RÉSUMÉ
1. La Russie que nous avons approchée est incontestablement un pays en marche vers la modernité .
Sur le plan politique, tout d'abord .
Depuis l'arrivée de M. Vladimir Poutine au pouvoir est à l'oeuvre, dans ce pays, un mouvement de reconstruction de l'Etat et du droit . La réaffirmation de l'autorité de l'Etat vise à faire contrepoids à certains gouverneurs des régions, qui avaient conquis une influence considérable ces dernières années. C'est notamment l'objectif de la nomination, en 2000, de sept super-préfets (« polpreds »), investis de l'entière confiance du président russe, à la tête de sept grandes circonscriptions régionales. C'est également l'ambition de lois récentes qui redéfinissent le partage des attributions entre l'Etat fédéral et les 89 « sujets » de la Fédération , et qui combinées avec la réforme fiscale, conduisent à réévaluer la part de l'ensemble des recettes fiscales qui revient au pouvoir central. Parallèlement, plusieurs textes et codes ont été publiés en vue de doter le pays d'un cadre juridique moderne et adapté à l'instauration d'une économie de marché : code civil, code foncier, droit commercial... Cette ambition rénovatrice est également illustrée par la mise en oeuvre, certes non encore achevée, d'un vaste programme de réformes structurelles , qui va de la libéralisation des monopoles naturels à la simplification des réglementations applicables aux PME en passant par la consolidation du secteur bancaire et la réduction de la pression fiscale.
Pour se donner les moyens politiques de conduire cette action ambitieuse, Poutine a formé et soutenu un nouveau parti « Russie Unie », qui a remporté une large victoire aux élections législatives de décembre, augurant favorablement pour lui de l'issue de l'élection présidentielle prévue en mars. Par ailleurs, le Kremlin paraît également s'attaquer à la collusion fréquemment constatée en Russie entre sphère politique et affaires, surtout lorsque sont en jeu les intérêts stratégiques du pays ou ce qu'il estime être des arrière-pensées politiques, comme tel fut le cas dans le dossier « Youkos ».
Sur le plan économique, la Russie semble également se relever.
Après le choc qu'avait provoqué la crise financière de 1998 sur une économie fragilisée par des années de transition brutale, la Russie enregistre depuis 1999 une croissance économique considérable : ainsi, la croissance du PIB est comprise entre 6 et 9 % par an. De même, les investissements ont augmenté de 35 % en quatre ans.
Ce dynamisme économique, qui s'explique par la restauration de la compétitivité des produits russes obtenue grâce à la dévaluation du rouble, et surtout par la bonne tenue du cours des matières premières énergétiques massivement exportées, est également à l'origine d'un important excédent de la balance commerciale (46 milliards d'euros). En outre, le respect d'une stricte orthodoxie budgétaire et monétaire s'est traduit par un assainissement des finances publiques . L'amélioration de l'ensemble des fondamentaux favorise, par ailleurs, le retour des capitaux en Russie.
Si la croissance est attestée par les chiffres, elle est aussi visible sur le terrain. Les grues et chantiers témoignent de l'existence de programmes immobiliers ou de projets comme la construction d'un quartier d'affaires à Moscou. En outre, des grandes surfaces occidentales (Ikéa, Auchan...) apparaissent dans la périphérie des grandes villes et les petits commerces foisonnent.
Enfin, la société russe connaît elle aussi de profondes mutations.
Si les Russes découvrent avec une certaine frénésie -mais sans toujours pouvoir en profiter- les séductions de l'argent et de la consommation, une grande partie de la population vit dans un état de pauvreté qui s'est aggravé avec la transition économique et la crise de 1998. Le salaire moyen est de 200 dollars par mois et environ un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté. L' effondrement de l'Etat social rend le quotidien plus difficile (logements dégradés, coût prohibitif des soins...), ce qui explique l'amertume d'une partie de la société et la nostalgie à l'égard d'un régime qui se donnait comme objectif de pourvoir au bien-être de tous. La surmortalité liée à la dégradation de l'état sanitaire et la faiblesse de la natalité ont, par ailleurs, pour conséquence une diminution de la population d'environ 800.000 personnes chaque année.
Le bouleversement induit par ces changements conduit les Russes à chercher des repères et notamment une identité russe , dont témoigne le renouveau de l'orthodoxie .
Cependant, le choc que représente le passage au libéralisme génère aussi, chez certains, une avidité qui les porte vers la recherche de l'argent facile par les petits trafics, le « business »... Cet état d'esprit qui conduit à privilégier des projets offrant un retour rapide sur investissement , peut s'avérer un handicap pour le développement économique du pays à moyen et long terme.
2. Cependant, un certain nombre de points noirs sont de nature à hypothéquer la dynamique de développement qui semble se dessiner en Russie .
La première réserve que l'on peut émettre concerne la place prise par l'exploitation de la rente énergétique dans la croissance économique. Ce secteur représente 15 % du PIB, la moitié des exportations, 75 % des investissements et 2/3 des recettes fiscales, plaçant ainsi l'économie et l'Etat à la merci de la moindre baisse des cours sur le marché de l'énergie. En outre, le dynamisme de l'exploitation pétrolière et gazière bride le développement des autres secteurs d'activité, de sorte que le pays ne parvient pas à diversifier sa production industrielle et à répondre à la demande de son marché intérieur, notamment en matière de biens de consommation.
En ce qui concerne, par ailleurs, les réformes engagées, s'il convient de se féliciter de l'adoption d'un certain nombre de textes, encore faut-il qu'ils soient appliqués. Or, l' application du droit en Russie se heurte souvent à l'inertie de l'administration . Le poids de la bureaucratie, la lourdeur de son fonctionnement, auxquels il convient d'ajouter la corruption (« l'efficacité se monnaye ») peuvent également décourager l'initiative privée et asphyxier l'économie . De nombreuses entreprises étrangères se plaignent également de l'insécurité juridique . L'engagement d'une réforme administrative visant à modifier tant les structures que les comportements s'avère donc nécessaire.
Parmi les handicaps structurels, il faut encore citer la faiblesse du système bancaire , qui n'est pas en mesure d'offrir les crédits de long terme dont l'économie russe a besoin pour financer sa modernisation. Une réforme de grande envergure visant à instaurer un climat de confiance dans ce domaine est une nécessité absolue.
Par ailleurs, compte tenu de l' ampleur des investissements à réaliser , ce pays ne peut se passer de l' apport que représentent les capitaux extérieurs . Pourtant, les investisseurs étrangers sont parfois gênés par les manoeuvres d'entreprises nationales qui, avec la complicité du pouvoir politique, notamment au plan local, tentent de freiner leur réussite. Telle est, en tout cas, l'expérience de Total, qui est en litige avec l'administration fiscale russe à propos du pétrole qu'il exploite en association avec deux entreprises russes. En outre, la banalisation de la contrefaçon atteste d'une protection insuffisante de la propriété intellectuelle dans ce pays.
3. L'énergie, l'agriculture et les transports : secteurs d'avenir .
Le secteur énergétique est le premier secteur d'activité en Russie.
L'exploitation pétrolière russe est pour l'essentiel aux mains d'un petit nombre de compagnies privées , qui rivalisent aujourd'hui avec les majors occidentales. Sa croissance est tirée par les exportations qui ont fortement progressé ces dernières années. Cette évolution est cohérente avec l'un des axes de la politique étrangère de M. Vladimir Poutine qui ambitionne, dans le cadre d'un rapprochement avec les pays occidentaux, de faire de la Russie leur fournisseur privilégié de pétrole au détriment des pays du Moyen-Orient. De fait, la Russie est aujourd'hui au coude à coude avec l'Arabie Saoudite pour la place de premier producteur mondial de pétrole . Ses réserves sont toutefois beaucoup moins importantes que celles des pays du Moyen-Orient, et la mise en valeur de nouveaux champs implique un recours aux investissements étrangers.
Le dynamisme du secteur gazier est aussi stimulé par les ventes à l'étranger. Cependant, le contexte est différent en raison du monopole de l'entreprise d'Etat Gazprom et de l' importance de la consommation domestique de gaz qui représente deux tiers de la production. A cet égard, ce secteur soutient l'ensemble de l'économie russe notamment par le biais des factures impayées qui grèvent la rentabilité de Gazprom. Les potentialités de développement du secteur gazier n'en sont pas moins considérables, la Russie détenant 38 % des réserves mondiales de gaz . Elle compte d'ailleurs augmenter ses exportations à destination de l'Union européenne à laquelle elle fournit déjà un tiers de sa consommation de gaz. La grande inconnue demeure la date à laquelle interviendra la libéralisation de ce marché qui est lourd d'enjeux économiques et sociaux intérieurs. Il est aussi lourd d'enjeux internationaux puisque l'atout de productivité que constitue une ressource énergétique dont le niveau de prix est parfois contesté par les partenaires de la Russie, notamment l'Union européenne, peut être de nature à entraver certaines négociations (adhésion à l'OMC, par exemple).
Si le pétrole et le gaz occupent une place privilégiée dans la politique énergétique russe, le gouvernement n'en néglige pas pour autant les autres sources d'énergie . Il met en oeuvre un plan de relance du nucléaire , secteur dont le développement avait été stoppé net après l'accident de Tchernobyl, et encourage l'extraction de charbon , dont la Russie possède également d'importantes réserves. On voit ainsi se dessiner une optimisation de l'utilisation énergétique en Russie, les exportations de gaz et de pétrole devant apporter des recettes au pays, alors que l'énergie nucléaire, l'énergie thermique produite en partie à partir de charbon, auxquels il convient d'ajouter l'énergie hydraulique, sont destinées à la consommation domestique.
L'agriculture russe se caractérise, quant à elle, par trois traits essentiels :
- une surface agricole immense (220 millions d'hectares), gérée de manière extensive dans le cadre de vastes domaines (8.000 à 10.000 ha) hérités des structures collectives soviétiques. Le rachat récent de plusieurs de ces vastes fermes par des groupes industriels et financiers conduit à la formation d'immenses complexes agricoles qui rapproche la Russie d'un modèle latifundiaire très éloigné du modèle agricole européen ;
- un manque évident de capitaux pour acheter des machines agricoles, des traitements phytosanitaires et des engrais, en raison de la faible solvabilité des exploitations et de l'insuffisance du crédit agricole. Cette sous-capitalisation se traduit par des rendements peu élevés : 15 à 20 quintaux par hectare pour les céréales par exemple ;
- une production agricole qui se redresse , même si la Russie reste encore déficitaire sur le plan alimentaire. Ce redressement est illustré par les succès constatés dans le secteur céréalier , alors que le développement de l'élevage est devenu une priorité.
L'agriculture offre donc un potentiel très important. Cependant, sa transition n'est pas encore accomplie , comme le montre l'importance de la production familiale (la culture du lopin de terre) qui représenterait plus de la moitié de la production agricole.
Le secteur des transports : une importance capitale en termes d'aménagement du territoire.
Le réseau d'infrastructures russe est satisfaisant (plus de 900.000 km de routes, 87.000 km de voies ferrées, 450 aéroports) sauf dans le domaine maritime et portuaire pour lequel le partage réalisé lors de l'éclatement de l'URSS s'est fait au détriment de la Russie. Les transports collectifs sont également très développés.
Si l'ensemble du secteur a subi les conséquences d'un effondrement de la demande durant les années 90, la reprise du trafic est aujourd'hui au rendez-vous sur tous les réseaux, tirée notamment par le fret. La problématique du transport des matières énergétiques est très présente dans la mesure où la saturation des oléoducs impose de trouver des solutions nouvelles : transport ferroviaire, transport fluvial. Par ailleurs, les ports se restructurent en vue de faire face à l'exportation du pétrole.
Cependant, le secteur des transports reste fragilisé financièrement , notamment par la sous-évaluation des tarifs pour les passagers. A titre d'exemple, 46 millions de personnes empruntent gratuitement les transports en commun. Or, les besoins de financement sont énormes pour rénover les réseaux et remplacer le matériel (les trois-quarts de la flotte aérienne ont plus de dix ans). Dans ce domaine, comme dans d'autres, l'avenir passe donc, notamment, par des coopérations internationales . La France est, à cet égard, assez présente. Dans le secteur aérien Aeroflot est sur le point d'adhérer à l'alliance Skyteam. Dans le secteur routier un groupe de travail franco-russe a été instauré pour mettre à profit l'expérience française en matière de péages routiers.