2. Les facteurs de transformation de l'industrie et des emplois industriels
Quoiqu'il en soit, les évolutions du nombre et de la structure des emplois industriels français s'inscrivent dans un processus constant de mutations qui ont profondément modifié le secteur industriel. A cet égard, la quantité d'emplois industriels n'étant pas nécessairement corrélée positivement à la santé économique du secteur, et pouvant en outre dépendre de facteurs qui ne sont pas liés à celle-ci, le critère de l'emploi ne saurait être retenu comme indicateur du dynamisme industriel .
a) Un secteur en restructuration dans un contexte d'internationalisation
Pour parvenir à comprendre les mécanismes sous-jacents à ces évolutions économiques, il est indispensable de mettre en exergue des facteurs puissants de transformation des structures industrielles et de l'emploi.
(1) La poursuite des tendances structurelles
Tout d'abord, ce qui pourrait être hâtivement analysé comme le déclin de l'industrie est le résultat des transformations de la structure économique française en raison du processus continu de destructions/créations d'emplois . Ainsi que l'a rappelé lors de son audition M. Nicolas Jacquet, Délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, la structure de l'économie française s'est profondément modifiée en une génération : entre 1978 et 2002, le poids de l'agriculture a été divisé par plus de deux et celui des services a augmenté de 50 % .
Ces mutations ont également été rappelées par M. Pierre Ralle, directeur du Centre d'études de l'emploi, qui a en outre souligné devant votre groupe de travail que, depuis plus de vingt ans, la baisse tendancielle de l'emploi industriel n'avait connu que deux exceptions : l'une est sectorielle, et concerne l'industrie agro-alimentaire, dont le taux d'emploi a progressé sur la période, l'autre étant conjoncturelle, l'emploi industriel s'étant en effet stabilisé entre 1997 et 2001 en raison d'un taux de croissance global de l'économie plus élevé. La décroissance de l'emploi industriel doit donc être interprétée comme la poursuite des évolutions qui ont structuré l'économie française depuis la fin de la Révolution industrielle . Alors que la part des emplois agricoles dans l'économie continuait sa décrue, alimentant ainsi un mouvement de « déversoir » vers le secteur industriel, celui-ci, à son tour, a perdu des emplois au profit du secteur tertiaire depuis le milieu des années 1970, du fait de gains de productivité importants .
Cette évolution ne serait guère problématique si les créations dans le secteur tertiaire compensaient strictement, voire dépassaient, les pertes d'emplois industriels . Toutefois, il arrive que les gains enregistrés dans un secteur ne soient pas, à l'échelle d'une année, suffisants pour compenser les pertes d'emplois dans un autre. Si un tel phénomène venait à être structurel et non seulement conjoncturel, la capacité de l'économie française à créer des emplois ferait alors débat . Cependant, comme l'ont indiqué à votre groupe de travail Mme Claudine Peretti, directrice de la Direction de l'évaluation et de la prospective (DEP) au ministère de l'éducation nationale, et M. Claude Seibel, président du Groupe de prospective des métiers et qualifications du Commissariat général du Plan, les perspectives en matière d'emploi dans le secteur des services semblent permettre d'écarter cette hypothèse, même en l'absence de reprise d'une croissance plus forte. Au remplacement nécessaire des départs à la retraite attendus d'ici 2015 , en particulier dans la fonction publique, devrait en effet s'ajouter un accroissement de la demande potentielle de services , notamment dans la santé, propre à générer d'importants besoins de main d'oeuvre.
(2) Un secteur sensible à la conjoncture
A l'image des autres secteurs de l'économie, les cycles conjoncturels jouent un rôle déterminant dans les mouvements affectant l'industrie. Le ralentissement conjoncturel intervenu depuis l'année 2001 , principalement lié à l'effondrement boursier, à la crise des nouvelles technologies et à l'accroissement des incertitudes géopolitiques, a eu un effet négatif très direct sur la capacité des économies des pays développés à créer des emplois , en particulier des pays comptant des secteurs industriels développés. La nouveauté de l'actuel cycle économique est que la crise touche désormais des branches relativement épargnées jusqu'à présent (électronique, biotechnologies), ainsi que l'illustrent les difficultés que connaissent des entreprises comme Philips ou STMicroelectronics.
Un autre facteur susceptible d'affecter la compétitivité de l'industrie est la parité des taux de change . Cette altération est du reste d'autant plus pénalisante qu'elle apparaît artificielle, résultant davantage de décisions de politique économique parfois suspectes que reflétant réellement la parité des pouvoirs d'achat. Ainsi, lorsque, comme aujourd'hui, les évolutions de change entre le dollar et l'euro sont, pour la plupart des économistes, différentes d'au moins 15 % de l'équilibre auquel devrait permettre d'aboutir la comparaison des économies des Etats-Unis et de la zone euro, ou que le yuan chinois, lié au dollar pour des raisons politiques, est notoirement sous-évalué, l'industrie européenne en est gravement et durablement pénalisée.
Cette sensibilité du secteur industriel aux cycles conjoncturels et à la parité des changes est au reste accrue par l'internationalisation des entreprises . Celles-ci, notamment les plus importantes, sont souvent en mesure de restructurer et relocaliser des pans entiers, voire la totalité, de leur processus productif afin d'optimiser les différentes opportunités de croissance dans les grandes zones géographiques. C'est alors l'emploi domestique qui devient la variable d'ajustement de ces évolutions .