d) Une Europe dépendante : les canaux de transmission de la conjoncture américaine en Europe
Le
rapport économique, social et financier associé au projet de loi
de finances pour 2002 proposait une évaluation de l'impact des
variations du PIB américain sur le PIB européen. Cet impact
serait très significatif : un repli (respectivement une hausse) de
0,6 point du PIB américain se traduirait par une croissance
européenne amputée (augmentée) de 0,35 point de PIB.
Pourtant, compte tenu de la faible ouverture de la zone euro vis-à-vis
du reste du monde (taux d'ouverture de seulement 10 %), on pourrait
s'attendre à ce que l'Europe soit peu sensible aux évolutions des
économies extérieures.
Une analyse fondée sur les seuls échanges commerciaux ne rend
cependant pas compte de l'ensemble des interdépendances existant entre
les Etats-Unis et l'Europe.
Une composante de l'économie contemporaine apparaît essentielle
à votre rapporteur. L'accumulation des déficits extérieurs
américains au cours des années 1990 a eu pour contrepartie celle
des créances du reste du monde sur l'économie américaine.
L'épargne européenne a contribué à satisfaire le
besoin de financement de l'économie américaine.
* Prévisions
Source : OCDE
Dans ces
conditions, il est naturel que les créanciers des Etats-Unis soient
particulièrement attentifs à l'évolution de la valeur de
leurs actifs. Toute perspective de dévalorisation de ces actifs engendre
naturellement des modifications de comportements économiques, allant
bien au-delà de ce que la considération des seuls échanges
commerciaux laisserait supposer. Un ralentissement de la croissance aux
Etats-Unis diminue les perspectives de gains des créanciers
européens, ce qui peut les conduire, par exemple, à
réviser à la baisse leurs projets d'investissements.
Enfin, il est important de rappeler que les ventes réalisées par
les filiales à l'étranger des grandes firmes américaines
représentent le double des exportations américaines. Les
multinationales américaines vendent plus en Europe grâce à
leurs filiales implantées sur le Vieux continent que par la voie du
commerce transatlantique. En conséquence, une dégradation de la
conjoncture aux Etats-Unis peut se répercuter sur l'économie
européenne par l'intermédiaire des comportements d'investissement
des filiales des grandes firmes. La maison-mère, affaiblie par une
mauvaise conjoncture sur son marché domestique, peut être
tentée de redresser sa situation financière en renonçant,
ou en retardant, des projets d'investissement en Europe.
Cela étant dit,
le canal traditionnel du commerce
extérieur n'a pas perdu, loin s'en faut, toute pertinence pour
comprendre les évolutions conjoncturelles en Europe. En atteste l'assez
forte sensibilité de la croissance européenne aux variations du
taux de change de
l'euro
. La plupart des experts
considèrent qu'une appréciation de l'euro dans les mois à
venir pourrait compromettre la reprise de
l'économie
européenne. Les modélisations de l'INSEE suggèrent qu'une
appréciation du taux de change effectif réel de l'euro de
3 %, au cours du second semestre de 2003, pourrait coûter, à
la fin de l'année, 0,3 point de croissance à la zone euro.
Une appréciation de l'euro exerce un double effet négatif sur la
croissance européenne : nombre d'entreprises subissent des pertes
de parts de marché, en raison de la dégradation de leur
compétitivité-prix ; d'autres entreprises contractent leurs
marges, pour amortir cette perte de compétitivité,
réduisant par là leur profitabilité, et leur
capacité à financer de nouveaux investissements :
l'appréciation de l'euro pourrait ainsi avoir, indirectement, un effet
dépressif sur l'investissement.
LES DÉTERMINANTS DU TAUX DE CHANGE DE L'EURO
La
sensibilité de l'économie européenne au taux de change de
l'euro pose la question de la définition du « bon »
taux de change pour la monnaie unique.
Plusieurs approches théoriques permettent d'apprécier la sur- ou
la sous-évaluation d'une monnaie. En dépit de
l'imprécision de ces méthodes, les évaluations convergent
autour de l'idée qu'un taux de change de un euro pour un dollar serait
approprié.
1. Les approches à partir de considérations de
compétitivité.
La moyenne du taux de change réel sur longue période
On peut tout d'abord estimer que le bon taux de change est celui qui permet
à une économie d'atteindre son niveau de
compétitivité de
longue période
(tel qu'il
résulte des effets conjugués du taux de change et du
différentiel d'inflation).
Ainsi, on estime que pour ramener l'économie de la zone euro à
son niveau de compétivité moyen de la période 1973-1998,
il faudrait un euro compris entre
0,80
et
1,19
dollar.
Il est à noter que cette méthode débouche sur une
fourchette très ample, qui varie selon l'indice de prix ou de coût
utilisé pour appréhender la compétitivité, mais
aussi, selon la durée de la période considérée.
Les parités de pouvoir d'achat (PPA)
On peut par ailleurs recourir à une analyse en termes de
parités de pouvoir d'achat
(PPA).
Selon la théorie des parités de pouvoir d'achat, s'il n'existe
aucune entrave au commerce international (y compris en matière de
coût du transport et de disponibilité de l'information), les
divergences de prix
de
biens échangeables
ne peuvent
être que
temporaires.
Le taux de change déterminé sur la base de la parité de
pouvoir d'achat est celui qui permet de
conserver un pouvoir d'achat
identique
lors de la conversion d'une monnaie dans une autre.
Le « bon » taux de change ainsi déterminé
serait, selon l'OCDE, de
1 euro pour 1,05 dollar
.
Ce taux peut légèrement varier selon la méthode
utilisée.
Les coûts salariaux relatifs
Une autre approche en terme de compétitivité consiste à
égaliser les
coûts salariaux horaires
relatifs.
Sur cette base,
1 euro
vaudrait
1,01 dollar
(chiffre
avancé par le Conseil d'analyse économique dans son rapport
Architecture financière internationale
de 1999).
Là encore, ce chiffre doit être considéré avec
prudence, compte tenu de l'imprécision de son évaluation.
Au total, une approche en terme de
compétitivité
conduit
à un « bon » taux de change de l'ordre de
1 euro
pour 1 dollar
.
-
-
-
-
2. L'approche par la balance des paiements courants : des résultats incertains.
Une seconde approche consiste à considérer que le bon taux de change est celui qui permet à l'économie, sur le plan interne , d'atteindre son taux de croissance potentielle (c'est-à-dire de croissance non inflationniste) et de supprimer le chômage conjoncturel , et, sur le plan externe , d'atteindre une cible de balance des paiements courants considérée comme optimale (en fonction d'objectifs d'épargne et d'investissement).
Les économistes appellent le taux de change ainsi défini le « taux de change d'équilibre fondamental ».
Le tableau ci-après fournit des estimations du taux de change d'équilibre fondamental de l'euro.Estimations du taux de change d'équilibre fondamental de l'euro (en dollars)
Cible de déficit extérieur américain maximal (en % du PIB) 3( * )
1 %
2 %
Différentes estimations du
Wren-Lewis et Driver (1998)
-
1, 17 à 1,43
taux de change d'équilibre
CAE (1998)
1,19 à 1,26
1,07 à 1,15
fondamental
COE (2000)
-
1,24
Sources :
- Conseil d'analyse économique (CAE), Architecture financière internationale (annexe de Didier Borowski et Cécile Couharde).
- Centre d'observation économique (COE) de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, Modèles et diagnostics , 1 er trimestre 2000.
Ces résultats sont à considérer avec précaution .
En particulier, la détermination du « bon » niveau pour les cibles de balance des paiements courants repose avant tout sur des jugements qualitatifs impliquant une certaine subjectivité.2. Une politique économique européenne contrainte