b) Système de protection sociale
S'agissant des normes sociales , on ne saurait demander à des pays qui partent de rien de construire du jour au lendemain des dispositifs de droit du travail, d'assurance maladie, d'assurance chômage ou de retraite que les pays industrialisés ont mis des décennies à établir. L'élaboration d'un système international de standards minimums à respecter doit aider ces Etats dans leur nécessaire développement social, mais il paraît clair que c'est le développement économique lui-même qui agira le plus efficacement dans ce domaine en favorisant, avec l'enrichissement progressif de la population, une demande sociale conduisant à la création d'un filet de protection des droits sociaux de plus en plus solide et élaboré . Ainsi, aujourd'hui, ne peut être raisonnablement contesté que le non respect des normes de l'OIT (110 ( * )), dont il convient malheureusement de constater que de trop nombreuses entreprises occidentales ne sont pas moins coupables que les entreprises locales , que ce soit directement lorsqu'elles s'installent dans ces pays, ou indirectement, faute d'un contrôle suffisant de leurs sous-traitants.
c) Normes environnementales
Quant à la faiblesse, voire à l'absence, de protection de l'environnement , elle ne semble pas davantage pouvoir être aisément incriminée. Le débat sur le fait de savoir si le souci environnemental est par nature universel ou simplement une préoccupation de « riches » dégagés de l'obsession alimentaire est à l'évidence impossible à trancher tant il dépend du côté où l'on se place. Mais, outre que l'un des pays qui s'opposent avec le plus de constance à la logique environnementale se trouve être les Etats-Unis, qui refusent notamment de ratifier le Protocole de Kyoto, votre rapporteur ne peut que condamner une certaine hypocrisie de l'opinion publique occidentale en la matière : chacun sait bien que l'édiction de normes environnementales toujours plus drastiques dans les pays industriels conduit autant à l'amélioration des processus de production pour les respecter localement qu'au transfert des activités les plus polluantes vers les pays en développement pour y échapper . Pour autant, il est certain que le respect de l'environnement doit être un objectif constant et qu'il convient d'encourager tous les pays à le poursuivre : la récente décision de l'Etat chinois d'interrompre la construction d'une série de treize barrages hydro-électriques sur le fleuve Nu, au coeur d'une réserve naturelle de biodiversité, est certainement un signe positif à cet égard.
d) Politiques fiscales
Reste la question fiscale : au plan théorique, la fiscalité peut effectivement constituer pour les pouvoirs publics nationaux et locaux un levier d'action plus maîtrisable que les autres et apparaître ainsi comme un outil artificiel de différenciation de la localisation géographique des entreprises . Il est d'ailleurs avéré qu'il est utilisé comme tel de manière générale par de nombreux Etats du monde, et au demeurant pas si loin de France, comme en témoigne par exemple l'impôt sur les sociétés en Irlande, dont le taux ne s'élève qu'à 12,5 %, ou, mieux encore, en Estonie, où il n'existe pas d'impôt sur les bénéfices ! Cela observé, trois réserves doivent être apportées aux accusations traditionnelles de dumping fiscal portées à l'encontre de nombre de pays en développement.
D'une part, un lien existe forcément entre le niveau de développement et d'équipement d'une société et les taux d'imposition qui y sont pratiqués : ce lien n'est pas rigide, comme le démontrent les différences appréciables de ces taux à l'intérieur même du groupe des nations industrialisées, mais la proportionnalité est tout de même une constante qui ne saurait être contestée. Dès lors, il n'est pas surprenant que les impôts appelés dans les pays émergents, dont l'urbanisation, les infrastructures de transports et de communication, les équipements de santé, d'enseignement ou culturels, etc., sont incomparablement moins développés que dans les pays occidentaux, soient globalement moins élevés que ceux de ces derniers.
A ceci s'ajoute, d'autre part, que les règles du commerce international définies par l'OMC interdisent la discrimination fiscale entre entreprises nationales et étrangères : le respect de tels principes conduit tout naturellement à l'attractivité fiscale des pays en développement puisque, en raison même de leur état relatif de pauvreté, il ne saurait pour eux être question d'imposer leurs activités locales à des taux « occidentaux » qui, prohibitifs, limiteraient précisément leurs perspectives de développement en interdisant l'émergence d'un entrepreneuriat local. Et lorsqu'ils dérogent à ces principes, des sanctions sont tout naturellement requises (111 ( * )).
Enfin, force est de constater que l'outil fiscal est largement utilisé par les pouvoirs publics nationaux et locaux des pays industrialisés eux-mêmes : les diverses zones franches qu'ils instituent ou exemptions fiscales qu'ils pratiquent pour favoriser l'implantation d'entreprises sur leurs territoires n'ont souvent rien à envier aux techniques mises en oeuvre dans les pays émergents.
Ainsi, d'une manière générale, il est patent que tous les éléments évoqués ci-dessus constituent, en tant que tels, des avantages comparatifs dont disposent actuellement les pays émergents face aux pays industrialisés . Appeler à leur disparition immédiate et radicale en invoquant un prétendu « dumping » anti-concurrentiel semble ainsi à votre commission irréaliste économiquement, financièrement et socialement, puisque ces Etats sont dans l'impossibilité pratique de le faire. En outre, ce serait également inacceptable politiquement pour ceux-ci puisque, précisément, sans l'existence de ces avantages comparatifs, leurs perspectives de croissance seraient très fortement diminuées. Comme l'a souligné d'une formule lapidaire et volontiers iconoclaste M. Pierre Cailleteau, directeur des risques pays au Crédit Agricole Indosuez, « l'avantage comparatif des pays pauvres, c'est leur pauvreté : leur imposer brutalement et immédiatement le respect des normes occidentales ne serait pas seulement irréaliste, ce serait aussi condamner leur développement » .
En revanche, favoriser le rattrapage progressif, et aussi rapide que possible, de nos standards est évidemment nécessaire, non pas tant pour lutter contre les délocalisations qu'en raison du fait que ce rattrapage sera l'expression de l'enrichissement des peuples de ces pays. A cet égard, la définition par l'OIT de normes internationales plus exigeantes en matière de droits du travail, syndicaux et sociaux, comme leur intégration dans les systèmes de réglementation du commerce mondial élaborés par l'OMC, que réclament toutes les centrales syndicales, apparaissent nécessaires à votre commission, pour autant toutefois que le facteur temps et l'adaptation à l'état des sociétés ne soient pas négligés : eux seuls seront les gages du succès d'une telle entreprise.
* (110) Les droits fondamentaux des travailleurs, définis en 1995 lors du Sommet mondial pour le développement social de Copenhague, sont fondés sur sept conventions internationales du travail adoptées dans le cadre de l'Organisation internationale du travail (OIT) et visant notamment à reconnaître la liberté d'association et le droit à la négociation collective, à éliminer toutes les formes de travail forcé ou obligatoire, à abolir le travail des enfants et à éliminer toute discrimination en matière d'emploi et de profession.
* (111) Un exemple : la Chine impose une TVA de 17 % sur tous les semi-conducteurs vendus dans le pays mais accorde un abattement substantiel aux seuls fabricants chinois. C'est pourquoi l'Association de l'industrie des semi-conducteurs (SIA) a demandé à la mi-mai à l'Etat chinois de se servir du mécanisme de règlement des conflits commerciaux de l'OMC, dont la Chine est membre depuis décembre 2001, pour mettre fin à cette différence de TVA, jugée discriminatoire.