EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 23 juin 2004 sous la présidence de M. Bernard Piras puis de M. Gérard César , vice-présidents , la commission a procédé à l'examen du rapport d'information du groupe de travail sur la délocalisation des industries de main d'oeuvre .
Après une introduction de M. Christian Gaudin , président du groupe de travail , et l'exposé de son rapport par M. Francis Grignon , rapporteur , un débat s'est engagé.
M. Georges Gruillot , après avoir félicité le rapporteur pour son travail, a estimé qu'avait sans doute été minimisée l'ampleur des délocalisations de production. Il a attribué également à un péché d'orgueil typiquement français la conviction affichée par le rapporteur que notre pays pourrait conserver l'amont et l'aval du processus industriel.
M. Jean-Pierre Bel a souligné l'importance du sujet abordé et jugé que ce rapport aurait mérité plus d'intérêt et plus de place. Au nom des membres du groupe socialiste appartenant au groupe de travail, il a déclaré avoir apprécié le fonctionnement du groupe de travail, relevant au passage l'intensité du rythme de travail adopté par ledit groupe. Il a confirmé que, selon lui, la France gagnait globalement aux délocalisations, mais que le véritable sujet était le traumatisme territorial qu'induisaient les pertes d'emplois. Il a estimé que la nouvelle division internationale du travail ne laissait pas d'illusion et qu'il ne fallait pas imaginer une répartition du type : « la tête aux pays riches, les jambes aux pays pauvres », répartition qui serait injuste et inefficace. En effet, après s'être référé à la mission de la commission en Roumanie et Bulgarie à laquelle il avait participé, il a relevé que de nombreux pays, y compris l'Inde et la Chine, étaient capables d'être présents sur l'immatériel.
Se démarquant du rapporteur, M. Jean-Pierre Bel a souhaité mettre prioritairement l'accent sur l'échelon européen, préconisant diverses orientations :
- créer un impôt européen assis sur l'impôt sur les sociétés ;
- réduire la durée du temps de travail ;
- accroître le rôle des salariés dans les restructurations d'entreprises, notamment par la création d'un comité d'entreprise européen pour les grands groupes ;
- créer un salaire minimum dans chaque pays européen, ce qui ne laissait courir aucun risque de nivellement par le bas, contrairement aux craintes exprimées par M. Valéry Giscard d'Estaing.
Au plan international, il a préconisé la promotion des droits sociaux des salariés afin de les accompagner dans les adaptations nécessaires et évoqué plus précisément la nécessité d'un droit à la sécurité sociale professionnelle.
Revenant sur les propos du rapporteur selon lesquels il existerait des produits industriels dont la production par l'Union européenne serait « indéfendable », il a pressenti que le textile était en ligne de mire. S'agissant de ce secteur, il lui a semblé que l'alternative était la suivante : continuer à combattre ou bien déclarer haut et fort que le textile était sans avenir, comme cela avait été le cas pour la sidérurgie. Il a toutefois relevé que les dispositions récemment proposées par le Gouvernement en faveur du textile allaient dans le bon sens.
Au niveau territorial, il a présenté les diverses possibilités à explorer : « clusters » locaux inspirés des districts italiens, pénalisation, afin de maintenir l'emploi, des entreprises qui délocalisent, formation et qualification, action volontariste sur les transports, vigilance à l'égard des prix de l'énergie, lesquels représentaient jusqu'à présent un atout pour la France.
Mme Marie-France Beaufils , après avoir demandé d'excuser son collègue M. Yves Coquelle, retenu pour des raisons personnelles, a d'abord contesté les trois règles économiques que le rapporteur avait placées à la base de son raisonnement, jugeant que la concurrence profitait plus à l'entreprise productrice qu'au consommateur. Elle a ainsi fait observer que les délocalisations qui avaient visé la réduction des coûts salariaux ne s'étaient pas traduites par une baisse du coût des produits, ce qui relativisait les déclarations des économistes, comme l'avait d'ailleurs fait M. Bernard Maris, chroniqueur à Charlie Hebdo, lors de son audition devant la commission.
Elle a également insisté sur l'importance de la notion de coopération entre les peuples européens et relevé que les dix nouveaux pays entrés dans l'Union européenne avaient des niveaux de qualification qui n'étaient pas ceux des pays pauvres. Elle a ensuite suggéré la mise en place en France d'un système permettant aux salariés de passer d'une activité menacée vers une formation qualifiante pour trouver un nouvel emploi, système qu'elle a désigné sous le terme « sécurité-emploi-formation ». Elle a par ailleurs exprimé son désaccord avec les propositions du rapporteur relatives à la baisse de la fiscalité, faisant notamment valoir que le fruit de la taxe professionnelle profitait aux salariés via les services publics dont cette taxe permet le financement. Enfin, en écho aux propos de son collègue M. Jean-Pierre Bel, elle a regretté que de nombreux chercheurs formés en France soient débauchés outre-Atlantique, et déploré l'abrogation de la loi Hue sur le contrôle des fonds publics accordés aux entreprises.
M. Jean-Paul Emin a jugé que le grand mérite de ce rapport était qu'il visait à gérer la situation plutôt qu'à la subir. Il a souscrit à la philosophie du capitalisme rhénan invoquée par le rapporteur et consistant à organiser le pays pour faire face aux contraintes économiques. Il a souhaité insister sur le mot « productivité » et donc sur les investissements nécessaires, qu'il convenait de ne pas pénaliser. A ce titre, il s'est félicité de la suspension de la taxe professionnelle en vigueur pour dix-huit mois. Il a ensuite fait observer que les technologies actuelles soulevaient une grande difficulté pour notre main d'oeuvre en rendant nécessaire un accroissement de sa qualification. Il a enfin déploré le manque de culture économique dans les administrations locales et d'Etat, affirmant qu'il était possible d'assurer le respect efficace des normes sans faire perdre un temps excessif aux entreprises.
M. Charles Revet , après avoir félicité le rapporteur et le président du groupe de travail, a jugé que la vraie question était celle de la fuite des cerveaux. Il a évoqué les aspects tant économiques qu'humains des délocalisations et insisté sur la nécessité de se préoccuper des hommes les moins qualifiés et les plus exposés. Il a rappelé le changement considérable qu'avait vécu la société française, auparavant en autarcie et aujourd'hui tournée à 50 % vers l'extérieur. Enfin, il a appelé de ses voeux une baisse des charges sociales, celles-ci ruinant selon lui la compétitivité pourtant élevée des produits français.
M. Jean-Paul Bailly est revenu sur le sujet de la TVA de compétitivité, qui permettrait de taxer plus les produits importés et d'alléger les charges. Evoquant les délocalisations affectant la région dont il est l'élu, il a déploré le départ des activités de lunetterie, de jouets, notamment de baby-foot, en raison de différences notoires de coûts de production, et a fait part de son grand pessimisme.
M. Max Marest a souhaité insister sur la nécessité de bien distinguer entre la concurrence représentée par les nouveaux pays de l'Union européenne et celle des pays asiatiques, qui sont les plus menaçants. Rappelant que le processus industriel se composait de trois niveaux - créatif, productif et commercial -, il a jugé fondamental pour notre pays de conserver les premier et troisième niveaux afin de garder la maîtrise du processus. Il a enfin jugé que les délocalisations intracommunautaires étaient bonnes dans la mesure où elles permettaient l'accroissement du niveau de vie des dix nouveaux pays membres de l'Union.
En réponse aux diverses interventions, M. Francis Grignon , rapporteur , a fait observer que le sérieux du travail mené apportait la preuve qu'il ne s'agissait pas de minimiser le problème des délocalisations, comme le redoutait M. Georges Gruillot, mais de le placer au bon endroit. Il a jugé que pour les produits arrivés à maturité, susceptibles d'être fabriqués par une main d'oeuvre percevant des salaires dix à vingt fois moins élevés et d'être transportés à des coûts très bas, ce n'était effectivement plus la peine de se battre pour en conserver la production mais qu'il convenait en revanche de garder l'amont et l'aval.
Après avoir pris acte de la contestation de Mme Marie-France Beaufils à l'égard des principes économiques invoqués, tout en relevant que leur mise en oeuvre depuis environ cent ans avait été source de progrès dans notre pays, il a assuré M. Jean-Paul Bailly du fait qu'il avait une conscience très aiguë de la réalité territoriale des délocalisations.
En réponse à M. Jean-Paul Emin, il a exprimé le sentiment que des progrès avaient été faits en matière de culture économique au sein de l'administration territoriale. Il a entièrement souscrit à l'objectif consistant à gérer plutôt qu'à subir la situation. Enfin, en réponse à l'intervention de M. Jean-Pierre Bel visant à porter une attention prioritaire à l'échelon européen, il a fait observer qu' a priori , il était plus aisé de maîtriser l'échelon français.
A des fins d'explication de vote, M. Jean-Pierre Bel a salué le travail du groupe sur un sujet aussi essentiel et annoncé que le groupe socialiste s'abstiendrait.
Enfin, la commission a adopté le rapport du groupe de travail, le groupe communiste républicain et citoyen s'y étant déclaré défavorable.