b) Une extension sémantique prêtant à confusion
Mais dans le débat sur les incidences des délocalisations sur notre économie, le sens du terme « délocalisations » s'est subrepticement étendu, allant jusqu'à viser toute fermeture d'entité productive, toute cessation d'activité, sans qu'elle résulte explicitement d'une volonté de réallocation des facteurs de production dans un souci d'optimisation de la localisation de la production à l'échelle mondiale. Or, toute fermeture d'usine n'est évidemment pas la contrepartie d'une délocalisation .
Outre que la réallocation des moyens de production est parfois strictement locale (37 ( * )), une telle fermeture peut d'abord n'être que le résultat d'une amélioration de la productivité du facteur travail qui, précisément, conduit à créer la même quantité de biens avec un nombre inférieur de salariés. La rationalisation du processus productif est d'ailleurs , tous les économistes entendus par votre groupe de travail l'ont confirmé, la raison essentielle des mouvements d'emploi en France .
Par ailleurs, l'interruption d'un processus productif est aussi souvent la conséquence de l'application du principe de concurrence, lorsqu'il est entendu comme un jeu à somme nulle : dans un marché constant, si des entreprises gagnent des parts de marché, cela signifie obligatoirement que d'autres en perdent, jusqu'à éventuellement être contraintes de déposer leur bilan. Lorsque la concurrence se joue sur le terrain planétaire, le fait que le « gagnant » soit localisé ailleurs que le « perdant » est alors à tort interprété comme une délocalisation, nom nouveau donné à la perception locale du processus de concurrence internationale .
Pour votre groupe de travail, cette extension sémantique est erronée car elle confond décision assumée de l'entreprise - quand bien même elle serait effectuée sous contrainte - d'une situation subie par celle-ci : or, on ne saurait tirer de la similitude des effets apparents, i.e. la fermeture d'une unité de production, la conclusion qu'ils ont tous la même cause .
Il apparaît ainsi que, dans le débat public, le terme « délocalisations » exprime plus souvent un sentiment d'arrachement local plutôt qu'une réalité économique unanimement circonscrite. Le manque de rigueur de sa définition n'est d'ailleurs peut-être pas sans rapport avec la fortune qu'il connaît depuis quelques temps. En ne recouvrant pas exactement les concepts usuels auxquels recourent traditionnellement les économistes, il est alors, étymologiquement parlant, une notion proprement politique , c'est-à-dire relative à la polis , la cité.
Mais, tout en comprenant ce que traduit cette large acception de la notion de délocalisation, votre groupe de travail a estimé ne pas pouvoir y adhérer sans risque de fausser sa perception du phénomène et, partant, son analyse de ses causes ainsi que les solutions susceptibles d'être proposées pour le limiter . Aussi, comme les économistes, n'a-t-il qualifié de délocalisations que les mouvements d'entreprises conduisant à la substitution délibérée d'une production nationale par une production étrangère . Il a donc seulement retenu, sous ce concept, les transferts d'un site domestique à un site étranger, l'« extériorisation » à l'étranger, ainsi que les investissements de capacité à l'étranger qui auraient sans doute pu être effectués sur le territoire national si un certain nombre de conditions attractives y avaient été réunies.
* (37) Voir Les transferts interrégionaux d'établissements - Op. cit. A titre d'illustration, STMicroelectronics a renoncé à son site purement industriel de Rennes tout en développant son site de Crolles, sur lequel cohabitent recherche et développent et production industrielle.