2. Une mobilisation réelle des acteurs de terrain
La crise de la canicule a aussi été l'occasion d'observer une très importante mobilisation des acteurs de terrain, à laquelle la mission d'information souhaite rendre un hommage tout particulier.
a) La disponibilité des personnels
Face
à une crise sanitaire majeure et totalement imprévue,
après les défaillances du système d'alerte et la lenteur
de la prise de conscience des administrations centrales et locales, le
système hospitalier est apparu, pour reprendre les termes
employés par le professeur Pierre Carli, directeur du SAMU de Paris,
comme
« le dernier recours »,
« la
seule ligne de défense ».
L'ensemble des acteurs auditionnés sur ce point par la mission
d'information ont en effet souligné que la
mobilisation du personnel
hospitalier
avait été massive et exceptionnelle.
M. Patrick Pelloux, président de l'association des médecins
urgentistes de France, leur a ainsi rendu hommage en ces termes :
« Vers le lundi 4 et le mardi 5 août, la
température était telle que nous n'arrivions plus à tenir.
Le personnel hospitalier était épuisé. Il ne parvenait pas
à se reposer la nuit. Le mercredi matin, les bénévoles de
la Croix-Rouge nous ont apporté leur aide. Ils ont été
d'une efficacité remarquable. Je voudrais saluer le travail efficace
réalisé par les infirmières, les médecins, les
aides-soignants, les agents hospitaliers, les cadres, les ouvriers de
l'hôpital, les administratifs. Toutes ces personnes se sont
mobilisées et ont lutté pour limiter au maximum le nombre de
morts. Malheureusement, le nombre de décès ne cessait d'augmenter
et nous étions toujours dans l'incapacité d'ouvrir de nouveaux
lits. Des véhicules de secours cherchaient
désespérément des hôpitaux où déposer
leurs malades. Le 15, 16 et 17 août, le plan blanc et la mobilisation
totale du personnel hospitalier ont permis de faire face à la crise. Le
nombre de décès continuait d'augmenter mais nous avons pu
gérer la situation de manière convenable. »
Mme Toupillier, conseiller technique à la Direction de l'hospitalisation
et de l'organisation des soins, a observé pour sa part que les
établissements avaient coopéré entre eux :
« Il
faut souligner l'importante solidarité
hospitalière qui s'est mise en place durant toute cette période.
Beaucoup d'établissements se sont portés au secours d'autres pour
accueillir les patients, dans des situations souvent
extrêmes»
.
(1) Les services d'urgence en première ligne
Les
équipes des 616 services d'urgence, des 350 SMUR et des 100 SAMU de
France se sont trouvées en première ligne. Face à un
afflux très important de patients, notamment de personnes
âgées dans un état critique, elles ont été
confrontées à un problème d'engorgement rapide de leurs
capacités.
Ce phénomène a été aggravé par le fait que
les malades sont très souvent arrivés à l'hôpital
dans des états d'extrême gravité, voire
désespérés.
(2) L'action des personnels des maisons de retraite
On
retrouve les mêmes exemples de dévouement parmi le personnel des
établissements accueillant des personnes âgées. Comme l'ont
rappelé plusieurs de nos interlocuteurs, que ce soit à Lille ou
à Orléans, les maisons de retraite n'ont dans l'ensemble pas
alerté sur la gravité de la situation. Habituées à
« faire face avec les moyens du bord », elles ont
rappelé du personnel, trouvé toutes sortes d'astuces pour inciter
les personnes âgées à se dévêtir, à
boire. Elles ont tenté d'organiser les locaux au mieux en occultant
fenêtres et baies vitrées et dans de nombreux cas fait appel aux
familles ou à des bénévoles pour assurer l'hydratation.
Les responsables rencontrés ont insisté sur le
phénomène de « rebond » constaté
après la période de crise : personnel épuisé
et forte augmentation de l'absentéisme après coup. Le rapport
demandé à ses services par notre collègue Louis de
Broissia, président du conseil général du
département de la Côte-d'Or, rend bien compte, lui aussi, de la
réalité vécue dans un département
spécialement atteint par la vague de chaleur.
Le gouvernement a d'ailleurs dégagé, le 15 septembre 2003,
une enveloppe exceptionnelle de 40 millions d'euros destinée
à assurer le financement des heures supplémentaires
réalisées pendant la crise ainsi que les remplacements de
personnel qui ont été alors nécessaires.
(3) Le rappel des personnels hospitaliers et le déclenchement du plan blanc
Grâce au plan blanc, autorisant notamment le rappel des
personnels, les hôpitaux ont bénéficié d'un renfort
décisif au plus fort de la crise. Mais, il convient de noter, comme
l'ont fait observer plusieurs intervenants auditionnés par la mission
d'information, qu'une partie du personnel était rentrée de
congés spontanément.
Le plan blanc permet, au niveau d'un hôpital, de modifier l'ordre des
activités programmées, de redéployer le personnel vers les
urgences et les services d'aval et de libérer des lits
.
Ce plan a été déclenché dès le 11 août
2003 par le directeur du centre hospitalier intercommunal (CHI) de
Créteil dans son établissement, puis le lendemain par le
préfet du Val-de-Marne dans l'ensemble de son département.
A l'exception du CHI de Créteil, de l'Assistance Publique-Hôpitaux
de Paris et du Centre hospitalier régional d'Orléans qui ont pris
des initiatives similaires, la mise en oeuvre du dispositif d'urgence a
été tardive. Il a en effet fallu attendre la réunion
interministérielle, organisée à l'hôtel Matignon le
jeudi 14 août, pour que soit décidée, à l'initiative
du Premier ministre, l'extension du plan blanc à l'ensemble du
territoire, sous réserve de l'appréciation des préfets
dans leurs départements.
LE PLAN BLANC ET SA MISE EN oeUVRE
Le plan
relatif à l'afflux de victimes à l'hôpital, plus
communément appelé « plan blanc » et dont les
modalités sont définies dans le cadre de la circulaire DHOS/HFD
n°°2002/284 du 3 mai 2002, vise à pouvoir faire face à
une situation de crise.
Il énonce les principes généraux sur la base desquels
chaque établissement de santé doit élaborer, en
cohérence avec les autres plans d'urgence existants, son plan d'accueil.
La responsabilité de ce plan d'accueil incombe au directeur de
l'établissement concerné. Il doit être établi en
fonction du rôle que l'établissement serait en mesure d'assurer
dans une situation d'exception eu égard au potentiel dont il dispose.
C'est pourquoi un schéma départemental doit préciser le
rôle de chacun des établissements concernés.
Ce plan fait l'objet d'un réexamen annuel. Il est soumis aux
différentes instances consultatives et délibératives de
l'établissement (conseil d'administration, commission médicale
d'établissement, comité technique d'établissement et
commission d'hygiène et de sécurité et des conditions de
travail).
La décision de le déclencher appartient au directeur de
l'établissement concerné ou, par délégation,
à l'administrateur de garde, en fonction de critères quantitatifs
ou qualitatifs. Le préfet de département, le directeur des
affaires sanitaires et sociales et le directeur de l'agence régionale de
l'hospitalisation sont informés sans délai de cette
décision. Son déclenchement s'accompagne de la mise en place
d'une cellule de crise. Celle-ci rassemble les compétences
pluridisciplinaires nécessaires. Elle coordonne les actions à
mettre en oeuvre et prend les décisions adéquates qui s'imposent
à l'établissement.
Le déclenchement de l'alerte répond à un protocole
précis. Les malades dont l'état le permet sont soit
dirigés vers des services moins impliqués, soit
transférés vers d'autres établissements. Les moyens de
transport doivent être mobilisés en conséquence. Le
personnel peut être rappelé.
Les blocs opératoires sont libérés et leurs programmes
allégés. L'ensemble des autres services médicotechniques
(pharmacie, laboratoires, imagerie...), mais aussi logistiques et
généraux, dressent l'état quantitatif et qualitatif des
moyens disponibles ou des rappels de personnels possibles. Le centre de
transfusion sanguine doit être alerté.
Le récit de la crise fait par Mme Rose-Marie Van Lerberghe, directrice
générale de l'AP-HP, permet de mieux saisir l'ampleur de la
mobilisation du personnel et des efforts qui ont été
déployés pour faire face à la situation :
« Je voudrais également témoigner du choc personnel
que ce fut pour moi, quand j'ai fait le tour de trois services d'urgences, le
dimanche soir. La chaleur à Paris était invraisemblable. Je
venais du Midi. Je trouvais qu'il faisait chaud dans le Midi ; ce
n'était rien comparé à Paris ! Cet afflux de
vieillards dénudés sur des brancards, placés partout
où il y avait de la place... pour notre personnel, cela a
été dramatique. Plusieurs infirmières pleuraient en
parlant de leurs grands-mères. Forcément, chacun est
renvoyé à l'image de la vieillesse, de sa famille, etc. Je
voudrais saluer le personnel de l'AP, car quand la canicule est arrivée,
nous avons tenté de faire face au mieux. »
Elle a souhaité leur rendre un hommage mérité :
« J'ai été absolument épatée par la
réaction de service public de l'ensemble des équipes. Face
à cette situation difficile, d'un point de vue matériel et
émotionnel, les équipes ont accepté de reporter leurs
congés ou de faire des heures supplémentaires. Pour ne prendre
qu'un exemple, nous avons fait revenir, sur la base du volontariat, 400
élèves infirmières. En outre, face à
l'adversité, les personnes ont travaillé en équipe et ont
fait preuve de créativité (les administratifs prenaient les
ventilateurs dans les bureaux pour les mettre dans les salles
d'attente). »
b) La mobilisation des autres acteurs
(1) Les sapeurs-pompiers de Paris
• Le rappel des attributions de la brigade des
sapeurs-pompiers de Paris (BSPP)
48
(
*
)
Pour des raisons historiques, tout comme Marseille, Paris dispose de
sapeurs-pompiers militaires. La brigade des sapeurs-pompiers de Paris
49
(
*
)
est en effet une unité
militaire de sapeurs-pompiers de l'armée de terre appartenant au
Génie, placée, pour emploi, sous l'autorité du
préfet de police de Paris agissant dans le cadre de ses attributions en
matière de secours et de défense contre l'incendie.
LES
ATTRIBUTIONS DU PRÉFET DE POLICE TROUVENT LEUR FONDEMENT
DANS
L'ARRÊTÉ DU 12 MESSIDOR AN VIII (1
ER
JUILLET
1800)
Responsable de la sécurité dans l'acception la plus
globale du terme, le préfet de police exercer ses missions, selon les
cas, au titre de l'Etat ou de la ville
. Ainsi, le préfet de police
doit-il assurer la sécurité des personnes et des biens, lutter
contre l'incendie et organiser les secours. Il est également responsable
de la délivrance des titres administratifs, de la circulation, des
transports et du commerce, de la
protection du public
(sécurité, hygiène et salubrité dans les locaux
recevant du public), mais aussi de la lutte contre les nuisances et de la
protection de l'environnement. Ces activités concernent directement la
vie quotidienne des parisiens.
Dans certains de ces domaines (incendie et
secours,
gestion des effectifs et des moyens des services de police),
la
compétence territoriale du préfet de police s'étend aux
départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis, du
Val-de-Marne et s'exerce conjointement avec les préfets de ces
départements
(circulation).
Le préfet de police est également le préfet de la zone
de défense de Paris, qui regroupe les huit départements de
l'Ile-de-France.
Dans ce cadre,
il prépare les plans et les mesures de défense
à caractère non militaire
, qui visent à assurer en
toutes circonstances la sécurité des pouvoirs publics et des
administrations, à maintenir l'ordre public, à
garantir la
poursuite des activités indispensables à la vie de la population,
à prévenir et à organiser les secours
(en cas de
catastrophes naturelles), toutes activités susceptibles de
nécessiter une coordination régionale. Il coordonne, à cet
effet, l'action des préfets des départements de l'Ile-de-France
et des services déconcentrés de l'Etat et organise la
coopération civilo-militaire. Enfin, en application de la loi
d'orientation et de programmation relative à la sécurité
du 21 janvier 1995, le préfet de police coordonne également
l'action des préfets des départements de l'Ile-de-France pour
prévenir les évènements troublant l'ordre public,
lorsqu'ils concernent Paris et d'autres départements de cette
région.
La brigade des sapeurs-pompiers de Paris est chargée de la
prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies,
à Paris et dans les départements des Hauts-de-Seine, de la
Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, soit une zone de 760 km
2
et 6,2 millions d'habitants. Elle concourt, avec les autres services et
professionnels concernés, à la protection et à la lutte
contre les autres accidents, sinistres et catastrophes, à
l'évaluation et à la prévention des risques technologiques
ou naturels, ainsi qu'aux secours d'urgence dans les limites territoriales
précitées.
Enfin, elle intervient dans la prévention et l'évaluation des
risques de sécurité civile, la préparation des mesures de
sauvegarde et l'organisation des moyens de secours, la protection des
personnes, des biens et de l'environnement, l'assistance et les secours
d'urgence aux personnes en détresse ou victimes d'accidents, de
sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation et dans
l'élaboration et la mise en oeuvre des mesures prévues en
matière de défense civile
50
(
*
)
.
Les sapeurs-pompiers répondent aux appels au secours des particuliers
qui composent le 18 ou le 112 (numéro européen), soit environ
1 200 interventions par jour. Depuis une dizaine d'années,
l'activité de la brigade croît rapidement. En effet,
l'efficacité des sapeurs-pompiers est appréciée au
quotidien par la population. Selon le colonel Richard Vignon, ces
«
premiers maillons de la chaîne des secours (...) ont
contribué à amortir les conséquences de cette
crise
... ».
L'AUGMENTATION DU NOMBRE D'INTERVENTIONS
DES SAPEURS-POMPIERS
DE PARIS
Nature d'intervention |
2000 |
2001 |
2002 |
% de l'année |
Variations |
|
2000-2002 |
2001-2002 |
|||||
Fausses alertes |
8.522 |
10.093 |
10.135 |
2,38 % |
+ 18,93 % |
+ 0,42 % |
Incendies |
18.998 |
20.432 |
18.850 |
4,42 % |
- 0,78 % |
- 7,74 % |
Accidents de circulation |
35.236 |
30.915 |
27.584 |
6,47 % |
- 14,43 % |
- 10,77 % |
Secours à victimes |
274.327 |
289.644 |
280.394 |
65,76 % |
+ 2,21 % |
- 3,19 % |
Assistances à personnes |
18.594 |
18.492 |
16.559 |
3,88 % |
- 10,94 % |
- 10,45 % |
Faits d'animaux |
2.419 |
1.878 |
2.224 |
0,52 % |
- 8,06 |
+ 18,42 % |
Eau Gaz - Electricité |
26.594 |
28.049 |
21.882 |
5,12 % |
- 17,94 % |
- 22,20 % |
Protection des biens |
8.498 |
4.675 |
4.583 |
1,07 % |
- 46,07 % |
- 1,97 % |
Pollution |
98 |
610 |
79 |
0,02 % |
- 19,39 % |
- 87,05 % |
Reconnaissance - Recherches |
40.478 |
44.747 |
44.172 |
10,36 % |
+ 9,13 % |
- 1,29 % |
Totaux |
430.764 |
449.535 |
426.172 |
100 % |
- 1,01 % |
- 5,15 % |
Par jour |
1.177 |
1.232 |
1.168 |
|
|
|
Le
centre de coordination de l'état-major Champerret, que la mission a pu
visiter, est en veille permanente, disposant d'un centre opérationnel de
crise, d'un centre de réception des appels téléphoniques
qui gère un tri et met en alerte les centres de secours, ainsi que d'un
pôle de médecins chargé d'un premier bilan médical
en cas d'urgence.
• La brigade des sapeurs-pompiers de Paris en première ligne
lors de la canicule
Les sapeurs-pompiers de Paris ont dû faire face à un accroissement
brutal de leur activité pendant la première quinzaine
d'août.
Selon le colonel Vignon, «
dans le cadre de la crise sanitaire,
l'activité des SDIS n'a jamais connu le degré
d'hyperactivité relevé par nos collègues de la brigade des
sapeurs-pompiers de Paris. Ces derniers ont parfois eu à recourir
à des engins d'incendie pour transporter des patients vers les centres
d'accueil des urgences.
Rien de comparable n'a fort heureusement
été constaté en région, où les moyens
humains et matériels ont permis de répondre aux
besoins ».
En revanche, les sapeurs-pompiers de Paris ont connu une
«
explosion
» du nombre de secours à victimes
lors de la première quinzaine d'août 2003 : lors du
déplacement de la mission à l'état-major de la brigade, le
colonel Thibault a précisé qu'après une lente progression
régulière jusqu'au 8 août (1 073 et 1 160
départs les 7 et 8 août pour une moyenne
constatée de 684 en août 2002) et une légère
diminution le week-end, les sapeurs-pompiers ont connu une
«
suractivité
» exceptionnelle avec un pic le
12 août de 1 814 interventions, puis une diminution rapide.
C'est le 8 août que les sapeurs-pompiers de Paris ont pris
conscience du caractère anormal de la situation
et qu'ils en ont
immédiatement informé leur autorité de tutelle, le
préfet de police de Paris dont le cabinet suivait tout
particulièrement l'activité de la brigade depuis le
5 août. Le 8 août et le 11 août, la brigade va
diffuser des communiqués de presse attirant l'attention sur le grand
nombre de sorties quotidiennes (plus de 100) pour des malaises liés
à la chaleur, principalement chez les personnes âgées.
La brigade des sapeurs-pompiers de Paris va réagir
immédiatement
.
Dès le 9 août, après un
échange avec le Samu de Paris, elle va rassembler toutes les
glacières et la glace disponibles pour rafraîchir les personnes
secourues pendant leur transport jusqu'aux services d'urgence.
Tous les effectifs et le matériel de la brigade ont été
mobilisés pour affronter une situation tendue, mais
«
toujours sous contrôle
» selon le colonel
Thibault, et alerter les associations de secouristes (Croix Rouge,
Fédération nationale de la protection civile...),
«
afin de renforcer les centres de secours ou de soutenir
l'activité de l'Assistance publique des Hôpitaux de
Paris
», comme l'a précisé M. Jean-Paul
Proust, préfet de police de Paris.
Le rapport Lalande a reconnu le rôle essentiel de la BSPP au coeur de la
crise estivale : «
La brigade a pu faire face à tous
les appels, comme à l'accoutumée, en moins de dix minutes,
grâce à une mobilisation de tous ses moyens humains et
matériels, y compris comme moyens de la sécurité
incendie
... ». Lors de son audition devant la mission,
M. Nicolas Sarkozy a confirmé cette appréciation en rendant
hommage au «
travail remarquable
» des
sapeurs-pompiers.
(2) Une gestion difficile de la crise par les services funéraires
La
saturation rapide des chambres funéraires s'est accompagnée d'une
réaction efficace de l'ensemble des acteurs
L'absence d'identification immédiate de la crise sanitaire et d'un plan
de prévention visant les conséquences de la chaleur ont
été à l'origine d'une saturation des chambres
funéraires en Ile-de-France.
Les premiers signaux d'alerte apparaissent le 7 août
à
la société d'économie mixte des pompes funèbres de
la Ville de Paris (SEM SF-VP)
51
(
*
)
, qui agit dans le cadre de délégations
de service public sous l'autorité du maire (réalisation des
convois sociaux ; inhumation des indigents), compétent en
matière de police des cimetières, et du préfet de police
qui, en application des dispositions de l'arrêté des Consuls du
12 messidor an VIII, «
assure la salubrité de la
Ville en prenant des mesures pour prévenir et arrêter les
épidémies, les épizooties, les maladies contagieuses, en
faisant observer les règlements de police sur les
inhumations
» (enlèvement et transport vers une chambre
froide agréée en cas de risque pour l'hygiène publique,
stockage de moyens d'intervention massive en application du plan ORSEC).
M. Michel Minard, directeur-adjoint des Pompes funèbres
générales, a, devant la mission, évoqué une
mobilisation totale
de son entreprise
dès le
8 août,
conduisant à rappeler des salariés en
vacances, à affecter 175 vendeurs de contrats obsèques aux
opérations funéraires, à faire appel aux retraités
volontaires, à ouvrir deux maisons funéraires en région
parisienne et des chambres funéraires mobiles.
Selon M. Jean-Paul Proust, «
les médecins de
l'institut médicolégal constatent une augmentation
régulière mais peu significative jusqu'au 11 août du
nombre de défunts. A partir de la nuit du 11 au 12 août
et le 13 août, des défunts sont apportés massivement
à l'institut médicolégal qui, au-delà de son aspect
judiciaire, sert de morgue pour la ville de Paris et la banlieue
immédiate
».
Le cabinet du préfet a alors alerté le cabinet du ministre de
l'intérieur de la saturation des chambres funéraires à
Paris et en Ile-de-France.
L'INSTITUT MÉDICOLÉGAL (IML)
Créé par une convention passée le 27 avril
1910 entre l'Etat et le département de la Seine, approuvé par une
loi du 2 avril 1912, l'IML relève de la préfecture de police
de Paris.
Sa mission est de recevoir les cadavres inconnus, d'effectuer les autopsies
judiciaires, les expertises médicolégales et d'assurer un
enseignement de médecins pour Paris et la petite couronne (Hauts de
Seine, Seine Saint Denis, Val-de-Marne).
La réponse des autorités a permis de surmonter le risque
sanitaire.
Responsable de la réglementation funéraire, le ministère
de l'intérieur a réagi à la crise en prenant des mesures
d'urgence tendant à mobiliser l'ensemble des moyens disponibles pour
faciliter l'acheminement et l'inhumation des personnes
décédées en préservant leur dignité.
M. Michel Minard a ainsi salué, devant la mission,
la «
parfaite collaboration
» des services de
l'Etat.
Selon M. Nicolas Sarkozy, «
des instructions ont
été données par deux circulaires, en date du
13 août, signées par le directeur adjoint de mon cabinet aux
préfets de la région Ile-de-France
».
La première circulaire informait les préfets des
disponibilités funéraires tandis que la seconde leur demandait de
déclencher le plan blanc et «
de réquisitionner,
à chaque fois que les opérateurs funéraires le demandent,
des salles à proximité des chambres
funéraires
». Selon M. de Lavernée, la
sécurité civile a répondu aux «
demandes de
soutien de la part des sociétés de pompes
funèbres
» qui auraient besoin de «
housses
de lits et de moyens de réfrigération
». Les
ambulances et tout autre véhicule susceptible de transporter les
bières sont également réquisitionnés.
Le lendemain, une autre circulaire étendait ces instructions à
l'ensemble du territoire, autorisant les préfets à
«
adapter la réglementation des cités
funéraires en cas de nécessité
». Des
convois de camions transportant les cercueils ont ainsi été
autorisés à rouler le week-end du 15 août.
Simultanément, à la demande de l'Institut de veille sanitaire,
les préfets ont été saisis pour recenser auprès des
instances compétentes, le nombre de décès survenus chaque
jour depuis le 25 juillet afin de permettre une première estimation.
Ces mesures seront prolongées en Ile-de-France par des dispositifs de
coordination des opérateurs funéraires, pilotés par la
préfecture de police et destinés à assurer l'accueil des
défunts :
-
ouverture de capacités supplémentaires de conservation
des corps
pour l'institut médicolégal, après sa
fermeture forcée pour raisons sanitaires le 13 août (à
Paris et à Villejuif), les Pompes funèbres
générales (réquisition d'une halle de Rungis) et la SEM
SF-VP (véhicules réfrigérés stationnés sur
un site d'Ivry) ;
-
mise en place, du 19 août au 3 septembre, d'un
processus spécifique d'inhumation
pour éviter que l'afflux
des défunts n'engendre un nouveau risque sanitaire pour la population.
M. Jean-Paul Proust a précisé qu'il avait porté le
délai d'inhumation de six à dix jours «
afin que les
familles puissent organiser des funérailles dans des conditions de
dignité satisfaisantes. D'autre part, le terme du délai
d'inhumation des corps déposé à l'institut
médicolégal et aux Pompes funèbres de la ville a
été fixé au 1
er
septembre, puis au
3 septembre, pour permettre aux autorités municipales d'organiser
une recherche plus systématique des familles qui ne s'étaient pas
manifestées
».
Le risque d'épidémie a pu ainsi être évité
et la dignité des funérailles a pu être
préservée grâce à la mobilisation notable de tous
les acteurs.
Ces efforts sont d'autant plus remarquables que les conditions d'intervention
des personnels concernés (employés des opérateurs
funéraires, policiers, sapeurs-pompiers, fossoyeurs...) ont
été très difficiles en raison de l'état des corps
dans les maisons de retraite et surtout à domicile.
• Une suractivité funéraire sans équivalent depuis
la Seconde guerre mondiale
Du fait de son ampleur, la crise sanitaire liée à la canicule a
vite provoqué une suractivité funéraire sans
précédent. «
Cette crise est exceptionnelle par le
nombre de victimes, car nous n'avions pas connu un tel nombre de morts depuis
la fin de la Seconde guerre mondiale
», a indiqué
M. Minard devant la mission, cette suractivité liée à
la canicule s'étant prolongée pendant quatre semaines.
Les Pompes funèbres générales ont ainsi organisé
plus de 14 000 obsèques au plan national, soit 40 %
de progression par rapport à une année normale ; 4 200
ont été organisées en Ile-de-France, ce qui
représente un doublement de l'activité de l'entreprise dans la
région à cette période de l'année. Quant à
la société d'économie mixte de pompes funèbres de
la Ville de Paris, elle a effectué 927 transferts de corps (contre
133 en temps ordinaire), dont 364 enlèvements dans les
appartements. Le site d'Ivry a accueilli 217 corps et le site de Thiais
114.
Pour le seul 14 août, le service des cimetières de la
Ville de Paris a effectué 103 inhumations ;
1 441 inhumations ont été enregistrées au cours
du mois, soit deux fois plus qu'en août 2002.
c) Les médecins libéraux : présents mais peu sollicités
Le
rapport Lalande, rédigé il convient de le rappeler dans des
délais très courts, et transmis dès le 8 septembre au
ministre chargé de la santé, faisait état des
« carences de la présence médicale libérale
dans de nombreux départements et surtout dans les grosses
agglomérations »
et estimait nécessaire de
s'interroger sur
« la proportion de médecins partis en
congé »
et sur la
« réalité de
leur participation à la permanence des soins ».
Ces appréciations sévères ont été à
l'origine d'une vive polémique.
Le Docteur Michel Ducloux, président du conseil national de l'ordre des
médecins, a d'emblée souhaité s'exprimer sur ce point lors
de son audition devant la mission :
« Les médecins ont
été surpris -comme tout le monde- par la durée et
l'ampleur de ce phénomène climatique et par le fait qu'aucune
veille n'a été déclenchée. Nous avons surtout
été surpris par le fait que les médecins ont
été mis en cause de façon injuste. Dans la plupart des
départements, les médecins étaient présents et ont
fait leur métier de manière consciencieuse et efficace, sans pour
autant aller devant les caméras pour dire ce qu'ils avaient fait. Je
crois qu'à aucun moment, dans aucun département, il n'y a eu de
problème. Trois exemples furent particulièrement extraordinaires.
Je pense tout d'abord au département du Rhône à propos
duquel il a été fait mention de dysfonctionnements
considérables. En réalité, sur 53 secteurs de garde
dans le département du Rhône, un seul dysfonctionnement a
été relevé, qui a été aussitôt
corrigé par le président du Conseil départemental du
Rhône. Dans d'autres départements, le président du Conseil
départemental a rappelé tous les médecins en vacances.
Ceux-ci sont alors revenus de leur lieu de villégiature pour assurer la
permanence des soins pendant cette période difficile. Je citerai un
autre exemple. Dans les Hauts-de-Seine, le nombre de médecins a
été doublé ».
De fait, les études réalisées par la suite, celle de la
Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS)
consacrée à
« l'activité quotidienne des
médecins libéraux durant la canicule
d'août 2003 »
et le rapport de l'IGAS, conduisent
à un constat plus nuancé. Il apparaît en effet que les
médecins libéraux étaient bien présents pendant la
crise, mais qu'ils ont été peu sollicités, sauf pour les
jeunes enfants. Les chiffres publiés par la Caisse nationale d'assurance
vieillesse montrent en effet qu'entre le 1
er
et le 18 août
2003, le nombre des généralistes en activité n'a que
très légèrement baissé (- 2 %) par rapport
à la période correspondante de l'année 2002, même si
la diminution a été plus prononcée en fin de semaine et
notamment le dimanche 10 août (- 9 %). Cette moindre présence
a été compensée par une plus grande activité :
sur la même période le nombre d'actes s'est ainsi accru de 2,1 %.
Dans le même sens, le rapport de l'IGAS
« continuité
et permanence des soins libéraux pendant l'été
2003 »
, publié en décembre 2003, a abouti aux
conclusions suivantes :
- « les médecins libéraux ont assuré la
continuité des soins pendant les jours de semaine du mois d'août
2003 » ;
- « des difficultés ont été
constatées pendant cette période pour l'établissement des
certificats de décès en région parisienne et sur la
fiabilité des tableaux de garde établis pour les nuits et les
week-ends, qui ne reflètent pas nécessairement les
présences médicales effectives » ;
- « les difficultés relatives à
l'établissement et au respect des tableaux de garde des soirs ne sont
pas propres à la période de la canicule. »
Une telle situation s'explique par le fait que le réflexe
spontané de la grande majorité de la population consiste, en cas
de fortes incertitudes pour sa santé ou pour sa vie, à se rendre
à l'hôpital plutôt que chez le médecin
généraliste.
Interrogée sur ce point lors de son audition par la mission, le Docteur
Françoise Lalande, inspecteur général des affaires
sociales, a reconnu que le
« problème lié à
la présence des médecins libéraux a fait polémique,
qu'il s'agisse des permanences de garde le week-end et la soirée ou des
congés pris assez massivement à cette période par les
médecins libéraux »
tout en soulignant que la
problématique de l'organisation des vacances était beaucoup plus
vaste :
« Je cite un autre aspect qui paraît
évident à tous les étrangers quand on les interroge :
les congés des quinze premiers jours du mois d'août. Il n'y a pas
que les congés des médecins, même s'ils en font partie. De
ce point de vue, la CNAM a fait une étude qui montre, jour par jour,
qu'en particulier, les trois week-ends d'août plus le pont du
15 août ont été massivement
désertés : congés du mois d'août des
médecins, congés du mois d'août à l'hôpital
(d'où un problème de services qui fait que, même quand ils
paraissent ouverts, ils sont en sous capacité considérable, avec
un départ de tous les responsables : dès lors que le chef de
service n'est pas là, ce n'est pas le petit jeune qui va alerter sa
direction et toute la chaîne d'information et de transmission ne
fonctionne pas) et congés du mois d'août de la
famille. »
Le décret n° 2003-880 du 15 septembre 2003 relatif aux
modalités d'organisation de la permanence des soins et aux conditions de
participation des médecins à cette permanence devrait permettre
d'améliorer cette situation.
d) Le dévouement des familles
Les
informations recueillies sur le terrain par la mission ont par ailleurs
attesté, d'une façon générale, de l'implication des
familles et de leur dévouement vis-à-vis des personnes
âgées de leur entourage.
Contrairement à ce qui a pu être soutenu, les cas
« d'abandon » des aînés semblent avoir
été exceptionnels. Qui plus est, près des deux tiers des
victimes vivaient en institution ou se trouvaient à l'hôpital au
moment de leur décès.
Il n'en demeure pas moins qu'en Ile-de-France notamment, des personnes
isolées, c'est-à-dire vivant dans un logement sans contact avec
l'extérieur, sont décédées sans que personne ne
s'en rende compte. Mais comme le soulignait M. Hubert Brin,
président de l'Union nationale des familles de France
,
devant
Mme Valérie Létard, rapporteur, cette crise a fait
redécouvrir aux Français qu'il existait des personnes très
âgées devenues « sans famille », après
le décès de leurs proches.
Le nombre des corps qui n'ont finalement pas été
réclamés par leur famille s'est établi, à Paris,
à 81 personnes sur un total de 2 000 décès. Ces
cas isolés, qui ont profondément ému l'opinion,
révèlent la nécessité de renforcer le lien social
et de sauvegarder une solidarité entre les générations.
Au total, l'analyse de la crise de la canicule conduit non pas à mettre
en cause le dévouement de tout ou partie du personnel médical, ou
des Français dans leur ensemble, mais plutôt à s'interroger
sur les défaillances de notre système sanitaire et
social.
* 48 Constituée de 5 groupements (3 groupements d'intervention, 1 groupement d'instruction et 1 groupement des services), répartis en compagnies et en centres de secours (77 au total), la Brigade comporte 7.000 hommes et 800 véhicules.
* 49 Le 1 er juillet 1810, l'empereur Napoléon 1 er est invité à une soirée à l'ambassade d'Autriche par le prince de Schwartzenberg, quand éclate un terrible incendie qui cause la mort de dix personnes. C'est à la suite de ce drame que le décret impérial du 18 septembre 1811 met en place le bataillon de sapeurs-pompiers de Paris afin d'organiser la lutte contre le feu. En 1867, le bataillon devient un régiment. Il faudra attendre le 1 er mars 1967 pour que le régiment devienne la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, rattachée depuis 1965 à l'arme du Génie.
* 50 Décret n° 2000-1162 du 28 novembre 2000 relatif aux missions et à l'organisation de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris.
* 51 Rapport de la mission d'information et d'évaluation de la Ville de Paris sur les conséquences de la canicule à Paris, novembre 2003.