3. Des causes exogènes qui accroissent les difficultés
A ces facteurs propres aux acteurs locaux eux-mêmes viennent s'ajouter d'autres évolutions, qu'ils ne maîtrisent pas mais qui réduisent encore l'efficacité des outils et leur bonne adaptation aux problématiques locales. On peut ainsi relever la réduction des budgets nationaux consentis, une certaine négligence, jusqu'à très récemment, en matière d'anticipation des crises, ainsi que la faiblesse du nombre des projets nouveaux dans une période de ralentissement général de la croissance économique.
a) La probable insuff isance des moyens financiers d'Etat alloués aux bassins touchés
L'Etat a initié pour les bassins touchés par des difficultés économiques une nouvelle procédure dite de « contrat de site » . On observera au plan sémantique que, par rapport aux appellations précédentes qu'étaient les « pôles de conversion » et les « zones d'entreprises » , la dénomination n'exprime plus de finalité économique.
Le 26 mai 2003, le Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) a par exemple engagé, pour douze contrats visant à créer 7.000 à 8.000 emplois d'ici à 2006, une enveloppe de près de 350 millions d'euros pour la revitalisation de territoires concernés.
Selon le cabinet Formules Economiques Locales (FEL), l'aide par emploi, évaluée entre 41.000 et 50.000 euros, serait « très inférieure aux besoins pour atteindre les objectifs annoncés » . Ce constat s'appuie sur le postulat que la création d'un emploi sur un bassin en reconversion requiert 71.000 euros. Ce coût comprend l'aménagement d'une zone d'activité, l'aide à l'immobilier, un prêt de 8.000 euros par emploi et la gestion de la reconversion sur trois ans.
Le calcul de 71 000 € par emploi présenté dans l'étude est un coût calculé empiriquement pour une reconversion-type. Pour le cabinet FEL, il est vraisemblable, dans une zone en reconversion, que dix entreprises en mesure de créer chacune cent emplois et d'investir au total 100 M€ génèrent un besoin d'aménagements publics de 20 M€ et captent des aides à l'immobilier et à l'investissement représentant 40 M€. Les bâtiments : la création de 1.000 emplois dans les secteurs logistiques et industriels va nécessiter, en appliquant un ratio moyen de surface par employé, 100.000 m² de bâtiments construits. La collectivité locale doit supporter le risque immobilier sur 100 M€. En effet, aucun investisseur privé ne se risque dans des secteurs excentrés et/ou dans bâtiments industriels. Le portage n'est pas un coût si il n'y a pas défaillance de l'occupant avant le terme du crédit-bail. Mais il nécessite une garantie d'emprunts qui n'est jamais prévue dans les mesures de CIAT. Ainsi, l'absence de garantie d'emprunts a dissuadé la communauté de communes de Val de l'Aisne (soissonnais) de réaliser un bâtiment en blanc en dépit de la subvention de l'Etat. Dans ces conditions, tout preneur sur une zone en reconversion bénéficie d'un rabais moyen de 20 %, qui représente 20 M€ d'aides publiques, soit 20.000 € par emploi La zone d'activité : 100.000 m² de bâtiments nécessitent l'aménagement d'une zone d'activité de 50 hectares. Le coût moyen de 0,4 M€ par hectare (10.000 m2 aménagés) est celui d'une zone plate, sans vestiges archéologiques, proche des réseaux. Le coût d'une zone à aplanir, à desservir de loin, avec des nouveaux équipements de traitement des eaux et nécessitant des fouilles archéologiques, serait supérieur. De plus, ce coût moyen n'intègre pas de financements spécifiques pour la dépollution, charge fréquente lors de la fermeture d'un site industriel. La contribution financière des entreprises sur des zones issues de processus de reconversion est marginale pour deux raisons : les conditions de cession sont à un prix symbolique au m² et les surfaces cédées sont inférieures aux surfaces aménagées. Un déficit final des opérations d'aménagement de 20 M€ revient ainsi à 20.000 € par emploi . Les aides à l'implantation : le rabais sur l'offre immobilière n'est pas assez incitatif pour capter des entreprises sur une zone en reconversion au regard des aides accordées par d'autres territoires européens (les länder allemands par exemple) ou du surcoût spécifique d'une implantation en France, du fait notamment de la taxe professionnelle). Des aides directes ou indirectes sont donc nécessaires, à une hauteur moyenne de 20 % de l'investissement. En estimant que 1.000 emplois nécessitent un capital productif immobilisé de 100 M€, le coût de ces aides est ainsi de 20 M€, soit 20 000 € par emploi . L'aide au financement : la pratique des prêts sans garantie au prorata des emplois créés par des sociétés de reconversion est l'une des composantes d'un package attractif. Pour 1.000 emplois, l'enveloppe de prêts s'élève à 8 M€, à raison de 8000 € par emploi . Cette somme est à terme remboursée par l'entreprise. La gestion du projet : le coût de gestion de la reconversion territoriale est généré par les honoraires et les salaires des personnes chargées de la prospection et de l'ingénierie des projets locaux pendant trois ans. Il représente 1 M€ par an, soit 3 M€ sur la période, c'est-à-dire 3.000 € par emploi . Le cabinet FEL parvient donc un montant estimé total de 71 000 euros par emploi. Ce coût est du reste, selon lui, une estimation minimale car il ne prend pas en compte les postes suivants, variables selon les situations locales : dépollution, réalisation d'un équipement public, aide à la restructuration d'un service public (postal, ferroviaire, etc.), appui à la restauration d'un monument à des fins touristiques ou culturelles... Le cabinet estime que l'insuffisance des moyens alloués serait encore plus importante si l'on excluait ceux qui sont d'emblée affectés à des réalisations éloignées de l'accueil d'entreprises ou à des actions collectives (par opposition aux aides directes), telles que les projets de fibres optiques en rase campagne ou les aides aux organismes publics de promotion touristique, etc. |
Dès lors, un objectif de 8.000 emplois supposerait, pour Formules Economiques Locales , un budget de 568 millions d'euros, en complément duquel devrait être prévu, sur plusieurs années, un portage de l'immobilier à hauteur de 160 millions d'euros pour 80.000 m². Selon ce cabinet, sur les bassins d'emplois pour lesquels il a pu obtenir une information chiffrée, le budget d'aides permettrait ainsi de recréer, au plus, la moitié des emplois annoncés.
Bassins touchés |
Emplois à créer |
Budget prévu en millions d'euros |
Budget annoncé par emploi en milliers d'euros |
Sommes nécessaires en millions d'euros |
Capacité à atteindre l'objectif d'emplois |
Soissons |
1.500 |
56 |
37 |
105 |
53 % |
Lens et Noyelles-Godault |
1.000 |
44 |
44 |
71 |
61 % |
Romorantin |
1.500 |
42 |
28 |
106 |
39 % |
Neuf sites d'industries de défense |
5.000 |
127 |
25 |
355 |
35 % |
De plus, une part des budgets annoncés devrait être affectée à des améliorations d'infrastructures non directement créatrices d'emplois. Pour le cabinet FEL, les moyens disponibles par emploi ne seraient ainsi pas suffisants.
Il convient toutefois d'ajouter à ce calcul que la coût public représenté par la prime d'aménagement du territoire (PAT) susceptible d'être attribuée à des entreprises ne figure pas dans l'annonce des décisions du CIAT. Or, pouvant représenter jusqu'à 11.000 euros par emploi, cette prime constitue un complément potentiel important aux efforts financiers consentis par l'Etat mentionnés ci-dessus.