2. Encourager l'entrepreneuriat national
La deuxième piste à privilégier est sans aucun doute le soutien à l'initiative économique nationale . C'est évidemment le fondement même de la politique économique et tout le champ de celle-ci pourrait être alors balayé sous ce chapitre tant les facteurs présentés comme limitant l'activité, pénalisant l'énergie créatrice, détériorant la compétitivité, sont nombreux. Votre groupe de travail n'était naturellement pas en mesure de se livrer à cette gigantesque entreprise, d'une part d'analyse de la pertinence de tous les griefs, d'autre part de propositions des réformes à entreprendre.
Sa majorité se félicite toutefois des mesures engagées depuis deux ans par le Gouvernement pour réduire les contraintes normatives pesant sur les entreprises , telles par exemple la loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003, dite loi « Fillon », ayant assoupli la législation sur le temps de travail, ou encore la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003 qui a initié un vaste mouvement d'allègements et de simplifications d'obligations et de procédures, qui va d'ailleurs se poursuivre dans le cadre d'un second projet de loi. C'est avec un objectif similaire que devrait être aussi examiné prochainement par le Parlement le projet de loi de sauvegarde des entreprises, destiné à rendre plus efficaces le système de prévention de leurs difficultés et le traitement de celles-ci.
Toutes les dispositions améliorant l'environnement comme le coeur de l'activité économique sont donc positives puisqu'elles encouragent la création de richesses. Mais, au regard de la localisation des outils de production, les enseignements tirés par le groupe de travail des auditions auxquelles il a procédé le conduisent à privilégier particulièrement un objectif , le soutien aux petits et moyens entrepreneurs locaux . Sa conviction, déjà exprimée, est en effet que le lien affectif unissant à son territoire le chef d'entreprise est un élément non négligeable d'orientation des choix stratégiques de ce dernier . Les projets alternatifs à l'hypothèse d'une délocalisation sont ainsi examinés différemment selon l'existence ou non de ce lien. Pour le maintenir aussi serré que possible, le soutien qu'il convient d'apporter aux entrepreneurs locaux se décline en deux volets : la création des entreprises et leur transmission .
a) La création d'entreprise
Un tissu dense de PME locales diversifiées est une des conditions indispensables au développement durable et équilibré des territoires . Ce maillage est en particulier une réponse adaptée aux sinistres industriels que connaissent les bassins d'emplois trop spécialisés dans un secteur d'activité . Il est par conséquent nécessaire d' encourager la création d'entreprises , dont le niveau, historiquement moins élevé que celui de la plupart de nos voisins européens, explique pour partie le taux médiocre de la croissance économique française.
Il est vrai que notre pays souffre à cet égard d'un syndrome culturel qui relègue l'esprit d'entreprise bien trop loin dans l'échelle des valeurs de nos concitoyens . Un récent sondage (125 ( * )) ne vient-il pas d'indiquer que, même si plus de 70 % des jeunes Français estiment que créer son entreprise est le signe d'une vie professionnelle réussie, ils sont toujours plus nombreux à jouer la carte de la prudence et à rechercher la sécurité de l'emploi ? Ainsi, ils ne sont plus que 62 % à affirmer préférer travailler dans une entreprise, contre encore 69 % l'an dernier, et désormais 34 % à envisager une carrière dans la fonction publique, contre 28 % en 2003. Surtout, 78 % d'entre eux seraient prêts, nonobstant leurs préférences intimes, à devenir fonctionnaire si la proposition concrète leur en était faite. Toutes les initiatives prises pour modifier cet état d'esprit trop frileux doivent donc être encouragées et, pour être efficaces, menées dans la durée .
A cet égard, la loi n° 2003-721 du 1 er août 2003 pour l'initiative économique, dite loi « Dutreil », qui visait à faire de la création d'entreprise un acte simple, rapide et accessible à tous, a constitué un formidable signal psychologique pour nos concitoyens.
Les mesures en faveur de la création d'entreprise de la loi pour l'initiative économique S'agissant des simplifications , la loi a en particulier prévu la libre fixation du montant du capital social, le droit de domicilier son entreprise chez soi ou au domicile de son représentant légal et l'allégement des procédures administratives en phase de création d'entreprise, notamment par la délivrance d'un récépissé de dépôt de dossier de création d'entreprise (RDDCE) pour accélérer le démarrage de l'entreprise, et par la possibilité ouverte d'immatriculer une entreprise en ligne. Pour faciliter la transition du statut , elle autorise un salarié à créer ou à reprendre une entreprise en conservant son emploi ou en ayant recours à un congé pour création d'entreprise, institue un dispositif d'exonération des charges sociales sous conditions et assouplit le régime légal d'opposabilité des clauses d'exclusivité. En matière de financement , des fonds d'investissement de proximité (FIP) sont institués au plan régional et des réductions d'impôt accompagnent les souscriptions pour permettre de drainer une épargne nouvelle vers les PME, le dispositif fiscal applicable aux investisseurs directs dans les PME non cotées est amélioré par un relèvement de 350 % des plafonds, et les seuils de déductibilité sur le revenu personnel des créateurs d'entreprise des pertes en capital sont doublés. En ce qui concerne l' accompagnement social des projets , le paiement des cotisations dues au titre de la première année d'existence de l'entreprise peut être reporté sur cinq ans, le dispositif d'encouragement au développement d'entreprises nouvelles (EDEN) est étendu à de nouvelles catégories de bénéficiaires, les revenus de solidarité dont bénéficient certains créateurs d'entreprises sont maintenus dans des conditions harmonisées de procédures, et les dons aux réseaux d'accompagnement à la création d'entreprise sont encouragés. |
La sensible augmentation du nombre des créations au cours de ces derniers mois est là pour en témoigner : en 2003, elles se sont établies à 199.286, en progression de 12 % par rapport à l'année précédente, et le rythme s'est encore accéléré au cours du premier trimestre 2004 pour atteindre près de 24 % (soit + 16,7 % en moyenne annuelle). Pour la première fois depuis longtemps, la barre des 20.000 entreprises nouvelles a été franchie en mars 2004. L'année devrait donc s'achever en respectant l'objectif de création annuelle de 200.000 entreprises fixé par le Président de la République au début de son second mandat.
Ce dynamisme nouveau et appréciable résulte aussi certainement des dispositions de la loi de finances pour 2004 n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 portant création du statut spécifique de la « jeune entreprise innovante » . Ce statut donne droit à des exonérations totales puis partielles d'impôt sur les bénéfices sur cinq ans, à l'exonération de l'imposition forfaitaire annuelle des sociétés, voire à l'exonération pendant sept ans de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la taxe professionnelle, ainsi que, sous certaines conditions, à l'exonération d'impôt sur le revenu des plus-values de cessions de parts ou actions.
Tout en se félicitant de ces améliorations du cadre juridique applicable à la création d'entreprise, comme de ses effets statistiques immédiats, la majorité de votre commission estime nécessaire de poursuivre les efforts en la matière afin, en particulier, de favoriser la pérennité des nouvelles entreprises créées . En effet, dans le même temps qu'augmentaient les créations d'entreprises, les défaillances suivaient une progression similaire : ainsi, 47.936 dépôts de bilan ont été recensés en 2003, soit 11,7 % de plus que l'année précédente. L'INSEE observe par ailleurs que quelque 30 % des nouvelles entreprises cessent leur activité au bout de trois ans, et 50 % avant cinq ans. Il est donc essentiel de se préoccuper désormais de cet aspect des difficultés, pour que les réponses locales aux mutations économiques s'inscrivent davantage dans la durée .
Pour parvenir à cet objectif, un projet de loi est, depuis plusieurs mois, en cours de finalisation par le ministère délégué aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. Parmi les mesures qu'il pourrait comporter pour inciter davantage les porteurs de projet à les mettre en oeuvre figureraient notamment la création d'une « assurance perte d'activité » destinée à protéger le chef d'entreprise du risque de chômage, l'institution d'exonérations fiscales pour les jeunes entreprises personnelles de moins de dix salariés, ainsi que le déploiement de mesures supplémentaires pour garantir un financement stable et suffisant sur moyenne période des nouveaux projets .
A cet égard, votre commission estime que l'amélioration du financement des PME est un aspect central de la diffusion de l'innovation , de l' amélioration des processus de production , de l' adaptation des produits aux attentes de la demande , et donc de la conquête des marchés . Aussi attend-elle que ce texte législatif annoncé adapte enfin à notre pays le modèle américain de la « Small Business Administration » (SBA), qui a fait ses preuves outre-Atlantique. Dans un rapport d'information fait en 1997 sur la SBA (126 ( * )), votre rapporteur avait en particulier souligné les intérêts du modèle américain de capital-risque . Celui-ci accorde, par l'intermédiaire de la SBA, une garantie publique aux obligations, émises jusqu'aux deux-tiers de leurs fonds propres, par des fonds financiers dénommés « Small Business Investment Companies » et destinés spécifiquement au financement des PME. Cette méthode de financement du risque économique viendrait sans aucun doute utilement compléter les fonds d'investissement de proximité institués au niveau régional par la loi Dutreil pour drainer vers la création d'entreprise une part plus importante encore de l'importante épargne de nos concitoyens. C'est pourquoi l'annonce faite le 4 mai dernier par M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, relative au projet de création d'une agence des PME sur le modèle de la SBA, a particulièrement retenu l'attention de votre commission.
Une autre piste, ouverte par le Sénat l'an dernier à l'occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2004 (127 ( * )), pourrait être par ailleurs approfondie : la mobilisation vers les PME d'une partie plus importante des 800 milliards d'euros d'épargne que les Français détiennent en assurance-vie . Actuellement inférieure à 1 %, cette part pourrait être progressivement augmentée de manière obligatoire, jusqu'à atteindre 4 %, comme le préconisent certains spécialistes (128 ( * )). Les deux à trois milliards supplémentaires de soutien financier national aux PME générés par ces prescriptions imposées aux gestionnaires d'assurance-vie viendraient ainsi utilement renforcer la pérennité des entreprises nouvelles , indispensable pour que la création d'entreprise irrigue durablement les territoires et favorise l'emploi dans le long terme.
* (125) Sondage IPSOS réalisé en mai 2004 auprès de 606 jeunes de 15 à 25 ans pour le compte de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME).
* (126) Aider les PME : l'exemple américain - Rapport d'information n° 374 (1996-1997) fait, au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, à la suite d'une mission effectuée aux Etats-Unis, par M. Francis Grignon, sur les enseignements à tirer pour l'aide aux petites et moyennes entreprises françaises du rôle joué par la Small Business Administration - 1997.
* (127) A l'occasion de l'examen d'un amendement de notre collègue Philippe Adnot, non adopté.
* (128) Les leviers de la croissance - Philippe Jurgensen, président de l'Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR), Gilles Mougenot, président de l'Association française des investisseurs en capital (AFIC), Philippe Pouletty, président du Conseil stratégique de l'innovation, et Christian Poyau, président de Croissance Plus - in Le Monde - 3 juin 2004.