f) La faiblesse et la mauvaise répartition des investissements en R&D
Les difficultés françaises en matière de recherche et développement ont connu une actualité nouvelle avec la récente mobilisation des chercheurs et la menace de démission des directeurs de laboratoires publics. Or, tout indique que les activités économiques puissantes et capables de résister à la concurrence internationale s'appuient sur une R&D importante, suffisamment financée et correctement répartie .
Or, la France, qui se caractérise pourtant par une tradition et une réputation d'excellence en matière de recherche, connaît un déclin relatif de son influence en la matière, avec un affaiblissement du nombre de dépôts de brevets et des publications scientifiques . Ce déclin serait, selon l'hypothèse la plus partagée, liée à une insuffisance des dépenses de R&D . Les statistiques démontrent pourtant que notre pays est loin d'avoir sacrifié sa recherche. En effet, la France consacre chaque année environ 2,2 % de son PIB aux dépenses de R&D, soit un montant équivalent à celui de l'Allemagne et même supérieur à celui du Royaume-Uni. Pourtant, ces deux pays ont de meilleurs indices d'impact et de productivité. Au surplus, la France est le pays européen qui consacre le plus de moyens à la recherche fondamentale et qui entretient le plus grand nombre de scientifiques dans le secteur public. D'où vient alors ce décalage croissant ? Plusieurs raisons expliquent cet état de fait.
Tout d'abord, en termes de dépenses absolues, la France dépensait 31 milliards de dollars dans sa R&D en 2000 , loin derrière ses principaux concurrents comme l'Allemagne (52 milliards), le Japon (98 milliards) et les Etats-Unis (265 milliards). En outre, la part privée de ces dépenses est faible : 54 %, contre 66 % en Allemagne, 68 % aux Etats-Unis et 72 % au Japon. Au surplus, l'analyse même de la nature des dépenses publiques françaises de R&D démontre que certaines d'entre elles n'ont pas les effets d'entraînement sur l'économie les plus conséquents. Il en va ainsi par exemple des dépenses de rémunération des professeurs du supérieur, qui sont comptabilisées, pour moitié, dans les statistiques de R&D publique, comme l'a souligné M. Elie Cohen lors de son audition par votre groupe de travail. Il ne s'agit évidemment pas de prôner une réduction des traitements des professeurs du supérieur, dont la rémunération est d'ailleurs bien inférieure à ce qu'elle est dans d'autres pays où la recherche est mieux valorisée, mais d'indiquer que les statistiques publiques de recherche sont marquées par un biais qui ne permet pas de les comparer de manière objective avec celles des autres pays industrialisés .
Par ailleurs, si la France dépense beaucoup pour la recherche publique, elle investit très peu pour les PME et la recherche appliquée industrielle ; si elle finance de nombreux instituts publics prestigieux mais très cloisonnés, elle délaisse son réseau d'universités , ce qu'a en particulier vivement regretté M. Christian Blanc lors de son audition conjointe par votre commission et votre groupe de travail ; si elle soutient le développement de grands programmes, notamment dans les secteurs nucléaire et aéronautique, elle n'engage pas de moyens suffisant dans les activités stratégiques du futur comme les biotechnologies, les nano et microtechnologies (96 ( * )) ou encore l'informatique. Ainsi, quelques grands secteurs et grandes institutions absorbent l'essentiel des dépenses , le reste étant réparti entre les autres filières de recherche, ce qui ne permet pas de les soutenir avec suffisamment d'efficacité.
Cette mauvaise répartition sectorielle se double d'une inégalité entre les régions , qui se renforce au demeurant : les principales activités de recherche, notamment celles créatrices d'emplois, se concentrent dans un petit nombre d'entre elles, comme l'Île-de-France ou la région Rhône-Alpes. Cette observation peut d'ailleurs être également faite au niveau européen : près 75 % des dépenses de R&D sont réalisés par quatre Etats-membres (Allemagne, Grande-Bretagne, France et Italie), et 20 % d'entre elles sont répartis entre l'Île-de-France, trois régions allemandes et une région italienne. Et cette concentration ne cesse de s'aggraver : à l'intérieur du territoire français, quatre régions représentaient plus des deux-tiers des dépenses totales de R&D en 1999 , contre seulement 60 % en 1995. L'Île-de-France accueille notamment plus de la moitié des chercheurs et le quart des sièges sociaux des entreprises. Ainsi, les régions les plus avancées confortent leur avance, tandis que celles dont la spécialisation repose majoritairement sur des activités industrielles en déclin ou mal positionnées face à la concurrence internationale, tendent à décrocher . Ces divergences régionales recoupent, en outre, les inégalités territoriales dans la localisation des activités d'innovation.
* (96) Voir à cet égard Nanosciences et progrès médical - Rapport d'information n° 293 (2003-2004) fait, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, par MM. Jean-Louis Lorrain et Daniel Raoul.