D. LA MONDIALISATION, UN PROCESSUS INACHEVÉ
L'intégration économique internationale est en
progrès, mais est loin d'être complète. Des obstacles aux
échanges demeurent. Des considérations politiques, liées
par exemple à la préservation d'un modèle agricole
original, ou d'une identité culturelle, s'opposent à ce que
l'ouverture à la concurrence internationale devienne une norme
s'imposant dans tous les domaines. D'autres obstacles aux échanges
pourraient, en revanche, être levés dans le cadre de l'actuel
cycle de négociations.
L'intégration ne concerne pas non plus de manière égale
toutes les régions de la planète. En dépit de
l'augmentation du nombre de pays membres de l'OMC, de nombreux pays, en Afrique
notamment, occupent une place tout à fait marginale dans les
échanges internationaux. En revanche, en d'autres endroits du globe
(Union européenne, Amérique du Nord), des expériences
d'intégration économique plus poussée ont
été menées, ce qui conduit à s'interroger sur
l'impact de ces politiques d'intégration régionales :
sont-elles un obstacle ou un facteur favorable à la mondialisation ?
LA
MONDIALISATION INACHEVÉE :
ILLUSTRATION PAR LA MISE EN
ÉVIDENCE DES « EFFETS-FRONTIÈRES »
Une
série de travaux se sont récemment attachés à
apprécier les effets économiques des frontières
géopolitiques. Tous confirment la persistance d'une importante
fragmentation économique.
S'agissant des échanges, Mc Callum (1995) a estimé qu'à
distance et poids économique identiques, les provinces canadiennes
échangaient vingt fois plus entre elles qu'avec les Etats
américains voisins. Pour l'Europe, Head et Mayer (2000) ont
récemment abouti à des résultats comparables (l'effet du
franchissement de la frontière était dans les années
soixante-dix de diviser l'intensité des échanges par un facteur
de l'ordre de 20, il est tombé à un peu plus de 12 après
l'achèvement du marché intérieur).
Un autre exemple concerne la composition des portefeuilles financiers. Les
travaux empiriques ont mis en évidence que, malgré la
levée des barrières à la mobilité du capital, les
actifs nationaux constituaient encore une part prépondérante des
portefeuilles d'actifs : comme l'avaient observé French et Poterba
(1991), plus de 90 % du portefeuille financier des ménages
américains ou japonais est constitué d'actifs
nationaux
1
. Même si la proportion est un peu plus faible pour
l'Europe (85 % pour l'Allemagne et 89 % pour la France), la structure
des portefeuilles reste très marquée par les biais nationaux.
1. D'après les chiffres du
World Economic Outlook
, FMI, octobre
2001. Les données portent sur les années
1996-1999.
Source : d'après
Gouvernance mondiale
, rapport
du Conseil d'Analyse Economique, 2002.
1. La libéralisation n'est pas absolue
L'audition de M. Patrick Messerlin 11 ( * ) a permis de mettre en lumière la persistance d'obstacles aux échanges non négligeables. Des pics tarifaires, ainsi que d'importantes barrières non tarifaires aux échanges demeurent.
a) Le niveau réel des protections douanières
Officiellement, le niveau moyen des droits de douane en Europe est
de seulement 4 %. Ce taux très bas ne devrait pas
représenter, en soi, un obstacle significatif aux échanges
internationaux. Une étude plus fine de la protection douanière en
Europe suggère cependant que le niveau effectif de protection aux
frontières de la Communauté est très supérieur
à ce que cette simple moyenne peut laisser supposer.
En effet, le taux moyen de 4 % couramment cité est quelque peu
trompeur. Ce taux est obtenu en faisant la moyenne des droits de douane
appliqués aux différents biens et services importés dans
la Communauté, pondérée par le niveau des importations
pour les biens et services considérés. Or, il est bien
évident que l'application d'un droit de douane élevé
réduit le niveau des importations pour le produit
considéré. La méthode de calcul employée conduit
donc à minorer le poids des produits sur lesquels pèsent les
droits de douane les plus élevés. Si l'on corrige ce biais
statistique, on constate que le droit de douane moyen en Europe est en
réalité
supérieur à 7 %, niveau d'ailleurs
comparable à celui observé aux États-Unis.
En outre, il faut tenir compte, pour apprécier le niveau de la
protection douanière en Europe, des barrières non tarifaires aux
échanges. Ces barrières non tarifaires prennent principalement la
forme de restrictions quantitatives (quotas) et de subventions.
Agrégées, elles représenteraient, en moyenne, un droit de
douane supplémentaire
d'un peu plus de 4 %.
Le taux de protection globale de la Communauté n'est donc pas de
4 %, comme pourrait le laisser penser la lecture des données les
plus immédiatement disponibles, mais
avoisinerait en fait les
12 %.
Ce taux était de 14 % jusqu'en 1997, mais a
diminué depuis en raison de la mise en oeuvre graduelle de
décisions prises dans le cadre de l'Uruguay Round
12
(
*
)
.
Ce taux de protection globale moyen dissimule d'importants pics tarifaires. P.
Messerlin a identifié 22 secteurs sur lesquels la protection est
concentrée (cinq dans l'agriculture, quatorze dans le secteur
manufacturier et trois dans les services). Pour illustration, ces secteurs sont
répertoriés dans le tableau suivant :
|
LES
VINGT-DEUX BIENS ET SERVICES PROTÉGÉS
|
|
||
Biens industriels |
Biens agricoles |
Services |
||
ciment |
céréales |
films français |
||
engrais |
viande bovine |
transport aérien |
||
polyéthylène de faible densité |
produits laitiers |
télécommunications de base |
||
polyvinyle chloride |
sucres |
|
||
panneaux de bois |
bananes |
|
||
papier journal |
|
|
||
fibres chimiques |
|
|
||
magnétophones |
|
|
||
circuits intégrés |
|
|
||
photocopieurs |
|
|
||
acier |
|
|
||
automobiles |
|
|
||
textile-habillement |
|
|
||
|
Une
étude de Hufbauer et Eliott
13
(
*
)
sur la protection de l'économie
américaine montre que la liste des activités
protégées aux États-Unis est très proche de celle
observée en Europe. Autrement dit, ce sont les mêmes secteurs dans
les principaux pays de l'OCDE, qui ont réussi à se soustraire aux
précédentes étapes de la libéralisation. Ceci
représente une importante source de difficulté pour les
négociations en cours du Round de Doha : nombre de ces produits
fortement protégés sont, en effet, des biens
intermédiaires dans lesquels les pays en voie de développement
ont un avantage comparatif. Les pays occidentaux peuvent donc craindre les
conséquences, pour leurs producteurs, d'un désarmement tarifaire
dans ces secteurs.
Alors que le débat au sein de l'OMC tend à se focaliser sur la
question de la protection du secteur agricole, ces travaux montrent que le
secteur industriel n'est pas exempt de protections douanières
.
Ainsi, en 1999-2000, le taux de protection global était supérieur
à 10 % dans des secteurs industriels représentant plus du
quart de la valeur ajoutée industrielle de la Communauté
européenne, supérieure de 20 % pour près d'un
sixième de cette valeur ajoutée, et supérieur à
30 % pour le secteur textile, dont la valeur ajoutée est
supérieure à la somme des valeurs ajoutées dans la viande
et le sucre.
Enfin, les travaux de Messerlin proposent une évaluation du coût,
pour les consommateurs européens, du maintien de barrières
douanières. Ce coût serait de l'ordre de 7 % du PIB
communautaire, ce qui équivaut au PIB de l'Espagne. Un nouveau cycle de
libéralisation pourrait donc entraîner d'importants gains de
bien-être pour les consommateurs européens.
* 11 Le compte rendu de l'audition est publié en annexe.
* 12 Pour une présentation plus détaillée de ces travaux, le lecteur pourra se référer à P. Messerlin, Measuring the costs of protection in Europe, Institute for Internatinal Economics, Washington DC, 2001, ou à P. Messerlin, Niveau et coût du protectionnisme européen, Economie internationale, n°89-90, 1 er - 2 e trimestre 2002.
* 13 Hufbauer G. et Elliott K.A., Measuring the costs of protection in the United States, 1994, Institute for International Economics, Washington D.C.