R. LES INTERROGATIONS SUR L'EXPERTISE

Element primordial de l'évaluation, l'expertise est réalisée par les commissions d'experts (et comités et groupes spécifiques) siégeant auprès de l'AFSSAPS, les deux commissions dont elle assure le secrétariat jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 13 août 2004 ainsi que par les trois directions de l'évaluation au sein de l'Agence, principalement la direction de l'évaluation et des médicaments et des produits biologiques (DEMEB) (cf. supra 1 ère partie).

La valeur de l'évaluation réalisée par l'AFSSAPS est attestée clairement au plan international ainsi que les instances d'inspection l'ont signalé, mais les conditions de son organisation ont fait l'objet de critiques de fond et de constatations d'insuffisances. Il convient donc de les rappeler tout en les replaçant en perspective compte tenu du niveau des résultats atteints et des évolutions récentes positives.

1. Expertise interne et expertise externe

Il a été reproché à l'AFSSAPS, notamment par l'audit des inspections et le rapport d'information de la commission des finances du Sénat (précités) de ne pas savoir établir un équilibre entre l'expertise interne, réalisée au sein de l'Agence elle-même et l'expertise externe faite à travers les commissions d'experts dont les membres sont choisis à partir d'une liste établie par le directeur général de l'Agence (1745 experts nommés en 2003 auprès de l'ensemble de ces instances). Il n'y aurait pas de véritable stratégie qui expliquerait cette option.

L'accent mis sur l'expertise externe n'est pas niable ; ainsi le directeur général précise-t-il en octobre 2001 : « Depuis la création de l'Agence, un choix a été effectué dans le cadre de l'expertise française en produits de santé avec le recours à une expertise externe » (cité par l'audit page 26). La tonalité donnée par le tout récent rapport d'activité de l'AFSSAPS pour 2003 (page 50) est un peu différente : « En complément de l'expertise interne qu'elle conduit, l'AFSSAPS fait appel à un réseau d'experts externes placés dans les commissions qui siégent auprès d'elle ». Quel que soit l'accent mis sur cet aspect essentiel de l'organisation de l'évaluation, ce sont les réalités et d'abord les possibilités qui doivent être appréciées concrètement.

La référence à deux pays où les systèmes d'évaluation du médicament reposent principalement sur l'évolution interne est régulièrement avancé : il s'agit de l'Allemagne et des Etats-Unis.

* Caractéristiques des deux catégories d'évaluation

Chacune des deux catégories d'expertise présente ses caractéristiques et donc avantages et inconvénients, mais de ce fait on relève aussi entre elle une complémentarité.

L'expertise interne peut être effectuée par des médecins et des pharmaciens, des biologistes, des biostatisticiens employés par l'AFSSAPS. Cette expertise a l'intérêt d'un certain « professionnalisme » et peut aboutir au maintien de la cohérence et donc d'une homogénéité de l'évaluation d'un dossier à un autre.

Ces professionnels de l'évaluation peuvent cependant avoir l'inconvénient de se couper, avec le temps, de l'actualité de la médecine et surtout de la notion de contact avec les patients auxquels les médicaments sont « in fine » destinés.

Les experts externes ne sont pas des professionnels de l'évaluation. Ils peuvent avoir du mal à dégager le temps nécessaire à l'examen précis des dossiers. Ils ont la particularité de rester en contact constant avec les réalités de l'actualité professionnelle du médecin, du pharmacien, du toxicologue, du biologiste et donc d'être parfaitement sensibles aux réactions potentielles des patients face à un nouveau médicament.

De plus, la possibilité de faire appel à des experts divers fait qu'il est toujours possible, lorsqu'un médicament est destiné à un « nouveau champ thérapeutique » de faire appel à un spécialiste de maladies antérieurement mal connues des professionnels de l'évaluation. Ce peut être le cas pour les maladies rares ou orphelines.

L'équilibre optimal à atteindre entre ces deux expertises est évident au plan théorique.

Dans une première phase, les experts internes devraient étudier tout le dossier, mettre en évidence les études pharmaceutiques, pharmaco-toxicologiques et cliniques essentielles, décrire ces études, donner leurs résultats et, si nécessaire, contrôler, voire préciser, l'obtention de ces résultats (par exemple contrôler les calculs statistiques).

Dans une seconde phase, les experts externes qui sont en contact avec l'actualité médicale et les patients devraient évaluer la signification de ces résultats et, par exemple, lors d'un essai clinique, donner leur avis irremplaçable sur :

la population étudiée : les patients inclus dans les essais sont-ils proches des patients à traiter en France ?

le critère d'évaluation a-t-il une signification médicale forte ?

la différence observée en deux groupes de patients : cette différence sur le critère d'évaluation correspond-elle à un bénéfice médical évident ?

En fonction de ces données et des données de la toxicologie, il sera plus aisé de définir le rapport efficacité/sécurité du nouveau médicament.

- Cet équilibre optimal théorique entre l'évaluation interne et l'évaluation externe suppose une forte évaluation interne, c'est-à-dire un nombre suffisant d'évaluateurs ayant une formation initiale forte et capables d'examiner les centaines de dossiers présentés chaque année (soit des millions de pages).

En pratique, compte tenu de la masse de dossiers à étudier, il est fait appel en partie à l'expertise externe dès la première phase d'évaluation.

* L'audit des inspections générales (page 27) a lui-même indiqué les motivations concrètes qui peuvent expliquer la prédominance donnée à l'expertise externe et les avantages substantiels de cette orientation :

« Les motivations de ce choix sont de plusieurs ordres :

- compenser la faiblesse numérique des moyens internes

- mobiliser les spécialistes de la question sur des dossiers très pointus

- utiliser dans des conditions financières avantageuses une ressource scientifique de haut niveau

La mission estime que ce choix organisationnel présente des avantages, dans la mesure où il permet de disposer d'une expertise scientifique de très bonne qualité. En effet, le fait que les experts auxquels il est fait appel soient en contact direct avec la recherche universitaire ou les laboratoires de recherche des industries pharmaceutiques leur donne une bonne connaissance des derniers développements scientifiques. Par ailleurs, ce système permet de faire appel aux spécialistes nationaux des questions traitées, ce qui est une garantie supplémentaire en termes de sécurité sanitaire.

La mission souhaite, toutefois, que la question du « juste équilibre » entre le recours à l'expertise externe et l'utilisation des ressources internes fasse l'objet d'une véritable réflexion de l'Agence en liaison avec le ministère de la santé ».

La notion de juste équilibre entre le recours à l'expertise externe et l'utilisation des ressources internes ne peut, semble-t-il, constituer une vraie question qu'à l'intérieur d'une marge de choix assez étroitement délimitée par la réalité concrète : ampleur des moyens mis en oeuvre (humains notamment) que l'on peut consacrer à l'expertise interne, valeur réelle des qualités que l'on prête à chacune des deux expertises au regard de la transparence, de l'indépendance, de la motivation, la compétence scientifique étant supposée dans tous les cas.

C'est précisément sur ces aspects que la valeur de chacune des deux expertises doit aussi être appréciée.

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