II. UNE MONTÉE EN PUISSANCE DIFFICILE

Si L'AFSSAPS a succédé à l'Agence du médicament, son périmètre d'activité est néanmoins beaucoup plus large ; les conditions d'exercice de ses compétences dans le domaine du médicament lui-même ont évolué et évoluent encore. Il ne s'agit donc pas seulement d'assurer une continuité, mais de remplir des objectifs, plus lourds, plus ambitieux et plus changeants que ceux qui étaient naguère fixés à l'Agence du médicament. En outre, il y a lieu de rappeler qu'en mars 1999, l'Agence du médicament elle-même n'avait pas encore réalisé son plein développement en termes d'effectifs et de missions. Les moyens importants qui ont été donnés à l'AFSSAPS ne peuvent à eux seuls permettre l'atteinte immédiate de tous les objectifs qui lui ont été fixés, alors même que les environnements administratif, scientifique, européen se modifient à un rythme accéléré.

2.1. Les constats antérieurs

Le constat fait par la Cour des Comptes sur les premières années de fonctionnement (jusqu'en 2001) comprenait des critiques nombreuses et notamment sur la gestion interne de l'Agence, reconnaissant aussi la difficulté du contexte juridique et administratif qui s'imposait à elle ; ce constat notait aussi « la réussite attestée, par la communauté internationale, du haut niveau et de la rigueur de l'expertise scientifique de l'AFSSAPS ».

L'audit IGF/IGAS, achevé en décembre 2002, en examinant chacune des activités et modalités de fonctionnement de l'Agence, a porté des appréciations sévères et ciblées qui visent principalement la gestion et le fonctionnement interne de l'Agence ; la conception de l'expertise pratiquée par l'Agence y fait l'objet d'interrogations. Les résultats des activités de l'Agence sont appréciés diversement selon les domaines : lacunes (pharmacovigilance entre autres) et réussites (démarche d'assurance qualité établie par la direction des laboratoires et des contrôles).

De son côté, M. Adrien Gouteyron concluait l'avant-propos de son rapport d'information en juillet 203 dans les termes suivants : « Votre rapporteur a pu observer un établissement à qui des tâches très importantes et à haute responsabilité ont été confiées, confronté à une montée en charge rapide ayant par conséquent engendré des dysfonctionnements, certes nombreux, mais qui sont avant tout, semble-t-il, le reflet de « problèmes de croissance ».

De fait, l'Agence a accompli un travail considérable en quelques années seulement, et se réforme progressivement, tout en menant à bien les missions qui lui ont été confiées par le législateur. Il convient donc de lui laisser du temps pour s'approprier ses missions nouvelles et pour adopter une culture professionnelle rénovée ».

L'ensemble de ces analyses comprend d'abord un rappel des obstacles extérieurs à l'action de l'Agence que constituent un environnement juridique et administratif stabilisé tardivement et le problème de l'exercice de la tutelle.

2.1.1. Un environnement juridique et administratif tardivement stabilisé

Les dispositions réglementaires prévues par la loi ont été prises souvent très tardivement ; ainsi au début de l'année 2003, la publication de cinquante textes d'application était encore attendue dans les domaines les plus divers, mais particulièrement dans ceux relatifs aux nouvelles compétences de l'Agence : cosmétiques, dispositifs médicaux, organes cellules et tissus issus du corps humain, produits thérapeutiques annexes (produits entrant en contact avec les organes, tissus et cellules), matières premières à usage pharmaceutique. A l'automne 2004, la situation était normalisée pour l'essentiel. Outre les textes prévus par la loi, d'autres dispositions peuvent, par leur absence, poser de réels problèmes à l'Agence : cas de l'obligation déclarative pour les préparations magistrales et officinales par exemple ou celui des mesures destinées à prévenir les ruptures de stock de médicaments dans la chaîne de distribution ; en ce qui concerne ce dernier point, l'AFSSAPS a instauré d'elle-même un dispositif très efficace de signalement qui a précédé de plusieurs années la disposition incluse tout récemment à cette fin dans la loi de santé publique du 9 août 2004.

Les raisons de ces retards résident principalement dans la longueur et la complexité des procédures de rédaction des textes avec plusieurs intervenants dont la DGS, elle-même très chargée, et les instances européennes où les délais excessivement longs peuvent s'expliquer par de graves divergences de fond sur le degré de sécurité sanitaire (cf. infra).

A côté des retards enfin comblés ou en voie de l'être, des lacunes peuvent perdurer (cf. supra). En témoigne la tentative de créer l'obligation de communication des formules des produits cosmétiques à l'AFSSAPS lors de l'examen du projet de santé publique, obligation dont l'absence constitue un obstacle à la vigilance vis-à-vis de ces produits.

D'une manière générale, pour faire face à ces insuffisances de textes et aux difficultés que l'Agence rencontre dans des « compétences frontières » où d'autres instances exerçant leur activité (AFSSA, InVS, ANAES), l'AFSSAPS a précisément crée en son sein un comité de coordination des vigilances, auquel s'ajoutent d'autres mécanismes spécifiques qui témoignent d'un pragmatisme généralement efficace.

Enfin, au-delà des retards et des lacunes passés ou actuels, on peut craindre que la relative stabilisation de l'environnement réglementaire soit remis en cause par de nouvelles dispositions législatives récentes qui ne s'inscrivent pas dans le cadre fixé en 1998 (cf. infra).

2.1.2. L'exercice délicat de la tutelle sur l'AFSSAPS

Le ministère chargé de la santé exerce la tutelle de l'Agence, même si on relève aussi au sein du conseil d'administration un représentant de la Direction du budget, de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence du contrôle et de la répression des fraudes), ainsi que de la Direction générale de l'industrie.

Deux directions, au sein du ministère de la santé, participent à l'exercice de la tutelle : la DAGPB (Direction de l'administration générale, des personnels et du budget) et à titre principal la DGS, elle-même à travers deux sous directions : la 3 ème pour les aspects techniques et les orientations relèvant de la politique de la santé et la 4 ème pour les aspects méthodologiques de mise en place de nouveaux moyens d'exercice de la tutelle (préparation du contrat d'objectifs et de moyens).

L'exercice de la tutelle est donc naturellement rendu plus complexe. On aurait pourtant pu espérer qu'avec un seul ministère de tutelle (contrairement à l'AFSSA où il y en a trois), les choses auraient été plus simples et les relations moins problématiques. Cela étant, des efforts ont été faits des deux côtés pour rationaliser les relations et on peut ainsi considérer qu'une partie des difficultés a été résolue. Au titre d'un accord passé en 2002 entre la DGS et a DAGPB pour l'ensemble des agences sanitaires, il a été confirmé que la DGS est la direction « chef de file » en charge de la définition des orientations stratégiques. D'autre part, l'AFSSAPS a mis en application un système de suivi de l'ensemble de ses échanges avec la tutelle.

Il reste que la situation est naturellement délicate pour une direction générale qui exerce la tutelle d'orientation, notamment scientifique, mais qui n'a plus à sa disposition les experts pour pouvoir contrôler les activités scientifiques de l'Agence. Il convient de rappeler que le directeur général de l'AFSSAPS détient dans tous les domaines de compétence de l'Agence le pouvoir de police sanitaire (décision de retrait d'un médicament par exemple).

Ce n'est que sur la question de l'admission du remboursement par la sécurité sociale que le ministre, à partir de l'avis de la commission de la transparence, dispose du pouvoir de décision. Cet ordonnancement va d'ailleurs disparaître avec la création de la HAS (Haute Autorité de Santé) par la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie (cf. infra). En outre, la DGS s'est souvent sentie tenue à l'écart (« court-circuitée ») par le fait que dès la création de l'AFSSAPS, ses directeurs généraux ont entretenu des relations privilégiées et directes avec le cabinet du ministre chargé de la santé, ce que soulignent tous les rapports précités (Cour des Comptes, inspections générales, rapporteur de la commission des finances du Sénat).

L'affaiblissement du pouvoir de la DGS a réduit l'exercice de la tutelle, le pilotage stratégique de l'Agence et d'abord la gestion interne. De ce fait certaines insuffisances ont pu perdurer.

2.2. Les insuffisances et les progrès soulignés

Les questions relatives à la structure d'ensemble et aux moyens généraux de l'Agence ont été abordées dans le développement précédent du rapport.

Les travaux d'audit, d'inspection ou d'analyse ont dégagé un ensemble de critiques, dont certaines assez graves, qui pour l'essentiel convergent. Ces constatations de terrain doivent être brièvement rappelées sachant qu'elles s'appuient sur un examen détaillé.

2.2.1. Les insuffisances des fonctions support

Deux secteurs ont présenté depuis le début de graves insuffisances : les systèmes d'information et la direction de l'administration et des finances. L'audit (IGF-IGAS) a même considéré que « les dysfonctionnements des fonctions support sont de nature à compromettre le bon accomplissement des missions de sécurité sanitaire » (page 47).

2.2.1.1. Les systèmes d'information

L'importance exceptionnelle des applications informatiques dans les domaines d'activité de l'AFSSAPS n'est pas à démontrer. Ce que représente un dossier d'AMM à lui tout seul en volume et complexité est suffisamment parlant. L'extrême diversité des domaines abordés en raison des compétences très larges de l'AFSSAPS et la confidentialité de nombre de données accroît encore les difficultés. L'Agence a ainsi recueilli des applications anciennes, peu performantes, obsolètes sans parler de l'absence de réseau entre des applications qui sont destinées à être partagées.

L'AFSSAPS ayant pris progressivement la mesure des efforts à accomplir pour ne pas dire des chantiers à ouvrir, des impulsions ont été données depuis deux ans pour redresser la situation. Ainsi, des décisions prises en octobre 2002 ont ouvert des perspectives concrètes dont le redéveloppement de l'application de pharmacovigilance ainsi que de l'application de gestion des autorisations temporaires d'utilisation et la poursuite des efforts en matière de production automatisée de document normalisés (résumés des caractéristiques produits, avis de la transparence).

En outre, des moyens importants, humains notamment, ont été consacrés depuis trois ans au département des systèmes d'information et de documentation. La standardisation des matériels et la constitution des réseaux indispensables sont réalisés ou en cours.

Les projets annoncés en avril 2003 se mettent progressivement en place : pharmacovigilance, suivi de dossiers, communication électronique avec l'extérieur.

Par ailleurs, le projet @MM doit enfin constituer la banque de données médicaments attendue puis longtemps. Une explication avec un retour sur un épisode précédent est ici nécessaire.

La nécessité de disposer d'une base d'information, de référentiels de bonne pratique, de prescription et d'usage du médicament par les autorités publiques responsables de la sécurité sanitaire est une évidence. La mise en place de tels outils et surtout leur ancrage administratif ne se sont pas imposés, à l'origine du moins, avec la même évidence. La multiplicité des intervenants est une source de difficultés qui risque de s'aggraver encore (cf. infra).

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 a notamment fixé comme objectif à l'AFSSAPS la réalisation d'une base de données administratives et scientifiques sur les médicaments et les dispositifs médicaux devant constituer la référence pour les professionnels de santé et les administrations. L'AFSSAPS a ainsi conçu le projet @MM qui consiste en la diffusion sur le site Internet de l'Agence des décisions d'autorisation de mise sur le marché et des indications complémentaires, notamment la notice réglementaire destinée aux patients.

Pour ce projet qui devait être réalisé au 1 er janvier 2003, l'Agence a été amenée à mobiliser d'importants moyens et les restructurations internes (direction de l'évaluation des médicaments et des produits biologiques) ont été orientées dans cette perspective. L'échéance n'a pas été tenue exactement puisqu'une première version réduite a d'abord été mise en place en juin 2002. Plusieurs séries d'obstacles ont été à l'origine de cette situation : fiabilité discutable de certaines des données préexistantes, hétérogénéité des documents de base et de leurs formats, faiblesse déjà signalée de l'ensemble des moyens informatiques de l'AFSSAPS.

Les efforts faits par l'Agence ont permis d'approcher progressivement l'objectif fixé en 2001 comprenant systématiquement le RCP (résumé des caractéristiques du produit), dans une base de données structurée et homogène, le flux des nouvelles demandes étant maîtrisé, mais le rattrapage des anciennes AMM restant à régler.

2.2.1.2. La direction de l'administration et des finances

L'importance des moyens budgétaires dont l'AFSSAPS a bénéficié depuis sa création ne s'est pas accompagnée d'une structuration administrative en rapport : c'est plutôt le contraire qui a été constaté par la mission d'audit des deux inspections générales à la fin de l'année 2002 dans des termes d'une très grande sévérité. La situation de la direction de l'administration et des finances a été ainsi qualifiée de « sinistrée ».

Parmi les manquements les plus graves pointés au cours de la période 2000-2002, sont signalés :

- pour les contrôles en laboratoires : interruptions des commandes de matériels et produits pendant six mois (octobre 2000-mars 2001) avec conséquences sur le fonctionnement des laboratoires, leur crédibilité au niveau européen en particulier, de même pour le non-renouvellement de contrats de maintenance de matériels scientifiques ;

- pour la rémunération des experts extérieurs, des délais de paiement atteignant de 15 à 27 mois de retard ;

- les conséquences d'une gestion très insuffisante sur la politique et les actions en matière immobilière ;

et sur un plan plus général :

- l'absence de procédure budgétaire rationnelle, de comptabilité analytique et de moyens de contrôle de gestion.

Il n'est donc pas étonnant que les préconisations de la mission d'audit sur la direction de l'administration et des finances se soient conclues dans les termes suivants 32 ( * ) :

« Enfin, au vu des considérations précédentes et du diagnostic porté par la mission, il est hautement souhaitable dans une logique de dynamique nouvelle à faire partager à l'ensemble des équipes, d'appeler à la tête de cette direction, dans les meilleurs délais, un nouveau directeur ».

Il semble que ce diagnostic dépourvu de ménagement ait eu des suites concrètes. En outre, ont été réalisés depuis le début de l'année 2004 la mise en place d'une comptabilité analytique, une fonction d'audit interne et un contrôle de gestion avec ainsi une formalisation des procédures entre les directions techniques et la direction de l'administration et des finances. La fonction « achats » a été réorganisée avec, comme il convient, une comptabilité générale d'engagement. Une logistique d'achat des laboratoires a été reprise et intégrée à la direction des laboratoires, ce qui a permis de mettre fin aux blocages constatés précédemment.

Symbole de cette remise à niveau de la gestion interne, le COM (contrat d'objectifs et de moyens) devrait enfin pouvoir être passé dans les premiers mois de l'année 2005.

2.2.2. Les insuffisances de l'orientation stratégique

* Outre l'absence particulièrement symbolique du COM qui vient d'être rappelée, l'organisation de la direction générale a présenté jusqu'en 2003 une structure peu rationnelle et mal adaptée qui finissait par constituer un obstacle à la détermination des orientations stratégiques à une agence de l'importance de l'AFSSAPS. La mission d'audit relevait ainsi 33 ( * ) :

« Dans cette organisation, le Directeur général est assisté d'un secrétaire général, d'un directeur auprès du Directeur général, dont les missions réelles respectives sont mal définies :

- le secrétaire général n'a ni une compétence d'ensemble sur les moyens de l'organisme, ni une compétence transversale de « numéro 2 » de l'Agence. La supervision du service des affaires juridiques tout comme celle des affaires financières (directement rattachées au DG) lui échappe.

- la direction auprès du Directeur général regroupe en son sein des fonctions éparses (communication, Internet, affaires communautaires, affaires juridiques, secrétariat des conseils ...), dans un périmètre transversal fréquemment modifié ».

L'ordonnancement de cette structure a été sensiblement amélioré avec la suppression du poste de direction auprès du directeur général et l'extension de la compétence d'ensemble du secrétaire général à toutes les fonctions support (administration et finances, ressources humaines, systèmes d'information).

* Une organisation bien adaptée et la perspective de l'établissement d'un COM sont des conditions nécessaires au pilotage stratégique attendu, mas d'autres éléments doivent être recueillis pour que les conditions suffisantes soient réunies. On ne détaillera pas les éléments d'appréciation de la gestion et des indicateurs qui ont été développés depuis près de deux ans, les améliorations les plus significatives ayant déjà été mentionnées. On peut indiquer toutefois que l'absence d'éléments d'appréciation de l'adéquation des moyens aux missions a des conséquences regrettables qui freinent encore l'optimisation des moyens de l'Agence. En revanche, il convient de rappeler et de citer quelques difficultés d'ordre général qui restent à résoudre.

- Des progrès restent à accomplir dans les relations avec la tutelle de la DGS. Ses insuffisances pèsent sur le choix de certaines orientations de l'Agence d'autant que le transfert de la commission de la transparence à la Haute Autorité de Santé risque de constituer un élément de perturbation ;

- Les rôles du conseil d'administration et du conseil scientifique méritent d'être sérieusement précisés, notamment par leur participation aux orientations stratégiques. Ils n'ont pas été saisis de ces questions, tout du moins jusqu'à une période récente. Le rôle du conseil scientifique semble avoir été limité essentiellement à l'examen des subventions de recherche allouées par l'Agence.

2.2.3. Le nouvel équilibre des activités de l'Agence

L'équilibre entre les différentes missions de l'Agence fait l'objet de critiques multiples, mais qui peuvent néanmoins appeler des appréciations nuancées. C'est la détermination des priorités qui est ici en cause. Or, au-delà de grilles d'appréciation bien construites, on peut également considérer que le rôle dévolu « aux urgences » ne doit pas être excessivement réduit ab initio, faute de quoi l'actualité pourrait prendre sa revanche en cas de crise. C'est pourquoi les critiques souvent faites sur un nécessaire rééquilibrage entre les missions et activités peuvent elles-mêmes faire l'objet d'un examen.

Il a été notamment reproché à l'AFFSAPS de consacrer trop de moyens aux missions traditionnelles héritées de l'Agence du médicament, à savoir les AMM, au détriment d'autres missions (secrétariat de la commission de la transparence, cosmétiques, dispositifs médicaux). Il n'est pas aisé et est même souvent impossible d'apprécier avec précision la justesse de ces critiques qui reposent sur la connaissance de données nombreuses et complexes à interpréter ; en revanche, certaines d'entre elles peuvent être efficacement remises en perspective pour les approuver ou au contraire les contester.

2.2.3.1. La part des procédures d'AMM

L'instruction des dossiers et les procédures d'examen des demandes d'autorisation de mise sur le marché des médicaments constituent « le coeur de métier » de l'AFSSAPS quelle que soit la procédure suivie : nationale, dans le cadre européen, de reconnaissance mutuelle ou centralisée ; dans ce dernier cas, c'est l'EMEA (Agence européenne d'évaluation des médicaments) qui charge l'AFSSAPS d'un dossier.

Il apparaît clairement que l'AFSSAPS remplit ses missions. La mission d'audit elle-même a porté une appréciation qui ne laisse pas de place au doute dans l'appréciation de la valeur et de l'efficacité de l'activité de l'Agence (op. cit. page 9) :

« Une procédure satisfaisante mais perfectible

Ce schéma général de l'instruction des demandes d'AMM apparaît satisfaisant à la mission. La mission ne peut pas se prononcer sur le fond des dossiers d'évaluation, ne disposant pas de compétence ni de légitimité médicale. Néanmoins, les procédures et l'organisation en matière d'évaluation du médicament sont maîtrisées.

En effet, la multiplicité d'intervenants dans cette procédure semble être une force du système d'évaluation. L'avis de très nombreux spécialistes permet d'aboutir à une conclusion la plus objective possible.

Par ailleurs, la nature des décisions prises à l'issue de l'instruction des nouvelles demandes nationales ou de reconnaissance mutuelle est un élément d'appréciation de l'activité. Ainsi en 2001, 42 % de ces décisions ont fait l'objet d'une suspension de la procédure dans l'attente d'informations complémentaires demandées aux laboratoires, et 15,7 % d'entre elles d'un refus d'autorisation.

Enfin, l'implication de l'Agence dans les procédures européennes est satisfaisante. L'AFSSAPS instruit toutes les nouvelles demandes en procédure centralisée. Le nombre d'évaluations produites en tant qu'Etat destinataire est en augmentation (68 en 2000 et 89 en 2001). L'instruction des variations de type II en procédure centralisée ou en reconnaissance mutuelle est également systématique, avec un degré d'investissement décidé au cas par cas.

Une nuance doit être apportée à ce tableau tout à fait positif en ce qui concerne les délais d'instruction pour les procédures nationales. En effet, l'Agence doit respecter les limites contraignantes fixées pour les procédures européennes (210 jours en procédure centralisée, 90 jours en reconnaissance mutuelle). Les procédures nationales sont traitées en seconde priorité et ont connu des retards importants, passant de 124 jours en 2000 à 205 jours pour les neuf premiers mois de 2002. Il en est de même pour les dossiers d'extension d'indications et de vaccinations thérapeutiques. Toutefois, comparer pour ces dernières, un délai de 150 jours (qui doit indiscutablement être sensiblement réduit) à un délai de 30 jours prévu par les dispositions européennes montre que ce dernier chiffre n'est pas réaliste. On peut s'inquiéter quant à la philosophie qui sous-tend un tel dispositif.

Dans sa lettre du 24 juin 2003 contenant ses observations sur le rapport d'audit, M. L. Abenhaïm contestait l'équilibre des moyens consacré aux différentes missions de l'AFSSAPS dans les termes suivants :

« Sans remettre en cause la qualité globale des décisions prises par l'agence, j'avais indiqué à la mission que je m'interroge beaucoup sur la pertinence de la répartition des moyens de l'agence entre ses missions :

- Importance de l'investissement sur la procédure d'octroi des AMM, en particulier sur la procédure centralisée.

- Apport insuffisant de moyens pour les commissions placées auprès du Ministre et dont elle assure le secrétariat, comme la commission de la Transparence ».

« Sur ce point aussi, le rapport ne se prononce pas et ne permet pas de disposer d'éléments factuels faisant le point avant la négociation du contrat d'objectifs et de moyens. (...)

S'agissant de l'implication de l'agence dans les procédures européennes d'AMM, je regrette que le rapport ne se prononce pas sur son niveau au regard des performances dans d'autres secteurs de l'activité de l'agence. On peut se demander si son degré est justifié. En d'autres termes, le rapport devrait poser la question de savoir si le maintien d'un haut niveau de compétence au sein de l'agence justifie qu'elle consacre à ces tâches une telle quantité de ressources humaines alors que dans le même temps, les ressources en matière d'évaluation font si cruellement défaut au secrétariat scientifique de la commission de la transparence. De plus, il faut souligner que ni l'AFSSAPS, ni l'EMEA, n'effectuent d'audit des données des études comme le fait la FDA, du fait de la qualité de ses ressources internes. En d'autres termes, le travail en reste au niveau de « l'opinion » d'expert, ce qui est largement insuffisant, et pour l'AMM et pour la Transparence. En général, ce processus qui est presque uniquement basé sur les données des laboratoires, est par nature insatisfaisant ».

On peut noter au passage que la référence aux travaux de la FDA, critique à l'égard de l'AFSSAPS et de l'Agence européenne, ne paraît pas corroborée par les révélations récentes sur la valeur des travaux de l'Agence américaine pour des autorisations de mises sur le marché préalablement déposées aux Etats-Unis, ni pour le suivi de ces médicaments après une première autorisation (cf. infra en particulier le cas du Vioxx et celui de la cérivastatine).

De son côté, M. Adrien Gouteyron, sénateur, dans son rapport d'information à la commission des finances (page 57), notait en juillet 2003 :

« Une trop grande priorité accordée aux missions traditionnelles de l'Agence

La Cour des comptes, au moment de son contrôle, c'est-à-dire entre la fin 2000 et le début de l'année 2001, avait jugé que l'AFSSAPS n'avait pas encore pris totalement le contrôle de son champ de compétences, ce qui avait notamment pour conséquence de handicaper la fixation des prix des médicaments par la commission de la transparence.

L'Agence avait surtout donné la priorité aux aspects qui engagent sa responsabilité alors que, dans les autres domaines, les produits cosmétiques par exemple, les moyens mis en oeuvre l'avaient été moins rapidement. De même, l'évaluation des dispositifs médicaux n'était pas en place alors que ce poste de dépenses a augmenté de 16 % en 2002.

Lors de son audition, le directeur général de la santé a fait le même constat. Il a, en effet, estimé que les moyens alloués par l'AFSSAPS aux autorisations de mise sur le marché sont beaucoup plus importants que ceux affectés à la commission de la transparence, alors que les AMM sont aujourd'hui très largement dictées par lé réglementation communautaire et délivrées par l'Agence européenne du médicament ».

Pour en rester à la seule place des procédures d'AMM dans l'ensemble des activités de l'Agence, il apparaît difficile de se satisfaire de la bonne implication de l'Agence dans les procédures européennes, de la consistance de ses travaux et méthodes, et de lui reprocher par ailleurs de consacrer trop d'énergie à ces missions essentielles, notamment « celles qui engagent sa responsabilité ». Sa responsabilité est d'ailleurs engagée aussi pour des domaines moins spectaculaires que sont les dispositifs médicaux et les cosmétiques.

Le souci de « tenir son rang » et de constituer une référence dans le concert des agences nationales en étroite liaison avec l'Agence européenne (EMEA), ce qui a précisément été assuré et relevé par les instances d'inspection, paraît au contraire tout à fait positif. L'apparition de risques nouveaux, dont les développements se précisent rapidement au niveau européen et mondial, justifient pleinement la recherche d'une vigilance et d'une efficacité au meilleur niveau. A titre d'illustration, pour le contrôle des médicaments sous AMM européenne centralisée, la France est, après l'Allemagne, le deuxième pays de l'Union européenne le plus souvent choisi pour effectuer ces contrôles.

Non seulement la place prise par les dispositions communautaires ne doit pas amener à affaiblir les dispositifs qui assurent un haut niveau de sécurité sanitaire, mais encore les risques d'une concurrence vers le bas entre agences, et l'existence de mécanismes communautaires contestables sur la sécurité des dispositifs médicaux ou de conditions inquiétantes de dispensation des médicaments par exemple, sans parler de la valeur des contrôles des laboratoires, apportent une justification supplémentaire aux efforts consacrés par l'Agence à ces activités. Les recommandations de la mission d'audit (rapport p. 60) se plaçant dans une perspective plus générale encore vont précisément dans le sens d'une implication européenne encore plus grande de l'AFSSAPS en renvoyant sans ambiguïté la responsabilité des décisions à la tutelle, c'est-à-dire au ministère chargé de la santé et donc à la D.G.S. :

« Engager une réflexion sur l'implication de l'Agence dans les travaux au sein de l'Union européenne.

Au regard de l'importance croissante des moyens consacrés aux activités européennes, même si la mission n'a pu les quantifier précisément dans toutes les directions, il est aujourd'hui important que cette question soit placée au coeur des débats entre l'Agence et ses tutelles.

Au-delà de la participation de l'Agence à des procédures européennes telles que les procédures d'AMM centralisées, le discours général de l'Agence justifiant son implication à l'échelle européenne, porte sur le niveau de sécurité sanitaire souhaité à terme au sein de l'Union.

De plus, comme la mission a pu le montrer, de réels sujets d'inquiétude peuvent d'ores et déjà être identifiés dans l'Union, compte tenu de la liberté de circulation des produits et de l'absence d'harmonisation effective des pratiques de sécurisation des produits de santé entre Etats. Des propositions de la France sur ces questions seraient de nature à accroître l'investissement européen de l'Agence.

La réponse explicite des pouvoirs publics sur cette question est naturellement déterminante sur les modalités de fonctionnement de l'Agence et sur ses priorités de travail à court et moyen terme. Au vu d'une identification précise des moyens actuellement dévolus aux travaux de nature européenne par l'Agence et d'une prévision d'activité graduée selon plusieurs scenarii, les autorités de tutelle doivent être en mesure de statuer sur le degré d'investissement européen de l'Agence ».

Ajoutons que le rapport d'évaluation de la loi du 1 er janvier 1998 des quatre inspections ne reprend en rien des critiques relatives au poids excessif des activités traditionnelles de l'AFSSAPS.

Pour terminer par un exemple spécifique en matière d'autorisation, mais important par ses implications de sécurité, le cas des ATU (autorisations temporaires d'utilisation) mérite d'être cité. L'ATU est une procédure autorisant dans un but thérapeutique (et non de recherche) l'utilisation de médicaments ne bénéficiant pas d'AMM. Le rapport d'audit (page 12) précise sur ce point :

« La gestion et le suivi des autorisations d'importation appellent un jugement particulièrement favorable de la part de la mission. L'effort de formalisation des processus d'autorisation mérite d'être souligné et s'est notamment traduit par des délais de traitement (entre 24 et 48 heures) systématiquement respectés pour les importations, même si pour les autorisations d'exportation, dont le nombre progresse, ils demeurent trop longs ».

2.2.3.2. Les missions de l'AFSSAPS dans les autres domaines

- L'évaluation des dispositifs médicaux

L'Agence exerce ses (nouvelles) responsabilités dans ce domaine dans un cadre réglementaire unifié fixé par trois directives européennes qui procèdent d'une « nouvelle approche » de la sécurité basée sur la conformité des exigences essentielles attestée par un label (marquage CE). Avec la libre circulation des produits en Europe, la sécurité repose d'abord sur la responsabilité du fabricant puisque l'autorité sanitaire ne se prononce pas préalablement à la mise sur le marché. Dans ce cadre, l'élaboration des normes et de référentiels est indispensable. Les exigences essentielles que doivent respecter les fabricants restent très générales et seule l'existence de normes techniques peut permettre de les renforcer en les adaptant aux spécificités des produits. Les normes précisent ainsi les obligations sur le choix des matériaux, les performances attendues des dispositifs et les essais de vérification. Cette activité est confiée au Comité européen de normalisation et en France à l'AFNOR. Pour l'AFSSAPS, un plan de pilotage de cette activité en partenariat avec l'AFNOR est d'autant plus nécessaire que la « nouvelle approche » peut receler des risques ; l'AFSSAPS a prouvé récemment que sa vigilance dans le contrôle des dispositifs médicaux répondait aux exigences de sécurité (lentilles cornéennes et liquides d'entretien, lits d'hôpitaux).

- Les produits immunologiques (vaccins) et les médicaments dérivés du sang.

Cette activité, cadrée dans un délai de 60 jours par les dispositions européennes, a fortement augmenté entre 1999 et 2001.

- Les produits cosmétiques

Les difficultés rencontrées dans ce nouveau domaine sont essentiellement dues à une insuffisance du dispositif juridique qui prévoit que les formules de composition des cosmétiques « sont à la disposition de l'Agence » et non obligatoirement communiquées à celles-ci. La tentative récente de régler ce problème par voie d'amendement n'ayant pas abouti, il convient néanmoins de surmonter cet obstacle, faute de quoi l'AFSSAPS n'a pas les informations nécessaires pour se prononcer sur son innocuité. Il y a lieu de noter que les « centres anti-poisons » disposent quant à eux des formules de composition.

- La surveillance du marché

Le contrôle des médicaments chimiques a été affecté par la montée en puissance des contrôles sur les produits immunologiques selon la mission d'audit (rapport p. 16-17) qui détaille par ailleurs la place prise par les médicaments génériques dans le déploiement de l'activité de l'AFSSAPS :

« Par ailleurs, au sein même des médicaments chimiques, l'Agence a affiché dès 1999 une priorité pour le contrôle des médicaments génériques. Or, si ces contrôles ont représenté 78,9 % des contrôles sur les médicaments chimiques en 1999, ils n'en représentaient plus que 42,9 % en 2000 et 35,25 % en 2001. Ainsi, le nombre de spécialités génériques contrôlées est passé de 477 en 1999 à 106 en 2001. L'objectif affiché ne semble plus se traduire quantitativement dans la réalité, même si l'Agence a souhaité récemment mettre en place un programme de contrôles plus ciblé que systématique.

Combinée à la baisse globale du nombre des contrôles sur les médicaments chimiques, cette tendance pourrait être préoccupante. Aussi, convient-il qu'elle soit bien maîtrisée par l'Agence, à travers un ciblage de ses programmes de contrôles des médicaments chimiques (génériques ou pas), en fonction des informations scientifiques dont elle peut disposer.

Cependant, la mission a pu relever que les taux de non-conformités sont supérieurs pour les génériques à ceux relevés sur les princeps (en 2001, respectivement 11,4 % contre 3,7 %). Cette tendance, qui peut en partie s'expliquer par le fait que l'Agence effectue des contrôles « ciblés » semble néanmoins justifier qu'un effort particulier soit maintenu sur le contrôle des génériques ».

- L'inspection des établissements, tâche traditionnelle de l'Agence, dispose d'une méthodologie éprouvée et efficace, mais a dû faire face à de nouvelles obligations, notamment pour les produits sanguins labiles et les dispositifs médicaux.

Le nombre d'inspections réalisées a ainsi fortement augmenté, mais un retard s'est accumulé en ce qui concerne les réinspections périodiques des laboratoires pharmaceutiques.

Le fonctionnement satisfaisant du département des alertes est par ailleurs à noter : bonne réactivité pour le rappel des lots et les procédures d'information.

- La pharmacovigilance étant abordée à différents titres et développements au présent rapport, on ne développera pas ici ce domaine important aux facettes multiples qui met en jeu d'autres intervenants.

- La recherche appliquée que mène l'AFSSAPS particulièrement dans quatre domaines (thérapie génique, thérapie cellulaire, sécurité virale et recherches d'alternatives à l'expérimentation animale) doit être rappelée. Il est à noter que la part prise par la thérapie génique a paru excessive à la mission d'audit qui a également posé cette question dans une moindre mesure pour la thérapie cellulaire.

2.3. Les interrogations sur l'expertise

Element primordial de l'évaluation, l'expertise est réalisée par les commissions d'experts (et comités et groupes spécifiques) siégeant auprès de l'AFSSAPS, les deux commissions dont elle assure le secrétariat jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 13 août 2004 ainsi que par les trois directions de l'évaluation au sein de l'Agence, principalement la direction de l'évaluation et des médicaments et des produits biologiques (DEMEB) (cf. supra 1 ère partie).

La valeur de l'évaluation réalisée par l'AFSSAPS est attestée clairement au plan international ainsi que les instances d'inspection l'ont signalé, mais les conditions de son organisation ont fait l'objet de critiques de fond et de constatations d'insuffisances. Il convient donc de les rappeler tout en les replaçant en perspective compte tenu du niveau des résultats atteints et des évolutions récentes positives.

2.3.1. Expertise interne et expertise externe

Il a été reproché à l'AFSSAPS, notamment par l'audit des inspections et le rapport d'information de la commission des finances du Sénat (précités) de ne pas savoir établir un équilibre entre l'expertise interne, réalisée au sein de l'Agence elle-même et l'expertise externe faite à travers les commissions d'experts dont les membres sont choisis à partir d'une liste établie par le directeur général de l'Agence (1745 experts nommés en 2003 auprès de l'ensemble de ces instances). Il n'y aurait pas de véritable stratégie qui expliquerait cette option.

L'accent mis sur l'expertise externe n'est pas niable ; ainsi le directeur général précise-t-il en octobre 2001 : « Depuis la création de l'Agence, un choix a été effectué dans le cadre de l'expertise française en produits de santé avec le recours à une expertise externe » (cité par l'audit page 26). La tonalité donnée par le tout récent rapport d'activité de l'AFSSAPS pour 2003 (page 50) est un peu différente : « En complément de l'expertise interne qu'elle conduit, l'AFSSAPS fait appel à un réseau d'experts externes placés dans les commissions qui siégent auprès d'elle ». Quel que soit l'accent mis sur cet aspect essentiel de l'organisation de l'évaluation, ce sont les réalités et d'abord les possibilités qui doivent être appréciées concrètement.

La référence à deux pays où les systèmes d'évaluation du médicament reposent principalement sur l'évolution interne est régulièrement avancé : il s'agit de l'Allemagne et des Etats-Unis.

* Caractéristiques des deux catégories d'évaluation

Chacune des deux catégories d'expertise présente ses caractéristiques et donc avantages et inconvénients, mais de ce fait on relève aussi entre elle une complémentarité.

L'expertise interne peut être effectuée par des médecins et des pharmaciens, des biologistes, des biostatisticiens employés par l'AFSSAPS. Cette expertise a l'intérêt d'un certain « professionnalisme » et peut aboutir au maintien de la cohérence et donc d'une homogénéité de l'évaluation d'un dossier à un autre.

Ces professionnels de l'évaluation peuvent cependant avoir l'inconvénient de se couper, avec le temps, de l'actualité de la médecine et surtout de la notion de contact avec les patients auxquels les médicaments sont « in fine » destinés.

Les experts externes ne sont pas des professionnels de l'évaluation. Ils peuvent avoir du mal à dégager le temps nécessaire à l'examen précis des dossiers. Ils ont la particularité de rester en contact constant avec les réalités de l'actualité professionnelle du médecin, du pharmacien, du toxicologue, du biologiste et donc d'être parfaitement sensibles aux réactions potentielles des patients face à un nouveau médicament.

De plus, la possibilité de faire appel à des experts divers fait qu'il est toujours possible, lorsqu'un médicament est destiné à un « nouveau champ thérapeutique » de faire appel à un spécialiste de maladies antérieurement mal connues des professionnels de l'évaluation. Ce peut être le cas pour les maladies rares ou orphelines.

L'équilibre optimal à atteindre entre ces deux expertises est évident au plan théorique.

Dans une première phase, les experts internes devraient étudier tout le dossier, mettre en évidence les études pharmaceutiques, pharmaco-toxicologiques et cliniques essentielles, décrire ces études, donner leurs résultats et, si nécessaire, contrôler, voire préciser, l'obtention de ces résultats (par exemple contrôler les calculs statistiques).

Dans une seconde phase, les experts externes qui sont en contact avec l'actualité médicale et les patients devraient évaluer la signification de ces résultats et, par exemple, lors d'un essai clinique, donner leur avis irremplaçable sur :

la population étudiée : les patients inclus dans les essais sont-ils proches des patients à traiter en France ?

le critère d'évaluation a-t-il une signification médicale forte ?

la différence observée en deux groupes de patients : cette différence sur le critère d'évaluation correspond-elle à un bénéfice médical évident ?

En fonction de ces données et des données de la toxicologie, il sera plus aisé de définir le rapport efficacité/sécurité du nouveau médicament.

- Cet équilibre optimal théorique entre l'évaluation interne et l'évaluation externe suppose une forte évaluation interne, c'est-à-dire un nombre suffisant d'évaluateurs ayant une formation initiale forte et capables d'examiner les centaines de dossiers présentés chaque année (soit des millions de pages).

En pratique, compte tenu de la masse de dossiers à étudier, il est fait appel en partie à l'expertise externe dès la première phase d'évaluation.

* L'audit des inspections générales (page 27) a lui-même indiqué les motivations concrètes qui peuvent expliquer la prédominance donnée à l'expertise externe et les avantages substantiels de cette orientation :

« Les motivations de ce choix sont de plusieurs ordres :

- compenser la faiblesse numérique des moyens internes

- mobiliser les spécialistes de la question sur des dossiers très pointus

- utiliser dans des conditions financières avantageuses une ressource scientifique de haut niveau

La mission estime que ce choix organisationnel présente des avantages, dans la mesure où il permet de disposer d'une expertise scientifique de très bonne qualité. En effet, le fait que les experts auxquels il est fait appel soient en contact direct avec la recherche universitaire ou les laboratoires de recherche des industries pharmaceutiques leur donne une bonne connaissance des derniers développements scientifiques. Par ailleurs, ce système permet de faire appel aux spécialistes nationaux des questions traitées, ce qui est une garantie supplémentaire en termes de sécurité sanitaire.

La mission souhaite, toutefois, que la question du « juste équilibre » entre le recours à l'expertise externe et l'utilisation des ressources internes fasse l'objet d'une véritable réflexion de l'Agence en liaison avec le ministère de la santé ».

La notion de juste équilibre entre le recours à l'expertise externe et l'utilisation des ressources internes ne peut, semble-t-il, constituer une vraie question qu'à l'intérieur d'une marge de choix assez étroitement délimitée par la réalité concrète : ampleur des moyens mis en oeuvre (humains notamment) que l'on peut consacrer à l'expertise interne, valeur réelle des qualités que l'on prête à chacune des deux expertises au regard de la transparence, de l'indépendance, de la motivation, la compétence scientifique étant supposée dans tous les cas.

C'est précisément sur ces aspects que la valeur de chacune des deux expertises doit aussi être appréciée.

2.3.2. Les qualités de l'organisation de l'expertise externe : des progrès à confirmer

La transparence dans la désignation des experts et leur indépendance par rapport à des situations suivies de conflits d'intérêt constituent les défis essentiels.

Les constatations faites fin 2002 par les inspections générales dans leur audit (p. 27) étaient sur ce point critiques :

« Le choix d'un appel massif à l'expertise externe n'est crédible qu'à condition que l'Agence mette au point des modalités transparentes de désignation des experts, un système permettant de garantir leur indépendance et une rémunération de leur travaux qui ne dissuade pas les meilleurs de les effectuer. Or, actuellement ces conditions ne sont pas remplies.

La commission d'AMM peut faire appel à des rapporteurs et des experts choisis sur une liste établie par le Directeur Général de l'Agence.

Les modalités de constitution de cette liste sont insuffisamment explicitées. La transparence du processus de sélection est pour le moins insuffisante puisque aucun appel à candidature ou avis sur les besoins d'expertise n'est publié en amont de la sélection et que la décision n'est pas prise de façon collégiale, mais par les chefs d'unités et de départements de la DEMEB. Ce constat est valable pour d'autres commissions de l'Agence.

- L'absence de garanties suffisantes de l'indépendance des experts.

La garantie de l'indépendance des experts repose essentiellement sur la notion de conflits d'intérêts que l'Agence doit pouvoir détecter quand ils existent. Actuellement, le dispositif mis en place présente de nombreuses lacunes.

- L'Agence n'a pas finalisé de doctrine en matière de conflits d'intérêts.

A partir de la notion de conflit d'intérêts définie réglementairement, l'Agence a établi une classification précise des différents intérêts, autour de laquelle est structurée la déclaration d'intérêts. Cette démarche doit être portée à son crédit ».

Mais on relevait également que la période de référence variait selon les directions concernées : deux ou cinq dernières selon les cas.

Le caractère non exhaustif de la base de données FIDES (fichier informatique des déclarations d'intérêts), son mode de gestion par la cellule de veille déontologique, l'ancrage de celle-ci dans l'organigramme étant lui-même nettement contesté, ont également fait l'objet d'une analyse sévère (p 28) :

« L'Agence ne dispose pas de système global de gestion des experts externes. Le fichier FIDES est géré par la cellule de veille déontologique, en totale déconnexion avec le service des ressources humaines et les directions opérationnelles. Il est destiné à recenser les intérêts déclarés, mais ne peut nullement suivre de manière dynamique le recours aux experts, leur nombre, leur évolution dans le temps.

Par ailleurs, l'objectif principal du fichier qui vise à prévenir la survenue des conflits passe par un enregistrement exhaustif des déclarations d'intérêts des experts. Or, cet objectif n'est pas atteint, faute de procédure de contrôle par recoupement avec d'autres fichiers et d'accessibilité du fichier aux secrétaires des commissions.

La mission a constaté tout d'abord que certains experts ne sont pas enregistrés.

Parmi les experts enregistrés, tous n'ont pas rempli de déclaration d'intérêt. A la demande de la mission, la cellule de veille déontologique a chiffré à 16,5 % en 2000 et 10,5 % en 2001 la part des experts non déclarants des seules commissions dont les déclarations sont publiées par l'Agence.

S'agissant des experts sollicités dans le cadre de l'instruction des dossiers d'AMM, cette part atteint 48 %. De même, sur un échantillon de six groupes de travail dépendant de la commission d'AMM et étudiés par la mission, le taux de déclarations non saisies dans la base FIDES oscille entre 18 et 53 %.

Les déclarations d'intérêts existantes ne sont pas toujours exploitées pour détecter les éventuels conflits d'intérêts ».

Les réponses faites par l'AFSSAPS au cours du premier semestre 2003 dans le cadre de la procédure d'audit traduisent une réelle réaction de remise en ordre, au-delà des orientations déjà affichées :

« Sur la base des travaux déjà engagés par l'Agence, précisément par la cellule de veille déontologique, différentes actions sont en cours et vont permettre, dès cette année, à l'Agence de répondre concrètement aux observations de la mission, en particulier concernant la prévention et la gestion des conflits d'intérêts et la rémunération des experts.

En premier lieu, une révision des listes des experts membres des groupes de travail ou des experts rapporteurs dans les commissions a été réalisée par les directions opérationnelles. Ces listes sont en cours de publication.

Parallèlement, un travail de vérification de la complétude de la base FIDES a été engagé et doit être achevé pour la fin du mois de juin 2003. Ce travail est grandement facilité par la mise en service de la consultation de la base FIDES via Intranet par les secrétariats des commissions (projet FIDWEB, avis favorable de la CNIL reçu à l'AFSSAPS fin mai 2003). Cette consultation par les secrétariats facilitera au quotidien la gestion des conflits éventuels lors des réunions des commissions et des groupes de travail. Par ailleurs, il est prévu de rappeler les règles déontologiques en vigueur lors du renouvellement des commissions. Ces règles sont d'ailleurs précisées dans les appels à candidature diffusés via le site Internet de l'Agence (matériovigilance, publicité, cosmétovigilance). Cette procédure sera progressivement généralisée dans l'année, notamment pour recruter de nouveaux experts rapporteurs.

Le transfert de la gestion des experts externes de la cellule de veille déontologique au département des ressources humaines a été décidé. Il sera effectif à l'automne 2003 ».

La question des rémunérations des experts a également été soulevée. La faiblesse de celles-ci lorsqu'elles existent (médicaments) et leur inexistance dans d'autres domaines (thérapie cellulaire, thérapie génique) ne sont pas de nature à permettre le recrutement des meilleurs parmi un nombre de candidats qui risque de se restreindre. Là aussi, toutefois, des améliorations ont été acquises depuis deux ans.

Enfin, l'urgence d'établir un haut niveau de crédibilité de l'expertise externe par la transparence, l'indépendance et un statut convenable des experts, y compris la rémunération, n'exclut pas de porter son attention aux conditions de l'expertise interne qui a nécessairement moins focalisé l'attention, mais qui n'est pas à l'abri de tout problème.

* En conclusion, on peut considérer comme positives les mesures qui ont été prises pour apporter la clarté et la rigueur indispensable à l'expertise externe qui, d'après les constats argumentés des corps de contrôle, en avait particulièrement besoin. L'effort ne doit toutefois pas être relâché car la tâche de remise à niveau n'est pas achevée et surtout il s'agit d'un domaine dans lequel la vigilance est une exigence permanente. Les situations et donc les dérives potentielles évoluent très rapidement ainsi que le montrent les constatations inquiétantes auxquelles sont arrivées tout récemment les autorités américaines au sujet de la situation déontologique au sein des NIH (National Institutes of Health) notamment. Cela contribuera d'ailleurs à relativiser l'importance de la question de l'équilibre entre l'expertise interne et l'expertise externe au sein de l'AFSSAPS d'autant que c'est précisément dans l'un des pays souvent cités comme référence, les Etats-Unis, que l'expertise de la FDA a été mise en cause avec la crise du Vioxx depuis septembre 2004, après celles en 2001 de la cérivastatine et du traitement hormonal substitutif en 2000.

Les révélations successives et spectaculaires des dernières semaines de l'année 2004 illustrent la nécessité d'une « expertise radicalement revisitée » ainsi que cela est précisé dans les recommandations concluant le présent rapport.

Les difficultés de la montée en puissance telles qu'elles viennent d'être analysées et remises en perspective, notamment par rapport aux plus récentes évolutions, ont révélé des faiblesses du pilotage quotidien comme stratégique de l'AFSSAPS. Cette situation est d'autant plus paradoxale que la qualité de l'expertise française dans le domaine des produits de santé et le niveau de sécurité sanitaire font l'objet de l'avis général et au plan international, d'appréciations très positives. La structure et les mécanismes institués par la loi du 1 er juillet 1998 ne sont pas non plus en cause dans les difficultés enregistrées ; éventuellement il peut s'agir de « legs » antérieurs à 1998 qu'il convient, le cas échéant, de « toiletter ». On estime parvenir à une stabilisation qui serait satisfaisante et même prometteuse si des éléments nouveaux d'origines diverses ne risquaient pas de la remettre en cause.

* 32 Rapport d'audit IGF/IGAS sur l'AFSSAPS - Décembre 2002 : rapport de synthèse page 62.

* 33 Rapport d'audit précité page 43

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