U. 4.1. LA IATROGÉNIE MÉDICAMENTEUSE

Le médicament est ambivalent, mais doit par principe présenter un bilan d'utilisation positif. Ce constat conduit à poser le problème des conséquences néfastes de son usage, « la iatrogénie médicamenteuse ».

La définition du concept doit être précisée. Celle présentée par le rapport de mission ministérielle sur « la iatrogénie médicamenteuse et sa prévention » 34 ( * ) vise les éléments suivants (sachant que la iatrogénie en général est définie par le dictionnaire Robert de la langue française comme « toute pathologie d'origine médicale ») :

« - les effets indésirables sans mauvais usage des thérapeutiques ou aléas non fautifs ;

- les effets indésirables avec mauvais usage des thérapeutiques, que ce « mauvais usage » soit le fait du médecin ou, d'autres soignants ou encore du malade lui-même, par automédication inappropriée ou mauvaise observance du traitement.

Cette conception s'éloigne du sens premier et étymologique, mais il respecte l'esprit de notre démarche : la meilleure connaissance des effets indésirables des thérapeutiques dans le but de rechercher tous les moyens de les prévenir ou à défaut de les limiter ».

1. Des références américaines

* La question de l'iatrogénie médicamenteuse est identifiée depuis longtemps comme essentielle. Ainsi, une méta-analyse d'études a évalué à 100.000 environ le nombre annuel de décès par effet indésirable médicamenteux aux Etats-Unis chez les malades hospitalisés (J. Lazarou - incidence of adverse drug reactions in hospitalized patients. JAMA 1998.279.

Dans son rapport précité (mars 1998, page 27), le Pr. Patrice Quéneau donne un éclairage de la dimension médico-économique du problème à travers une étude américaine de 1997 qu'il cite dans les termes suivants :

« L'approche médico-économique est difficile et les données épidémiologiques précises peu nombreuses. Cependant, les enjeux financiers sont majeurs. Aux Etats-Unis, un travail récent de D.W. Bates et huit autres chercheurs (The costs of adverse drug events in hospitalized patients JAMA 1997/277) rapporte que le coût annuel de la morbi-mortalité liée aux effets indésirables des médicaments serait de l'ordre de 76,6 milliards de $ US, dont la majorité (47 milliards de $ US) serait due à l'hospitalisation pour accident thérapeutique ou absence de traitement approprié. Ces auteurs soulignent que :

- ce coût dépasse de beaucoup celui du diabète, évalué à 45,2 milliards de $ US.

- Le coût des accidents qu'ils jugent « évitables » (« preventable ») est plus élevé que celui des accidents inévitables. En effet :

- pour l'ensemble des accidents médicamenteux, l'allongement moyen de la durée de l'hospitalisation est de 2,2 jours, et le surcoût total moyen par malade de 3244 $ US.

- pour les accidents médicamenteux jugés « évitables », l'allongement moyen de la durée de l'hospitalisation est de 4,6 jours et le surcoût total moyen par malade de 5857 $ US.

- ce coût élevé justifie à lui seul des efforts de prévention, indépendamment des raisons humanitaires qui les justifient en toute priorité ».

Dans l'article cité ci-dessous, résumant l'étude faite dans les services d'accueil et d'urgence français en 1999, le même auteur, le Pr. Patrice Quéneau, indique :

« Des études récentes de cohorte ont par ailleurs estimé le nombre annuel de décès liés aux complications digestives graves (hémorragies, perforations) des anti-inflammatoires non stéroïdiens à environ 2000 en Grande-Bretagne et 16.500 en Amérique du Nord, chiffre voisin du nombre de décès dus au Sida. Par extrapolation, Tramer émet l'hypothèse d'un décès par complication digestive grave pour 1220 patients traités par AINS pendant deux mois ou plus. En outre, le « surcoût iatrogène » lié aux effets indésirables médicamenteux est considérable ».

* L'ampleur de la iatrogénie médicamenteuse se constate naturellement en dehors des Etats-Unis. Toutefois deux éléments d'inégale importance méritent d'être rappelés.

D'une part la philosophie dans laquelle les procédures d'AMM s'insèrent n'est pas exactement la même qu'en Europe et en France en particulier. L'accent est prioritairement mis pour l'efficacité dans le cadre de l'analyse bénéfice/risque. Ce que l'on observe dans les cas examinés ci-après au sujet de la cérivastatine, du traitement hormonal substitutif et actuellement du Vioxx montre clairement que les préoccupations et limitations d'emploi, les contre-indications impératives et l'exigence d'un réel bénéfice par rapport à d'autres spécialités, ne se recouvrent pas des deux côtés de l'Atlantique.

D'autre part, les conditions de dispensation du médicament sont encore plus différentes entre les Etats-Unis et la France. Le système de distribution particulièrement contrôlé qui est le nôtre à travers le monopole de la vente du médicament en officine a nécessairement des effets importants sur la iatrogénie médicamenteuse. C'est là une donnée essentielle.

* 34 Rapport établi en mars 1998 par le Pr Patrice Quéneau, professeur de thérapeutique, médecin des hôpitaux CHU de St Etienne, Président de l'association pédagogique nationale pour l'enseignement de la thérapeutique.

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