politique d'égalité entre les hommes et les femmes dans une Europe élargie, la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle par exemple.
Elle a ajouté que la Commission venait de présenter au Conseil des ministres une proposition de règlement en vue de créer un Institut européen pour l'égalité entre les hommes et les femmes, qui aura pour tâche principale de collecter et de diffuser des données comparables et fiables et de réaliser des recherches dans le domaine de l'égalité, afin de donner une meilleure visibilité à ces questions.
Après avoir remercié l'intervenante pour la grande qualité et le caractère complet de sa présentation, Mme Gisèle Gautier, présidente , a constaté qu'il existait souvent des écarts entre la législation d'un État membre et son application effective, quel que soit d'ailleurs l'État concerné et sa date d'adhésion à l'Union européenne, citant les questions du travail de nuit des femmes, des retraites et de la formation. Elle a fait observer que les nouveaux États membres avaient réalisé des efforts considérables afin d'aligner leur législation sur celle des États membres plus anciens, mais qu'ils n'avaient pas toujours les moyens de la mettre en oeuvre correctement. Elle s'est dès lors interrogée sur les conséquences du non-respect par les nouveaux États membres des mesures législatives récemment adoptées. Elle a cité le cas de la « loi Génisson » qui, en France, prévoit des dispositions très complètes en matière d'égalité professionnelle, mais qui n'est que médiocrement appliquée. Elle s'est demandé si les commissions pour l'égalité et les médiateurs mis en place dans les nouveaux États membres disposaient de moyens réels pour remplir leur mission.
Mme Luisella Pavan-Woolfe s'est dite plutôt optimiste sur l'application dans les nouveaux États membres de la législation relative à l'égalité entre les hommes et les femmes. Indiquant que les statistiques d'Eurostat mettaient effectivement en évidence des écarts entre la loi et son application, elle a néanmoins rappelé que ces écarts étaient en voie de stabilisation et qu'ils existaient aussi dans l'Europe des Quinze. Elle a donné l'exemple de l'emploi des femmes qui, dans les nouveaux États membres, a certes considérablement diminué dans les premières années de la transition économique, mais a rappelé que tel avait également été le cas de l'emploi des hommes. Elle a par ailleurs fait observer qu'il existait d'importantes disparités au sein des nouveaux adhérents eux-mêmes. Ainsi, les pays baltes présentent un taux d'emploi généralement supérieur au taux moyen de l'Union européenne à Quinze, mais cet écart par rapport à la moyenne communautaire est de vingt points à Malte. Elle a estimé que les procédures d'infractions prévues par les traités permettaient de faire respecter la réglementation et a rappelé qu'un État membre condamné par la CJCE pour manquement à ses obligations communautaires devait modifier sa législation. Elle a souligné l'abondance de la jurisprudence de la CJCE en matière d'égalité entre les hommes et les femmes, qui permet de réduire les discriminations directes. Elle a ainsi donné l'exemple des entretiens d'embauche au cours desquels, dans certains nouveaux États membres, les questions discriminatoires envers les femmes n'étaient pas interdites, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui grâce à l'action des institutions communautaires. Elle a cependant ajouté que le respect de la législation n'entraînait pas automatiquement la disparition des écarts, par exemple en matière salariale, qui sont toujours de 15 % en moyenne entre la rémunération des hommes et celle des femmes dans l'Union élargie. Elle a également noté que la loi n'avait pas nécessairement des effets sur l'ensemble des aspects d'une question sociale, estimant que le contexte culturel ou le rôle des partenaires sociaux pouvait également avoir une influence importante.
Mme Gisèle Gautier, présidente , a jugé insuffisante la communication sur les progrès considérables en matière de droits des femmes qu'entraînerait l'adoption du traité constitutionnel. Elle s'est également étonnée de la méconnaissance, en France, des nouveaux États membres de l'Union européenne.
Mme Luisella Pavan-Woolfe a en effet relevé que le traité constitutionnel renforçait l'égalité, désormais comprise parmi les valeurs de l'Union européenne. Elle a ajouté que l'égalité entre les femmes et les hommes était également incorporée à la Charte des droits fondamentaux que les États membres devront respecter dans la mise en oeuvre du droit communautaire. Puis elle a cité plusieurs exemples chiffrés relatifs à la présence des femmes au sein du gouvernement et à leur représentation au Parlement dans les « anciens » États membres en les comparant aux nouveaux, et en a déduit que le renforcement de l'égalité entre les hommes et les femmes dans le traité constitutionnel pourrait contribuer à réduire les différences actuellement observées.
Audition de Mme Tanja E.J. Kleinsorge,
secrétaire de la commission sur
l'égalité des chances
pour les femmes et les hommes
de
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe
(Mardi 3 mai 2005)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente
Mme Tanja E.J. Kleinsorge , notant que le but premier du Conseil de l'Europe est de sauvegarder la démocratie, les droits de la personne humaine et l'État de droit, a indiqué que le droit à l'égalité des chances pour les femmes et les hommes est considéré comme un droit fondamental de la personne humaine. Elle a rappelé que la commission avait mis l'accent sur deux thèmes en 2004, le combat de la violence à l'encontre des femmes et la participation paritaire des femmes et des hommes à la prise de décision, et que, suite à des débats sur des rapports soumis par la commission, l'Assemblée avait adopté, au cours des douze derniers mois, des recommandations aux gouvernements des États membres sur une campagne pour lutter contre la violence domestique à l'encontre des femmes en Europe, sur la participation des femmes aux élections, sur les discriminations à l'encontre des femmes parmi les demandeurs d'emploi et sur le lieu de travail, et sur la discrimination à l'encontre des femmes et des jeunes filles dans les activités sportives. L'Assemblée a aussi adopté un avis sur le projet de convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, actuellement en cours de finalisation.
Elle a fait observer que les dix nouveaux États membres de l'Union européenne étaient loin de constituer un groupe homogène, la situation des femmes étant très différente dans les pays du Sud, comme Malte ou Chypre, dans les trois pays baltes et dans les pays d'Europe centrale.
Mme Tanja E.J. Kleinsorge a, dans un premier temps, abordé la question de l'accès au marché du travail, regrettant que, même dans l'Union européenne, les femmes continuaient d'être victimes de multiples discriminations. Elle a indiqué que le premier problème que rencontrent les femmes est la difficulté d'accès au marché de l'emploi, et que, dans la plupart des États membres du Conseil de l'Europe, le taux d'activité professionnelle des femmes est inférieur à celui des hommes, tandis que le taux de chômage des femmes est en revanche supérieur à celui des hommes, même s'il existe de fortes variations d'une région à l'autre.
Citant le projet de rapport conjoint sur l'emploi 2004/2005 de la Commission européenne, elle a noté que le taux d'activité professionnelle des femmes dans les 25 États membres de l'Union européenne avait continué de progresser en 2003, mais à un rythme plus lent. Seuls huit pays avaient enregistré un taux d'activité des femmes supérieur à 60 % en 2003, dont seulement un nouvel État membre, Chypre, tandis que neuf pays n'avaient même pas réussi à atteindre 55 %, dont quatre nouveaux États membres, Malte, la Pologne, la Slovaquie et la Hongrie. Elle a considéré que l'objectif consistant à atteindre une moyenne d'au moins 60 %, que s'est fixé l'Union européenne pour 2010 dans « l'Agenda de Lisbonne », serait difficile à atteindre, sauf si l'augmentation annuelle moyenne du taux d'emploi des femmes observée depuis 1997 se maintenait au cours des cinq prochaines années.
Elle a indiqué que, dans la plupart des pays européens, les femmes étaient également davantage menacées par le chômage, et a rappelé qu'en décembre 2004, 9,8 % des femmes en moyenne étaient recensées comme étant au chômage dans les 25 États membres de l'Union européenne, contre 8,2 % des hommes. Dans la majorité de ces pays, a-t-elle ajouté, le taux de chômage des femmes est supérieur de quelques points à celui des hommes (République tchèque : 2,2 %, Chypre : 2,3 %, Lettonie : 1,3 %, Lituanie : 2,2 %, Hongrie : 0,1 %, Malte : 0,9 %, Pologne : 1,8 %, Slovénie : 0,8 %, Slovaquie : 3,4 %), seule l'Estonie présentant un taux de chômage des femmes plus faible que celui des hommes.
Elle a expliqué que ces statistiques ne reflétaient pas totalement la réalité puisque ce sont les femmes qui sont surtout employées dans le secteur informel et qui supportent l'essentiel des responsabilités familiales. Elle a ajouté que de nombreuses femmes étaient, selon l'expression de l'Organisation internationale du travail (OIT), des « travailleurs découragés », et qu'elles n'entraient donc pas dans les statistiques nationales du chômage pour plusieurs raisons : elles ne recherchent pas activement un emploi, même si elles ont une réelle volonté de travailler, parce qu'elles ont le sentiment qu'elles n'en trouveront pas, elles ne sont pas très mobiles professionnellement, ou subissent des discriminations ou encore font face à des barrières structurelles, sociales ou culturelles. Elle a indiqué que cette thèse était confirmée par une récente étude du Fonds de développement des Nations unies pour la femme (UNIFEM) sur les femmes et l'emploi en Europe centrale et orientale et dans la Communauté des États indépendants (CEI). Selon cette étude, même dans les pays où le taux de chômage féminin est statistiquement inférieur de quelques points, comme c'est le cas en Estonie, les femmes peuvent être davantage touchées que les hommes, en raison des différences entre les sexes quant à l'appréciation du chômage et le processus de classification et d'autoclassification dans la catégorie des chômeurs, les femmes acceptant plus facilement que les hommes de se définir comme « personne au foyer », même si elles préféreraient avoir un emploi. Elle a ajouté que les femmes étaient bien plus nombreuses que les hommes à occuper des emplois à temps partiel, avec les désavantages liés à cette situation, et que, du fait de divers stéréotypes, cette forme d'emploi était exclusivement associée aux femmes et ne s'inscrivait que rarement dans le cadre d'une politique visant à aider les femmes à concilier vie privée et vie professionnelle.
Concernant le problème de la disparité salariale, Mme Tanja E.J. Kleinsorge a noté que les femmes étaient souvent moins bien rémunérées que les hommes pour le même travail ou un travail de valeur égale, soit 15 % de moins en moyenne mais jusqu'à 25 à 30 % de moins dans certains cas. Elle a cité l'étude de l'UNIFEM de 2004 qui montre que la rémunération annuelle moyenne des femmes en 2000 était égale à 73,28 % de celle des hommes en République tchèque, 79,96 % en Pologne, 75,01 % en Slovaquie et 88,82 % en Slovénie. Elle a souligné que le fait d'avoir un haut niveau d'études n'était aucunement une garantie et que, dans de nombreux pays, le différentiel des salaires se creusait d'autant plus que les femmes avaient un degré d'instruction élevé.
Elle a ensuite évoqué ce que l'on appelait le « plafond de verre », notant que, plus un poste était élevé, moins une femme aussi, voire plus qualifiée qu'un collègue masculin, avait de chances de l'obtenir. Elle a estimé que les femmes qui parvenaient à franchir ce « plafond de verre » et à obtenir des fonctions décisionnelles restaient l'exception, un nombre disproportionné d'hommes s'élevant aux plus hautes fonctions même dans les secteurs qui emploient majoritairement des femmes.
Mme Tanja E.J. Kleinsorge a ensuite abordé la question de la participation des femmes à la prise de décision. Elle a rappelé la part des femmes siégeant dans leur Parlement national : 22 % en Lituanie, 21 % en Lettonie, 20,2 % en Pologne, 18,8 % en Estonie, 17 % en République Tchèque, 16,7 % en Slovaquie, 16,1 % à Chypre, 12,2 % en Slovénie, 9,2 % à Malte, et 9,1 % en Hongrie. Elle a fait observer que les pays dont la proportion des femmes représentées dépassait le seuil minimal requis avaient pour la majorité d'entre eux mis en oeuvre une action dite positive pour y parvenir, des quotas par exemple, soit lors de l'élection, soit dans la loi électorale ou dans les procédures de sélection des partis politiques.
Elle a relaté une anecdote significative qui s'est déroulée en janvier 2004, après l'entrée en vigueur des modifications du règlement de l'Assemblée consécutives à l'adoption de la résolution 1348 (2003) sur la représentation paritaire au sein de l'Assemblée parlementaire. Selon le nouveau règlement, « les délégations nationales doivent comprendre un pourcentage de membres du sexe sous-représenté au moins égal à celui que compte actuellement leur Parlement et, en tout état de cause, un représentant de chaque sexe », tandis que « les pouvoirs non encore ratifiés des délégations nationales qui ne respectent pas la règle consistant à compter, en tout état de cause, un représentant de chaque sexe peuvent être contestés par tout membre de l'Assemblée présent dans la salle des séances ». Elle a indiqué qu'au début de la session de janvier 2004, l'Assemblée avait été invitée à ratifier les pouvoirs de toutes les délégations nationales, et que seulement deux pays, l'Irlande et Malte, avaient présenté les pouvoirs de leurs délégations nationales respectives, composées uniquement de parlementaires masculins, ce qui était contraire au règlement modifié, les deux délégations ayant fait valoir que leur composition exclusivement masculine s'expliquait par le faible nombre de femmes parlementaires au sein de leur Parlement national. Elle a expliqué que la commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes avait alors décidé de contester les pouvoirs des délégations nationales de Malte et de l'Irlande en séance, et que l'Assemblée, souscrivant à la proposition de la commission du règlement, avait décidé de ratifier les pouvoirs des délégations de ces deux États mais de suspendre le droit de vote de leurs membres à l'Assemblée et dans ses organes, jusqu'à ce que la composition de ces délégations fût conforme au règlement. Elle a noté que les Parlements irlandais et maltais avaient rapidement inclus une femme au sein de leur délégation et que leur droit de vote avait été réinstauré respectivement le 2 mars 2004 et le 26 avril 2004. Elle a néanmoins indiqué que Malte continuait de poser des problèmes pour l'Assemblée car, si sa délégation parlementaire comportait désormais une femme, ce pays éprouvait des difficultés pour trouver une candidate féminine pour la Cour européenne des droits de l'Homme.
Elle a rappelé que l'Assemblée parlementaire avait recommandé au comité des ministres d'élaborer une Charte de l'égalité électorale dans laquelle les États membres du Conseil de l'Europe souscriraient à une action concertée ayant pour but de garantir les droits électoraux des femmes et d'accroître la participation de celles-ci aux élections. Elle a précisé que cette Charte devrait prévoir toutes les mesures nécessaires pour rendre illégal et éliminer le « vote familial », et fixer l'objectif de porter à 40 % d'ici 2020 le taux minimum de représentation des femmes au sein du Parlement et des autres assemblées élues.
Puis Mme Tanja E.J. Kleinsorge a évoqué la question de la violence à l'encontre des femmes. Elle a fait observer que ce phénomène était en progression et que, selon certaines estimations, chaque jour, une Européenne sur cinq est victime d'actes de violence commis par son partenaire, des membres de sa famille ou de sa communauté, des étrangers, voire parfois par des autorités publiques ou des institutions coercitives. Rappelant que la violence domestique était un phénomène touchant tous les pays, quels que soient la classe sociale, la race ou le niveau d'éducation des personnes concernées, elle a indiqué que l'Assemblée parlementaire s'attachait à intensifier ses efforts de lutte contre la violence faite aux femmes dans le cadre familial comme à l'extérieur.
Elle a indiqué que, dans la recommandation qu'elle avait adoptée sur la violence domestique à l'encontre des femmes, l'Assemblée parlementaire avait dénoncé le fait que la violence perpétrée au sein de la famille continuait d'être considérée comme une question d'ordre privé. Elle a rappelé que plusieurs recommandations de l'Assemblée avaient encouragé les États membres à prendre des mesures relatives aux victimes et à la prévention de la violence domestique, et que l'Assemblée parlementaire avait aussi identifié des bonnes pratiques développées dans différents pays européens, l'Autriche et la France par exemple, et préconisé la condamnation pénale des actes de violence domestique, une meilleure protection judiciaire, psychologique et financière aux victimes et le lancement d'une année européenne contre la violence domestique afin que ce phénomène ne demeure plus tabou.
Elle a ensuite illustré son propos sur la base de plusieurs chiffres. En ce qui concerne la situation dans les dix nouveaux États membres, elle a indiqué que des informations récentes n'existaient que pour la République tchèque, où la commission a organisé une audition sur ce thème en 2004. Elle a précisé que, lors de cette audition, la coordinatrice de la campagne contre la violence domestique avait indiqué que toute campagne devait se fonder sur deux axes essentiels, la prévention et l'information du grand public, et que 38 % des femmes tchèques disaient avoir subi la violence conjugale. Elle s'est félicitée des résultats très positifs de la campagne de sensibilisation conduite dans ce pays, qui s'est traduite par une prise de conscience du phénomène par l'opinion publique, par l'augmentation de la fréquentation des centres d'accueil, et, sur le plan législatif, par la révision du code pénal.
Elle a noté que, lorsque des États menaient des campagnes de sensibilisation nationale et adoptaient des mesures législatives, judiciaires et financières appropriées, la lutte contre la violence domestique progressait car les victimes étaient mieux informées de leurs droits, et l'opinion publique prenait davantage conscience de la gravité du phénomène. C'est pour cette raison, a-t-elle précisé, que l'Assemblée, sollicitant l'appui du comité des ministres, avait insisté sur la nécessité d'organiser une campagne paneuropéenne en 2006 pour lutter efficacement contre les violences domestiques. Elle a ajouté que la question de la violence domestique figurait d'ailleurs à l'ordre du jour du Troisième Sommet des chefs d'État et de gouvernement des 46 États membres, qui se réuniront à Varsovie, les 16 et 17 mai 2005.
Mme Gisèle Gautier, présidente , a fait observer que certains phénomènes concernant la situation des femmes, les violences au sein du couple par exemple, se rencontraient à la fois dans les nouveaux États membres de l'Union européenne et dans les « anciens ». Elle s'est interrogée sur les pouvoirs de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe pour améliorer la situation des femmes et a voulu savoir si elle disposait de pouvoirs coercitifs pour faire respecter ses décisions.
Mme Tanja E.J. Kleinsorge a indiqué que les juges à la Cour européenne des droits de l'Homme étaient élus par l'Assemblée parlementaire sur une liste de trois candidats devant obligatoirement comporter au moins une femme. Elle a estimé qu'il s'agissait d'une avancée réelle et fait observer que certains États membres éprouvaient parfois des difficultés à respecter cette contrainte au moment de présenter des candidatures. Elle a néanmoins rappelé que le véritable pouvoir décisionnel, quand il s'agissait de l'élaboration des conventions, appartenait au comité des ministres du Conseil de l'Europe. Elle a néanmoins indiqué que l'Assemblée parlementaire avait toujours oeuvré pour développer le droit conventionnel et a cité l'exemple de la Charte de l'égalité électorale, dont elle est à l'origine, qui a reçu un avis favorable de la commission de Venise et qui est actuellement en attente d'une décision du comité des ministres. Elle a expliqué que l'Assemblée parlementaire disposait de pouvoirs coercitifs pour ce qui concerne son fonctionnement et son organisation. Elle a ainsi précisé que les représentants d'États membres avaient pu voir leur droit de vote suspendu au sein de l'Assemblée, voire être interdits de siéger dans les cas les plus graves de violation des libertés fondamentales.
Mme Gisèle Printz a voulu savoir si la France occupait une place privilégiée en matière de respect de l'égalité entre les hommes et les femmes parmi les États membres du Conseil de l'Europe et a fait observer que les fonctions les plus élevées étaient très majoritairement occupées par des hommes.
Mme Tanja E.J. Kleinsorge a indiqué que la situation de la France en matière de respect de l'égalité des sexes était mitigée. Elle a ainsi noté que la délégation française à l'Assemblée parlementaire ne comportait que deux femmes sur 36 membres. En revanche, elle a souligné les avancées récentes observées en France en matière d'accès au marché du travail et de lutte contre les violences domestiques. Elle a également estimé que la France avait un comportement plus égalitaire que d'autres États membres. D'une manière générale, elle a fait observer que le « plafond de verre » avait été brisé par peu de femmes et que la situation dans les pays d'Europe de l'Est et du Sud était encore moins satisfaisante.
Mme Christiane Kammermann , remerciant l'intervenante pour la richesse des informations apportées, s'est félicitée de l'engagement pris par le Président de la République en matière d'égalité salariale et du dépôt d'un projet de loi en ce sens. Elle s'est interrogée sur l'ampleur du phénomène de la surqualification professionnelle des femmes. Elle a exprimé son inquiétude sur la situation professionnelle des Françaises vivant à l'étranger qui peuvent gagner jusqu'à dix fois moins que les expatriés. Enfin, elle s'est dite sceptique sur l'emploi du terme « rapporteuse ».
Mme Tanja E.J. Kleinsorge a indiqué que le terme « rapporteuse » avait été officiellement choisi par la commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Elle a noté que, dans les nouveaux États membres de l'Union européenne qui avaient appartenu, dans le passé, au bloc socialiste, les femmes avaient généralement reçu une éducation de haut niveau, mais que leur embauche n'était pas corrélée à leur qualification, et a toutefois rappelé que ce phénomène existait également en Europe occidentale, par exemple en France. Elle a fait état d'une étude conduite en Allemagne sur le déroulement des négociations salariales, selon laquelle les hommes auraient des exigences en termes de rémunération initialement élevées puis négocieraient à la baisse, alors que les femmes auraient tendance à sous-estimer le montant des rémunérations auxquelles elles auraient droit.
Mme Yolande Boyer s'est interrogée sur les effets réels sur la situation des droits des femmes de l'adhésion à l'Union européenne de dix nouveaux États membres. Elle s'est également enquise de la perception de la reconnaissance de la valeur juridique de la Charte des droits fondamentaux opérée par le traité constitutionnel.
Mme Tanja E.J. Kleinsorge a indiqué que les dix nouveaux États membres de l'Union européenne avaient tous ratifié le protocole n° 12 de la Convention européenne des droits de l'Homme, relatif à l'interdiction des discriminations, dont la valeur juridique est contraignante, ce qui n'est pas encore le cas de la Charte des droits fondamentaux, tant que le traité constitutionnel n'est pas entré en vigueur.
Audition de Mme Anna Záborská,
présidente de la commission des droits de la
femme et de l'égalité des genres
du Parlement
européen
(Mardi 3 mai 2005)
Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente
Mme Anna Záborská s'est tout d'abord félicitée de cette rencontre avec la délégation sénatoriale qui témoigne ainsi de son intérêt à l'égard d'une partie de l'Europe qui était composée, il y a 15 ans encore, des États satellites de Moscou. Elle a rappelé que, lorsqu'elle était parlementaire slovaque, elle avait pu nouer des contacts précieux en tant que présidente du groupe d'amitié entre la France et la Slovaquie au Parlement de Bratislava. Elle a souhaité organiser son propos en témoignant, tout d'abord, d'expériences vécues sous l'ancien régime communiste avant d'apporter des précisions sur la situation actuelle et le rôle des femmes dans les nouveaux États membres de l'Europe de l'Est : elle a souligné que celles-ci sont les premières à souffrir de la misère et aussi à devoir en affronter les difficultés.
Puis, Mme Anna Záborská a rappelé que, l'an dernier, son pays natal, la Slovaquie, avait retrouvé sa famille naturelle, l'Union européenne, et s'est félicitée qu'aujourd'hui, on ne confonde plus la Slovaquie avec la Slovénie ou la République tchèque. Elle a ensuite noté que, grâce à l'Union européenne, les conditions de vie s'étaient améliorées en Europe de l'Est et, en particulier, que les fonds structurels avaient contribué à y relocaliser des activités économiques.
Au-delà de ces observations, elle s'est néanmoins dite étonnée de « l'insoutenable légèreté de l'insouciance qui caractérise l'Europe de l'Ouest » et qui différencie assez nettement les attitudes et les conceptions des deux parties de l'Europe. Se référant à son expérience de parlementaire européenne, elle a fait observer qu'il existait encore bien souvent une plus grande complicité entre les élus d'États membres de l'Europe de l'Est, pourtant membres de groupes politiques opposés, qu'entre collègues du même groupe politique, mais marqués par les traditions culturelles différentes de l'Est et de l'Ouest, tout en indiquant que cette diversité faisait la richesse de l'Europe réunifiée.
Pour mieux faire comprendre l'espoir suscité à l'Est par l'élargissement de l'Union européenne, elle a ensuite fait référence à la conception des droits de l'Homme formulée par Andréï Sakharov qui dénonçait déjà, en 1968, dans ses « Réflexions sur le progrès, la coexistence pacifique et la liberté intellectuelle », l'envahissement du dogmatisme bureaucratique, la diffusion des mythes qui favorisent le pouvoir des démagogues ou la dégradation des conditions de vie provoquée par l'application de législations inadaptées.
Soulignant l'importance de l'évolution historique, elle a rappelé que, pour un grand nombre d'Européens de l'Est, la libération du camp d'Auschwitz n'avait pas été suivie de lendemains marqués par la paix et la démocratie, comme certains l'espéraient. En effet, a-t-elle indiqué, les régimes totalitaires ont largement perduré sous d'autres formes, et se sont même développés, les peuples perdant le pouvoir de disposer d'eux-mêmes, enfermés à l'intérieur des frontières oppressantes d'un empire qui s'efforçait de détruire, non seulement les traditions littéraires, religieuses et philosophiques, mais aussi la mémoire et les racines culturelles séculaires. Evoquant notamment le cas de sa propre famille, elle a rappelé que de nombreuses personnes avaient continué à être emprisonnées, au mépris de tout droit humain élémentaire, simplement pour avoir réclamé la liberté de pensée, de conscience et de religion.
Aujourd'hui, en tant que membre du Parlement européen, elle a souligné le sens de son engagement en faveur d'une Europe qui puisse fonctionner en évitant non seulement la guerre mais aussi une forme de « lutte pour la paix » parfois tout aussi destructrice. Redoutant les travers parfois dénoncés d'un certain dogmatisme bureaucratique communautaire, elle s'est félicitée qu'à l'axe européen Berlin/Paris/Londres/Bruxelles, se superpose désormais une autre configuration politique, économique et intellectuelle qui englobe Prague et Varsovie, Bratislava et Budapest, Vilnius, Sofia et Bucarest.
Mme Anna Záborská s'est également inquiétée des conséquences néfastes qui résulteraient du maintien d'un déséquilibre socio-économique durable dans l'Union européenne, en soulignant que la volonté de protéger la libre concurrence de toute atteinte était susceptible d'aggraver les inégalités économiques entre les régions de l'Europe et d'introduire un facteur de déstabilisation de la démocratie. Elle a cité, pour illustrer le sens de son propos, l'examen par la Commission européenne de la législation fiscale allemande qui accorde des avantages fiscaux à ses entreprises d'économie sociale comme les hôpitaux, les maisons de retraite ou encore les colonies de vacances pour les familles nombreuses, en déplorant que de telles actions socialement bénéfiques puissent être ainsi contestées au nom du principe de la libre concurrence. Rappelant que le salaire minimum s'élève en Slovaquie à 130 euros par mois et que néanmoins le coût de la vie se rapproche à Bratislava de celui des capitales occidentales, elle s'est inquiétée des conséquences, notamment pour les petits épargnants de son pays, de l'entrée en vigueur de la monnaie unique, prévue en 2007, avant de s'interroger plus globalement sur le processus selon lequel la croissance économique pourrait permettre de réduire la pauvreté dans les pays d'Europe centrale et orientale.
En réponse à une interrogation de Mme Gisèle Gautier, présidente , Mme Anna Záborská a estimé que, pour comprendre la situation des femmes dans les pays de l'Est, il lui avait semblé essentiel de présenter le contexte général de précarité et de pauvreté dans lequel elles vivent. S'agissant des conditions de travail des femmes dans ces nouveaux États membres, elle a tout d'abord rappelé qu'à l'époque du communisme, il n'existait aucune définition de la notion de pauvreté et, qu'officiellement, le chômage n'existait pas. Elle a fait observer que cette période avait accoutumé les femmes et les hommes à une certaine passivité économique en ne les préparant guère à conduire des stratégies actives de recherche d'emploi.
Mme Christiane Kammermann s'est demandé si, dans ces conditions, certains ne regrettaient pas le régime communiste.
Mme Anna Záborská a répondu par la négative, en insistant sur le caractère intolérable du manque de libertés et sur l'aspect factice des données économiques officielles. Relatant son expérience de présidente de la commission de la santé au Parlement slovaque, elle a évoqué, pour illustrer la gravité de la situation, la pénurie de moyens médicaux qui engendrait, même pour les patients atteints de maladies graves nécessitant des soins urgents, des listes d'attente interminables qui se traduisaient parfois par l'obtention d'un rendez-vous après la mort du malade.
Abordant le thème de l'emploi des femmes, elle a fait observer que, sous le régime communiste, les taux d'activité affichés de 80 % s'accompagnaient en réalité de contraintes extrêmement fortes comme l'obligation d'aller travailler et de confier ses enfants à des dispositifs de garde ne prenant pas suffisamment en considération leur bien-être.
Evoquant ensuite les évolutions récentes de la vie publique dans les nouveaux États membres, elle a signalé une progression de l'engagement politique des femmes en estimant, notamment, que les responsabilités locales constituaient un tremplin particulièrement efficace, et en insistant sur le rôle déterminant des partis politiques pour la désignation des candidats aux mandats nationaux.
En réponse à une question de Mme Gisèle Gautier, présidente , elle a indiqué que la commission des droits des femmes et de l'égalité des genres du Parlement européen était composée de soixante membres, dont cinquante-sept femmes et trois hommes. Elle a précisé que cette commission n'avait pas de pouvoir législatif et mentionné un certain nombre de thèmes d'études qu'elle avait contribué à faire inscrire à l'ordre du jour de ses travaux : les femmes face à la pauvreté, la situation des femmes en Turquie, les violences contre les femmes ou les soins médicaux et l'égalité des chances. Sur ce dernier point, elle a cité une observation qui a pu être faite dans les pays du nord de l'Europe, pourtant particulièrement avancés en matière d'égalité des sexes, selon laquelle les délais d'intervention des services d'urgence médicale paraissaient plus élevés pour venir en aide aux femmes qu'aux hommes. De manière plus générale, elle a également indiqué que, bien souvent, le coût des traitements médicaux et leur sophistication apparaissaient en moyenne plus élevé pour les hommes que pour les femmes. Elle s'est ensuite déclarée choquée que le coût de la couverture sociale, et notamment des assurances privées, puisse être plus élevé pour les femmes que pour les hommes. S'agissant des retraites, elle a estimé nécessaire de lutter contre les arguments tendant à diminuer les pensions de retraite des femmes en tenant compte de leur espérance de vie plus élevée qui seraient à la base du raisonnement suivi par certains projets de directives.
Mmes Christiane Kammermann , Gisèle Printz et Esther Sittler ont manifesté leur indignation à cet égard, et Mme Gisèle Gautier, présidente , a souhaité communication du libellé de ce projet de texte.
Mme Anna Záborská a néanmoins diagnostiqué une amélioration globale de la situation des femmes et, après avoir cité un certain nombre de situations paradoxales, parfois provoquées par l'application de normes inadaptées, s'est prononcée en faveur du maintien d'une liberté propice à l'initiative économique dans les nouveaux pays membres. Elle a également souligné le haut niveau de formation scolaire et universitaire des femmes qui dépasse en moyenne celui des hommes.
Mme Gisèle Gautier, présidente , s'est demandé si la hausse du taux d'activité féminin récemment constatée dans les pays de l'Est s'accompagnait d'une pénurie des structures de garde d'enfants.
Mme Anna Záborská a indiqué qu'après la période de transition économique au cours de laquelle ces structures s'étaient affaiblies, des efforts étaient à nouveau consentis en la matière, Mme Gisèle Printz soulignant que l'accès aux systèmes de garde d'enfants était parfois devenu assez onéreux.
Mme Christiane Kammermann a demandé des précisions sur les divers aspects de l'amélioration de la situation des femmes dans les nouveaux États membres issus des pays de l'Est.
Mme Anna Záborská a répondu en citant la décélération du taux de chômage, de 18 % à 13 %, notamment liée à des implantations étrangères dans les nouveaux États membres encouragées par une fiscalité favorable aux investisseurs. Elle a fait observer que cette limitation des ressources fiscales comportait cependant des inconvénients en termes de dépenses publiques. Elle a ensuite souligné, comme un devoir et une priorité fondamentale, les mesures de lutte contre la pauvreté qui conditionnent l'exercice des libertés fondamentales. Elle a précisé, à ce titre, qu'il convenait de se fonder sur une définition précise de la précarité et de s'efforcer de garantir aux personnes placées dans cette situation l'accès au logement, aux allocations sociales, aux soins médicaux et à la justice. Par ailleurs, elle a stigmatisé, dans la culture de l'Europe de l'Est, une certaine tendance à culpabiliser les personnes victimes de précarité. Elle a ensuite estimé nécessaire de redéfinir les indicateurs permettant de prendre en compte le travail non rémunéré des femmes afin d'éviter qu'après toute une vie consacrée à leur famille, elles se trouvent sans ressources à l'âge de la retraite.
Sur ce point, Mme Gisèle Printz a manifesté des réserves à l'égard de l'instauration d'un salaire maternel qui pourrait dissuader les femmes de travailler.
Concluant cet entretien, Mme Gisèle Gautier, présidente , a rappelé le message fondamental de Mme Anna Záborská selon lequel la précarité porte atteinte à la dignité des personnes, à leurs droits fondamentaux et met à l'épreuve les systèmes démocratiques.