2. Les personnes fragiles les plus touchées

La menace sanitaire représentée par la vague de chaleur caniculaire du mois d'août 2003 a certes visé les personnes âgées et particulièrement fragiles, mais aussi une population beaucoup plus large, constituée notamment de personnes gravement malades.

Lors de son audition, le Professeur Lucien Abenhaïm a ainsi procédé à l'évaluation suivante : « Nous avons connu quinze mille décès, mais la population qui avait besoin d'assistance représentait six millions de personnes. Je parle de tous ceux qui ont plus de 75-80 ans, qui ont des problèmes cardiaques ou respiratoires, qui sont aveugles ou sourds, ou qui souffrent d'un cancer, ces derniers représentant 800 000 personnes en France. Au total, entre six et sept millions de personnes dépendantes doivent être prises en charge pour éviter quinze mille morts. Parmi cette population, environ un million de personnes sont constitutives d'une catégorie de population à risque particulièrement exposée , qu'il convient d'identifier et qui doit bénéficier de la climatisation, y compris à domicile. »

a) Les caractéristiques des victimes

La canicule a davantage frappé les femmes que les hommes et, à partir de 45 ans, la surmortalité s'est fortement accrue en fonction de l'âge.

A l'inverse, il convient de relever que le phénomène semble avoir totalement épargné les enfants en bas âge qui étaient pourtant a priori tout autant vulnérables. Il est vraisemblable que la sensibilisation particulière des parents à la fragilité des très jeunes enfants explique cette situation.

Pour les personnes âgées de 45 à 74 ans, la surmortalité a augmenté de plus de 40 % par rapport au niveau normal, tandis que la hausse atteignait 90 % pour l'ensemble des personnes de plus de 75 ans et même 130 % pour celles ayant 95 ans et plus.

S'agissant des femmes, le rapport de MM. Hémon et Jougla note que leur longévité, traditionnellement plus importante que celle des hommes, n'explique pas à elle seule la différence observée, dans la mesure où, à âge égal, elles ont souffert d'une surmortalité supérieure.

RÉPARTITION DES DÉCÈS PAR ÂGE ET SEXE PENDANT LA PÉRIODE DU 1ER AU 20 AOÛT

 
 

Femmes

 
 
 

Hommes

 
 
 

Total

 
 
 

O (*)

E(**)

O/E

O-E

O(*)

E(**)

O/E

O-E

O(*)

E(**)

O/E

O-E

< 44 ans

538

547

1,0

-9

1 310

1 159

1,1

151

1 848

1 706

1,1

142

< 1an

72

76

0,9

 

105

95

1,1

 

177

171

1,0

 

1-14 ans

45

41

1,1

 

59

58

1,0

 

104

99

1,0

 

15-24 ans

60

66

0,9

 

208

191

1,1

 

268

257

1,0

 

25-34 ans

91

101

0,9

 

275

270

1,0

 

366

371

1,0

 

35-44 ans

270

262

1,0

 

663

545

1,2

 

933

807

1,2

 

45-74 ans

3 896

2 852

1,4

1 044

7 345

5 939

1,2

1 406

11 241

8 791

1,3

2 450

45-54 ans

646

543

1,2

 

1 566

1 255

1,2

 

2 212

1 798

1,2

 

55-64 ans

995

695

1,4

 

2 070

1 633

1,3

 

3 065

2 328

1,3

 

65-74 ans

2 255

1 614

1,4

 

3 709

3 050

1,2

 

5 964

4 664

1,3

 

= 75 ans

18 018

9 543

1,9

8 475

10 514

6 779

1,6

3 735

28 532

16 322

1,7

12 210

75-84 ans

6 414

3 417

1,9

 

6 169

3 919

1,6

 

12 583

7 336

1,7

 

85-94 ans

8 878

4 924

1,8

 

3 748

2 564

1,5

 

12 626

7 488

1,7

 

= 95 ans

2 726

1 202

2,3

 

597

296

2,0

 

3 323

1 498

2,2

 

Total

22 452

12 942

1,7

9 510

19 169

13 877

1,4

5 292

41 621

26 819

1,6

14 802

Source : rapport d'étape « Surmortalité liée à la canicule d'août 2003 » de M. Denis Hémon et de M. Eric Jougla

(*) Nombre de décès observés (O)
(**) Nombre de décès attendus (E)


Au total, les personnes âgées de plus de 75 ans ont représenté 82 % du total des victimes. Mais d'une façon générale, au delà du seul critère d'âge, il convient d'observer que les personnes décédées étaient essentiellement des personnes fragiles, dans la mesure où 30 % des victimes de plus de 60 ans souffraient d'une maladie mentale, 17 % prenaient un traitement psychotrope et 12 % souffraient du diabète.

Il n'en demeure pas moins qu'un nombre important de personnes relativement jeunes sont décédées des suites de la canicule : 142 victimes avaient moins de 45 ans, 414 entre 45 et 54 ans et 737 entre 55 et 64 ans.

b) Un nombre important de décès en institutions

S'agissant du lieu des décès, la répartition a été la suivante : 42 % sont survenus dans les hôpitaux, 35 % à domicile, 19 % en maisons de retraite et 3 % dans les cliniques privées .

SURMORTALITÉ OBSERVÉE DU 1 AU 20 AOÛT EN FRANCE SELON LE LIEU DE DÉCÈS (1)


Lieu de décès

Tous âges

<75 ans

=75 ans

Total

Hommes

Femmes

Total

Hommes

Femmes

Total

Hommes

Femmes

Domicile

1,7

1,5

1,9

1,4

1,4

1,6

1,9

1,6

2,1

Hôpitaux

1,5

1,3

1,6

1,2

1,2

1,2

1,6

1,5

1,7

Clinique privée

1,2

1,2

1,3

1,0

-1

1,1

1,3

1,3

1,4

Maison de retraite

2,0

1,8

2,1

1,8

1,8

1,9

2,0

1,8

2,1

Voie publique

1,0

1,0

0,9

1,0

1,0

0,9

1,0

0,9

1,1

(1) Rapport du nombre de décès survenus du 1 au 20 août entre l'année 2003 et la moyenne des années 2000 à 2002 (ex : 1,7 signifie que l'effectif des décès survenus à domicile pour les femmes a été multiplié par 1,7)

Source : rapport d'étape « Surmortalité liée à la canicule d'août 2003 » de M. Denis Hémon et de M. Eric Jougla - Inserm


Ce nombre important, et inattendu, de décès en institutions ne peut qu'interpeller les pouvoirs publics, dans la mesure où ces personnes y étaient prises en charge, le plus souvent en raison d'une perte d'autonomie.

Lors de son audition, M. Eric Jougla a souligné la nécessité d'approfondir les recherches sur ce point : « En effet, les augmentations les plus fortes ont eu lieu dans les maisons de retraite et à domicile. Dans ces deux structures, le nombre de décès a doublé par rapport aux années précédentes. Notre travail consiste en une première approche extrêmement descriptive. Dans nos travaux futurs, nous étudierons ce phénomène plus précisément. En effet, il est particulièrement important de se projeter au-delà du simple lieu de décès, en étudiant les filières d'origine des morts. Par exemple, beaucoup de maisons de retraite ont transféré des malades en très mauvais état dans les hôpitaux, où ils sont morts. Des enquêtes sont à mener sur les différentes filières. »

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